"Quand il commence à faire nuit, chaque ruelle a çà et là ses réverbères ; je les allume et toute la ville est éclairée"
Gaetano Zompini - 1789
Un allumeur de réverbères était une personne dont le métier consistait, l'heure venue, à parcourir les rues dotées de réverbères et à les allumer. Cette profession est apparue avec l'éclairage public, pendant la révolution industrielle, et s'est éteinte avec l'avènement de l'éclairage électrique.
« Gardez-vous d'assimiler l'Allumeur aux parias des autres administrations, au pauvre Cureur d'égouts, au Balayeur, plus misérable encore! L'Allumeur, outre sa paie, reçoit de bonnes étrennes des propriétaires dont l'administration se charge d'éclairer les maisons; et, s'il est frugal, s'il possède une femme laborieuse, il peut éluder l'hôpital, cette antichambre de la tombe pour la majorité des vieux ouvriers ». Ainsi parle des allumeurs de réverbèresun auteur du XIXe siècle, Émile de La Bédollière.
Les allumeurs de réverbères apparaissent avec l'établissement fixe des premiers réverbères, aux environs de 1667. Auparavant l'éclairage des rues ne reposait que sur quelques chandelles que l'on recommandait de placer au premier étage des maisons bourgeoises (quand des hardes de brigands exploitaient la ville, et par exemple en 1324, 1526 et 1553, lorsque Paris était mise à contribution par les mauvais-garçons).
À Paris, les autorités, en 1667, seraient les premières à placer au milieu et aux deux extrémités de chaque rue des lanternes garnies de chandelles et cet usage se généralisa à toutes les villes de France. Pour perpétuer le souvenir, on frappa en 1669, une médaille avec cette légende: « Urbis securitas et nitor » (« la sûreté et la netteté de Paris »). L'allumage des lampes se fait alors par des habitants désignés annuellement par les autorités, chacun dans son quartier, aux heures réglées (et un commis surnuméraire dans chaque quartier pour avertir de l'heure). Une taxe est prélevée, impôt de boues et lanternes qui permettra la transformation de la ville sous l'impulsion de son lieutenant de police : Gabriel Nicolas de la Reynie.
En 1766, à Paris toujours, les lanternes cèdent la place aux réverbères ; l'huile succédant aux chandelles à double mèche.
Les lanternes à réverbère seraient inventées par un certain abbé Matherot de Preigney et un sieur Bourgeois de Châteaublanc, qui, par lettres-patentes, enregistrées le 28 décembre 1745, obtinrent le privilège de cette entreprise.
Le métier d'allumeur de réverbères est des plus précaires, soumis aux intempéries et se réalise en compléments d'autres activités lucratives. À Paris vers 1842, la profession est sur le déclin :
« Aujourd'hui, après une longue et honorable existence, les réverbères sont à l'agonie. Leur nombre, après s'être élevé de trois mille cinq cents à plus de cinq mille, diminue de jour en jour, et la race des Allumeurs, née avec l'administration de l'éclairage, s'éteindra dans le courant du dix-neuvième siècle. Le service d'éclairage se fait par entreprise au rabais, détestable méthode qui, en rognant les bénéfices de l'adjudicataire, le met dans la nécessité de s'acquitter le plus mal possible de ses devoirs. L'administration a quatre bureaux, et un entrepôt-général sur la place de la Bastille. Un inspecteur-général de l'illumination surveille la qualité des huiles, dont un échantillon, mis sous le scellé, est déposé à la Préfecture de police.
L'Allumeur commence sa journée par éteindre. Il est tenu d'être à son bureau à six heures, et malheur à lui s'il est inexact! Les fonctions d'Allumeur sont briguées par une foule de surnuméraires, toujours prêts à gagner cinquante centimes en remplaçant les absents. Pareille somme est accordée à celui qu'une maladie retient loin de son poste, et c'est alors le surnuméraire qui touche le prix de la journée du malade : trois francs. Les heures d'allumage et d'extinction sont réglées par le préfet de police.
L'Allumeur se met en campagne, nettoie les réverbères, les chapiteaux, les plaques des réverbères, les porte-mèches, et s'en retourne dans ses foyers. Là, d'autres occupations l'attendent: il fabrique des chaussons ou des souliers, ou va en ville faire des commissions. Il rentre en fonctions, le soir, pour allumer; tâche pénible en hiver, quand le froid engourdit les doigts, quand le vent éteint les lumières naissantes. Il faut que l'allumage soit terminé sur tous les points en quarante minutes, vingt minutes nu plus après l'heure déterminée par le préfet. On distinguait autrefois l'allumage en permanence et variable: une partie des becs se reposait dès que la lune blanchissait les rues de ses pâles rayons. Aujourd'hui l'illumination doit être générale. Les réverbères, ayant peu de temps à vivre, veulent jouir de leur reste, et laisser à la postérité le souvenir de leurs bienfaits.
L'Allumeur ne connaît ni dimanches ni morte saison : rien ne le détourne de sa promenade quotidienne, car ce n'est pas lui qui, dans les fêtes publiques, allume les lampions de l'allégresse et les verres de couleur de l'enthousiasme unanime. Il est voué exclusivement aux réverbères, et marche en tout temps, à moins que des perturbateurs n'aient brisé ses quinquets aériens. Alors, tout en feignant de partager le mécontentement de ses chefs, il rit sous cape, se frotte les mains, applaudit à l'œuvre de destruction. Sa satisfaction est d'autant plus logique, que ses appointements courent durant cette suspension forcée de service.
Le métier d'allumeur change de nature avec la conversion des réverbères, (fonctionnant jusque là à l'huile), au gaz d'éclairage. On parle d'allumeur de gaz, profession distincte de l'allumeur de réverbère. ((En 1886, les Lanciers, puis dragons sont désignés par allumeur de gaz, par allusion à leur arme, comparée au long roseau dont se servent les employés des compagnies du gaz).
Aleardo Villa - Gas Aerogeno - 1902
À l'arrière plan, un allumeur de réverbère
« L'Allumeur de réverbères a besoin d'une certaine dose d'adresse manuelle pour descendre chacune de ses lampes aériennes, enlever les mèches consumées, nettoyer la coquille, étaler le coton afin qu'il s'imprègne d'huile, allumer au milieu de la rue, encombrée de voitures au risque d'être écrasé par un cocher maladroit, et lancer dans l'espace un phare éblouissant. Voilà une opération compliquée, qui exige du savoir-faire et peut occuper l'intelligence ; mais quel mérite y a-t-il à ouvrir et fermer un conduit, à soulever le couvercle d'un lampadaire et à enflammer du gaz qui ne demande qu'à brûler ?... En se consacrant au gaz, l'Allumeur de réverbères se considérera comme déchu, comme réduit à l'état de machine, comme rayé du nombre des travailleurs actifs et experts. »
Ninnenne