JULIE-VICTOIRE DAUBIEJULIE-VICTOIRE DAUBIE
16 août 1861 : Julie-Victoire Daubié, une institutrice de 36 ans, militante entêtée des droits de la femme, passe avec succès le baccalauréat à Lyon. Elle est la première Française dans ce cas.
Le ministre de l'Instruction publique refuse de signer le diplôme au prétexte qu'il « ridiculiserait le ministère de l'Instruction publique » ! Son successeur Victor Duruy montrera beaucoup plus d'ouverture d'esprit en faisant voter en avril 1867 une loi imposant l'ouverture dans chaque commune de plus de 500 habitants d'une école primaire réservée aux filles.
Julie-Victoire Daubié (dite parfois Victoire Daubié, ou à tort Julie Daubié), née le 26 mars 1824 à Bains-les-Bains (Vosges) et morte le 26 août 1874 à Fontenoy-le-Château, est une journaliste française. C'est la première femme française ayant obtenu le droit de se présenter au baccalauréat à Lyon en 1861, et la première à l'obtenir le 17 août 1861. C'est aussi la première licencié (sans e, orthographe de l'époque) ès lettres le 28 octobre 1872.
Elle ne doit pas être confondue avec sa sœur aînée, Julie Daubié.
Site de la Manufacture, à droite de la chapelle maison natale de J.V Daubié
Julie-Victoire Daubié voit le jour dans la maison dite des Commis de la Manufacture royale de Bains-les-Bains où son père occupe les fonctions de comptable puis de caissier.
Prénommée Julie-Victoire à l'état civil, on l'appelle Victoire, [size=18]prénom usuel de sa mère au quotidien. Julie est le prénom de sa sœur aînée qui est à l'état-civil Marie-Julie. Huitième enfant de sa fratrie, elle a vingt mois à la mort de son père, qui est enterré dans le caveau de sa famille à Fontenoy. La mère et les enfants rejoignent alors Fontenoy-le-Château où réside la famille paternelle de Julie-Victoire. L'inscription de ses frères et sœurs sur les registres paroissiaux de Fontenoy montre que les enfants y suivent leur catéchisme.[/size]
Elle est issue de la petite bourgeoisie catholique fontenaicastrienne. Les familles Colleüille et Daubié se sont illustrées sous la Terreur en cachant des prêtres. Son grand-père paternel est Siméon-Florentin Daubié, greffier de justice et ancien négociant qui vit maintenant de ses rentes. Son grand-père maternel Jean-Nicolas Colleüille après avoir vendu les forges du Moulin brûlé et de Pont-du-Bois est le directeur des forges de Buyer à la Chaudeau.
Contrairement à la légende, elle n'a jamais travaillé dans les ateliers de la Manufacture Royale de fer blanc de Bains-les-Bains. Son nom n'apparaît jamais sur les registres d'établissement de livret ouvrier. Il est certain qu'elle a côtoyé et vu au bureau de bienfaisance de Fontenoy la misère des ouvriers de campagne, la triste condition des domestiques et le sort funeste réservé aux mères célibataires. Elle puisera peut-être là l'inspiration de son essai La Femme pauvre au xixe siècle qui lui permet de remporter le premier prix du concours de l'Académie impériale des sciences belles-lettres et arts de Lyon le 21 juin 1859. La séance de l'Académie, présidée par Monsieur Sauzet, accorde à Mademoiselle Daubié, une médaille de 800 francs.
Cette question de concours devient La Femme pauvre au XIXe siècle, par une femme pauvre à sa deuxième édition, et est couronnée en 1867 à l'Exposition universelle de Paris.
Le 31 août 1844, elle obtient le « certificat de capacité », brevet d'enseignante, obligatoire pour tous depuis la loi Guizot du 28 juin 1833.
La loi Falloux le 15 mars 1850 rendra ce brevet obligatoire pour les enseignantes laïques alors que (article 49): Les lettres d'obédience tiendront lieu de brevet de capacité aux institutrices appartenant à des congrégations religieuses vouées à l’enseignement et reconnues par l’État. Néanmoins, la loi Falloux, bien que favorisant un enseignement catholique d'État, demande la [size=18]création d'une académie par département et fait obligation aux communes de plus de 800 habitants d'ouvrir une école de filles (article 51).[/size]
Julie-Victoire Daubié s'élève contre le manque de qualification de certaines religieuses pour enseigner et non pas contre un enseignement catholique.
Elle a étudié le grec et le latin, matières indispensables pour présenter le baccalauréat, avec son frère prêtre. Elle a complété sa formation en zoologie, section mammifères et oiseaux, en s'inscrivant en 1853 au Muséum national d'histoire naturelle de Paris pour suivre les cours d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Il lui a obtenu une autorisation spéciale pour qu'elle vienne étudier dans les galeries hors des heures d'ouverture au public.
Sachant qu'elle y serait bien accueillie, avec l'aide de François Barthélemy Arlès-Dufour, un saint-simonien et industriel lyonnais très influent dans les milieux académiques et à la cour impériale, et, forte de son succès au concours lyonnais de 1859, elle s'inscrit à la faculté des Lettres de Lyon pour passer son baccalauréat. Le 17 août 1861, elle obtient son baccalauréat en totalisant six boules rouges, trois boules blanches, une boule noire. Ce système de boules était le moyen de vote des professeurs examinateurs. En ce temps-là, ils ne calculaient pas de moyenne. Une boule blanche signifiait un avis favorable, une boule rouge, une abstention, une noire, un avis défavorable.
« ...Nous sommes heureux d'annoncer qu'elle a été reçue avec distinction et qu'elle s'est montrée bonne latiniste, soit dans les compositions, soit dans les explications. On peut citer un certain nombre de femmes qui au Moyen Âge et surtout à l'époque de la Renaissance, ont obtenu leur bonnet de Docteur, mais Mademoiselle Daubié est certainement le premier bachelier de sexe féminin qu'ait proclamé l'Université de [size=18]France...» »[/size]
Il a souvent été écrit qu'elle dut attendre longtemps son diplôme de bachelier ès Lettres et que prétendant qu'il « ridiculiserait le ministère de l'Instruction publique », le ministre Gustave Rouland refusait de le signer. Et aussi qu'il fallut une intervention pressante d'Arlès-Dufour auprès de l'entourage de l'impératrice Eugénie ainsi qu'une campagne de presse menée par Léon Richer pour que l'ordre soit donné à ce ministre d'apposer sa signature au bas du diplôme. Cependant, il est habituel à cette époque d'attendre entre six mois et un an la réception du diplôme.
« En [size=18]France (j'aime à le dire pour l'honneur de mon pays) l'initiative sociale nous manque ici beaucoup plus que la liberté, car j'ai pu être admise, l'année dernière, à l'examen du baccalauréat, par la Faculté des lettres de Lyon, sans faire de demande exceptionnelle. J'ai rencontré partout, pour cette innovation, une bienveillance impartiale et des sympathies généreuses, dont je ne saurais trop remercier ma patrie et mon siècle. »[/size]
Elle achète au centre de Fontenoy la vaste maison de Charlotte de Huvé où, en bonne saint-simonienne, elle installe un bureau d'entrepreneur de broderie blanche, imitant en cela sa sœur Julie déjà entrepreneur en 1852. Elle en confiera la gestion à sa nièce Mathilde puisque Julie-Victoire ne vient à Fontenoy que pour la belle saison. Cette maison a été démolie lors du percement du canal de l'Est.
Julie-Victoire dans le chapitre 2 de La femme pauvre intitulé Quels moyens de subsistance ont les femmes consacre une large place à la broderie, sujet qu'elle connait bien.
« La broderie, occupe en [size=18]France, près de deux cent mille ouvrières. Le salaire quotidien des brodeuses varie de 20 centimes à 1 FR. 50 et 2 FR. La broderie faite sur un métier exigeant beaucoup de perfection, donne un salaire plus élevé, mais elle dévie la taille des enfants qu'on y applique trop jeunes. (page 43) »[/size]
Des amis influents
Juliette Adam 1836-1936
et
François Barthélemy Arlès-Dufour
Julie-Victoire réside à Paris, avenue des Champs-Élysées dans le huitième arrondissement, donne des conférences et est devenue journaliste économique. Le 24 mars 1862 parait dans le quotidien d’Emile de Girardin, La Presse, son essai Du progrès dans l'enseignement primaire. Cet article a l'honneur d'être référencé et conseillé dans la très sérieuse Bibliographie catholique. Julie-Victoire écrit aussi dans L'Économiste français, hebdomadaire économique fondé en 1862 par Jules Duval (1813-1870).
Le 21 octobre 1870, un arrêté du Maire de Paris demande la [size=18]création d'une Commission de dames pour examiner les questions relatives à l'enseignement primaire. Julie-Victoire Daubié est sollicitée pour y travailler. Les travaux de cette commission, interrompus pendant les trois mois des troubles de la Commune de Paris, furent consignés dans le rapport Delon-Coignet.[/size]
Victoire Daubié continue à travailler pour préparer sa licence ès lettres bien qu'elle ne puisse pas assister aux cours à la Sorbonne (l'examen est accessible aux femmes, mais les cours leur sont encore interdits). Elle réussit son examen le 28 octobre 1872 et devient la première licencié (sans e) ès Lettres, l'intitulé du diplôme de licence comme celui du baccalauréat n'existe qu'au masculin.
Aussitôt elle décide de préparer une thèse de doctorat dont le sujet sera La Condition de la femme dans la [size=18]société romaine. Sa mort laissera cette thèse inachevée. La même année, elle s'établit à Fontenoy pour veiller sur sa mère âgée et malade.[/size]
Elle est profondément affectée par l'interdiction à la vente, par voie de colportage, de trois ouvrages que son association pour « l'émancipation progressive de la femme » présidée par Arlès-Dufour et dont elle est vice-présidente, a édités.
L'année suivante, le 25 août 1874 vers 17h, Julie-Victoire (…en son vivant entrepreneur de broderie a écrit le notaire dans son inventaire après décès) meurt. Elle est enterrée à Fontenoy-le-Château le 28 août. Elle repose avec sa sœur Julie et ses nièces Mathilde et Louise Daubié. Sa tombe est toujours visible. Elle laisse à ses frères et sœurs une succession plus que confortable, deux maisons, des titres, des actions, etc. Son seul frère célibataire, celui qui est prêtre, prend en charge les frais d'enterrement. Contrairement à la légende, il n'existe aucune trace ni aux archives paroissiales, ni aux archives diocésaines attestant d'une difficulté quelconque pour lui donner des funérailles chrétiennes. Le registre paroissial de Fontenoy fait mention d'un service funèbre ordinaire.
La militante
Julie-Victoire Daubié n'était pas socialiste. Elle était fortement marquée par le saint-simonisme mais elle en avait une interprétation morale et politique ...
Victoire Daubié est une moraliste, une économiste féministe par sa nature même. Elle laisse le souvenir de sa ténacité dans la lutte pour la reconnaissance de nombreux droits aux femmes. Outre son combat pour leur accès à l'enseignement et à une formation professionnelle efficace, elle milite pour le vote des femmes qui, d'après elle, moraliserait la vie politique. Avec Léon Richer, Alexandre Dumas fils, Ernest Legouvé elle prend la défense des enfants adultérins privés de droits, comme les femmes, par le Code Napoléon.
Ses idées s'inscrivent dans le courant de pensée moderniste du second empire, annonciateur du XXe siècle, auquel ont été associées des figures telles qu'Eugénie de Montijo, Elisa Lemonnier, Michel Chevalier, François Barthélemy Arlès-Dufour, Marie-louise et Ulysse Trèlat, Rosa Bonheur, etc.
De son vivant son travail de journaliste lui vaut une reconnaissance dans toute l'Europe et aux Etats-Unis. Son combat pour l'éducation des femmes et leur accès à l'enseignement supérieur a inspiré la féministe anglaise Joséphine Butler qui a traduit en langue anglaise une partie de ses œuvres. En 1869, lors de son voyage d'étude à Paris, Frances E. Willard, première femme doyen de la Northwestern University, qui connaissait ses travaux obtient de la rencontrer.
Julie-Victoire Daubié aura partagé sa vie entre ses luttes pour l'émancipation de la femme dans la [size=18]société contemporaine (mariage, conditions de travail, formation professionnelle, rémunération, droit de vote, etc.), ses engagements dans les mouvements de l'histoire du temps, son travail de préceptrice, ses relations politiques, journalistiques et amicales (Jules Simon, Léon Richer, Marie d'Agoult, Juliette Edmond Adam etc.).[/size]
Elle ne voit pas de son vivant le résultat de toutes ses luttes, mais elle a néanmoins la satisfaction de jouir d'une certaine reconnaissance. Elle reçoit à l'Exposition universelle de 1867 une médaille qui récompense l'ensemble de son travail et le renom de son auteur.
Hommages
Fresque en l'honneur de Julie-Victoire Daubié à Fontenoy-le-Château
Plaque en mémoire de Julie-Victoire Daubié, musée de la Broderie de Fontenoy-le-Château.
Aujourd'hui, douze écoles, trois collèges, celui de Plouzané, celui de Bourg-en-Bresse et celui de Bains-les-Bains, trois lycées, un lycée d'enseignement professionnel de Laon, un lycée et la cité scolaire de Rombas et celui d'Argenteuil (Val-d'Oise) portent son nom.
Le 24 septembre 2008 le bâtiment Présidence de l'université Claude Bernard, Lyon 1, a été baptisé du nom de J.V Daubié.
À Montpellier, une résidence Julie-Victoire Daubié dans la ZAC des jardins de la Lironde.
La 38e promotion de l'Institut régional d'administration de Nantes (2010-2011) porte également le nom de Julie-Victoire Daubié.
On compte également trois places J.V Daubié une à Fontenoy-le-Château, là où se dressait la maison de Siméon-Florentin Daubié, une à Bazegney et une à Lyon, une rue dans 13e arrondissement de Paris, à Nancy, à Dijon, à Saint-Nazaire30 et à Tomblaine, un passage Julie-Victoire Daubié à Saint-Dié-des-Vosges, une ruelle à Maizières-lès-Metz et une impasse à Saint-Vallier.
Montreuil en Seine-Saint-Denis a inauguré le 15 décembre 2007 une crèche Julie Daubié.
La municipalité de Fontenoy a dévoilé en 1997, sur le pignon d'une maison de la place, une fresque géante représentant Julie-Victoire Daubié passant son baccalauréat.
La médaille d'honneur de la ville de Fontenoy-le-Château est aussi frappée à l'effigie de son héroïne.
En novembre 1992 s'est tenu à Lyon à l'université Lumière un « colloque Julie-Victoire Daubié ».
Le ministère de l'Éducation nationale a donné son nom à un salon.
Plus modestement l'inspection académique d'Épinal a baptisé une salle et le CRDP d'Amiens une galerie.
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Ninnenne