Les mots qui restent - ARRÊT -
La Cour rend des arrêts et non pas des services.
Ce mot, dont le souvenir reparaît volontiers dans les procès qui touchent à la politique, remonte à la fin de la Restauration.
M. Dupin aîné, plaidant pour le Constitutionnel devant la Cour de Paris, le 26 novembre 1825, y faisait allusion en ces termes dans sa brillante péroraison :
« Ne vous inquiétez pas, disait-il aux magistrats, de ce que voudront les ministres actuels et leurs prochains successeurs ; continuez à faire dire de la Cour ce que la Cour a dit d'elle-même : qu'elle rend des arrêts et, non pas des services ; ou, pour mieux dire, vous rendrez à l'Etat le service le plus signalé... »
{Procès du Constitutionnel et du Courrier, 1826 p. 135.)
La Cour était alors présidée par le baron Séguier, et c'est à lui que le mot a été attribué.
D'après une communication adressée au Courrier de Vaugelas (15 novembre 1886) par le petit-fils du président Séguier, celui-ci l'aurait dit un jour à un personnage influent venu pour le solliciter au sujet d'une affaire purement civile.
La formule créée par le président Séguier, appliquée en matière politique, devait fournir aux avocats de précieux effets oratoires.
Le 30 novembre 1864, le célèbre Berryer, défendant Jules Ferry dans l'affaire du comité électoral des Treize, s'écriait devant la Cour :
« Messieurs, permettez-moi de vous rappeler un glorieux souvenir de la magistrature qui commande le respect dont nous nous efforçons toujours de l'entourer.
» Il y a quarante ans, dans la salle de la première chambre de la Cour de Paris, en face du premier président Séguier, on lisait cette inscription : « La Cour rend des arrêts, et non pas des services. »
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Les mots qui restent - ARGENT -
Benjamin Franklin
Le temps est de l'argent.
Traduction du proverbe anglais : Time is money, qui caractérise assez exactement l'activité dévorante des peuples anglais et américain.
On rencontre déjà cette maxime dans un écrit de Benjamin Franklin (1706-1790) intitulé :Conseils à un jeune artisan, écrits en 1748.
« N'oubliez pas, disait ce sage, que le temps est de l'argent (remember, that time is money). Celui qui dans un jour peut gagner dix schellings par son travail et qui va se promener ou qui reste oisif la moitié de la journée, quoiqu'il ne dépense que six sous durant le temps de sa promenade ou de son oisiveté, ne doit pas compter cette seule dépense ; il a réellement dépensé ou plutôt prodigué cinq schellings de plus.
" N'oubliez pas que le crédit est de l'argent... » (The Works of D. Franklin, Boston, t. I, 1840, p. 87.)
Il est difficile d'affirmer que Franklin ait été le premier à formuler cette maxime, mais assurément ce genre de création était tout à fait conforme à la nature de son génie.
« Franklin, écrivait Sainte-Beuve dans ses Lundis (3e éd., t. VII, p. 146), avait naturellement ce don populaire de penser en proverbes, et de parler en apologues et paraboles. »
On a cru trouver l'idée première de ce proverbe dans une parole que Diogène Laërce prête à Théophraste (liv. V, chap. II, 40) :
πολυτελ?ς ?ν?λωμα ε?Šναι τ?Œν χρ?Œγ?Œν
(Le temps est ce qu'on dépense de plus précieux.)
François Bacon au chapitre XXV de ses Essais (1597), a fait aussi ce rapprochement entre le temps et l'argent :
« Time is the measure of business, as money is of wares. » (Le temps est la mesure des affaires, comme l'argent est la mesure des marchandises.)
Franklin a écrit encore, dans le Chemin de la fortune ou la Science du bonhomme Richard(1757) :
« Ne prodiguez pas le temps, car c'est l'étoffe dont la vie est faite.
" Si le temps est la plus précieuse de toutes les choses, prodiguer le temps doit être la plus grande des prodigalités. »
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Les mots qui restent - APPRENDRE -
« Ils n'ont rien appris ni rien oublié. »
On prétend que M. de Talleyrand qualifiait ainsi les émigrés : « des gens qui n'ont rien appris ni rien oublié depuis trente ans. » MM. Henri de Latouche et Amédée Pichot ont recueilli ce propos dans l'Album perdu (1829, p. 147).
Il n'y avait là, comme on l'a souvent fait remarquer, qu'un souvenir de ce passage d'une lettre adressée de Londres, en 1796, par le chevalier de Panat, officier de marine français, à Mallet Du Pan :
« Vous nous parlez souvent, disait-il, de la folie de Vérone. Hélas ! mon cher ami, cette folie est générale et incurable. Combien vous vous trompez en croyant qu'il y a un peu de raison dans la cour du frère ! Nous voyons tout cela de près et nous gémissons : personne n'a su ni rien oublier, ni rien apprendre. »
(Mémoires et correspondance de Mallet Du Pan 1851, t. II, p. 196.)
On sait que les royalistes avaient alors, outre l'armée de Condé, deux grands foyers d'intrigues, l'un à Vérone, où Monsieur, conservant toujours ses illusions, s'était fait proclamer roi sous le nom de Louis XVIII; un autre à Londres, où son frère, le comte d'Artois, décourageait par ses maladresses ses amis de France et de l'étranger.
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Les mots qui restent - ANGLAIS
Casimir Delavigne
Guerre aux tyrans! Jamais en France,
Jamais l'Anglais ne régnera !
Charles VI, opéra en 5 actes, de Casimir et Germain Delavigne, musique d'Halévy, représenté à l'Académie royale de musique, le 17 mars 1843.
Refrain du Chant national du vieux soldat Raymond (acte III, scène I) :
La France a l'horreur du servage,
Et, si grand que soit le danger,
Plus grand encore est son courage
Quand il faut chasser l'étranger,
Vienne le jour de délivrance,
Des cœurs ce vieux cri sortira :
Guerre aux tyrans ! Jamais en France,
Jamais l'Anglais ne régnera.
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Les mots qui restent - AN -
Cédez-moi vos vingt ans si vous n'en faites rien.
Charles Joseph Lacretelle, dit Lacretelle jeune (1776-1855), lorsque l'âge l'eut obligé à renoncer à l'enseignement public, adressa à la jeunesse l'exposé des convictions de sa vie dans un livre qu'il intitula : Testament philosophique (Paris, 1840).
Parmi les dix pièces de vers qui terminent l'ouvrage, figure son Discours en vers sur les faux chagrins, daté de 1835, où il s'élève avec éloquence contre « la mode d'être triste » et même un peu poitrinaire, qui sévissait alors chez certains jeunes gens, et se faisait remarquer surtout dans les soirées mondaines :
Où fuir de vos accords les ennuis solennels,
Fanfarons de chagrins et pleureurs éternels ?
Quel vent vous a soufflé dans des lieux pleins de charmes
Un nuage de spleen chargé de grosses larmes...
Un bal brillant s'annonce... ah ! mon ennui redouble
Quand de pénitents noirs une procession
Marche la contredanse avec componction...
Sur mes cheveux blanchis l'illusion voltige.
Et je dis aux danseurs d'un si grave maintien :
Cédez-moi vos vingt ans si vous n'en faites rien.
(Tome II, p. 349, v. 46.) Louis Véron, dans les Mémoires d'un bourgeois de Paris (1853, t. I, p. 204), a rappelé cette spirituelle riposte d'Ancelot à Lacretelle :
"Mais, quand vous les aviez, vous en serviez-vous bien ?"
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Les mots qui restent - ALPHONSE -
A.Dumas Fils
ALPHONSE
M. René de Pont-Jest a raconté gaiement, dans la Revue du Palais du 1er octobre 1898, comment, sans lui, la pièce de Dumas fils se serait appelée non pas Monsieur Alphonse, mais Monsieur Jules (Souvenirs judiciaires, p. 653).
Un jour que tous deux se rendaient à une des premières audiences du procès Bazaine, Dumas lui exposa le sujet de sa comédie. Il paraissait enchanté du nom de Jules, qu'il avait choisi pour son héros. M. de Pont-Jest commença par trouver ce choix excellent, puis, se ravisant tout à coup : « Mais non, au contraire, dit-il, ce nom est impossible. — Pourquoi donc? — Parce que, de même que Rome a eu l'ère des Césars, nous avons, nous, l'ère des Jules, nous y sommes en plein : Jules Grévy, Jules Simon, Jules Ferry, Jules Favre. C'est un nom sacré. » Dumas se rendit à l'évidence et renonça définitivement à Jules.
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Les mots qui restent - ALLER -
« Ça ira. »
La revue la Révolution française du 4 juin 1899 contient (p. 513 à 529) une intéressante étude de M. Gustave Isambert sur l'historique du Ça ira. Ce travail très consciencieux nous a fourni quelques-uns des éléments du présent article.
Disons d'abord que le Ça ira prit naissance au mois de juillet 1790, pendant les travaux de terrassement du Champ de Mars, auxquels s'était associée une grande partie de la population parisienne, afin que tout fût prêt pour la fête de la Fédération du 14 juillet.
La Chronique de Paris du 9 juillet contenait ce passage (p. 758) :
« Il n'est point de corporation qui ne veuille contribuer à élever l'autel de la Patrie. Une musique militaire les précède ; leur cri de ralliement est ce refrain si connu d'une chanson nouvelle qu'on appelle le Carillon national. Tous chantent à la foi : Ça ira, ça ira, ça ira. Oui,ça ira, répètent tous ceux qui les entendent. »
Le Moniteur du 11 disait à son tour :
« Les différentes corporations de la capitale étaient précédées de musique ou de tambour ; chacune d'elle avait son drapeau, sur lequel on lisait : Pour la patrie, rien ne nous coûte. Vivre libre ou mourir. Les esclaves du despotisme sont entourés des enfants de la liberté. Ça ira, refrain d'une chanson patriotique et populaire. »
Ce n'était pourtant pas encore, parait-il, une chanson au vrai sens du mot, mais un refrain auquel chacun joignait des paroles selon sa fantaisie, sur un air de contredanse du musicien Bécourt.
Un chanteur des rues, Ladré, recueillant peut-être quelques couplets qu'il avait entendus, en ajoutant d'autres de sa façon, écrivit les paroles les plus connues de cette chanson. Ils furent gravés dans un recueil du temps, intitulé : Révolutions lyriques ou le Triomphe de la liberté française.
Le n° 4 de cette collection a pour titre : Ah ! ça ira, Dictom (sic) populaire, air de la nouvelle contredanse le Carillon national.
D'après Dumersan (1780-1849), ces couplets ont été faits le matin même du 14 juillet, au Champ de Mars, pendant une averse, et il en donne comme preuve le couplet suivant, où il est fait allusion à ce contretemps :
Ah ! ça ira, ça ira, ça ira,
En dépit d'z'aristocrat' et d'la pluie;
Ah ! ça ira, ça ira. ça ira,
Nous nous mouillerons, mais ça finira.
Ah ! ça tiendra, ça tiendra, ça tiendra,
Et dans deux mille ans on s'en souviendra.
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[size=24]Les mots qui restent - AIGLE -
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« L'Aigle volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame. »
Le 1er mars 1815, Napoléon, s'étant enfui de l'île d'Elbe, débarquait au golfe Juan avec une escorte d'un millier d'hommes environ, dans l'espoir, chimérique en apparence, de reprendre possession de l'Empire. Aussitôt que la petite troupe fut à terre, on lui donna lecture d'une proclamation à l'Armée, que Napoléon avait fait copier pendant la traversée, d'après les exemplaires, déjà imprimés à Porto-Ferrajo.
Dans cette harangue, il engageait les soldats à reprendre leur ancien drapeau, et à se rallier autour du chef qui les avait si souvent conduits à la victoire.
« Son existence, disait-il, ne se compose que de la vôtre...; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. La victoire marchera au pas de charge, l'Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu'aux tours de Notre-Dame : alors vous pourrez montrer avec honneur vos cicatrices ; alors vous pourrez vous vanter de ce que vous aurez l'ail ; vous serez les libérateurs de la patrie. » {Moniteur du 21 mars.)
On sait qu'après une marche triomphale à travers la France, Napoléon venait s'installer aux Tuileries dans la soirée du 20 mars.
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Les mots qui restent - AGE -
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Mort avant l'âge.
On trouve dans la Correspondance littéraire de Grimm, à la date de janvier 1782, ce quatrain facétieux de M. Hardain, probablement le membre de l'Académie d'Arras (1718-1785) :
Un vieillard de cent ans apprenant le trépas
De son voisin plus que nonagénaire ;
Cet homme était, dit-il, trop valétudinaire,
J'ai prédit qu'il ne vivrait pas.
On voit que, pour décider qu'un homme est « mort avant l'âge », tout dépend du point de vue où l'on se place.
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Les mots qui restent - AFFAIRE -
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« A demain les affaires sérieuses ! »
Mot d'Archias, gouverneur de Thèbes en Béotie (IVe siècle avant J.-C.).
Voici comment on le trouve rapporté dans Plutarque :
Au milieu d'un festin, un envoyé d'un autre Archias, grand pontife d'Athènes, lui apporta un message le prévenant qu'un complot était ourdi contre lui. Au lieu d'en prendre aussitôt connaissance, comme le messager l'en priait instamment, « Archias se riant luy respondit : « A demain les affaires » : et, prenant la lettre la meit dessoubz son chevet, puis retourna à continuer le propos qu'il avoit commencé avec Philidas : mais depuis, ceste parole est demourée en usage entre les Grecs, comme un proverbe commun : « A demain les affaires. » (T? σπου?α?Šα, plus exactement : les choses sérieuses.)
(Vie de Pélopidas, fin du chap. X. — Trad. Amyot, chap. XX.)
Dans la nuit même, Archias était mis à mort par les conjurés thébains qui, sous la conduite de Pélopidas, délivrèrent ainsi leur cité du joug des Lacédémoniens (379 avant J.-C).
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Ninnenne