BANNIÈRES DE MAI DE ARTHUR RIMBAUD
Bannières de mai
Aux branches claires des tilleuls
Meurt un maladif hallali.
Mais des chansons spirituelles
Voltigent parmi les groseilles.
Que notre sang rie en nos veines,
Voici s’enchevêtrer les vignes.
Le ciel est joli comme un [size=18]ange.[/size]
L’azur et l’onde communient.
Je sors. Si un rayon me blesse
Je succomberai sur la mousse.
Qu’on patiente et qu’on s’ennuie
C’est trop simple. Fi de mes peines.
Je veux que l’été dramatique
Me lie à son char de fortunes
Que par toi beaucoup, ô [size=18]Nature,[/size]
- Ah moins seul et moins nul ! - je meure.
Au lieu que les Bergers, c’est drôle,
Meurent à peu près par le monde.
Je veux bien que les saisons m’usent.
A toi, [size=18]Nature, je me rends ;[/size]
Et ma faim et toute ma soif.
Et, s’il te plaît, nourris, abreuve.
Rien de rien ne m’illusionne ;
C’est rire aux parents, qu’au soleil,
Mais moi je ne veux rire à rien ;
Et libre soit cette infortune.
Arthur Rimbaud, Derniers vers
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LES SOLEILS DE JUILLET DE AUGUSTE LACAUSSADE
Les Soleils de Juillet
A ELLE
Les voici revenus, les jours que vous aimez,
Les longs jours bleus et clairs sous des cieux sans nuage.
La vallée est en fleur, et les bois embaumés
Ouvrent sur les gazons leur balsamique ombrage.
Tandis que le soleil, roi du splendide été,
Verse tranquillement sa puissante clarté,
Au pied de ce grand chêne aux ramures superbes,
Amie, asseyons-nous dans la fraîcheur des herbes ;
Et là, nos longs regards perdus au bord des cieux,
Allant des prés fleuris dans l’éther spacieux,
Ensemble contemplons ces beaux coteaux, ces plaines
Où les vents de midi, sous leurs lentes haleines,
Font des blés mûrissants ondoyer les moissons.
Avec moi contemplez ces calmes horizons,
Ce transparent azur que la noire hirondelle
Emplit de cris joyeux et franchit d’un coup d’aile ;
Et là-bas ces grands bœufs ruminants et couchés,
Et plus loin ces hameaux d’où montent les clochers,
Et ce château désert, ces croulantes tourelles,
Qu’animent de leur vol les blanches tourterelles,
Et ce fleuve paisible au nonchalant détour,
Et ces ravins ombreux, frais abris du pâtour,
Et tout ce paysage, heureux et pacifique,
Où s’épanche à flots d’or un soleil magnifique !…
Ô soleils de juillet ! Ô lumière ! Ô splendeurs !
Radieux firmament ! Sereines profondeurs !
Mois puissants qui versez tant de sèves brûlantes
Dans les veines de l’homme et les veines des plantes,
Mois créateurs ! Beaux mois ! je vous aime et bénis.
Par vous les bois chargés de feuilles et de nids,
S’emplissent de chansons, de tiédeurs et d’arômes.
Les arbres, dans l’azur ouvrant leurs larges dômes,
Balancent sur nos fronts avec l’encens des fleurs
Les voix de la fauvette et des merles siffleurs.
Tout est heureux, tout chante, ô saison radieuse !
Car tout aspire et boit ta flamme glorieuse.
Par toi nous vient la vie, et ta chaude clarté
Mûrit pour le bonheur et pour la volupté
La vierge, cette fleur divine et qui s’ignore.
Dans les vallons d’Éden, sereine et pure encore,
Sous tes rayons rêvant son rêve maternel,
A l’ombre des palmiers Ève connût Abel.
Abel dans ses enfants en garde souvenance.
Aussi, quand brûle au ciel ta féconde puissance,
O mère des longs jours ! Lumineuse saison !
Oubliant tout, Caïn, l’ombre, la trahison,
La race enfant d’Abel, fille de la lumière,
Race aimante et fidèle à sa bonté première,
Avec l’onde et la fleur, avec le rossignol,
Ce qui chante dans l’air ou fleurit sur le sol,
S’en va disant partout devant ta clarté blonde :
« Combien tous les bons cœurs sont heureux d’être au monde ! »
Et moi, je suis des leurs ! Épris d’azur et d’air,
Quand ton astre me luit dans le firmament clair,
Avant midi j’accours, sous l’arbre où tu m’accueilles,
Saluer en plein bois la jeunesse des feuilles !
Là, dans l’herbe caché, seul avec mes pensées,
J’ai bien vite oublié les mauvais jours passés.
Sous les rameaux lustrés où ta clarté ruisselle,
Je bois en paix ma part de vie universelle.
Les sens enveloppés de tes tièdes réseaux,
J’écoute autour de moi mes frères les oiseaux ;
Avec l’herbe et l’insecte, avec l’onde et la brise,
Sympathique rêveur, mon esprit fraternise.
Voilé d’ombre dorée et les yeux entr’ouverts,
L’âme pleine d’accords, je médite des vers.
Mais si, comme aujourd’hui, ma pâle bien-aimée
M’a voulu suivre au bois, sous la haute ramée,
Si ma charmante amie aux regards veloutés
A voulu tout un jour, pensive à mes côtés,
Oubliant et la ville et la vie et nos chaînes,
Boire avec moi la paix qui tombe des grands chênes ;
Sur les mousses assis, mon front sur ses genoux,
Plongeant mes longs regards dans ses regards si doux,
Ah ! je ne rêve plus de vers !… Sous son sourire
Chante au fond de mon âme une ineffable lyre ;
Et des arbres, des fleurs, des grâces de l’été,
Mon œil ne voit, mon cœur ne sent que sa beauté !
Et dans ses noirs cheveux glissant un doigt timide,
J’y pose en frémissant quelque beau lys humide ;
Et, muet à ses pieds, et sa main sur ma main,
J’effeuille vaguement des tiges de jasmin ;
Et leur vive senteur m’enivre, et sur notre âme
Comme un vent tiède passe une haleine de flamme !…
O flammes de juillet ! Soleils de volupté !
Saveur des baisers pris dans le bois écarté !
O chevelure moite et sous des mains aimées
S’épandant sur mon front en grappes parfumées !
Des fleurs sous la forêt pénétrante senteur,
Arbres de feux baignés, heures de molle ardeur,
Heures où sur notre âme, ivre de solitude,
Le calme des grands bois règne avec plénitude ;
Tranquillité de l’air, soupirs mystérieux,
Dialogue muet des yeux parlant aux yeux ;
Longs silences coupés de paroles plus douces
Que les murmures frais de l’eau parmi les mousses ;
O souvenirs cueillis au pied des chênes verts,
Vous vivez dans mon cœur. Vous vivrez dans mes vers !
Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages
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MON AMI LE PAYSAGE DE EMILE VERHAEREN
Mon ami, le paysage
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Je vis chez moi de sa lumière
Et de son ciel dont les grands vents
Agenouillent ses bois mouvants
Avec leur ombre sur la [size=18]terre.[/size]
Il est gardé par onze tours
Qui regardent du bout des plaines
De larges mains semer les graines
Sur l'aire immense des labours.
Un chêne y détient l'étendue
Sous sa rugueuse autorité,
Mais les cent doigts de la clarté
Jouent dans ses feuilles suspendues.
Un bruit s'entend : c'est un ruisseau
Qui abaisse de pente en pente
Le geste bleu de son eau lente
Jusqu'à la crique d'un hameau,
Tandis qu'au loin sur les éteules
Tassant le blé sous le soleil
Semble tenir dûment conseil
Le peuple d'or des grandes meules.
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Sous l'azur froid qui le diapre
L'hiver, il accueille mes pas
Pour aiguiser à ses frimas
Ma volonté rugueuse et âpre.
Lorsqu'en Mai brillent les taillis,
Tout mon être tremble et chatoie
De l'immense frisson de joie
Dont son feuillage a tressailli.
En Août quand les moissons proclament
Les triomphes de la clarté,
Je fais régner le bel été
Avec son calme dans mon âme.
Et si Novembre avide et noir
Arrache aux bois toute couronne,
C'est aux flammes d'un peu d'automne
Que je réchauffe mon espoir.
Ainsi le long des jours qui s'arment
D'ample lumière ou de grand vent
J'éprouve en mon cerveau vivant
L'ardeur diverse de leurs charmes.
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Même la nuit je le visite
Quand les astres semblent les yeux
De héros clairs et merveilleux
Que les splendeurs du ciel abritent.
A haute voix, à cœur ardent,
Je dis ton nom, brusque Persée ;
Et l'ombre immense et angoissée
Tressaille encore en l'entendant.
Je te nomme à ton tour, Hercule,
Et toi, Pollux, et toi, Castor,
Et toi, Vénus, dont le feu d'or
Préside au deuil des crépuscules.
Je mêle aux légendes des Dieux
Ta légende de sang jaspée,
Belle et pâle Cassiopée,
Qui luis sereine au Nord des cieux,
Si bien que grâce à votre gloire
Mon cœur se dresse et s'affermit
Et qu'il s'exalte et crie au bruit
Que font vos noms en ma mémoire.
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Je connais bien les humbles sentes
Qui vont d'un clos à d'autres clos
Ou descendent le long de l'eau
Vers les grottes retentissantes.
Quand l'air est sec et refroidi
Et que tout bruit semble plus proche,
Je reconnais au son des cloches
Quel angélus tinte à midi.
Je sais le dessin de chaque ombre
Dans le soleil, sur les hauts murs ;
Et j'ai compté les brugnons mûrs
Qui ploient la branche sous leur nombre.
Ces deux tilleuls qui montent là,
Je sens la main aujourd'hui morte
Qui les planta devant la porte
Pour que la foudre n'y tombât.
Chaque bête qui vague ou broute
M'est familière et le sait bien ;
D'après l'aboi que fait son chien
J'entends qui passe sur la route.
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Et je lui dis des choses tendres
Et profondes avec mon cœur
Les soirs quand la clarté se meurt
Et que seul il me peut entendre.
Je lui parle des jours passés
Quand, le corps lourd de déchéances,
Je vins chercher dans sa jouvence
Un air allègre et condensé,
Quand je sentis en moi renaître,
Jour après jour, l'ancien désir
D'aimer le monde et l'avenir
Et d'être fort et d'être maître ;
Quand j'étais si vraiment heureux
De mes marches de roche en roche
Que j'embrassais les arbres proches
Avec des pleurs au fond des yeux
Et que les thyms sous la rosée
Et que les trèfles dans le vent
Me semblaient moins frais et vivants
Que mes espoirs et mes pensées.
J'ai pour voisin et compagnon
Un vaste et puissant paysage
Qui change et luit comme un visage
Devant le seuil de ma maison.
Dites, vous ai-je aimés, retraites,
Coteaux feuillus, sources des bois,
Antres où résonnait ma voix
Avec sa force enfin refaite !
Plus rien de vous n'est étranger
Au cœur ému de ma mémoire,
On ne sait quoi de péremptoire
Entre nous tous s'est échangé.
Aussi quand ma vie accomplie,
Ployant sous le poing noir du sort,
Ira se perdre dans la mort,
Doux ciel ami, je te supplie
D'être présent à mes regards
Avec ta plus ample lumière,
Afin que soit belle la terre
A mon départ.
Émile VERHAEREN 1855-1916
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Ninnenne