LA PETITE FLEUR ROSE DE THEOPHILE GAUTIER
La petite fleur rose
Du haut de la montagne,
Près de Guadarrama,
On découvre l'Espagne
Comme un panorama.
A l'horizon sans borne
Le grave Escurial
Lève son dôme morne,
Noir de l'ennui royal ;
Et l'on voit dans l'estompe
Du brouillard cotonneux,
Si loin que l'oeil s'y trompe,
Madrid, point lumineux !
La montagne est si haute,
Que ses flancs de granit
N'ont que l'aigle pour hôte,
Pour maison que son nid ;
Car l'hiver pâle assiège
Les pics étincelants,
Tout argentés de neige,
Comme des vieillards blancs.
J'aime leur crête pure,
Même aux tièdes saisons
D'une froide guipure
Bordant les horizons ;
Les nuages sublimes,
Ainsi que d'un turban
Chaperonnant leurs cimes
De pluie et d'ouragan ;
Le pin, dont les racines,
Comme de fortes mains,
Déchirent les ravines
Sur le flanc des chemins,
Et l'eau diamantée
Qui, sous l'herbe courant,
D'un caillou tourmentée,
Chuchote un nom bien grand !
Mais, avant toute chose,
J'aime, au coeur du rocher,
La petite fleur rose,
La fleur qu'il faut chercher !
Théophile Gautier 1811-1872
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LA PLUIE DE EMILE VERHAEREN
ci-dessus peinture de Gustave Caillebotte
[size=16]La pluie[/size]
[size=16]Longue comme des fils sans fin, la longue pluie[/size]
[size=16]Interminablement, à travers le jour gris,[/size]
[size=16]Ligne les carreaux verts avec ses longs fils gris,[/size]
[size=16]Infiniment, la pluie,[/size]
[size=16]La longue pluie,[/size]
[size=16]La pluie.[/size]
[size=16]Elle s'effile ainsi, depuis hier soir,[/size]
[size=16]Des haillons mous qui pendent,[/size]
[size=16]Au ciel maussade et noir.[/size]
[size=16]Elle s'étire, patiente et lente,[/size]
[size=16]Sur les chemins, depuis hier soir,[/size]
[size=16]Sur les chemins et les venelles,[/size]
[size=16]Continuelle.[/size]
[size=16]Au long des lieues,[/size]
[size=16]Qui vont des champs vers les banlieues,[/size]
[size=16]Par les routes interminablement courbées,[/size]
[size=16]Passent, peinant, suant, fumant,[/size]
[size=16]En un profil d'enterrement,[/size]
[size=16]Les attelages, bâches bombées ;[/size]
[size=16]Dans les ornières régulières[/size]
[size=16]Parallèles si longuement[/size]
[size=16]Qu'elles semblent, la nuit, se joindre au firmament,[/size]
[size=16]L'eau dégoutte, pendant des heures ;[/size]
[size=16]Et les arbres pleurent et les demeures,[/size]
[size=16]Mouillés qu'ils sont de longue pluie,[/size]
[size=16]Tenacement, indéfinie.[/size]
[size=16]Les rivières, à travers leurs digues pourries,[/size]
[size=16]Se dégonflent sur les prairies,[/size]
[size=16]Où flotte au loin du foin noyé ;[/size]
[size=16]Le vent gifle aulnes et noyers ;[/size]
[size=16]Sinistrement, dans l'eau jusqu'à mi-corps,[/size]
[size=16]De grands boeufs noirs beuglent vers les cieux tors ;[/size]
[size=16]Le soir approche, avec ses ombres,[/size]
[size=16]Dont les plaines et les taillis s'encombrent,[/size]
[size=16]Et c'est toujours la pluie[/size]
[size=16]La longue pluie[/size]
[size=16]Fine et dense, comme la suie.[/size]
[size=16]La longue pluie,[/size]
[size=16]La pluie - et ses fils identiques[/size]
[size=16]Et ses ongles systématiques[/size]
[size=16]Tissent le vêtement,[/size]
[size=16]Maille à maille, de dénûment,[/size]
[size=16]Pour les maisons et les enclos[/size]
[size=16]Des villages gris et vieillots :[/size]
[size=16]Linges et chapelets de loques[/size]
[size=16]Qui s'effiloquent,[/size]
[size=16]Au long de bâtons droits ;[/size]
[size=16]Bleus colombiers collés au toit ;[/size]
[size=16]Carreaux, avec, sur leur vitre sinistre,[/size]
[size=16]Un emplâtre de papier bistre ;[/size]
[size=16]Logis dont les gouttières régulières[/size]
[size=16]Forment des croix sur des pignons de pierre ;[/size]
[size=16]Moulins plantés uniformes et mornes,[/size]
[size=16]Sur leur butte, comme des cornes[/size]
[size=16]Clochers et chapelles voisines,[/size]
[size=16]La pluie,[/size]
[size=16]La longue pluie,[/size]
[size=16]Pendant l'hiver, les assassine.[/size]
[size=16]La pluie,[/size]
[size=16]La longue pluie, avec ses longs fils gris.[/size]
[size=16]Avec ses cheveux d'eau, avec ses rides,[/size]
[size=16]La longue pluie[/size]
[size=16]Des vieux pays,[/size]
Eternelle et torpide !
Émile VERHAEREN 1855-1916
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AUTOMNE DE GUILLAUME APOLLINAIRE
Automne
Dans le brouillard s’en vont un paysan cagneux
Et son boeuf lentement dans le brouillard d’automne
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux
Et s’en allant là-bas le paysan chantonne
Une chanson d’amour et d’infidélité
Qui parle d’une bague et d’un coeur que l’on brise
Oh! l’automne l’automne a fait mourir l’été
Dans le brouillard s’en vont deux silhouettes grises
Guillaume Apollinaire
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[size=24]L'AUTOMNE DE ALPHONSE DE LAMARTINE
[/size]
L'automne
Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !
Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !
Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !
Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !
Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !
Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?
Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ? ...
La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.
Alphonse de Lamartine 1790-1869
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CHANSON D'AUTOMNE DE PAUL VERLAINE
Chanson d'automne
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Paul Verlaine 1844 - 1896
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PENSEES D'AUTOMNE DE THEOPHILE GAUTIER
Pensées d'Automne
L’automne va finir : au milieu du ciel terne,
Dans un cercle blafard et livide que cerne
Un nuage plombé, le soleil dort ; du fond
Des étangs remplis d’eau monte un brouillard qui fond
Collines, champs, hameaux dans une même teinte ;
Sur les carreaux la pluie en larges gouttes tinte ;
La froide bise siffle ; un sourd frémissement
Sort du sein des forêts ; les oiseaux tristement,
Mêlant leurs cris plaintifs aux cris des bêtes fauves,
Sautent de branche en branche à travers les bois chauves,
Et semblent aux beaux jours envolés dire adieu.
Le pauvre paysan se recommande à Dieu,
Craignant un hiver rude ; et moi, dans les vallées
Quand je vois le gazon sous les blanches gelées
Disparaître et mourir, je reviens à pas lents
M’asseoir, le cœur navré, près des tisons brûlants,
Et là je me souviens du soleil de septembre
Qui donnait à la grappe un jaune reflet d’ambre,
Des pommiers du chemin pliant sous leur fardeau,
Et du trèfle fleuri, pittoresque rideau
S’étendant à longs plis sur la plaine rayée,
Et de la route étroite en son milieu frayée,
Et surtout des bleuets et des coquelicots,
Point de pourpre et d’azur dans l’or des blés égaux.
Théophile Gautier 1811-1872
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[size=24]LA JALOUSIE DE JEAN AUVRAY
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ci-dessus la "jalousie " par Jean-Baptiste Valadié
La jalousie
Poètes, peintres parlants, que vous sert de nous feindre,
Peintres, poètes muets, que vous sert de nous peindre
Des feux, des fouets, des fers, des vaisseaux pleins de trous,
Des rages, des fureurs, des lieux épouvantables :
Pour exprimer l'horreur des enfers effroyables,
Est-il enfer semblable à celui des jaloux ?
L'aigle de Prométhée, les fouets des Euménides,
Les vaisseaux défoncés des folles Danaïdes,
D'Ixion abusé les roues et les clous,
Les peines de Tantal, de Sisyph, de Phlégie
Ne sont que jeux au prix de l'âpre jalousie,
Il n'est enfer semblable à celui des jaloux.
Si la nuit le jaloux tient sa femme embrassée,
Il croit tenant le corps qu'un autre a sa pensée ;
Fût-elle à prier Dieu dans l'église à genoux,
Si du temps qu'il lui donne elle passe les bornes,
Ce Vulcain pense avoir le front tout plein de cornes
Et se plonge insensé dans l'enfer des jaloux.
Une rare beauté, un accoutrement brave,
Une charmante voix, une démarche grave,
Un œil rempli d'attraits, un sourire trop doux,
Une gaillarde humeur, une larme aperçue,
Un doux accord de luth, une œillade conçue,
Sont les plus grands tourments de l'enfer des jaloux.
Ils sont pâles, chagrins, songeards, mélancoliques,
Noisifs, capricieux, maussades, fantastiques,
Difficiles, hargneux, sauvages, loups-garous,
L'esprit toujours porté à quelque horrible songe,
Un vautour sans cesser les entrailles leur ronge,
Bref, il n'est tel enfer que celui des jaloux.
Donc vieillards refroidis, cherchez quelques Médées
Pour faire rajeunir vos vieillesses ridées,
Et au tripot d'amour mieux assener vos coups,
Ou bien, dagues de plomb, votre horoscope preuve
Que vous serez bientôt des cocus à l'épreuve
Et que vous entrerez dans l'enfer des jaloux.
Et vous cabas moisis, vieilles tapissières,
Tétins mous, fronts ridés, culs plats, fesses flétries,
Yeux pleureurs, cheveux gras, pourquoi épousez-vous
Ces volages poulains qu'un jeune amour enflamme ?
Vous n'êtes que de glace, ils ne sont que de flamme.
Entrez, vieilles, entrez dans l'enfer des jaloux.
Jean Auvray 1590- 1630
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[size=24]DES FLEURS FINES ET MOUSSEUSES COMME L'ECUME
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ci-dessus peinture de Paul de Frick 19 ème
[size=16]Des fleurs fines et mousseuses comme l’écume[/size]
[size=16]Des fleurs fines et mousseuses comme l’écume[/size]
[size=16]Poussaient au bord de nos chemins[/size]
[size=16]Le vent tombait et l’air semblait frôler tes mains[/size]
[size=16]Et tes cheveux avec des plumes.[/size]
[size=16]L’ombre était bienveillante à nos pas réunis[/size]
[size=16]En leur marche, sous le feuillage ;[/size]
[size=16]Une chanson d’enfant nous venait d’un village[/size]
[size=16]Et remplissait tout l’infini.[/size]
[size=16]Nos étangs s’étalaient dans leur splendeur d’automne[/size]
[size=16]Sous la garde des longs roseaux[/size]
[size=16]Et le beau front des bois reflétait dans les eaux[/size]
[size=16]Sa haute et flexible couronne.[/size]
[size=16]Et tous les deux, sachant que nos cœurs formulaient[/size]
[size=16]Ensemble une même pensée,[/size]
[size=16]Nous songions que c’était notre vie apaisée[/size]
[size=16]Que ce beau soir nous dévoilait.[/size]
[size=16]Une suprême fois, tu vis le ciel en fête[/size]
[size=16]Se parer et nous dire adieu ;[/size]
[size=16]Et longtemps et longtemps tu lui donnas tes yeux[/size]
[size=16]Pleins jusqu’aux bords de tendresses muettes.[/size]
[size=16]Emile Verhaeren[/size]
[size=13]http://www.poetica.fr/poeme-95/emile-verhaeren-des-fleurs-fines-mousseuses-comme-ecume/[/size]
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Ninnenne --