Soleil couchant
de Théophile GAUTIER recueil : Premières poésies
En passant sur le pont de la Tournelle, un soir,
Je me suis arrêté quelques instants pour voir
Le soleil se coucher derrière Notre-Dame.
Un nuage splendide à l'horizon de flamme,
Tel qu'un oiseau géant qui va prendre l'essor,
D'un bout du ciel à l'autre ouvrait ses ailes d'or,
- Et c'était des clartés à baisser la paupière.
Les tours au front orné de dentelles de pierre,
Le drapeau que le vent fouette, les minarets
Qui s'élèvent pareils aux sapins des forêts,
Les pignons tailladés que surmontent des anges
Aux corps roides et longs, aux figures étranges,
D'un fond clair ressortaient en noir ; l'Archevêché,
Comme au pied de sa mère un jeune enfant couché,
Se dessinait au pied de l'église, dont l'ombre
S'allongeait à l'entour mystérieuse et sombre.
- Plus loin, un rayon rouge allumait les carreaux
D'une maison du quai ; - l'air était doux ; les eaux
Se plaignaient contre l'arche à doux bruit, et la vague
De la vieille cité berçait l'image vague ;
Et moi, je regardais toujours, ne songeant pas
Que la nuit étoilée arrivait à grands pas.
[size=19]Les yeux[/size]
[size=19]Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,[/size]
[size=19]Des yeux sans nombre ont vu l'aurore;[/size]
[size=19]Ils dorment au fond des tombeaux[/size]
[size=19]Et le soleil se lève encore[/size]
[size=19]Les nuits plus douces que les jours[/size]
[size=19]Ont enchanté des yeux sans nombre;[/size]
[size=19]Les étoiles brillent toujours[/size]
[size=19]Et les yeux se sont remplis d'ombre[/size]
[size=19]Oh! Qu'ils aient perdu leur regard,[/size]
[size=19]Non, non, cela n'est pas possible[/size]
[size=19]Ils se sont tounés quelque part,[/size]
[size=19]Vers ce qu'on nomme l'invisible [/size]
[size=19]Et comme les astres penchants[/size]
[size=19]Nous quittent, mais au ciel demeurent,[/size]
[size=19]Les prunelles ont leurs couchants[/size]
[size=19]Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent[/size]
[size=19]Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,[/size]
[size=19]Ouverts à quelqu'immense aurore,[/size]
[size=19]De l'autre côté des tombeaux,[/size]
[size=19]Les yeux qu'on ferme voient encore[/size]
Sully Prudhomme
Il n'y a pas d'amour heureux (Louis Aragon 1897-1982)
Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force Ni sa faiblesse, ni son coeur. Et quand il croit Ouvrir ses bras, son ombre est celle d'une croix Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie Sa vie est un étrange et douloureux divorce Il n'y a pas d'amour heureux |
Sa vie, elle ressemble à ces soldats sans armes Qu'on avait habillés pour un autre destin A quoi peut leur servir de se lever matin Eux qui 'on retrouve au soir désoeuvrés incertains Dites ces mots " Ma vie " et retenez vos larmes Il n'y a pas d'amour heureux |
Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure Je te porte dans moi comme un oiseau blessé Et ceux-là sans savoir les mots que j'ai tressés Et qui, pour tes grands yeux, tout aussitôt moururent Il n'y a pas d'amour heureux. |
Le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard Que pleurent dans la nuit nos coeurs à l'unisson Ce qu'il faut de malheur pour la moindre chanson Ce qu'il faut de regrets pour payer un frisson Ce qu'il faut de sanglots pour un air de guitare Il n'y a pas d'amour heureux |
Il n'y a pas d'amour qui ne soit à douleur Il n'y a pas d'amour dont on ne soit meurtri Et pas plus que de toi l'amour de la patrie Il n'y a pas d'amour qui ne vive de pleurs
Il n'y a pas d'amour heureux Mais c'est notre amour à tous deux
|
Dans le jardinJeanne et Georges sont là. Le noir ciel orageux
Devient rose, et répand l'aurore sur leurs jeux ;
Ô beaux jours ! Le printemps auprès de moi s'empresse ;
Tout verdit ; la forêt est une enchanteresse ;
L'horizon change, ainsi qu'un décor d'opéra ;
Appelez ce doux mois du nom qu'il vous plaira,
C'est mai, c'est floréal ; c'est l'hyménée auguste
De la chose tremblante et de la chose juste,
Du nid et de l'azur, du brin d'herbe et du ciel ;
C'est l'heure où tout se sent vaguement éternel ;
C'est l'éblouissement, c'est l'espoir, c'est l'ivresse ;
La plante est une femme, et mon vers la caresse ;
C'est, grâce aux frais glaïeuls, grâce aux purs liserons,
La vengeance que nous poètes nous tirons
De cet affreux janvier, si laid ; c'est la revanche
Qu'avril contre l'hiver prend avec la pervenche ;
Courage, avril ! Courage, ô mois de mai ! Ciel bleu,
Réchauffe, resplendis, sois beau ! Bravo, bon Dieu !
Ah ! jamais la saison ne nous fait banqueroute.
L'aube passe en semant des roses sur sa route.
Flamme ! ombre ! tout est plein de ténèbres et d'yeux ;
Tout est mystérieux et tout est radieux ;
Qu'est-ce que l'alcyon cherche dans les tempêtes ?
L'amour ; l'antre et le nid ayant les mêmes fêtes,
Je ne vois pas pourquoi l'homme serait honteux
De ce que les lions pensifs ont devant eux,
De l'amour, de l'hymen sacré, de toi, nature !
Tout cachot aboutit à la même ouverture,
La vie ; et toute chaîne, à travers nos douleurs,
Commence par l'airain et finit par les fleurs.
C'est pourquoi nous avons d'abord la haine infâme,
La guerre, les tourments, les fléaux, puis la femme,
La nuit n'ayant pour but que d'amener le jour.
Dieu n'a fait l'univers que pour faire l'amour.
Toujours, comme un poète aime, comme les sages
N'ont pas deux vérités et n'ont pas deux visages,
J'ai laissé la beauté, fier et suprême attrait,
Vaincre, et faire de moi tout ce qu'elle voudrait ;
Je n'ai pas plus caché devant la femme nue
Mes transports, que devant l'étoile sous la nue
Et devant la blancheur du cygne sur les eaux.
Car dans l'azur sans fond les plus profonds oiseaux
Chantent le même chant, et ce chant, c'est la vie.
Sois puissant, je te plains ; sois aimé, je t'envie.
V.Hugo
L'Albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
C. Baudelaire
Nuit
Victor Hugo
Le ciel d'étain au ciel de cuivre
Succède. La nuit fait un pas.
Les choses de l'ombre vont vivre.
Les arbres se parlent tout bas.
Le vent, soufflant des empyrées,
Fait frissonner dans l'onde, où luit
Le drap d'or des claires soirées,
Les sombres moires de la nuit.
Puis la nuit fait un pas encore.
Tout à l'heure, tout écoutait.
Maintenant nul bruit n'ose éclore ;
Tout s'enfuit, se cache et se tait.
Tout ce qui vit, existe ou pense,
Regarde avec anxiété
S'avancer ce sombre silence
Dans cette sombre immensité.
C'est l'heure où toute créature
Sent distinctement dans les cieux,
Dans la grande étendue obscure,
Le grand Être mystérieux !
Recueil : Toute la lyre
Le poète s'en va dans les champs
Auteur :Victor Hugo
Le poète s'en va dans les champs ; il admire,
Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ;
Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues,
Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets,
De petits airs penchés ou de grands airs coquets,
Et, familièrement, car cela sied aux belles :
- Tiens ! c'est notre amoureux qui passe ! disent-elles.
Et, pleins de jour et d'ombre et de confuses voix,
Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,
Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,
Les saules tout ridés, les chênes vénérables,
L'orme au branchage noir, de mousse appesanti,
Comme les ulémas quand paraît le muphti,
Lui font de grands saluts et courbent jusqu'à terre
Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre,
Contemplent de son front la sereine lueur,
Et murmurent tout bas : C'est lui ! c'est le rêveur !
Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également dans leur mûre saison
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres ;
L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté.
Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin ;
Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques,
Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
Charles Baudelaire
Le Poète s'en va dans les champs
Victor Hugo
Le poète s'en va dans les champs ; il admire,
Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ;
Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues,
Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets,
De petits airs penchés ou de grands airs coquets,
Et, familièrement, car cela sied aux belles :
- Tiens ! c'est notre amoureux qui passe ! disent-elles.
Et, pleins de jour et d'ombre et de confuses voix,
Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,
Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,
Les saules tout ridés, les chênes vénérables,
L'orme au branchage noir, de mousse appesanti,
Comme les ulémas quand paraît le muphti,
Lui font de grands saluts et courbent jusqu'à terre
Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre,
Contemplent de son front la sereine lueur,
Et murmurent tout bas : C'est lui ! c'est le rêveur !
Recueil : Les contemplations
Soleil couchantLe soleil s'est couché ce soir dans les nuées.Demain viendra l'orage, et le soir, et la nuit ;Puis l'aube, et ses clartés de vapeurs obstruées ; Puis les nuits. Puis les jours, pas du temps qui s'enfuit.Tous ces jours passeront ; ils passeront en fouleSur la face des mers, sur la face des monts,Sur les fleuves d'argent, sur les forêts où roule Comme un hymne confus des morts que nous aimons.Et la face des eaux. et le front des montagnes, Ridés et non vieillis, et les bois toujours verts S'iront rajeunissant ; le fleuve des campagnesPrendra sans cesse aux monts le flot qu'il donne aux mers. Mais moi, sous chaque jour courbant plus bas ma tète,Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m'en irai bientôt, au milieu de la fête, Sans que rien manque au monde. immense et radieux ! Victor HugoDéjà la nuit en son parc amassaitUn grand troupeau d'étoiles vagabondes,Et, pour entrer aux cavernes profondes,Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ;Déjà le ciel aux Indes rougissait,Et l'aube encor de ses tresses tant blondesFaisant grêler mille perlettes rondes,De ses trésors les prés enrichissait :Quand d'occident, comme une étoile vive,Je vis sortir dessus ta verte rive,O fleuve mien ! une nymphe en riant.Alors, voyant cette nouvelle Aurore,Le jour honteux d'un double teint coloreEt l'Angevin et l'indique orient.Joachim Du BellayLa lune était sereine et jouait sur les flots. -La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,La sultane regarde, et la mer qui se brise,Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots.De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare.Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos.Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,Battant l'archipel grec de sa rame tartare ?Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ?Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle,Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? -Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencéDu lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames.Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots.On verrait, en sondant la mer qui les promène,Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... -La lune était sereine et jouait sur les flots.Victor HugoLa vie c'est comme une dent
La vie, c'est comme une dent
D'abord on y a pas pensé
On s'est contenté de mâcher
Et puis ça se gâte soudain
Ça vous fait mal, et on y tient
Et on la soigne et les soucis
Et pour qu'on soit vraiment guéri
Il faut vous l'arracher, la vie
Boris VianLa mort, la vie l'amour
J'ai cru pouvoir briser la profondeur de l'immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m'a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu'il n'y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J'avais éliminé le glaçon des mains jointes
J'avais éliminé l'hivernale ossature
Du vœu qui s'annule
Tu es venue le feu s'est alors ranimé
L'ombre a cédé le froid d'en bas s'est étoilé
Et la terre s'est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J'avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J'avançais je gagnais de l'espace et du temps
J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière
La vie avait un corps l'espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l'aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j'adorais l'amour comme à mes premiers jours.
Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une houle énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n'est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s'entendre
Pour se comprendre pour s'aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.
Paul Eluard
Ninnenne