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| Poèmes divers.... | |
| | Auteur | Message |
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marileine moderateur
Messages : 27475 Date d'inscription : 08/03/2012 Localisation : belgique
| Sujet: Poèmes divers.... Jeu 25 Déc - 15:40 | |
| Aimer la vieC'est d'abord apprendre À s'aimer soi-même À accepter ses limites, s'y adapter À reconnaître ses forces, les utiliser au service des autres
Oser la vie... C'est avoir un rêve Assez puissant pour croire passionnément Assez grand pour qu'il soi envahissant Assez beau pour qu'il égaye chaque jour
C'est croire... Croire que nous sommes une Étincelle divine Une Étincelle venue rayonner, le temps d'un passage Croire que nous avons une mission Croire que nous pouvons l'accomplir, malgré les obstacles Croire en soi, en l'autrui, en la vie
C'est voir... Voir toutes les beautés du monde Au-delà des nuages Voir tous les élans du coeur Avec les yeux de l'âme
C'est créer... À travers le geste, la parole, le regard Créer et recréer son existence Et tendre vers l'espoir Créer la plénitude du moment
C'est communiquer... Abandonner sa solitude première S'ouvrir au regard et aux paroles des autres Reconnaître la puissance d'un groupe Et s'y joindre en toute confiance
C'est se libérer... Car la vraie liberté est intérieur Elle brise les chaînes Elle nous donne la clé qui mène vers la lumière Cette Lumière qui nous fait... Aimer la vie Texte de lise Thibault Lieutenant gouverneur du Québec
La ballet des heures Les heures sont des fleurs l’une après l’autre écloses Dans l’éternel hymen de la nuit et du jour ; Il faut donc les cueillir comme on cueille les roses Et ne les donner qu’à l’amour. Ainsi que de l’éclair, rien ne reste de l’heure, Qu’au néant destructeur le temps vient de donner ; Dans son rapide vol embrassez la meilleure, Toujours celle qui va sonner. Et retenez-la bien au gré de votre envie, Comme le seul instant que votre âme rêva ; Comme si le bonheur de la plus longue vie Était dans l’heure qui s’en va. Vous trouverez toujours, depuis l’heure première Jusqu’à l’heure de nuit qui parle douze fois, Les vignes, sur les monts, inondés de lumière, Les myrtes à l’ombre des bois. Aimez, buvez, le reste est plein de choses vaines ; Le vin, ce sang nouveau, sur la lèvre versé, Rajeunit l’autre sang qui vieillit dans vos veines Et donne l’oubli du passé. Que l’heure de l’amour d’une autre soit suivie, Savourez le regard qui vient de la beauté ; Être seul, c’est la mort ! Être deux, c’est la vie ! L’amour c’est l’immortalité ! Gérard de Nerval Equilibre fuyantJ’avance lentement Sous un soleil écrasant Mes pieds, plus lourds à chaque pas, S’enfoncent inlassablement Dans le sable liquide. Et je ne vois que des champs couverts de neige Que des dimanches matins heureux Dans mes montagnes fraiches et splendides. La vielle dame m’avait dit un jour Que le bonheur est dans le mouvement Dans la fluidité entre deux étapes, deux états Et nulle part ailleurs. Devant moi, toujours, mon enfance L’air chargé de sel, porté par le vent Ces milliers d’étincelles dans l’eau Ces milliers de pensées insaisissables Et le son des galets brassés par les vagues Qui me bercera jusqu’à l’infini. Jules Delavigne, Conclusions, 2008 Après l'Homme Après l’Homme, après l’Homme, Qui dira aux fleurs comment elles se nomment ? Après l’Homme, après l’Homme, quand aura passé l’heure de vie du dernier Homme. Qui dira aux fleurs combien elles sont belles ? N’y aura de coeur à battre pour elles. Après l’Homme, après l’Homme, que sera encore le mot “merveilleux” ? Après l’Homme, après l’Homme, quand le dernier des hommes aura vidé les lieux. Qui dira de la Terre Qu’elle est sans pareille et que dans l’Univers elle est fleur de Soleil ? Après l’Homme, après l’Homme… Viens-t’en donc pour lors, viens-t’en donc l’ami, et chantons encore le jour d’aujourd’hui. Esther Granek, De la pensée aux mots, 1997 Ninnenne
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| | | marileine moderateur
Messages : 27475 Date d'inscription : 08/03/2012 Localisation : belgique
| Sujet: Re: Poèmes divers.... Jeu 25 Déc - 15:54 | |
| George Sand : "j’ai bien vu, j’ai bien senti le beau dans le simple..." De 1830 à son décès, c'est-à-dire durant quarante-six ans, George Sand (de son vrai nom Amantine Aurore Lucile Dupin) a écrit tous les jours – et le plus souvent toutes les nuits. Pour comprendre George Sand écrivain, il faut se souvenir qu'elle fait partie de la première génération des auteurs qui ont pu vivre de leur plume au XIXe siècle. Ces auteurs ont noms : Balzac, Hugo, Dumas, Sue. Ils lui sont contemporains, mais elle est la seule femme. Certes d'autres femmes en son siècle ont écrit, et avec un indéniable talent. Mais Sand est la seule femme du XIXe siècle à avoir réussi à vivre de son métier de romancière.
Son œuvre romanesque, déjà considérable, ne doit pas masquer l’ampleur et la diversité de ses écrits : contes et nouvelles, pièces de théâtre, articles critiques et politiques, textes autobiographiques, et vingt-six volumes de Correspondance. "Je n'approuve pas du tout Rousseau de vouloir supprimer le merveilleux, sous prétexte de mensonge. La raison et l'incrédulité viennent bien assez vite, et d'elles-mêmes ; je me rappelle fort bien la première année où le doute m'est venu, sur l'existence réelle du père Noël. J'avais cinq ou six ans, et il me sembla que ce devait être ma mère qui mettait le gâteau dans mon soulier. Aussi me parut-il moins beau et moins bon que les autres fois, et j'éprouvais une sorte de regret de ne pouvoir plus croire au petit homme à barbe blanche. J'ai vu mon fils y croire plus longtemps ; les garçons sont plus simples que les petites filles. Comme moi, il faisait de grands efforts pour veiller jusqu'à minuit. Comme moi, il n'y réussissait point, et comme moi, il trouvait au jour le gâteau merveilleux pétri dans les cuisines du paradis. Mais pour lui aussi la première année où il douta fut la dernière de la visite du bonhomme. Il faut servir aux enfants les mets qui conviennent à leur âge et ne rien devancer. Tant qu'ils ont besoin de merveilleux, il faut leur en donner. Quand ils commencent à s'en dégoûter, il faut bien se garder de prolonger l'erreur et d'entraver le progrès naturel de leur raison...." "Tous mes souvenirs d'enfance sont bien puérils, comme l'on voit, mais si chacun de mes lecteurs fait un retour sur lui-même en me lisant, s'il se retrace avec plaisir les premières émotions de sa vie, s'il se sent redevenir enfant pendant une heure, ni lui ni moi n'aurons perdu notre temps ; car l'enfance est bonne, candide, et les meilleurs êtres sont ceux qui gardent le plus ou qui perdent le moins de cette candeur et de cette sensibilité primitives..." "L’adolescence est un âge de candeur, de courage et de dévouement souvent déraisonnable, toujours sincère et spontané ; ce que l’âge nous fait acquérir d’expérience et de jugement est au détriment de cette ingénuité première, qui ferait de nous des êtres parfaits si nous la conservions tout en acquérant la maturité."Histoire de ma vie (1855) "La femme sera toujours plus artiste et plus poète dans sa vie, l’homme le sera toujours plus dans son œuvre... L’art est donc un effort plus ou moins heureux pour manifester des émotions qui ne peuvent jamais l’être complètement, et qui, par elles-mêmes, dépassent toute expression. Le romantisme, en augmentant les moyens, n’a pas reculé la limite des facultés humaines. Une grêle d’épithètes, un déluge de notes, un incendie de couleurs ne témoignent et n’expriment rien de plus qu’une forme élémentaire et naïve. J’ai beau faire, j’ai le malheur de ne rien trouver, dans les mots et dans les sons, de ce qu’il y a dans un rayon du soleil ou dans un murmure de la brise." Histoire de ma vie (1855) "Que faire donc pour égayer les heures de la vie en commun dans l’intimité de tous les jours ? Parler politique occupe les hommes en général, parler toilette dédommage les femmes. Je ne suis ni homme ni femme sous ces rapports-là ; je suis enfant. Il faut qu’en faisant quelque ouvrage de mes mains, qui amuse mes yeux, ou quelque promenade qui occupe mes jambes, j’entende autour de moi un échange de vitalité qui ne me fasse pas sentir le vide et l’horreur des choses humaines. Accuser, blâmer, soupçonner, maudire, railler, condamner, voilà ce qu’il y a au bout de toute causerie politique ou littéraire, car la sympathie, la confiance et l’admiration ont malheureusement des formules plus concises que l’aversion, la critique et le commérage. Je n’ai pas la sainteté infuse avec la vie, mais j’ai la poésie pour condition d’existence, et tout ce qui tue trop cruellement le rêve du bon, du simple et du vrai, qui seule me soutient contre l’effroi du siècle, est une torture à laquelle je me dérobe autant qu’il m’est possible." Histoire de ma vie (1855) "Je plains l'humanité, je la voudrais bonne, parce que je ne peux pas m'abstraire d'elle, parce qu'elle est moi, parce que le mal qu'elle se fait me frappe au coeur, parce que sa honte me fait rougir, parce que ses crimes me tordent le ventre, parce que je ne peux comprendre le paradis au ciel ni sur la terre pour moi toute seule." Histoire de ma vie (1855) "Tout devient possible sur notre planète dès que nous supprimons le carnage et la guerre. Toutes les forces intelligentes de la nature, au lieu de s'entre-dévorer, s'organisent fraternellement pour soumettre et féconder la matière inorganique... Mais j'ai tort de vous esquisser ces merveilles ; vous êtes plus à même que moi, jeunes esprits qui m'interrogez, d'en évoquer les riantes et sublimes images. Il suffit que, du monde réel, je vous aie lançés dans le monde du rêve. Rêvez, imaginez, faites du merveilleux, vous ne risquez pas d'aller trop loin, car l'avenir du monde idéal auquel nous devons croire dépassera encore de beaucoup les aspirations de nos âmes timides et incomplètes." Le Chien et la Fleur Sacrée - Contes d'une grand'mère, première série (1873) "Les gens de la campagne ne lisent pas vite. Quand ils avaient lu trois pages dans la soirée, c'est beaucoup. Et puis, il y a deux manières de lire. Ceux qui ont beaucoup de temps à eux, beaucoup de livres, en avalent tant qu'ils peuvent. Ceux qui n'ont ni le temps ni les livres recommencent cent fois la même idée, mais elle est si bien goûtée et digérée que l'esprit qui la tient est mieux nourri et mieux portant, à lui tout seul, que trente mille cervelles remplies de vent et de fadaises." François Le Champi (1848) "On me l'a dit assez souvent pour que je le sache ; et, en voyant combien les gens sont durs et méprisants pour ceux que le bon Dieu a mal partagés, je me suis fait un plaisir de leur déplaire, me consolant par l'idée que ma figure n'avait rien de repoussant pour le bon Dieu et pour mon ange gardien, lesquels ne me la reprocheraient pas plus que je ne la leur reproche moi-même. Aussi, moi, je ne suis pas comme ceux qui disent : Voilà une chenille, une vilaine bête ; ah ! qu'elle est laide ! il faut la tuer ! Moi, je n'écrase pas la pauvre créature du bon Dieu, et si la chenille tombe dans l'eau, je lui tends une feuille pour qu'elle se sauve. Et à cause de cela on dit que j'aime les mauvaises bêtes et que je suis sorcière, parce que je n'aime pas à faire souffrir une grenouille, à arracher les pattes à une guêpe et à clouer une chauve-souris vivante contre un arbre. Pauvre bête, que je lui dis, si on doit tuer tout ce qui est vilain, je n'aurais pas plus que toi le droit de vivre." La Petite Fadette (1849) "Moi, je m'imagine qu'une belle fleur ne végète pas stupidement, sans éprouver des sensations délicieuses. Passe pour ces pauvres petits chardons que nous voyons le long des fossés, et qui se traînent là poudreux, malades, broutés par tous les troupeaux qui passent ! Ils ont l'air de pauvres mendiants soupirant après une goutte d'eau qui ne leur arrive pas ; la terre gercée et altérée la boit avidement sans en faire part à leurs racines. Mais ces fleurs de jardin dont on prend si grand soin, elles sont heureuses et fières comme des reines. Elles passent leur temps à se balancer coquettement sur leurs tiges, et quand vient la lune, leur bonne amie, elles sont là toutes béantes, plongées dans un demi-sommeil, et visitées par de doux rêves. Elles se demandent peut-être s'il y a des fleurs dans la lune, comme nous autres nous nous demandons s'il s'y trouve des êtres humains. Allons, Joseph, tu te moques de moi, et pourtant le bien-être que j'éprouve en regardant ces étoiles blanches n'est point une illusion. Il y a dans l'air épuré et rafraîchi par elles quelque chose de souverain, et je sens une espèce de rapport entre ma vie et celle de tout ce qui vit autour de moi." Consuelo (1842) "Une main froide me gêne, une main humide me répugne, une pression saccadée m’irrite, une main qui ne prend que du bout des doigts me fait peur ; mais une main souple et chaude, qui sait presser la mienne bien fort sans la blesser, et qui ne craint pas de livrer à une main virile le contact de sa paume entière, m’inspire une confiance et même une sympathie subite." Le Château des désertes (1851) "J’ai bien vu, j’ai bien senti le beau dans le simple, mais voir et peindre sont deux ! Tout ce que l’artiste peut espérer de mieux, c’est d’engager ceux qui ont des yeux à regarder aussi. Voyez donc la simplicité, vous autres, voyez le ciel et les champs, et les arbres, et les paysans surtout dans ce qu’ils ont de bon et de vrai : vous les verrez un peu dans mon livre, vous les verrez beaucoup mieux dans la nature." La mare au diable (1846) Colette : L'heure de la fin des découvertes ne sonne jamais... "L'heure de la fin des découvertes ne sonne jamais." [size=14]Nul n'a pu égaler le verbe de Colette lorsqu'il s'agissait de rendre la sensualité d'une fleur ou le parfum d'un fruit.[/size] [size=14]Enfant rêveuse aux longs cheveux châtains, elle est initiée par sa mère à la beauté de l'aube, la rosée sur un pétale de fleur mais aussi à la littérature, aidée par la bibliothèque d'un père propice aux "livres interdits".[/size] [size=14]Colette ne fut pas toujours heureuse à Saint-Sauveur-en-Puisaye (son village natal) : à l'école, elle était ressentie comme différente, appartenant à une famille plus évoluée que les autres ; puis son père avait échoué dans ses ambitions électorales ; enfin sa mère se trouva en butte aux remarques désobligeantes quand on sut qu'ils accumulaient les dettes. De ce contexte parfois difficile, elle préféra cependant conserver des images heureuses.[/size] [size=14]Quelques extraits choisis de ses souvenirs d'enfance : [/size] Son village, ses alentours, son pays... "J'appartiens à un pays que j'ai quitté...Tu ne peux empêcher qu'à cette heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des arbres, d'un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif... Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs qu'un fruit mûrit on ne sait où - là-bas, ici, tout près - un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l'automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près... Et si tu passais, en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum, s'ouvrir ton coeur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir... Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là, pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie (...) Sa mère, Sido... "Je suis la fille d'une femme qui, dans un petit pays honteux, avare et resserré, ouvrit sa maison villageoise aux chats errants, aux chemineaux et aux servantes enceintes. Elle vécut balayée d'ombre et de lumière, courbée sous des tourmentes, résignée, changeante et généreuse, parée d'enfants, de fleurs et d'animaux comme un domaine nourricier. Elle se levait tôt, puis plus tôt, puis encore plus tôt. Elle voulait le monde à elle, et désert, sous la forme d'un petit enclos, d'une treille et d'un toit incliné. Elle voulait la jungle vierge, encore que limitée à l'hirondelle, aux chats et aux abeilles, à la grande épeire debout sur sa roue de dentelle argentée par la nuit... Elle quitta son lit à six heures, puis à cinq heures, et, à la fin de sa vie, une petite lampe rouge s'éveilla, l'hiver, bien avant que l'angelus battît l'air noir. En ces instants encore nocturnes ma mère chantait, pour se taire dès qu'on pouvait l'entendre. "Où sont les enfants ?" Elle surgissait, essoufflée par sa quête constante de mère-chienne trop tendre, tête levée et flairant le vent. Ses bras emmanchés de toile blanche disaient qu'elle venait de pétrir la pâte à galette, ou le pudding saucé d'un brûlant velours de rhum et de confitures. Un grand tablier bleu la ceignait, si elle avait lavé la havanaise, et quelquefois elle agitait un étendard de papier jaune craquant, le papier de la boucherie; c'est qu'elle espérait rassembler, en même temps que ses enfants égaillés, ses chattes vagabondes, affamées de viande crue… Au cri traditionnel s'ajoutait, sur le même ton d'urgence et de supplication, le rappel de l'heure: «Quatre heures ! ils ne sont pas venus goûter ! Où sont les enfants ?… » «Six heures et demie ! Rentreront-ils dîner ? Où sont les enfants ?…» La jolie voix, et comme je pleurerais de plaisir à l'entendre… Notre seul péché, notre méfait unique était le silence, et une sorte d'évanouissement miraculeux. Pour des desseins innocents, pour une liberté qu'on ne nous refusait pas, nous sautions la grille, quittions les chaussures, empruntant pour le retour une échelle inutile, le mur bas d'un voisin. Le flair subtil de la mère inquiète découvrait sur nous l'ail sauvage d'un ravin lointain ou la menthe des marais masqués d'herbe. La poche mouillée d'un des garçons cachait le caleçon qu'il avait emprunté aux étangs fiévreux, et la «petite », fendue au genou, pelée au coude, saignait tranquillement sous des emplâtres de toiles d'araignées et de poivre moulu, liés d'herbes rubannées… - Demain, je vous enferme ! Tous, vous entendez, tous ! Demain… Demain l'aîné, glissant sur le toit d'ardoises où il installait un réservoir d'eau, se cassait la clavicule et demeurait muet, courtois, en demi-syncope, au pied du mur, attendant qu'on vînt l'y ramasser. Demain, le cadet recevait sans mot dire, en plein front, une échelle de six mètres, et rapportait avec modestie un œuf violacé entre les deux yeux. - Où sont les enfants ? Deux reposent. Les autres jour par jour vieillissent. S'il est un lieu où l'on attend après la vie, celle qui nous attendit tremble encore, à cause des deux vivants. Pour l'aînée de nous tous elle a du moins fini de regarder le noir de la vitre, le soir : «Ah! je sens que cette enfant n'est pas heureuse… Ah ! je sens qu'elle souffre… » Pour l'aîné des garçons elle n'écoute plus, palpitante, le roulement d'un cabriolet de médecin sur la neige, dans la nuit, ni le pas de la jument grise. Mais je sais que pour les deux qui restent elle erre et quête encore, invisible, tourmentée de n'être pas assez tutélaire : "Où sont, où sont les enfants ?" (…) Son père, Le Capitaine..."Cela me semble étrange, à présent, que je l'aie si peu connu. Mon attention, ma ferveur, tournées vers «Sido», ne s'en détachaient que par caprices. Ainsi faisait-il, lui, mon père. Il contemplait «Sido». En y réfléchissant, je crois qu'elle aussi l'a mal connu. Elle se contentait de quelques grandes vérités encombrantes : il l'aimait sans mesure, - il la ruina dans le dessein de l'enrichir -, elle l'aimait d'un invariable amour, le traitait légèrement dans l'ordinaire de la vie, mais respectait toutes ses décisions. Derrière ces évidences aveuglantes, un caractère d'homme n'apparaissait que par échappées. Enfant, qu'ai-je su de lui ? Qu'il construisait pour moi, à ravir, des «maisons de hannetons» avec fenêtres et portes vitrées et aussi des bateaux. Qu'il chantait. Qu'il dispensait - et cachait - les crayons de couleur, le papier blanc, les règles en palissandre, la poudre d'or, les larges pains à cacheter blancs que je mangeais à poignées… Qu'il nageait, avec sa jambe unique, plus vite et mieux que ses rivaux à quatre membres… Mais je savais aussi qu'il ne s'intéressait pas beaucoup, en apparence du moins, à ses enfants. J'écris «en apparence». La timidité étrange des pères, dans leurs rapports avec leurs enfants, m'a donné, depuis, beaucoup à penser... Il croyait naïvement que l'on conquiert un enfant par des dons… Il ne voulut pas reconnaître sa fantaisie musicienne et nonchalante dans son propre fils, «le lazzarone», comme disait ma mère. C'est à moi qu'il accorda le plus d'importance. J'étais encore petite quand mon père commença d'en appeler à mon sens critique. Plus tard, je me montrai, Dieu merci, moins précoce. Mais quelle intransigeance, je m'en souviens, chez ce juge de dix ans… - Ecoute ça, me disait mon père. J'écoutais, sévère. Il s'agissait d'un beau morceau de prose oratoire, ou d'une ode, vers faciles, fastueux par le rythme, par la rime, sonores comme un orage de montagne… - Hein ? interrogeait mon père. Je crois que cette fois-ci… Eh bien, parle ! Je hochais ma tête et mes nattes blondes, mon front trop grand pour être aimable et mon petit menton en bille, et je laissais tomber mon blâme : - Toujours trop d'adjectifs ! Alors mon père éclatait, écrasait d'invectives la poussière, la vermine, le pou vaniteux que j'étais. Mais la vermine, imperturbable, ajoutait : - Je te l'avais déjà dit la semaine dernière, pour l'Ode à Paul Bert. Trop d'adjectifs !" "Quand j'eus huit, neuf, dix ans, mon père songea à la politique. Né pour plaire et pour combattre, improvisateur et conteur d'anecdotes, j'ai pensé plus tard qu'il eût pu réussir et séduire une Chambre, comme il charmait une femme. Mais, de même que sa générosité sans borne nous ruina tous, sa confiance enfantine l'aveugla. Il crut à la sincérité de ses partisans, à la loyauté de son adversaire, en l'espèce M. Merlou. C'est M. Pierre Merlou, ministre éphémère plus tard, qui évinça mon père du conseil général et d'une candidature à la députation; grâces soient rendues à Sa défunte Excellence ! Une petite perception de l'Yonne ne pouvait suffire à maintenir, dans le repos et la sagesse, un capitaine de zouaves amputé de la jambe, vif comme la poudre et affligé de philanthropie..." "Mal connu, méconnu… «Ton incorrigible gaîté !» s'écriait ma mère. Ce n'était pas reproche, mais étonnement. Elle le croyait gai, parce qu'il chantait. Mais, moi qui siffle dès que je suis triste, moi qui scande les pulsations de la fièvre ou les syllabes d'un nom dévastateur sur les variations sans fin d'un thème, je voudrais qu'elle eût compris que la suprême offense, c'est la pitié. Mon père et moi, nous n'acceptons pas la pitié. Notre carrure la refuse. A présent, je me tourmente, à cause de mon père, car je sais qu'il eut, mieux que toutes les séductions, la vertu d'être triste à bon escient, et de ne jamais se trahir. Sauf qu'il nous fit souvent rire, sauf qu'il contait bien, qu'emporté par son rythme il «brodait» avec hardiesse, sauf cette mélodie qui s'élevait de lui, l'ai-je vu gai ? Il allait, précédé, protégé par son chant. Rayons dorés, tièdes zéphyrs… fredonnait-il en descendant notre rue déserte. Ainsi «Elle» ignorerait, en l'entendant venir, que Laroche, fermier des Lamberts, refusait impudemment de payer son fermage, et qu'un prête-nom du même Laroche avançait à mon père sept pour cent d'intérêts pour six mois - une somme indispensable…" (...) Le temps qui passe..."Enchantée encore de mon rêve, je m'étonne d'avoir changé, d'avoir vieilli pendant que je rêvais... D'un pinceau ému je pourrais repeindre, sur ce visage-ci, celui d'une fraîche enfant roussie de soleil, rosie de froid, des joues élastiques achevées en un menton mince, des sourcils mobiles prompts à se plisser, une bouche dont les coins rusés démentent la courte lèvre ingénue... Hélas, ce n'est qu'un instant. Le velours adorable du pastel ressuscité s'effrite et s'envole... L'eau sombre du petit miroir retient seulement mon image qui est bien pareille, toute pareille à moi, marquée de légers coups d'ongle, finement gravée aux paupières, aux coins des lèvres, entre les sourcils têtus... Une image qui ne sourit ni ne s'attriste, et qui murmure, pour moi seule : « II faut vieillir. Ne pleure pas, ne joins pas des doigts suppliants, ne te révolte pas : il faut vieillir. Répète-toi cette parole, non comme un cri de désespoir, mais comme le rappel d'un départ nécessaire. Regarde- toi, regarde tes paupières, tes lèvres, soulève sur tes tempes les boucles de tes cheveux : déjà tu commences à t'éloigner de ta vie, ne l'oublie pas, il faut vieillir !" (...) "Quand j'étais petite, on me disait «l'effort porte en soi sa récompense», et j'attendais en effet, après le coup de collier, une sorte de récompense mystérieuse, accablante, une sorte de grâce sous laquelle j'eusse succombé. Je l'attends toujours..." TOLSTOÏ : Chacun parvient à la vérité selon sa propre voie... "Depuis plus de cent ans, Léon Tolstoï [size=12](de son vrai nom Lev Nikolaîevitch Tolstoï) fait partie des écrivains les plus célèbres et les plus lus du monde entier. Son nom figure invariablement parmi les principaux auteurs cités dans l’Index translationum de l’UNESCO...[/size] La gloire de Tolstoï écrivain a, dans une certaine mesure, éclipsé ses idées pédagogiques. Pourtant, sa pensée et son action dans ce domaine ont engendré d’innombrables débats qui ne sont pas encore clos. Parmi ses contemporains, certains pédagogues professionnels mettaient même en doute sa compétence quant aux questions d’éducation, et l’enseignement qu’il dispensait dans l’école qu’il avait ouverte était presque considéré comme le divertissement d’un aristocrate russe en proie à l’ennui. Néanmoins, l’histoire de la pédagogie des temps modernes témoigne exactement du contraire; en effet, si les créations littéraires de Tolstoï représentent un grand progrès dans le développement culturel de l’humanité, son expérience pédagogique a aussi largement contribué aux sciences de l’éducation et à l’enseignement. En dépit d’une opinion largement répandue parmi les critiques littéraires, Tolstoï plaçait ses ouvrages pédagogiques au-dessus de ses œuvres littéraires (il l’a souligné à plusieurs reprises). Pour savoir qui a raison, de l’écrivain lui-même ou de ses interprètes, il faut examiner la place qu’occupaient les questions de pédagogie dans sa vie et ses activités, définir ce qu’il a apporté de nouveau dans ce domaine, et dégager l’influence de ses théories sur le développement du système scolaire et de la pensée pédagogique. Tolstoï avait depuis longtemps l’intention de rédiger un abécédaire à l’intention des tout petits ; le sien ne devait ressembler à aucun autre. Son plan général, son contenu, sa structure logique lui prirent beaucoup de temps. Tolstoï en parla souvent avec émotion : « Je ne sais ce qui sortira de ce travail, mais j’y ai mis toute mon âme ».Il avait de grandes ambitions pour l’Abécédaire, estimant que plusieurs générations d’enfants russes, fils de moujiks et fils de tsars, y apprendraient à lire et connaîtraient grâce à lui leurs premières émotions poétiques ». Il alla même jusqu’à dire : « ... Quand j’aurai terminé cet abécédaire, je pourrai mourir en paix »".Semion Filippovitch Egorov (Fédération de Russie) ©UNESCO : Bureau international d’éducation, 2000 [size=46]. . . . [size=46]T O L S T O Ï[/size] [size=46]. . . .[/size] Quelques extraits de sa pensée[/size][size=33]Le soleil ne donne la vie qu’à ceux en qui elle a déjà germé."[/size] La possibilité de vivre sur la terre, de s’en nourrir par son travail, a été et restera toujours une des principales conditions de la vie indépendante et heureuse. Tous les hommes l’ont su et le savent, et c’est pourquoi ils ont toujours aspiré et aspireront toujours à quelque chose qui ressemble à cette vie, de même que le poisson recherche l’eau. Envers les choses, on peut agir sans amour : on peut, sans amour, fendre le bois, battre le fer, cuire des briques ; mais dans les rapports d’homme à homme l’amour est aussi indispensable que l’est par exemple la prudence dans les rapports de l’homme avec les abeilles. La nature le veut ainsi, c’est une nécessité de l’ordre des choses. Si l’on voulait laisser de côté la prudence quand on a affaire aux abeilles, on nuirait aux abeilles et on se nuirait à soi-même. Et pareillement il n’y a pas à songer à laisser de côté l’amour quand on a affaire aux hommes. Et cela n’est que juste, car l’amour réciproque entre hommes est l’unique fondement possible de la vie de l’humanité. Sans doute un homme ne peut pas se contraindre à aimer, comme il peut se contraindre à travailler ; mais de là ne résulte point que quelqu’un puisse agir envers les hommes sans amour, surtout si lui-même a besoin des autres hommes. L’homme qui ne se sent pas d’amour pour les autres hommes, qu’un tel homme s’occupe de soi, de choses inanimées, de tout ce qui lui plaira, excepté des hommes ! De même que l’on se saurait manger sans dommage et avec profit que si l’on éprouve le désir de manger, de même on ne peut agir envers les hommes sans dommage et avec profit si l’on ne commence point par aimer les hommes. [size=33]Un des préjugés les plus enracinés et les plus répandus consiste à croire que tout homme a en propre certaines qualités définies, qu’il est bon ou méchant, intelligent ou sot, énergique ou apathique, et ainsi de suite. Rien de tel, en réalité. Nous pouvons dire d’un homme qu’il est plus souvent bon que méchant, plus souvent intelligent que sot, plus souvent énergique qu’apathique, ou inversement : mais dire d’un homme, comme nous le faisons tous les jours, qu’il est bon ou intelligent, d’un autre qu’il est méchant ou sot, c’est méconnaître le vrai caractère de la nature humaine. Les hommes sont pareils aux rivières qui, toutes, sont faites de la même eau, mais dont chacune est tantôt large, tantôt resserrée, tantôt lente et tantôt rapide, tantôt tiède et tantôt glacée. Les hommes, eux aussi, portent en eux le germe de toutes les qualités humaines, et tantôt ils en manifestent une, tantôt une autre, se montrant souvent différents d’eux-mêmes, c’est-à-dire de ce qu’ils ont l’habitude de paraître. Mais chez certains hommes ces changements sont plus rares, et mettent plus de temps à se préparer, tandis que chez d’autres ils sont plus rapides et se succèdent avec plus de fréquence.[/size] [size=33]Tous les hommes vivent et agissent en partie d’après leurs propres idées, en partie d’après les idées d’autrui. Et une des principales différences entre les hommes consiste dans la mesure différente où ils s’inspirent de leurs propres idées et de celles d’autrui. Les uns se bornent, le plus souvent, à ne se servir de leurs propres pensées que par manière de jeu ; ils emploient leur raison comme on fait tourner les roues d’une machine, quand on a ôté la courroie qui les relie l’une à l’autre ; et dans les circonstances importantes de la vie, et même dans le détail de leurs actes les plus ordinaires, ils s’en remettent à la pensée d’autrui, qu’ils nomment « l’usage », la « tradition », les « convenances », la « loi ». D’autres, au contraire, en plus petit nombre, considèrent leur propre pensée comme le principal guide de leur conduite et s’efforcent, autant qu’ils peuvent, de n’agir que d’après les avis de leur raison à eux.[/size] [size=33]Les lumières électriques et téléphones et expositions sont excellents, de même que tous les jardins de plaisance, avec concerts et performances, et tous les cigares, et les boites d’allumettes, et les bracelets, et les automobiles, mais ils peuvent tous aller à la perdition, et non seulement eux, mais les chemins de fer, et toutes les affaires usinés de chinzt et les vêtements du monde, si pour les produire il est nécessaire que quatre-vingt dix neuf pourcent des gens demeurent en esclavage et périssent dans les usines nécessaires à la production de ces articles. Si, pour que Londres ou Petersburg soient éclairés par l’électricité, ou afin que pour construire des bâtiment d’exposition, ou pour tisser des belles affaires rapidement et abondamment, il soit nécessaire que même quelques vies soient détruites, ou ruinées ou abrégées – et les statistiques nous montrent combien il en est qui sont détruites – que Londres et Petersburg soient plutôt éclairés au gaz ou à l’huile; qu’il n’y ait pas d’exposition, de peinture, ou de matériaux plutôt que de l’esclavage, et aucune destruction de vie humaine en résultant. (…)[/size] "Chacun parvient à la vérité selon sa propre voie, il faut, cependant, que je dise ceci : ce que j’écris ne sont pas seulement des mots, mais je le vis, c’est mon bonheur, et je mourrai avec." Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe..."Je ne fréquente pas chez les grands poètes. Peu m'importe qu'ils soient morts ou vivants. Si, "dans mon respect", Leconte de Lisle avait eu la première place, il la garderait. Mais elle était prise par Victor Hugo, qui l'occupe pour ma vie. Je regrette, et prie les divers candidats de vouloir bien m'excuser." Jules Renard, La Plume, 15 octobre 1894 L'art de Jules Renard "C'est toujours un peu malgré lui que l'ironiste Jules Renard, figure dans la collection des auteurs gais. Il rit de beaucoup de choses. Mais il vous dira que ce n'est pas sa faute, et que c'est les choses qui ont commencé. Il ne rit pas en tout cas pour faire rire, il rit parce qu'il voit des choses ridicules, autour de lui et en lui. Les petites vanités, les petites hypocrisies qu'il trouve en lui-même, il s'en châtie impitoyablement. Il se prend par le bout de l'oreille et s'attire au grand jour pour se donner la correction devant tout le monde. Voyez cet homme terrible, au front menaçant, aux yeux aigus, c'est le père Fouettard de lui-même. Et l'étant de lui-même, il l'est de l'humanité. Nos petits neveux, qui n'auront pas de peine à le retrouver parmi la foule de leurs grands-oncles, lui seront reconnaissants d'avoir mis de côté pour eux, dans la cassette de sa phrase durable, toutes les trouvailles précieuses qu'il a faites dans son âme." ln Tristan Bernard Le Rire, n° 25, 27 mars 1897 "Je ne crois pas avoir encore eu l'occasion de dire combien j'admire Jules Renard. Je l'admire comme s'il était mort, - tant je suis étonné qu'on écrive si bien aujourd'hui. Je le relis comme un classique..., et pas plus qu'à ma première lecture, je ne trouve rien à reprendre, rien à vouloir de plus, rien à gratter. Et vive la littérature française." ln André Gide, L'Ermitage, n°12, décembre 1901 "Il faut, pour bien goûter Jules Renard, consentir à admettre une littérature qui est l’antipode de notre romantisme, une littérature sans geste, sans "drapés" et sans cris, où tout se passe à l'intérieur. Jules Renard dans ses plus fortes pages, est l'auteur le moins propre à piquer la curiosité superficielle et le plus sûrement destiné à retenir l'intérêt profond et durable. Ce n'est que moelle. On peut dire aussi que c'est de la littérature "d'homme"; avant tout, point de mensonges et point de mollesse. Il a écrit lui-même dès ses débuts: "Et, surtout, il ne faut jamais tricher." C'est de la littérature de témoin, sous la foi du serment..." ln René Boylesve, Les Annales Politiques et Littéraires, 29 mai 1910 "Renard eut sur nous tous une grosse influence. Jules Renard avait conscience de la valeur de son œuvre et souffrait quand elle n'était pas assez reconnue. Il aimait à nous raconter une histoire de régiment que je vais vous dire. Il riait en nous la racontant mais je crois bien qu'il riait un peu jaune. A une certaine époque de sa vie, il était allé faire une période d'instruction - ses vingt-huit jours - à Bourges. Sergent, il prenait pension à la popote des sous-officiers. le premier soir, ses camarades l'interrogèrent amicalement sur ce qu'il faisait. Sa réponse (qu'il était "homme de lettres") tomba - sans susciter aucun mouvement - au milieu de l'indifférence générale. Quelques instants après, il eut l'occasion de dire qu'il était l'ami d'Alphonse Allais... Tous alors le félicitèrent bruyamment et décrétèrent d'enthousiasme un punch d'honneur pour l'ami Alphonse Allais." ln Franc-Nohain , Les Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, 10 janvier 1925 Lire Renard... "Lire Renard, aujourd’hui comme hier, c’est faire « la moitié » de l’œuvre. C’est à ce bel exercice d’imagination et d’intelligence que je vous convie…" ln Jacques-Louis Perrin, Président des Amis de Jules RenardLes sabots (Jules Renard, Extrait de "Bucoliques", 1905 ) Non, non, je ne suis pas venu à Paris en sabots, mais c'est en sabots que j'ai quitté mon village. Depuis longtemps je voulais gagner ma vie à Paris. Ma mère s'opposait à mon départ et elle me surveillait, car j'étais capable de me sauver sans sa permission. Chaque matin, comme je me levais avant elle, ma mère m'écoutait marcher. Si elle entendait mes sabots, elle se disait: " Il ne peut pas aller loin." Si elle entendait mes souliers, elle me disait de son lit, inquiète: "Où vas-tu, avec tes souliers? ce n'est ni jour de fête, ni jour de foire." Je répondais : "Maman, je vais à la charrue, et j'ai pris mes souliers parce que la pluie tombe et que ça patouillera dans les champs." Et je n'osais plus partir... Mais un matin, je suis sorti de la maison, ma paire de souliers sous le bras, en faisant beaucoup de bruit avec mes sabots. À quelque distance du village, par-dessus la haie du petit pré qui est à ma mère, j'ai jeté les sabots, comme un adieu, j'ai mis mes souliers, et j'ai continué ma route vers Paris. Quand ma mère amena sa vache au pré, elle trouva mes sabots. D'abord elle ne comprit pas, elle m'appela ; elle revint à la maison; elle chercha mes souliers, et lasse de chercher, elle s'assit au coin de la cheminée pour pleurer tout son soûl. Le Portrait (Jules Renard, extrait de "Bucoliques", 1905)Ce qui me frappe d’abord, chez ces pauvres gens, c’est un portrait de Victor Hugo collé au mur entre la cheminée et le plafond. Le grand homme, celui que j’aime par-dessus tous, croise les bras et regarde, avec pitié, cette famille de misérables.Et peut-être qu’il les aide à vivre. Ils n’ont rien lu de lui. Victor Hugo était-il plus qu’un évêque ou qu’un ministre ? Ils l’ignorent. C’était quelqu’un dont on parlait beaucoup dans le Petit Journal et qu’on a enterré aux frais de l’État. Voilà ce qu’ils savent. Et dès qu’ils lèvent la tête vers l’image, elle les réconforte. Elle remplace le bon Dieu que personne ne voit jamais, qui a tort de ne pas se montrer plus souvent, et peu s’en faut qu’ils ne la prient. Ainsi nous sommes égaux dans une même foi. Leur culte m’attendrit et, les yeux au portrait, je crierais : « Vous êtes de braves cœurs ! » et j’embrasserais la femme et les petits, si le père ne me disait à temps : « Je l’ai mis là pour boucher le trou du tuyau du poêle. » Coronat (Jules Renard, extrait de "Bucoliques", 1905)Autrefois, il y a des années, le régisseur Hubert, jeune alors et plein de vie, ne manquait jamais de dire, à la fin de chaque repas : - Finis coronat opus. De ses courtes études au collège, il n’avait guère retenu que ces trois mots. Il pouvait les traduire exactement : Finis, la fin, coronat, couronne, opus, l’œuvre. Cela signifiait : - J’ai bien mangé, avec appétit, d’un bout à l’autre de mon déjeuner. La dernière bouchée ne valait pas moins que la première. La fin était digne du début. Longtemps cette maxime lui parut claire et commode. Il l’expliquait en famille, aux amis, sans se tromper, comme pour dire : - Vous le voyez, il me reste quelque chose du latin que j’ai appris. Ce fut le sens du mot opus qui s’obscurcit d’abord. Hubert ne trouvait qu’avec peine le mot correspondant. Il le perdit tout à fait. Opus n’était plus qu’un sou étranger, percé, cassé, rouillé, sans valeur. - Supprimons opus, se dit Hubert. Et il prit l’habitude de refuser une moitié de pomme, un verre de liqueur en ces termes : - Finis coronat ! Cela suffisait. Personne ne regrettait le reste. On devinait encore qu’Hubert voulait dire : - Merci ; assez pour une fois. J’en ai jusque-là. Et ceux qui avaient la tête le plus dure, comprenaient au moins l’un des deux mots, le mot finis : Finis, j’ai fini, ça va de soi, n’importe qui, un enfant saisirait. Quant au mot coronat, peu à peu inintelligible, il frappait par sa sonorité et son mystère. Quel sens lui donner ? À quoi servait-il ? Nul ne savait, mais chacun souriait de confiance, car il faisait bien à sa place. Il fit mieux encore, dès qu’Hubert s’avisa de le prononcer seul. Il rejeta décidément finis, inutile et banal, et ne garda que cornonat. Et, aujourd’hui, la marque originale d’Hubert devenu vieux, ce qui le distingue des autres hommes du village, c’est de répondre à tout propos : Coronat, coronat. Il ne dit plus ni oui, ni bonjour, ni : ça va ? ni : au revoir ! Il dit coronat. Il remue sa tête blanchie et pousse son coronat comme un grognement familier appris en classe ou en nourrice. "Il n’y a pas de synonymes. Il n’y a que des mots nécessaires, et le bon écrivain les connaît." PAGNOL : les joies simples de l'enfance, la famille, les bêtises... [size=64]Naïs (1945) - Extrait [/size] "Je vais vous dire Madame Rostaing, quand j'étais petit mes parents m'adoraient. Et surtout ma grand mère, j'étais déjà comme je suis naturellement. Et moi, je savais pas, enfin je veux dire je savais pas la différence qu'il y avait avec les autres. La bosse c'est traître, ça vous vient par derrière on la voit pas. Chez les paysans y'a pas d'armoire à glace et on se voit dans les yeux de sa mère, et naturellement on s'y voit beau. Un jour un voisin qui était très gentil m'a dit : "Oh le joli petit bossu !" Alors j'ai demandé à ma grand-mère : "Qu'est-ce que c'est un bossu ?" Alors elle m'a dit : "C'est vrai que tu es un joli petit bossu parce que tu as un peu le dos rond et c'est parce que tu n'es pas comme les autres qu'on t'aime beaucoup." Alors elle m'a chanté une vieille chanson, je me rappelle pas la musique mais les paroles ça disait comme ça : "Un rêve m 'a dit une chose étrange, un secret de Dieu qu'on a jamais su. Les petits bossus sont de petits anges, qui cachent leurs ailes sous leur pardessus. Voilà le secret des petits bossus." C'est joli mais c'est pas vrai. Moi, j'y ai cru jusqu 'à dix ans, je croyais que les ailes me poussaient. Alors souvent, ma grand-mère, elle me chantait la chanson qui était beaucoup plus longue que ça. Seulement les grands-mères, Madame Rostaing, c'est comme le mimosa, c'est doux et c'est frais et c'est fragile. Un matin elle n'était plus là. Un bossu et une grand-mère tout va bien on peut chanter. Mais un petit bossu qui a perdu sa grand-mère, c'est un bossu tout court." [size=64]La prière aux étoiles (1941) - Extrait[/size] "Et on s’embrasse, et on se dit : "Je t’aime", et on se fait du charme et tout le reste, et ça va très bien... Et tout d’un coup, il y en a un des deux qui donne à l’autre...un sou d’amour. Mais de vrai amour, tu comprends. Un sou, pas plus. oh... Ce n’est presque rien, c’est peut-être une nouvelle robe de la couleur de sa cravate, c’est peut-être de répéter une phrase qu’il a dite la veille... C’est une façon de tenir une main, un regard plus bleu, un petit tremblement dans la voix... Alors, il faut que l’autre le comprenne... Il faut que tout à coup il sente que ce n’est pas trois mille francs de coquetterie, ou dix mille francs de flirt, mais que c’est beaucoup plus que ça, parce que c’est un sou d’amour. Et alors, tout de suite, il faut que, pour un sou, il rende tout à coup deux sous d’amour." [size=64]La gloire de mon père (1957) - Extrait[/size] "Ce que j’écoutais, ce que je guettais, c’était les mots : car j’avais la passion des mots ; en secret, sur un petit carnet, j’en faisais une collection, comme d’autres font pour les timbres. J’adorais Grenade, Fumée, Bourru, Vermoulu et surtout Manivelle : et je me les répétais souvent, quand j’étais seul, pour le plaisir de les entendre. Or, dans les discours de l’oncle, il y en avait de tout nouveaux, et qui étaient délicieux : Damasquiné, Florilège , Filigrane, ou grandioses : Archiépiscopal, Plénipotentiaire.
Lorsque sur le fleuve de son discours je voyais passer l’un de ces vaisseaux à trois ponts, je levais la main et je demandais des explications, qu’il ne me refusait jamais. C’est là que j’ai compris pour la première fois que les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images.
Mon père et mon oncle encourageaient cette manie, qui leur paraissait de bon augure : si bien qu’un jour, et sans que ce mot se trouvât dans une conversation (il en eût été le premier surpris ), ils me donnèrent Anticonstitutionnellement en me révélant que c’était le mot le plus long de la langue française. Il fallut me l’écrire sur la note de l’épicier que j’avais gardée dans ma poche. Je le recopiai à grand-peine sur une page de mon carnet, et je le lisais chaque soir dans mon lit ; ce n’est qu’au bout de plusieurs jours, que je pus maîtriser ce monstre, et je me promis de l’exploiter, si par hasard, un jour, vers la fin des temps, j’étais forcé de retourner à l’école." "De mourir, ça ne me fait rien. Mais ça me fait de la peine de quitter la vie." Victor Hugo, le combat des mots... [size=35]Le combat des mots[/size][size=35] [/size] ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ Un combattant des mots. Je ne connais personne à qui ce qualificatif convienne mieux qu'à Hugo. Partout, dans son bureau, dans la rue, dans les salons, à la tribune de l'Assemblée, même en exil, le grand écrivain ne pouvait se taire, il ne pouvait s'empêcher d'écrire. Aucune menace ne put jamais réduire au silence cette voix qui s'élevait pour la justice. Aucun des maux de ce monde, la pauvreté, l'injustice, le manque de liberté de la presse, l'inégalité des droits politiques, la peine de mort, n'échappèrent à ses yeux de justicier. Le silence est d'or et l'éloquence est d'argent. Comme pour les sages athéniens, les mots étaient pour Hugo la meilleure des armes, celle qui permettait à l'homme de révéler sa valeur d'être humain, et il utilisa cette arme au maximum. Il restera un combattant du verbe exceptionnel dans l'histoire de l'humanité.
Chez Hugo brille avec éclat cette émotion intense que l'esprit de l'homme moderne, affaibli, a peu à peu perdue. La force de la volonté qui existe dans Les Misérables ancrée comme un roc, cette force de l'écrivain qui n'a jamais cessé de se diriger vers le bien secoue mon âme encore aujourd'hui... Daisaku IKEDA [size=13]Fondateur de la Maison Littéraire de Victor Hugo [/size] | Victor HUGO (Poème 1877) ---------------------Tout rayonne, tout luit, tout aime, tout est doux ; Les oiseaux semblent d'air et de lumière fous ; L'âme dans l'infini croit voir un grand sourire. À quoi bon exiler, rois ? A quoi bon proscrire ? Proscrivez-vous l'été ? M'exilez-vous des fleurs ? Pouvez-vous empêcher les souffles, les chaleurs, Les clartés, d'être là, sans joug, sans fin, sans nombre, Et de me faire fête, à moi banni, dans l'ombre ? Pouvez-vous m'amoindrir les grands flots haletants, L'océan, la joyeuse écume, le printemps Jetant les parfums comme un prodigue en démence, Et m'ôter un rayon de ce soleil immense ? Non. Et je vous pardonne. Allez, trônez, vivez, Et tâchez d'être rois longtemps, si vous pouvez. Moi, pendant ce temps-là, je maraude, et je cueille, Comme vous un empire, un brin de chèvrefeuille, Et je l'emporte, ayant pour conquête une fleur. Quand, au-dessus de moi, dans l'arbre, un querelleur, Un mâle, cherche noise à sa douce femelle, Ce n'est pas mon affaire et pourtant je m'en mêle, |
Je dis : Paix là, messieurs les oiseaux dans les bois ! Je les réconcilie avec ma grosse voix ; Un peu de peur qu'on fait aux amants les rapproche. Je n'ai point de ruisseau, de torrent, ni de roche ; Mon gazon est étroit, et, tout près de la mer, Mon bassin n'est pas grand, mais il n'est pas amer. Ce coin de terre est humble et me plaît ; car l'espace Est sur ma tête, et l'astre y brille, et l'aigle y passe, Et le vaste Borée y plane éperdument. Ce parterre modeste et ce haut firmament Sont à moi ; ces bouquets, ces feuillages, cette herbe M'aiment, et je sens croître en moi l'oubli superbe. Je voudrais bien savoir comment je m'y prendrais Pour me souvenir, moi l'hôte de ces forêts Qu'il est quelqu'un, là-bas, au loin, sur cette terre, Qui s'amuse à proscrire, et règne, et fait la guerre, Puisque je suis là seul devant l'immensité, Et puisqu'ayant sur moi le profond ciel d'été Où le vent souffle avec la douceur d'une lyre, J'entends dans le jardin les petits enfants rirent... | ------------------------------------------------------- Victor HUGO Fragment de notes "La nature procède par contrastes. C'est par les oppositions qu'elle fait saillir les objets. C'est par leurs contraires qu'elle fait sentir les choses, le jour par la nuit, le chaud par le froid, etc.; toute clarté fait ombre. De là le relief, le contour, la proportion, le rapport, la réalité. La création, la vie, le destin, ne sont pour l'homme qu'un immense clair-obscur. Le poète, ce philosophe du concret et ce peintre de l'abstrait, le poète, ce penseur suprême, doit faire comme la nature. Procéder par contrastes. Soit qu'il peigne l'âme humaine, soit qu'il peigne le monde extérieur, il doit opposer partout l'ombre à la lumière, le vrai invisible au réel visible, l'esprit à la matière, la matière à l'esprit; rendre le tout, qui est la création, sensible à la partie, qui est l'homme, aussi bien par le choc brusque des différences que par la rencontre harmonieuse des nuances. Cette confrontation perpétuelle des choses avec leurs contraires, pour la poésie comme pour la création, c'est la vie." (Extrait de Tas de pierres, in Post-scriptum de ma vie, recueil de notes jetées au hasard par Hugo, de 1825 à 1880, sur des carnets et des bouts de papier et regroupées par son ami Paul Meurice en 1901 ; ce fragment date sans doute des années 1840-1844.) | | Ninnenne | |
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