George Sand : "j’ai bien vu, j’ai bien senti le beau dans le simple..."
De 1830 à son décès, c'est-à-dire durant quarante-six ans, George Sand (de son vrai nom Amantine Aurore Lucile Dupin) a écrit tous les jours – et le plus souvent toutes les nuits. Pour comprendre George Sand écrivain, il faut se souvenir qu'elle fait partie de la première génération des auteurs qui ont pu vivre de leur plume au XIXe siècle. Ces auteurs ont noms : Balzac, Hugo, Dumas, Sue. Ils lui sont contemporains, mais elle est la seule femme. Certes d'autres femmes en son siècle ont écrit, et avec un indéniable talent. Mais Sand est la seule femme du XIXe siècle à avoir réussi à vivre de son métier de romancière.
Son œuvre romanesque, déjà considérable, ne doit pas masquer l’ampleur et la diversité de ses écrits : contes et nouvelles, pièces de théâtre, articles critiques et politiques, textes autobiographiques, et vingt-six volumes de Correspondance.
"Je n'approuve pas du tout Rousseau de vouloir supprimer le merveilleux, sous prétexte de mensonge. La raison et l'incrédulité viennent bien assez vite, et d'elles-mêmes ; je me rappelle fort bien la première année où le doute m'est venu, sur l'existence réelle du père Noël. J'avais cinq ou six ans, et il me sembla que ce devait être ma mère qui mettait le gâteau dans mon soulier. Aussi me parut-il moins beau et moins bon que les autres fois, et j'éprouvais une sorte de regret de ne pouvoir plus croire au petit homme à barbe blanche. J'ai vu mon fils y croire plus longtemps ; les garçons sont plus simples que les petites filles. Comme moi, il faisait de grands efforts pour veiller jusqu'à minuit. Comme moi, il n'y réussissait point, et comme moi, il trouvait au jour le gâteau merveilleux pétri dans les cuisines du paradis. Mais pour lui aussi la première année où il douta fut la dernière de la visite du bonhomme. Il faut servir aux enfants les mets qui conviennent à leur âge et ne rien devancer. Tant qu'ils ont besoin de merveilleux, il faut leur en donner. Quand ils commencent à s'en dégoûter, il faut bien se garder de prolonger l'erreur et d'entraver le progrès naturel de leur raison...."
"Tous mes souvenirs d'enfance sont bien puérils, comme l'on voit, mais si chacun de mes lecteurs fait un retour sur lui-même en me lisant, s'il se retrace avec plaisir les premières émotions de sa vie, s'il se sent redevenir enfant pendant une heure, ni lui ni moi n'aurons perdu notre temps ; car l'enfance est bonne, candide, et les meilleurs êtres sont ceux qui gardent le plus ou qui perdent le moins de cette candeur et de cette sensibilité primitives..."
"L’adolescence est un âge de candeur, de courage et de dévouement souvent déraisonnable, toujours sincère et spontané ; ce que l’âge nous fait acquérir d’expérience et de jugement est au détriment de cette ingénuité première, qui ferait de nous des êtres parfaits si nous la conservions tout en acquérant la maturité."Histoire de ma vie (1855)
"La femme sera toujours plus artiste et plus poète dans sa vie, l’homme le sera toujours plus dans son œuvre... L’art est donc un effort plus ou moins heureux pour manifester des émotions qui ne peuvent jamais l’être complètement, et qui, par elles-mêmes, dépassent toute expression. Le romantisme, en augmentant les moyens, n’a pas reculé la limite des facultés humaines. Une grêle d’épithètes, un déluge de notes, un incendie de couleurs ne témoignent et n’expriment rien de plus qu’une forme élémentaire et naïve. J’ai beau faire, j’ai le malheur de ne rien trouver, dans les mots et dans les sons, de ce qu’il y a dans un rayon du soleil ou dans un murmure de la brise." Histoire de ma vie (1855)
"Que faire donc pour égayer les heures de la vie en commun dans l’intimité de tous les jours ? Parler politique occupe les hommes en général, parler toilette dédommage les femmes. Je ne suis ni homme ni femme sous ces rapports-là ; je suis enfant. Il faut qu’en faisant quelque ouvrage de mes mains, qui amuse mes yeux, ou quelque promenade qui occupe mes jambes, j’entende autour de moi un échange de vitalité qui ne me fasse pas sentir le vide et l’horreur des choses humaines. Accuser, blâmer, soupçonner, maudire, railler, condamner, voilà ce qu’il y a au bout de toute causerie politique ou littéraire, car la sympathie, la confiance et l’admiration ont malheureusement des formules plus concises que l’aversion, la critique et le commérage. Je n’ai pas la sainteté infuse avec la vie, mais j’ai la poésie pour condition d’existence, et tout ce qui tue trop cruellement le rêve du bon, du simple et du vrai, qui seule me soutient contre l’effroi du siècle, est une torture à laquelle je me dérobe autant qu’il m’est possible." Histoire de ma vie (1855)
"Je plains l'humanité, je la voudrais bonne, parce que je ne peux pas m'abstraire d'elle, parce qu'elle est moi, parce que le mal qu'elle se fait me frappe au coeur, parce que sa honte me fait rougir, parce que ses crimes me tordent le ventre, parce que je ne peux comprendre le paradis au ciel ni sur la terre pour moi toute seule." Histoire de ma vie (1855)
"Tout devient possible sur notre planète dès que nous supprimons le carnage et la guerre. Toutes les forces intelligentes de la nature, au lieu de s'entre-dévorer, s'organisent fraternellement pour soumettre et féconder la matière inorganique... Mais j'ai tort de vous esquisser ces merveilles ; vous êtes plus à même que moi, jeunes esprits qui m'interrogez, d'en évoquer les riantes et sublimes images. Il suffit que, du monde réel, je vous aie lançés dans le monde du rêve. Rêvez, imaginez, faites du merveilleux, vous ne risquez pas d'aller trop loin, car l'avenir du monde idéal auquel nous devons croire dépassera encore de beaucoup les aspirations de nos âmes timides et incomplètes."
Le Chien et la Fleur Sacrée - Contes d'une grand'mère, première série (1873)
"Les gens de la campagne ne lisent pas vite. Quand ils avaient lu trois pages dans la soirée, c'est beaucoup. Et puis, il y a deux manières de lire. Ceux qui ont beaucoup de temps à eux, beaucoup de livres, en avalent tant qu'ils peuvent. Ceux qui n'ont ni le temps ni les livres recommencent cent fois la même idée, mais elle est si bien goûtée et digérée que l'esprit qui la tient est mieux nourri et mieux portant, à lui tout seul, que trente mille cervelles remplies de vent et de fadaises."
François Le Champi (1848)
"On me l'a dit assez souvent pour que je le sache ; et, en voyant combien les gens sont durs et méprisants pour ceux que le bon Dieu a mal partagés, je me suis fait un plaisir de leur déplaire, me consolant par l'idée que ma figure n'avait rien de repoussant pour le bon Dieu et pour mon ange gardien, lesquels ne me la reprocheraient pas plus que je ne la leur reproche moi-même. Aussi, moi, je ne suis pas comme ceux qui disent : Voilà une chenille, une vilaine bête ; ah ! qu'elle est laide ! il faut la tuer ! Moi, je n'écrase pas la pauvre créature du bon Dieu, et si la chenille tombe dans l'eau, je lui tends une feuille pour qu'elle se sauve. Et à cause de cela on dit que j'aime les mauvaises bêtes et que je suis sorcière, parce que je n'aime pas à faire souffrir une grenouille, à arracher les pattes à une guêpe et à clouer une chauve-souris vivante contre un arbre. Pauvre bête, que je lui dis, si on doit tuer tout ce qui est vilain, je n'aurais pas plus que toi le droit de vivre." La Petite Fadette (1849)
"Moi, je m'imagine qu'une belle fleur ne végète pas stupidement, sans éprouver des sensations délicieuses. Passe pour ces pauvres petits chardons que nous voyons le long des fossés, et qui se traînent là poudreux, malades, broutés par tous les troupeaux qui passent ! Ils ont l'air de pauvres mendiants soupirant après une goutte d'eau qui ne leur arrive pas ; la terre gercée et altérée la boit avidement sans en faire part à leurs racines. Mais ces fleurs de jardin dont on prend si grand soin, elles sont heureuses et fières comme des reines. Elles passent leur temps à se balancer coquettement sur leurs tiges, et quand vient la lune, leur bonne amie, elles sont là toutes béantes, plongées dans un demi-sommeil, et visitées par de doux rêves. Elles se demandent peut-être s'il y a des fleurs dans la lune, comme nous autres nous nous demandons s'il s'y trouve des êtres humains. Allons, Joseph, tu te moques de moi, et pourtant le bien-être que j'éprouve en regardant ces étoiles blanches n'est point une illusion. Il y a dans l'air épuré et rafraîchi par elles quelque chose de souverain, et je sens une espèce de rapport entre ma vie et celle de tout ce qui vit autour de moi." Consuelo (1842)
"Une main froide me gêne, une main humide me répugne, une pression saccadée m’irrite, une main qui ne prend que du bout des doigts me fait peur ; mais une main souple et chaude, qui sait presser la mienne bien fort sans la blesser, et qui ne craint pas de livrer à une main virile le contact de sa paume entière, m’inspire une confiance et même une sympathie subite." Le Château des désertes (1851) "J’ai bien vu, j’ai bien senti le beau dans le simple, mais voir et peindre sont deux ! Tout ce que l’artiste peut espérer de mieux, c’est d’engager ceux qui ont des yeux à regarder aussi. Voyez donc la simplicité, vous autres, voyez le ciel et les champs, et les arbres, et les paysans surtout dans ce qu’ils ont de bon et de vrai : vous les verrez un peu dans mon livre, vous les verrez beaucoup mieux dans la nature." La mare au diable (1846)
PAGNOL : les joies simples de l'enfance, la famille, les bêtises...
[size=64]Naïs (1945) - Extrait
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"Je vais vous dire Madame Rostaing, quand j'étais petit mes parents m'adoraient.
Et surtout ma grand mère, j'étais déjà comme je suis naturellement.
Et moi, je savais pas, enfin je veux dire je savais pas la différence qu'il y avait avec les autres.
La bosse c'est traître, ça vous vient par derrière on la voit pas.
Chez les paysans y'a pas d'armoire à glace et on se voit dans les yeux de sa mère, et naturellement on s'y voit beau.
Un jour un voisin qui était très gentil m'a dit : "Oh le joli petit bossu !"
Alors j'ai demandé à ma grand-mère : "Qu'est-ce que c'est un bossu ?"
Alors elle m'a dit : "C'est vrai que tu es un joli petit bossu parce que tu as un peu le dos rond et c'est parce que tu n'es pas comme les autres qu'on t'aime beaucoup."
Alors elle m'a chanté une vieille chanson, je me rappelle pas la musique mais les paroles ça disait comme ça : "Un rêve m 'a dit une chose étrange, un secret de Dieu qu'on a jamais su. Les petits bossus sont de petits anges, qui cachent leurs ailes sous leur pardessus. Voilà le secret des petits bossus."
C'est joli mais c'est pas vrai. Moi, j'y ai cru jusqu 'à dix ans, je croyais que les ailes me poussaient.
Alors souvent, ma grand-mère, elle me chantait la chanson qui était beaucoup plus longue que ça.
Seulement les grands-mères, Madame Rostaing, c'est comme le mimosa, c'est doux et c'est frais et c'est fragile. Un matin elle n'était plus là.
Un bossu et une grand-mère tout va bien on peut chanter.
Mais un petit bossu qui a perdu sa grand-mère, c'est un bossu tout court."
[size=64]La prière aux étoiles (1941) - Extrait[/size]
"Et on s’embrasse, et on se dit : "Je t’aime", et on se fait du charme et tout le reste, et ça va très bien...
Et tout d’un coup, il y en a un des deux qui donne à l’autre...un sou d’amour. Mais de vrai amour, tu comprends.
Un sou, pas plus. oh... Ce n’est presque rien, c’est peut-être une nouvelle robe de la couleur de sa cravate, c’est peut-être de répéter une phrase qu’il a dite la veille...
C’est une façon de tenir une main, un regard plus bleu, un petit tremblement dans la voix... Alors, il faut que l’autre le comprenne... Il faut que tout à coup il sente que ce n’est pas trois mille francs de coquetterie, ou dix mille francs de flirt, mais que c’est beaucoup plus que ça, parce que c’est un sou d’amour.
Et alors, tout de suite, il faut que, pour un sou, il rende tout à coup deux sous d’amour."
[size=64]La gloire de mon père (1957) - Extrait[/size]
"Ce que j’écoutais, ce que je guettais, c’était les mots : car j’avais la passion des mots ; en secret, sur un petit carnet, j’en faisais une collection, comme d’autres font pour les timbres. J’adorais Grenade, Fumée, Bourru, Vermoulu et surtout Manivelle : et je me les répétais souvent, quand j’étais seul, pour le plaisir de les entendre.
Or, dans les discours de l’oncle, il y en avait de tout nouveaux, et qui étaient délicieux : Damasquiné, Florilège , Filigrane, ou grandioses : Archiépiscopal, Plénipotentiaire.
Lorsque sur le fleuve de son discours je voyais passer l’un de ces vaisseaux à trois ponts, je levais la main et je demandais des explications, qu’il ne me refusait jamais. C’est là que j’ai compris pour la première fois que les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images.
Mon père et mon oncle encourageaient cette manie, qui leur paraissait de bon augure : si bien qu’un jour, et sans que ce mot se trouvât dans une conversation (il en eût été le premier surpris ), ils me donnèrent Anticonstitutionnellement en me révélant que c’était le mot le plus long de la langue française. Il fallut me l’écrire sur la note de l’épicier que j’avais gardée dans ma poche.
Je le recopiai à grand-peine sur une page de mon carnet, et je le lisais chaque soir dans mon lit ; ce n’est qu’au bout de plusieurs jours, que je pus maîtriser ce monstre, et je me promis de l’exploiter, si par hasard, un jour, vers la fin des temps, j’étais forcé de retourner à l’école."
"De mourir, ça ne me fait rien. Mais ça me fait de la peine de quitter la vie." Henry David Thoreau : « En tuant le temps on blesse l’éternité. » Henry David Thoreau [size=15][size=13]- Philosophe américain (1817-1862)[/size][/size]
"Je préférerais m'asseoir sur un potiron et le posséder bien à moi que d'être à plusieurs sur un coussin de velours."Henry David Thoreau n'a quitté que rarement son village du Massachusetts, Concord, qui est le reflet d'une Arcadie, d'un paradis rural auquel l'Amérique n'a jamais cessé de rêver.Etudes indisciplinées à Harvard, instituteur pendant deux ans (mis à la porte de l’école où il enseignait parce qu’il avait refusé d’utiliser les châtiments corporels), Thoreau s'installe ensuite chez son ami, Ralph Waldo Emerson.
Plus tard il s'occupe, avec succès, de la fabrique artisanale de crayons de son père. Attaché d'abord à sa liberté, Thoreau préfère, quand il a besoin d'argent, entreprendre un travail manuel.
"Ce qu'on appelle résignation n'est autre que du désespoir confirmé." Dans les années qui suivent, il participe énergiquement à la résistance contre les esclavagistes. Son éthique est 'la désobéissance civile' et 'la pauvreté volontaire'. C'est lui qui donnera à Gandhi à Martin Luther King l'idée de l'action non violente.
A l'âge de 28 ans, Thoreau quitte Concord pour une forêt. Il y construit sa cabane sur les bords de l'étang de Walden. En s'installant 'hors du monde' à vingt minutes de Concord, il prétend démontrer la nécessité d'être présent au monde ici. Dès que Thoreau commence à écrire, il se pose comme élève d'Emerson. Il est l'ami des philosophes transcendantalistes, en particulier du poète Walt Whitman. Thoreau aspire à 'une vie transcendantale dans la nature', c'est-à-dire à rejoindre l'être profond des choses et à y accorder sa conscience.
Thoreau qui est, avec Emerson, l'un des principaux représentants du transcendantalisme américain, en incarne le perfectionnisme moral, fondé sur unrefus du conformisme et une «confiance en soi», entendue non comme un sentiment de supériorité mais comme l'exhortation à oser être soi-même.
Au-delà de la protestation contre la vie que mènent les hommes et de la recherche de soi, l'installation à Walden - le 4 juillet 1845, date anniversaire de l'Indépendance - rejoue aussi symboliquement la naissance de l'Amérique, dont Thoreau estime qu'elle «n'existe que dans sa découverte».
En ce sens, on peut sans doute accorder à Emerson que nul «n'a été plus américain que Thoreau». Les livres, articles, essais, journaux et poésies de Thoreau remplissent vingt volumes. Surnommé le « poète-naturaliste » par son ami William Ellery Channing (1780 - 1842), Thoreau se veut un observateur attentif de la nature et ce surtout dans ses dernières années durant lesquelles il étudie des phénomènes aussi variés que les saisons, la dispersion des essences d'arbres ou encore la botanique. Les différents mouvements écologistes ou les tenants de la décroissance actuels le considèrent comme l'un des pionniers de l'écologie car il ne cesse de replacer l'homme dans son milieu naturel et appelle à un respect de l'environnement.
Il meurt le 6 mai 1862 en laissant le considérable héritage de l'idée collective.________________________________________________________________________________________Walden ou la vie dans les bois (Récit publié en 1854)Il existe plus de 200 traductions de Walden à travers le monde. Le roman a été traduit en français en 1922 par Louis Fabulet (1862-1933) et redécouvert en France lors des évènements de mai 68.
Il demeure l'ouvrage de référence de la pensée libertaire et écologiste.
Le roman raconte la vie que Thoreau a passée dans une cabane pendant deux ans, deux mois et deux jours, dans la forêt appartenant à son ami et mentor Ralph Waldo Emerson, jouxtant l'étang de Walden (Walden Pond), non loin de ses amis et de sa famille qui résidaient à Concord dans le Massachusetts.Walden est écrit de telle façon que le séjour semble durer un an seulement. La narration suit les changements de saisons et Thoreau présente ses pensées, observations et spéculations. Il dévoile également comment, au contact de l'élément naturel, l'individu peut se renouveler et se métamorphoser, prendre conscience enfin de la nécessité de fondre toute action et toute éthique sur le rythme des éléments.Walden n'est ni un roman ni une véritable autobiographie, ni un journal naturaliste. Sa dimension critique à l'encontre du monde occidental en fait un véritable pamphlet. La part de l'imagination est conséquente et Thoreau consacre de nombreuses scènes à décrire l'étang de Walden mais aussi les animaux et la façon dont les gens le considèrent suite à son isolement, tout en dégageant des conclusions philosophiques.
Ces longs passages concernant la nature appartiennent à la tradition transcendantaliste et appellent à refondre l'éthique.
Plus d'un siècle plus tard, Walden reste une œuvre phare de la littérature américaine et l'ouvrage fondateur du genre littéraire du nature writing. La pensée écologiste moderne voit également en Walden le roman du retour à la nature et de la conscience environnementale. Les observations et spéculations de Thoreau font en effet de la nature, dans le récit, un protagoniste à part entière. Walden est enfin la lente introspection de Thoreau, le fil directeur d'une recherche du sens dans un monde de plus en plus marqué par l'industrialisation et la transformation de l'espace.
Bernard Boisson - La Forêt primordiale Bernard Boisson est photographe professionnel, écrivain-poète, conférencier, réalisateur audiovisuel. Il s'emploie principalement à mettre en évidence les perceptions de nature peu ou pas encore intégrées dans notre culture.
La Forêt primordiale est un beau livre de photographies artistiques sur des forêts sauvages en Europe, accompagnées de réflexions et de méditations poétiques.108 reproductions couleur (et de magnifiques textes) ornent ce livre de photographies consacré aux forêts sauvages d´Europe.Le but de cet ouvrage n'est pas naturaliste, encyclopédique ou touristique : il a pour ambition de susciter des émotions que nous pourrions ressentir en découvrant notre continent exempt de toute présence humaine. Nous avions cru connaître la forêt... En réalité, la plupart d'entre nous ne connaissent que des "champs d'arbres" ou des bois jardinés, mais si peu l'écosystème forestier complet et sa puissance originelle. Ici, rien d'exotique et cependant, nous pouvons nous sentir dépaysés en notre propre contrée ! A mesure de notre immersion au plus profond des forêts sauvages, nous éprouvons des impressions, sensations, sentiments jusque-là ignorés dans nos villes, nos campagnes, et même dans les forêts exploitées : la forêt sans l’homme réveille l’humain intérieur. Mais très vite, nous comprenons que ces lieux sont impropres au tourisme, à toute forme ordinaire de fréquentation humaine, tant nous véhiculons, à notre insu, tous les conditionnements psychologiques de notre société.
Dès lors, comment retourner vers la nature sans la faire reculer, sans manquer le véritable ressourcement par delà toute consommation d’espace ? Comment ne pas désagréger par notre présence si vite intruse cette subtile sauvagerie de l’indicible qui nous ranime dans le tréfonds de nos sensibilités ?
L’assimilation des forêts sauvages dans notre culture aboutit à un point de culbute ou s’opère la reconversion de nos sensibilités, et un revirement face à tant d’atavismes séculaires. Nous sommes voués à reconnaître que la nature est autre, bien au-delà de nos représentations.
Intégrer ce qui nous demeure le plus étranger dans les forêts sauvages nous amène à repenser différemment la conservation de la nature, l’artificialisation de nos environnements, et nos conditions de vie les plus quotidiennes.
La forêt sauvage est un des espaces ultimes pour la quête de l’humain inconditionné, pour tout recentrement civilisateur, et il nous faudra revenir de très loin pour dépasser l’actuelle opposition humain/nature.
Ce n’est plus tant une simple biodiversité forestière qui est à sauver ici et là, mais le rôle fondamental des forêts sauvages dans le devenir de l’humanité, ce que nous pourrions appeler le « Primordial » dans la nature comme dans l’humain…Jules Renard : "Et je sais presque me taire..."[size=32]Une Famille d'Arbres [/size]
C'est après avoir traversé une plaine brûlée du soleil que je les rencontre. Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent les champs incultes, sur une source comme des oiseaux seuls. De loin ils semblent impénétrables. Dès que j’approche, leurs troncs se desserrent. Ils m’accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me rafraîchir, mais je devine qu’ils m’observent et se défient. Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu, et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais s’écarter. Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu’à la chute en poussière. Ils se flattent de leurs longues branches pour s’assurer qu’ils sont tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère, si le vent s’essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne murmurent que d’accord. Je sens qu’ils doivent être ma vraie famille. J’oublierai vite l’autre. Ces arbres m’adopteront peu à peu, et pour le mériter, j’apprends ce qu’il faut savoir : Je sais déjà regarder les nuages qui passent. Je sais aussi rester en place. Et je sais presque me taire. Jules Renard
Ecrivain Français (1864-1910)
Bonne lecture à tous!!! Ninnenne