Malgré la douleur Helen Dunmore
L'auteur :Nationalité : Royaume-Uni
Née le 12 décembre 1952, Helen Dunmore est poète, romancière et auteure jeunesse britannique. Formée à l'univeristé de York, elle vit à Bristol.
Récipiendaire de nombreux prix pour ses romans comme pour ses poèmes. elle est membre de la Royal Society of Literature.
L'histoire :
D'une envoûtante sensualité, Malgré la douleur explore avec justesse la déroute des êtres en proie à leurs émotions et prisonniers de la perversité des liens [size=13]amoureux, fraternels et familiaux.[/size]
Autour d'un bouleversant portrait de femme, Malgré la douleur trace la carte secrète de ces forces souterraines qui nous gouvernent, nous menacent, mais qu'il faut parfois laisser nous détruire pour mieux nous reconstruire.
Louise, à quarante ans, est alcoolique et piégée dans un corps qu'elle ne reconnaît plus. Divorcée de Paul qui vient de se remarier et de lui confisquer la garde d'Anna, leur fillette de dix ans, elle se distrait de son présent solitaire et oisif en ressassant le passé.
Il y avait alors l'amour de Paul, séduisant autodidacte qui a fait fortune dans l'immobilier, et la [size=13]tendresse complice de son jeune beau-frère, Johnnie, un garçon intelligent mais autodestructeur, étouffé par l'affection exclusive et excessivement protectrice de son aîné. Après la naissance d'Anna – fruit d'un moment d'égarement avec Johnnie – était venu le temps des non-dits, de la souffrance... Et Louise, minée par la culpabilité, tourmentée par les sentiments interdits qu'elle avait cru tuer en les ignorant, avait peu à peu abdiqué. [/size]
Un matin, Johnnie sonne à sa porte. De sérieux ennuis l'obligent à quitter le pays. Louise, qui n'a plus rien à perdre, se découvre enfin prête à subir l'épreuve de son intime vérité et décide de l'accompagner dans sa fuite...
Envoûtante, sensuelle, enrichie de descriptions extraordinairement évocatrices des couleurs, des lumières ou de la nourriture, l'écriture de Helen Dunmore excelle à restituer l'intensité de la vie jusque dans ses plus infimes perceptions.
CRITIQUES
« Helen Dunmore installe d'emblée son lecteur et ses personnages dans des ambiances étouffantes, totalement dépourvues d'ironie. De véritables étuves émotionnelles, qui donnent à penser que si la tragédie n'a pas encore eu lieu c'est une simple question de minutes. [...] Pas question de tirer des larmes à son lecteur : de son écriture ferme et précise, elle constate les dégâts. C'est bouleversant. »
Sophie Bourdais - Télérama
« Avec Malgré la douleur, Helen Dunmore plonge encore plus loin dans la noirceur, le pessimisme. [...] Elle tisse une histoire dans laquelle le passé vient éclairer le présent. Mais comprendre ne signifie pas toujours guérir et, se refusant à tout compromis, Helen Dunmore imagine des personnages qui resteront à tout jamais incurables. »
Pascale Frey - Lire
« Depuis Un été vénéneux, on sait que Helen Dunmore affiche une prédilection pour les ambiances lourdes, les situations difficiles, les drames passionnels. Avec le poignant malgré la douleur, elle intensifie encore son étude des tourments de l'âme. »
Alexandre Fillon - Madame Figaro
Extraits :
"Tu lèves maintenant les yeux sur un avion à réaction qui, en route pour Heathrow, fend le ciel. L'espace d'un instant, tu songes aux passagers, tu te demandes où ils vont, d'où ils viennent, ce qu'ils ressentent, ce à quoi ils aspirent. Tu les imagines les bras crispés sur l'accoudoir, dans l'attente de l'atterrissage. Mais tu n'es pas vraiment curieuse, tu es simplement contente d'être là, sur la terre ferme.
Les journées passent vite, jalonnées de rares occupations - aller chercher une autre cruche d'eau, préparer quelques sandwichs ou tenter de faire des mots croisés jusqu'à ce que les cases noires et blanches se brouillent et que tu t'écroules de nouveau sur l'oreiller. De toute façon, tu n'es pas douée pour les mots croisés, ne l'as jamais été. Pas douée pour les mots croisés, pas doués pour les devinettes et les charades, ou pour te rappeler les blagues même si, au moment où tu en ris encore, tu crois toujours que tu vas t'en souvenir."
"Il y a une plaque de cuivre poli sur la porte, avec son nom et ses titres. Louise s'y reflète trop nettement. Visage empâté, poches sous les yeux. Plus bas, ses contours rapetissent, déformés par le léger arrondi de la plaque. Du moins l'espère-t-elle. Son image la regarde l'air furieux comme pour lui reprocher ce qu'elle est devenue. On s'aimait bien, toi et moi. Regarde ce que tu as fait de nous.
Louise porte la main à sa joue, comme si on venait de la gifler. L'autre Louise l'imite et l'observe avec de grands yeux craintifs. Petits yeux sur une tête de cochon, songe-t-elle avec cruauté.
Alors, tu comptes faire quoi? lui demande son reflet. Louise rassemble ses forces. Elle n'est pas encore une femme finie. Elle refuse de baisser les bras."
"L'espace d'un instant, il se demande pourquoi tant de femmes persistent à porter le maquillage qui les mettait en valeur lorsqu'elles avaient dx-huit ans. Sa patiente donne l'impression de lire dans ses pensées car elle rougit comme quelqu'un revivant une expérience sexuelle humiliante. Puis elle se ressaisit, rejette le buste en arrière et fixe son interlocuteur. Vingt kilos de trop, au moins. Bras dodus, coussinets de graisse aux épaules, à l'abdomen, aux cuisses. Il est expert en graisse : celle-là n'est pas du genre à partir aisément. Cette femme attend de lui qu'il l'en débarrasse prestement pendant son sommeil pour la laisser avec le corps souple à la peau satinée qu'elle se souvient d'avoir eu. Et qu'elle a peut-être eu. Mais il va devoir lui annoncer que cette graisse lui appartient bien ; à elle de la perdre ou de la garder. Il a souvent fait cela - déposer délicatement la vérité entre les pinces de la terminologie médicale, évoquer des risques anesthésiques, des problèmes respiratoires, l'intérêt d'une cure de désintoxication de trois mois avant l'intervention.
Mais avec celle-là, ça ne suffira pas. Il s'exposerait trop. Il évalue l'empâtement du visage, le reseau de minuscules vaisseaux éclatés sous la couche de fond de teint et de poudre. Elle fait de l'hypertension, est légèrement asthmatique. Une anesthésie générale est contre-indiquée."
"Vous ne savez rien, se dit-il encore, les yeux toujours baissés. Lui sait. Il sait le bruit que font les poumons lorsqu'à l'aide d'un tuyau on y fait passer de l'air depuis la gorge paralysée. Il en sait long sur cette graisse qu'on liquéfie avant de pouvoir en drainer l'organisme. Il a entendu le moindre pet, le moindre râle produit par la chair assommée. Il connait ces visages qui, une fois débarrassés de leur charme et leur maquillage, sont boursouflés sous l'éclairage cru de la salle d'opération. Il connaît le jaune de la graisse sous-cutanée et le vermillon du sang qui la protège. Au plus profond de lui-même, il est chirurgien.
Elles veulent se soumettre à lui. Elles en ont assez d'échouer et lui peut faire tout disparaître..."
"Il y a une bouteille de Martini aux trois quarts pleine. Il fait très froid. Je l'ouvre, me sers un verre, juste un petit. C'est huileux sur la langue et puis vient un goût âpre, un goût d'herbes, censé me faire du bien. L'alcool me vide littéralement. Je dois m'asseoir. Je prends la bouteille, le verre et je retourne au salon, mais cette fois je ne m'installe pas dans le fauteuil. Je choisis le divan, au cas où j'aurais envie de m'allonger. Le Martini est déjà en train de circuler en moi, partout. C'est bon. Je me relève et trouve un citron dans le compotier. Un peu ridé, mais il fera l'affaire. Je le coupe en quartiers que je pose sur une soucoupe. Ça fait du bien de mettre une rondelle d ecitron dans le Martini - l'apéritif que vous vous serviriez avant de sortir dîner. Je suce les dernières gouttes d'alcool autour du fruit. Ça fait un drôle de bruit, qui me rappelle quelque chose. Je remplis le verre, et le citron remonte brusquement à la surface. Longtemps après, des morceaux bien imbibés, restent au fond du verre, quelle que soit la quantité de liquide versée par la suite."
" Mais tout en parlant, je me rends compte que c'est une de ces journées où je ne me sens pas grosse du tout. J'ai l'impression d'avoir des lignes harmonieuse, un corps généreux, telle une baleine capable de vaincre n'importe quoi une fois dans l'eau. Le seul problème, c'est lorsqu'elle s'échoue. Ce n'est pas seulement que la mer lui manque ou qu'elle est incapable de bouger. Hors de l'eau, elle ne peut pas supporter son poids."
"J'adore la sieste. Déjà, c'est autant d'heures de moins qu'on a à vivre. On reste pourtant conscient du temps qui passe et on entend les bruits extérieurs comme de la musique en accéléré. La circulation devient fluide, puis de nouveau dense, des enfants rentrent de l'école, des portes claquent. Et au crépuscule, même en plein centre de Londres, les oiseaux chantent à tue-tête; on devine alors qu'il est l'heure de se lever."
"Tu t'es regardée dans la glace, tu as songé à toutes celles qui allaient te renvoyer ton image avant que tu ne deviennes vieille, tu as trouvé plutôt étrange que personne ne sache ce qui l'attend. C'est aussi bien ainsi, t'es-tu dit aussitôt, en observant le pli sous tes yeux qui ne disparaît plus, même après une bonne nuit de sommeil."
Mon humble avis :
J'avais lu ce livre il y a quelques années, lors de sa sortie. Je l'avais aimé et je l'ai prêté à une amie à qui il a beaucoup plu...
Cela m'a redonné envie de le relire...
Deux thèmes abordés : les relations conflictuelles entres frères quand elles sont trop fusionnelles, protectrices, passionnées , quand l'un essaie d'échapper à l'autre...et l'alcoolisme au féminin avec Louise 40 ans au coeur de la problématique familiale.
Atmosphère lourde, pesante, froide, où chaque personnage semble en fait rongé de solitude.
En sombrant dans la dépression et l'alcoolisme, Louise oubliera sa beauté passée, se détruira empêtrée par des kilos avec lesquels elle essayera de survivre.
L'analyse faite d'un corps qui change, qui échappe est superbement faite.
J'ai aimé l'histoire, j'ai simplement regretté la froideur, la distance entre les protagonistes ...la souffrance est là mais on reste un peu en recul, en observateur...
Les non-dits et les silences emplissent les pages, ils rabottent les sentiments et détruisent les liens...
J'ai adoré le portrait de femme de louise qui, dans sa souffrance et ses errances, se culpabilise sans jamais se trouver des circonstances atténuantes, sans jamais en vouloir à personne.
Ninnenne