L'aigle et le hibou Jean de La Fontaine
L'AIGLE ET LE HIBOU
L'Aigle et le Chat-huant leurs querelles cessèrent,
Et firent tant qu'ils s'embrassèrent.
L'un jura foi de Roi, l'autre foi de Hibou,
Qu'ils ne se goberaient leurs petits peu ni prou.(1)
Connaissez-vous les miens ? dit l'Oiseau de Minerve.(2)
Non, dit l'Aigle. Tant pis, reprit le triste (3) oiseau :
Je crains en ce cas pour leur peau :
C'est hasard si je les conserve.
Comme vous êtes Roi, vous ne considérez
Qui ni quoi : Rois et Dieux mettent, quoi qu'on leur die,
Tout en même catégorie.
Adieu mes Nourrissons, si vous les rencontrez.
Peignez-les-moi, dit l'Aigle, ou bien me les montrez :
Je n'y toucherai de ma [size=16]vie.[/size]
Le Hibou repartit : Mes Petits sont mignons,
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons :
Vous les reconnaîtrez sans peine à cette marque.
N'allez pas l'oublier ; retenez-la si bien
Que [size=16]chez moi la maudite Parque (4)[/size]
N'entre point par votre moyen.
Il avint qu'au Hibou Dieu donna géniture.(5)
De façon qu'un beau soir qu'il était en pâture,
Notre Aigle aperçut d'aventure,
Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une masure
(Je ne sais pas lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,
Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.(6)
Ces [size=16]enfants ne sont pas, dit l'Aigle, à notre ami.[/size]
Croquons-les. Le Galand n'en fit pas à demi :
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le Hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers Nourrissons, hélas ! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors : N'en accuse que toi
Ou plutôt la commune loi,
Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes [size=16]enfants à l'Aigle ce portrait :[/size]
En avaient-ils le moindre trait ?
Jean de La Fontaine
Livre 5 fable XVIII
Si le hibou avait décrit ses petits tels qu'ils
étaient réellement, ils n'auraient pas été dévorés par l'aigle. L'amour paternel du hibou l'a aveuglé...
Le dicton "l'amour est aveugle" est bien illustré ici.
(1) beaucoup
(2) la chouette, consacrée à Minerve. La Fontaine ne la différencie pas du hibou. Effet burlesque.
(3) oiseau de nuit, considéré comme "porte-malheur"
(4) certainement la Divinité "morta", responsable du destin et de la mort.
(5) terme burlesque qui se dit des [size=16]enfants (Furetière)[/size]
(6) une des trois Furies
Liberté
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang [size=16]papier ou cendre[/size]
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffées d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes raisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté
Paul Eluard, Poésies et vérités, 1942
Sur les champs labourés
Sur les près verdoyants
Sur la forêt que j'aime tant
J'écris ton nom
Liberté
Ninnenne