Le petit poisson et le pêcheur Jean de La Fontaine
Petit poisson deviendra grand
Pourvu que [size=16]Dieu lui prête vie; [/size]
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c'est folie:
Car de le rattraper il n'est pas trop certain
Un carpeau, qui n'était encore que fretin,
Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.
«Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le en notre gibecière.»
Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :
«Que ferez-vous de moi ? Je ne saurais fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir :
Je serai par vous repêchée;
Quelque gros partisan m'achètera bien cher :
Au lieu qu'il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi, rien qui vaille.
- Rien qui vaille ? Eh bien ! soit, repartit le pêcheur :
Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,
Vous irez dans la poêle; et vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire .»
Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras;
L'un est sûr, l'autre ne l'est pas.
Jean de La Fontaine
Livre 5 fable III
Je tiens pour moi : Je considère. C'est folie : Rappelons que La Fontaine était Maître des Eaux et Forêts et qu’une Ordonnance d’août 1669 faisait obligation aux pêcheurs de rejeter, sous peine d’amendes, les poissons trop petits. Le trait est donc particulièrement succulent dans la bouche de celui qui, par sa fonction, devait défendre cette ordonnance. Il n’est pas trop certain : on n’est pas trop certain. Fretin : Tout petit poisson (vient de l’ancien français ‘fraindre’ et du latin ‘frangere’ qui signifie ‘briser’ et qui donneront naissance à ‘fret’, débris). Partisan : Financier chargé de recueillir les impôts et, par extension, symbole de tout riche parvenu. Tiens : S’écrivait couramment ‘tien’, bien que n’ayant rien avoir avec le possessif. De cette fable, plusieurs vers sont devenus des proverbes :- Petit poisson deviendra grand pourvu que [size=16]Dieu lui prête vie [/size]
- Un Tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux Tu l’auras, l’un est sûr, l’autre ne l’est pas. Des proverbes très récités par nos parents...j'en avais oublié l'origine... Illustrations de Gustave Doré
La transhumance
Le départ approche, l'aurore n'est pas née,
Et dans ce vaste pré, où l'on a hiverné,
Les pastoureaux du coin, nous ont tous regroupés,
En immense troupeau pour la grande épopée.
Je suis agneau de lait, je n'ai que six semaines,
Mais, me sent tout gaillard pour parcourir la plaine,
Et prendre les chemins vers les grasses estives,
Où les prés sont si frais et parcourus d'eau vive.
Maman est prés de moi, je ne la quitte pas,
Il me faudra toujours avancer dans ses pas.
D'autant plus que son pis sera le bienvenu,
Pour boire à ses tétines la fatigue venue.
La bèye, enfin, se meut, nous sommes des centaines,
Précédés du berger, notre grand capitaine,
Quelques pâtres sont là, pastoureaux, pastourelles,
Mais seul notre pasteur, de temps en temps nous hèle.
De bons chiens, noir et blanc, sont autour du troupeau,
Ils manœuvrent la bèye sans le moindre repos.
Le berger en sifflant ou avec son bâton,
Les guide fermement, ils sont sur nos talons.
Avec paniers de bât, dominant les moutons,
Cinq ânes, noblement, portent les provisions,
Et leurs couffins d'osier, savent toujours charger,
Les plus jeunes agneaux, lorsqu'ils sont naufragés.
Parsemées, ci et là, quelques chèvres, aussi,
Complètent ce tableau, joliment réussi.
Les villages s'éveillent quand nous les traversons,
Les habitants admirent, nous les émerveillons.
Et le chant des clochettes, enchante la vallée,
Tel un doux [size=16]carillon au charme inégalé,[/size]
Porté par un zéphyr qui ses harmonies sème,
En coloriant l'air de tons que chacun aime.
Du bout de mon museau, je broute avidement,
Quelques fleurs d'incarnat, de vesce ou pissenlit,
Quant au millepertuis, maman me l'interdit.
La fragrance du lieu, m'envoûte étrangement.
Quelques plantes sauvages, à nos toisons s'accrochent,
Bardanes, Garances iront, de proche en proche,
Disperser leurs graines et enrichir des lieux,
Où le plus fort des vents n'aurait su faire mieux.
J'ai cinq ans aujourd'hui, l'épopée annuelle,
Reprend le long chemin, elle est perpétuelle.
Plus d'âne et de chèvre, plus de sentiers fleuris,
Fini les gourmandises et les étourderies.
Le camion recule, sa gueule est béante,
On nous pousse aussitôt vers la bête géante.
A grande vitesse nous rejoignons l'estive,
Sans avoir rencontré la moindre âme qui vive...
Gérard Lorine
Bèye: troupeau en transhumance ( en provençal )
Tous droits réservés.
[size=16] http://www.brubrian.com/pages/la-transhumance.html[/size]
"Quand la vague a frappé" Pablo Neruda
Quand la vague a frappé sur la roche indocile
Qu'éclate la clarté en instaurant sa rose
Le cercle de la mer s'amasse en une grappe
Et pend en une seule goutte de sel [size=16]bleu.[/size]
Oh radieux magnolia délié dans l'écume,
Voyageur magnétique et fleuri dans la [size=16]mort, [/size]
Dans l'éternel retour de l'être et du non-être :
Sel brisé, éblouissant mouvement marin.
Mon amour, tous les deux, nous scellons le silence,
La mer a beau ruiner ses statues incessantes
Et renverser ses tours de folie, de blancheur,
Nous, dans la trame de cette étoffe invisible
Que font l'eau emballée et le sable éternel,
Nous maintenons la [size=16]tendresse unique et traquée.[/size]
Pablo Neruda
Ninnenne