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 Histoire des départements en France

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marileine
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marileine


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MessageSujet: Histoire des départements en France   Histoire des départements en France Icon_minitimeDim 4 Oct - 10:35

Les départements-(histoire)- Val d'Oise - 95 -

Histoire des départements en France 5ee51772
Cergy
Partie 2
 
(Région Ile-de-France)
 
Les règnes suivants devaient être agités par les guerres de la Réforme. Les idées nouvelles pénétrèrent de bonne heure dans l'Ile-de-France ; elles avaient de nombreux adhérents dans le Vexin, où Calvin avait été accueilli par le seigneur d'Hargeville, dans son château situé près de Wy ou Joli-Village ; il y résida quelque temps, y composa une partie de ses ouvrages et prêcha lui-même sa doctrine dans les villages environnants, à Limay, Avernes, Arthies, Jambville et Gadancourt.
 
Henri Ier, François Il et Charles IX, pendant les premières années de son règne, passèrent alternativement de la rigueur à la tolérance dans leur attitude vis-à-vis des protestants. C'est dans le pays de Seine-et-Oise que se tinrent les premières réunions où les représentants des deux cultes travaillèrent à la pacification des esprits et a la conciliation des consciences ; les états généraux furent d'abord convoqués dans ce but à Saint-Germain ; puis, quelques années plus tard, en 1561, s'ouvrit le colloque de Poissy, fameux par les discussions violentes de Théodore de Bèze ; de nouvelles conférences eurent lieu l'année suivante à Saint-Germain sans amener de meilleurs résultats, et la guerre éclata tout à coup par le massacre de Vassy.
 
Qui ne se rappelle les sanglants épisodes de ces déplorables guerres, les tristes exploits de Coligny, de Condé et de Montmorency ; ce malheureux département en fut trop souvent le théâtre ; les points stratégiques que les partis ennemis se disputèrent avec le plus d'acharnement furent Corbeil, qui commande le cours de la haute Seine, et Étampes qui domine la ligne de communication entre la capitale et les provinces de l'ouest et du sud.
 
Cette dernière ville, prise par Condé, resta au pouvoir des protestants jusqu'au traité de paix de Longjumeau ; dans l'intervalle eut lieu la bataille de Dreux, gagnée par Montmorency, commandant l'armée catholique, et la bataille de Saint-Denis, qui amena la petite paix, trêve de six mois rompue par le massacre de la Saint-Barthélemy. Les fanatiques égorgeurs de Paris durent avoir des complices nombreux dans le département de Seine-et-Oise ; mais le rang et le nom des victimes parisiennes ont trop fait oublier les martyrs plus obscurs des campagnes environnantes.
 
La soif de vengeance que la trahison du Louvre alluma au coeur des huguenots rendit la guerre plus ardente et plus implacable encore. La tiédeur et l'hésitation que les zélés catholiques reprochaient à Henri III avaient grandi l'influence des Guises. L'ambition héréditaire de cette famille n'allait à rien moins qu'à s'emparer de la couronne, dont elle n'était plus séparée que. par un prince maladif et peu populaire, et par Henri de Béarn, chef du parti huguenot. L'assassinat du roi de France, frappé à Saint-Cloud par un jacobin fanatique nommé Jacques Clément, simplifiait encore la question : d'un côté, le droit et la légitimité avec Henri le huguenot ; de l'autre, l'usurpation avec les Guises, forts de leur valeur personnelle, de leur clientèle fanatisée et de la puissante organisation de la Ligue.
 
A l'exemple de Paris, l'Ile-de-France tenait en grande partie pour les Guises ; aussi fut-elle encore le théâtre des luttes qu'eut à soutenir Henri IV lorsqu'il vint jusque sous les murs de la capitale revendiquer ses droits à l'héritage de Henri III. La conversion du roi acheva l'oeuvre de pacification si glorieusement commencée par la victoire d'Ivry ; la sage administration de Sully, l'esprit de tolérance et d'économie du gouvernement, eurent bientôt cicatrisé les plaies faites par les dernières guerres ; l'Ile-de-France, dont le sol offre tant de ressources, releva toutes ses ruines ; la culture encouragée reprit un rapide essor ; Sully en donnait l'exemple, et, comme, propriétaire du château de Rosny, il fit de nombreuses plantations de mûriers ; Mantes, dont il était le gouverneur, vit s'élever dans ses murs une fabrique de draps ; le château de Saint-Germain fut reconstruit, celui d'Étampes restauré et le duché concédé à la belle Gabrielle d'Estrées.
 
Les bienfaits de ce règne furent répartis avec tant d'à propos et, d'intelligence, la pacification des esprits fut si complète, qu'à la mort du roi les désordres qui signalèrent la régence de Marie de Médicis n'affectèrent quo d'une façon peu sensible les pays de Seine-et-Oise. L'administration de Richelieu consolida encore pour eux les bienfaits de celle de Sully. Nous n'avons à citer, sous le règne de Louis XIII, que la naissance à Saint-Germain de Louis XIV, en 1638, et, en 1641, l'assemblée générale que tint le clergé de France dans la ville de Mantes.
 
La haute noblesse, qui avait été obligée de courber la tête sous la main de fer de Richelieu, voyait à la mort de Louis XIll, dans la perspective d'une longue minorité, une occasion favorable pour revendiquer ses prétendus droits et reconquérir ses privilèges.
 
La confiance de la reine régente, abandonnée à un autre cardinal dévoué aux idées de Richelieu, son continuateur présumé, à un étranger, à Mazarin, souleva l'indignation des grands et dès princes ; l'opposition des parlements, suscitée par là noblesse, fut le prélude d'hostilités plus sérieuses ; les promesses des meneurs, les épigrammes des beaux diseurs, l'influence du clergé, parvinrent à entraîner les bourgeois de Paris dans cette non-elle Ligue.
 
Les frondeurs disputaient à la reine mère et au cardinal la personne du jeune roi ; la cour dut quitter Paris et se réfugier à Saint-Germain, sous la protection d'une armée de huit mille hommes ; de leur côté, les rebelles organisèrent leurs forces : le prince de Conti fut nommé généralissime. Les villes de Seine-et-Oise furent, comme toujours, les points qu'on se disputa le plus vivement ; Étampes, Corbeil, Saint-Cloud, Dourdan, dont la Fronde était maîtresse, furent d'abord repris par Condé : une paix de peu de durée fut la conséquence de ces premiers succès de l'armée royale ; une rupture, qui éclata entre la cour et Condé, donna à la lutte un caractère plus sérieux ; Turenne fut opposé par Mazarin à ce redoutable adversaire ; personne n'a oublié les exploits plus affligeants encore que brillants des deux illustres capitaines, ni le fameux combat du faubourg Saint-Antoine, où ils faillirent eux-mêmes en venir aux mains ; cette guerre sans motifs sérieux, et à laquelle devait mettre fin la majorité de Louis XIV, n'en causa pas moins de grands malheurs dans nos pays : Corbeil, Saint-Cloud, Palaiseau, Mantes, furent victimes de l'indiscipline. des soldats des deux armées, qui, manquant de vêtements et de solde, pillaient et rançonnaient les villes et les campagnes. Enfin Paris, éclairé sur le but réel des princes et des organisateurs de la Fronde, se détacha de leur cause et ouvrit ses portes au roi, qui y fit son entrée en 1653.
 
Les pays de Seine-et-Oise, qui avaient eu une si large part dans tous les revers et toutes les épreuves de la royauté, participèrent plus que toute autre province aux splendeurs du triomphe : le règne de Louis XIV, est raconté par toutes les magnificences des châteaux dont il nous reste à faire l'histoire. La guerre, portée au delà de nos frontières, n'ensanglanta plus les campagnes de l'Ile-de-France ; et Versailles a gardé le glorieux souvenir des années de paix.
 
Il en est de même pour le règne des princes qui se sont succédé jusqu'à nos jours sur le trône de France ; l'importance des châteaux royaux et des résidences princières rattache désormais à leurs lambris le souvenir des faits principaux qui seuls sont du domaine de cette notice. C'est à Louveciennes et à Marly que nous étudierons Louis XV ; pour son malheureux successeur, Trianon complètera Versailles, Saint-Cloud nous dira le 18 brumaire, et les douloureux mystères de la Malmaison nous conduiront des gloires du premier Empire aux désastres de l'invasion.
 
Ajoutons que, depuis 1789, l'immense développement de Paris a absorbé toute importance politique, toute originalité saillante dans Seine-et-Oise qui l'entoure ; ce qui nous reste à dire du département n'est plus guère qu'une oeuvre de statistique.
 
Jusqu'à la Révolution de 1789, il était compris dans le gouvernement de l'lle-de-France ; on y comptait, sous le rapport judiciaire, les prévôtés royales de Poissy, Montlhéry, Corbeil, Arpajon, Gonesse, qui toutes relevaient des prévôté et. vicomté de Paris ; puis venaient : le bailliage et présidial de Mantes, les bailliages simples de Montfort-l'Amaury et d'Étampes, les bailliage et prévôté de Pontoise, etc. Le ressort de ces juridictions était plus ou moins étendu. La coutume de Paris les régissait presque toutes, à l'exception des paroisses du bailliage de Pontoise, qui suivaient les unes la coutume de Senlis et les autres celle du Vexin français.
 
Sous le rapport financier, le département était de la généralité de Paris, et on y comptait les élections d'Étampes, Mantes, Montfort-l'Amaury et Pontoise. Corbeil, Versailles, Saint-Germain et leurs dépendances étalent de l'élection de Paris. Des gouverneurs royaux commandaient dans les principales villes qui étaient du domaine de la couronne.
 
Le département, formé en 1790 par l'Assemblée nationale dans un sentiment de défiance contre Paris qu'elle craignait de rendre trop redoutable au reste de la France, fut alors divisé en 9 districts administratifs et judiciaires : Versailles, Montlhéry, Mantes, Pontoise, Dourdan, Montfort-l'Amaury, Étampes, Corbeil et Gonesse. L'organisation impériale de 1804, qui a prévalu jusqu'à nos jours, le partagea en 5 arrondissements : Versailles, chef-lieu ; Corbeil, Étampes, Mantes et Pontoise.
 
En 1811, Rambouillet fut érigé en 6e arrondissement, pour la formation duquel on prit sur ceux d'Étampes et de Versailles ; ces 6 arrondissements se subdivisent en 36 cantons, comprenant chacun en moyenne 19 communes. Le Concordat de 1801 a établi a Versailles un évêché, qui étend sa juridiction sur tout le département.
 
Il serait difficile de caractériser la population de Seine-et-Oise ; la diversité de race de ses anciens habitants a été remplacée par la variété des travaux, la différence des positions, l'inégalité des fortunes ; de même que le sol se prête à tous les genres de culture, le génie des habitants s'est plié à toute espèce d'industrie : l'usine y touche à là ferme, la chaumière du vigneron au château du banquier millionnaire.
 
Seine-et-Oise est à la fois, et le jardin de Paris et là succursale de ses manufactures ; le campagnard ne travaille qu'en vue de Paris, qui consomme et qui achète ; il y a toujours au bout des rêves du Parisien un point des riants paysages de l'Ile-de-France, comme but de sa promenade des dimanches, comme retraite promise aux loisirs de sa vieillesse ; ces rapports étroits, intimes, ce frottement continuel, ont donné au paysan de Seine-et-Oise un caractère qui n'est déjà plus celui du campagnard et qui cependant n'est pas encore celui du citadin .
 
Durant la guerre franco-allemande de 1870-1871, le département de Seine-et-Oise fut, parmi les départements qui subirent alors les douleurs et les hontes de l'invasion, un de ceux qui eurent le plus à souffrir. La situation de son territoire, qui enveloppe Paris de tous les côtés, l'exposait plus que tout autre au danger ; en effet, aussitôt après la lamentable défaite à Sedan, dès le 4 septembre, la capitale de la France devenait l'objectif des Allemands : la IIIe armée, celle du prince royal de Prusse, moins les Bavarois, se mettait en marche dans cette direction.
 
Le 12 septembre, deux éclaireurs sont aperçus à Ablon, dans le canton de Longjumeau; le 15, des cavaliers se montrent à Draveil; le 16, dès le matin, des troupes de toutes armes, venues de Lagny et de Brie-Comte-Robert, inondent le canton de Boissy-Saint-Léger et se massent dans la plaine de Vigneux. A ce moment, Paris était prêt d'être investi : la IIIeet la IVe armée allemandes sont à deux marches de la capitale, dans la direction du nord-est et du nord-ouest : la 5e et la 6e division de cavalerie, chargées d'éclairer les colonnes, s'avancent vers Pontoise; le même jour, les Prussiens occupent la voie ferrée entre Ablon et Athis, puis ils descendent vers Mongeron.
 
Le 17, un pont de bateaux est jeté sur la Seine, près de Villeneuve-Saint-Georges, et une avant-garde de 1 000 hommes, appartenant au XIe corps bavarois, se présente dans le faubourg de Corbeil. Le 18 septembre, la 6e division de cavalerie, commandée par le duc de Mecklembourg (IVe armée) marche sur Poissy et y franchit la Seine; la 5e division de cavalerie occupe Pontoise ; le IVe corps atteint Le Mesnil-Amelot, entre Dammartin et Saint-Denis ; la brigade des uhlans de la garde attachée à ce corps marche sur Argenteuil, entre Saint-Denis et Pontoise; la garde se porte sur Thieux, entre Claye et Dammartin. Le XIIe corps (prince de Saxe) s'établit à Claye, en avant de Meaux et de Dammartin, tandis que la 2e division de cavalerie de la IIIe armée, celle du prince royal de Prusse, se dirige sur Sarlay, au sud de Paris, occupe la route qui y mène et se lie par Chevreuse avec la cavalerie du prince de Saxe ; le Ve corps de la même armée passe la Seine a Villeneuve-Saint-Georges (grande route de Melun à Paris) et s'avance jusqu'à Palaiseau ; le IIe corps bavarois marche sur Longjumeau, détachant une brigade à Montlhéry ; le VIe corps occupe Villeneuve-Saint-Georges et Brunoy.
 
Le quartier général de l'armée de la Meuse (ive armée) est à Saint-Souplet, entre Meaux et Dammartin, près de l'embranchement des routes, sur Paris, de Meaux, Nanteuil et Senlis. Celui de l'armée du prince royal (IIIe armée) s'établit à Saint-Germainlès-Corbeil, a la porte de Corbeil.
 
Le 19 septembre, le blocus est sur le point d'être complété par les deux armées allemandes; le seul côté moins fortement investi est l'espace compris en avant des forts de l'Est : la 6e division de cavalerie marche sur Chevreuse, la 5e sur Poissy; le IVe corps est à Argenteuil, la garde en avant de Pontoise ; le XIIe corps contourne Saint-Denis ; la 2e division de cavalerie, vers Chevreuse et Saclay, relie la droite de la lVe armée avec la gauche de la IIIe ; le Ve corps est a Versailles même et pousse ses avant-postes jusqu'à Sèvres et Saint-Cloud ; le IIe corps bavarois est près de l'Hay, vers Meudon jusqu'à la Bièvre ; le VIe corps est entre la Seine et la Bièvre, avec une brigade et deux escadrons sur la rive droite du fleuve et de forts avant-postes entre la Marne et la Seine.
 
Le 21 septembre, l'ennemi complète l'investissement de Paris sur un périmètre extérieur de près de 80 kilomètres ; il établit des communications télégraphiques directes reliant tous les quartiers généraux des divers corps d'armée par un fil électrique qui n'a pas moins de 150 kilomètres de développement.
 
A la date du 22 septembre, écrit Gustave Desjardins, le département de Seine-et-Oise avait sur son territoire environ 216 bataillons d'infanterie, 244 escadrons de cavalerie avec 774 canons. L'investissement de Paris était fait par 216 bataillons et 140 escadrons. Cet effectif varia peu durant le siège. Le Ier corps bavarois et la 22e division du XIe corps prussien furent détachés, le 6 octobre, et remplacés par le XIe corps prussien envoyé dans les premiers jours de novembre. Le IIe corps marcha vers l'est le 3 janvier ; mais le Ier corps bavarois revint occuper le canton de Boissy-Saint-Léger.
 
A l'extrême gauche de la Ille armée, la landwehr de la garde prussienne, rendue disponible par la prise de Strasbourg, avait pris position à Chatou, donnant la main à la IVearmée. L'ennemi put prendre ses positions sans rencontrer pour ainsi dire de résistance. Quelques échauffourées eurent lieu çà et là, sans autre résultat que de motiver les pillages et les exécutions sommaires.
 
On conçoit d'ailleurs qu'une pareille concentration de troupes sur un même point n'ait pu se faire sans un grand dommage et de grandes vexations pour les habitants, auxquels les menaces, les coups, la mort même ne furent pas épargnés. Les villes et les villages furent submergés par ce flot envahisseur qui ne cessait de grossir. Les soldats, dit Gustave Desjardins, pénètrent avec effraction dans les maisons fermées, s'installent par groupes, arrachent les habitants de leur lit.
 
A Verrières-le-Buisson, ils mettent leurs chevaux dans les boutiques et les rez-de-chaussée, pillent en masse les marchands de comestibles. Corbeil est écrasé : 90 000 hommes y passent en trois jours. Tout est envahi : magasins, maisons, églises ; dans le tribunal s'installe une boucherie.
 
A Versailles, les Allemands n'osent pas entrer dans les casernes qu'ils supposent minées et occupent les promenades. En un clin d'oeil, la ville du grand roi se transforme en campement de horde germanique. On n'entend plus que le bruit des patrouilles. et les cris rauques des sentinelles. Le 20 septembre, Saint-Germain est menacé de bombardement ; cinq bombes sont même lancées du Pecq sur cette ville.
 
Les faits militaires ont été peu nombreux dans le département de Seine-et-Oise, et cela se conçoit facilement, puisque l'armée régulière n'existait pas ; les gardes nationales étaient a peine armées et mal instruites ; les francs-tireurs seuls opposèrent de la résistance et quelquefois avec succès. Dans son expédition vers Mantes, la 5e division de cavalerie prussienne rencontre, après avoir brûlé Mézières, des francs-tireurs parisiens. Deux bataillons, sous les ordres du commandant de Faybel, traversent . Mantes, chassent les patrouilles prussiennes ; mais ils sont obligés de se retirer en combattant, par Écquevilly et Mareil-sur-Mauldre, sur Mantes, et de là à Vernon, devant des forces supérieures.
 
Dans l'arrondissement de Rambouillet, des paysans s'organisent en guérillas. Pour venir à bout de la résistance, le général de la 6e division de cavalerie prussienne ordonna une battue dans ce pays couvert de bois, et ses soldats se livrèrent à d'indignes cruautés contre des habitants inoffensifs.
 
Le 8 octobre, les Français attaquent les Prussiens et les Bavarois barricadés dans Ablis, près de Dourdan, et font, après une demi-heure de combat, 70 hussards prisonniers. Le lendemain, après le départ des francs-tireurs, une colonne ennemie envahit la commune, brise les portes et les fenêtres et la livre au pillage. A La Montignotte, près de Milly, le 28 septembre, quelques francs-tireurs unis à des gardes nationaux font éprouver des pertes sensibles à une colonne de 800 hommes envoyée de Melun pour châtier Milly.
 
A Parmain, commune de Jouy-le-Comte, dans le canton de L'Isle-Adam, des volontaires accourus de Pontoise, de Valmondois, de Méry, de Jouy-le-Comte et d'autres localités environnantes, unis à quelques francs-tireurs de la légion Mocquart, se barricadent et s'apprêtent a défendre énergiquement le passage de l'Oise. Le 27 septembre, à 10 heures du matin, quelques centaines de Prussiens, avec quatre pièces d'artillerie, essayent de s'emparer des barricades. Ne pouvant y parvenir, ils s'en prennent à la population de L'Isle-Adam. Le 29, à midi, 4 500 Prussiens sont dirigés sur Parmain, et une partie ayant réussi à passer l'Oise à Mours, tourne le village que les francs-tireurs ont le temps d'évacuer. Le 30, les Prussiens bombardaient Nesles et brûlaient Parmain.
 
Le chapitre des réquisitions exigées serait interminable, s'il fallait tout relater. Contentons-nous d'un court résumé. Huit jours après leur entrée dans le département, il n'était pas un village qui n'eût reçu la visite des Prussiens. On voyait d'abord paraître trois ou quatre cavaliers, sondant de l'œil tous les recoins du pays ; au premier bruit suspect, ils détalent au galop comme des daims effarouchés. Semble-t-on avoir peur, ils deviennent plus hardis, commencent par briser le télégraphe et intiment avec arrogance aux habitants l'ordre de combler les tranchées pratiquées dans les routes ; si une foule irritée les entoure, ils montrent beaucoup de modération et tâchent de se tirer de ce mauvais pas sans faire usage de leurs armes ; mais ils reviennent un instant après menaçants, soutenus par des forces imposantes. lis savent que leurs chefs veillent sur eux avec sollicitude, leur porteront secours à temps et feront payer cher le moindre attentat envers leurs personnes.
 
A Dourdan, on s'ameute contre des hussards ; un homme porte la main à la bride du cheval d'un officier. Le lendemain, un parlementaire signifie a la municipalité, que si pareille offense se renouvelle, la ville sera livrée aux flammes et les habitants pendus jusqu'au plus petit enfant, comme dans les guerres bibliques. A Poissy, le général Schmidt fait savoir que si la ville ne lui rend pas deux dragons pris par la garde nationale, elle sera bombardée et frappée d'une contribution de 200 000 francs...
 
Dans les campagnes, l'ennemi se contente de provisions de bouche ; dans les villes, il demande des couvertures, des matelas, des balais, des gants, des semelles, des fournitures de bureau, des objets de toilette, de l'amidon, du cirage, des bandages herniaires, des peaux de sanglier et de chevreuil, tout ce que sa fantaisie imagine. Le major de Colomb, commandant de place à Corbeil, entendant qualifier de riche en cuirs un paysan dont le langage est orné de liaisons superflues, saute sur une plume et s'empresse de libeller un ordre de livrer 60 peaux pour basaner les culottes de ses dragons : Ab uno disce omnes.
 
Certains officiers affectent une politesse exagérée, suivie aussitôt d'une menace froide ; d'autres, en arrivant, mettent le revolver au poing et parlent de tout tuer et brûler si l'on n'obéit sur-le-champ. A la plus petite objection, coups de cravache et coups de sabre pleuvent comme grêle... On n'a rien de mieux à faire que d'obéir et de les gorger de vin et d'avoine...
 
Pour les héros de l'Allemagne moderne, comme pour leurs aïeux les reîtres du XVIe siècle, la guerre est une franche lippée. Le majordome, préparant à Versailles les logements de la cour du roi de Prusse, veut contraindre le maire à violer le domicile d'un absent qui a dans sa cave des vins dignes de la taule de son maître. Dès les premiers jours d'octobre, ils sont entièrement nos maîtres ; la résistance a été partout comprimée avec une sauvage rigueur, et la terreur prussienne règne dans le département. On annonce l'arrivée à Versailles de Guillaume le Victorieux.
 
On pouvait espérer que l'arrivée du roi de Prusse mettrait fin aux exactions, aux réquisitions et aux vexations. M. de Brauchitsch, nommé préfet prussien de Seine-et-Oise, présenta, en effet, au conseil municipal de Versailles, convoqué pour entendre ses communications, le plus séduisant tableau des intentions de son auguste souverain. Mais ce n'était là qu'une déclaration platonique ; aux exactions et aux violences brutales des soldats allaient succéder des exactions et des violences hypocrites.
 
Dans son livre intitulé Versailles pendant l'occupation, E. Delérot écrit : « Nous avons pu juger par expérience comment la Prusse contemporaine entendait l'administration civile des pays occupés : le préfet de Brauchitsch est, à ce titre, un échantillon curieux de cupidité à étudier. Ses actes et ceux des subordonnés placés sous ses ordres sont d'autant plus intéressants qu'ils s'accomplissaient sous les yeux du roi, par conséquent avec son assentiment tacite. »
 
Le préfet prussien essaya d'abord de se servir de l'organisation française ; mais il se heurta au refus ou au mauvais vouloir des anciens employés qui, pour la plupart, ne voulurent pas reprendre leurs fonctions et s'y dérobèrent même par la fuite. Pour avoir des huissiers, le préfet dut les faire empoigner par les gendarmes. Ceci se passait à Versailles et fut d'un salutaire effet pour le reste du département. A Corbeil seulement, il fut possible aux Allemands de réorganiser le personnel de la sous-préfecture.
 
Devant la mauvaise volonté générale, le préfet prussien du département de Seine-et-Oise réorganisa l'administration sur la base du canton. Le maire du chef-lieu, investi de tous les pouvoirs, était chargé des communications avec l'autorité centrale, de la réparation des chemins, du service de la poste, de la perception des contributions. Le refus absolu était à peu près impossible ; car le préfet terminait son injonction par ces mots, dans le cas de non-acceptation : « Je me verrai obligé, contre mon gré, à en recourir à la force ; ce qui serait toujours regrettable. »
 
Les exactions, bien entendu, continuèrent de plus belle. Au mois de janvier 1871, M. de Brauchitsch « s'avisa que la perception des contributions indirectes était interrompue et voulut la remplacer. II ajouta à l'impôt foncier un supplément de 950 pour 100 ; mais il n'eut pas le temps d'en poursuivre partout le recouvrement ; toutefois, il extorqua ainsi, dans l'arrondissement de Versailles, près d'un million et demi. En arrivant, les Prussiens avaient frappé le département d'une contribution extraordinaire d'un million. D'autres exigences furent encore présentées ; elles prirent ; celles-la, la forme d'un emprunt forcé qui fournit 1 101 279 fr. »
 
Nous avons dit que, lors de son installation, le préfet prussien avait promis formellement que les réquisitions cesseraient ou du moins seraient payées. L'armée d'occupation parut ignorer complètement ces engagements, et la population de Seine-et-Oise ne trouva dans la présence de M. de Brauchistch qu'une aggravation à ses maux : elle dut payer l'impôt et fournir les réquisitions.
 
Les vexations et les réquisitions ne cessèrent même pas durant l'armistice, et le département de Seine-et-Oise ne fut délivré des hordes germaniques que le 12 mars 1871. Les pertes qu'il supporta s'élevèrent à la somme énorme de 146 500 930 fr. 12, la plus considérable après le département de la Seine.

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Histoire des départements en France E5b7fb01

Partie 1

 
(Région Ile-de-France)

 
C'est en 1968 que fut officiellement constitué le département du Val-d'Oise, composé exclusivement de communes appartenant à l'ancien département de la Seine-et-Oise.

 
Le département de Seine-et-Oise ; compris autrefois dans la province de l'Ile-de-France, n'a jamais eu plus d'unité que nous ne lui en voyons aujourd'hui ; bien avant les développements qu'a pris Paris comme capitale de la France, avant même que l'ancienne Lutèce eût acquis l'importance que lui donna la domination romaine, les habitants des contrées qui nous occupent étaient divisés en nations distinctes et souvent hostiles les unes aux autres.

 
Les rives de la Seine étaient occupées par les Parisii, peuplade adonnée à la navigation ; les Vellocasses étaient possesseurs de la partie septentrionale du département, qui s'étend entre l'Oise et la Seine, et qui fit plus tard partie du Vexin ; l'ouest appartenait aux Carnutes, dans un espace compris entre l'emplacement actuel de Mantes et le canton de Rambouillet ; enfin, toute la région méridionale, c'est-à-dire le territoire des arrondissements d'Étampes et de Corbeil, avait pour maîtres les Sénonais. Les immenses forêts qui s'étendaient à l'ouest protégeaient les mystères religieux des druides ; aussi leurs principaux collèges étaient-ils dans le pays des Carnutes. César rend hommage au caractère belliqueux de ces habitants de la Gaule celtique ; contre eux, il eut plus souvent recours aux ruses de la politique qu'à la force des armes.

 
Quand Vercingétorix fit appel au patriotisme gaulois, CarnutesSénonais et Parisii furent des plus ardents à se ranger sous ses ordres, et le département de Seine-et-Oise put compter, selon les récits de César lui-même, vingt mille de ses soldats parmi les premiers martyrs de l'indépendance nationale. La victoire définitive des Romains eut pour conséquence l'effacement des nationalités entre lesquelles se partageait le territoire ; de nouvelles délimitations furent tracées, de nouvelles dénominations furent imposées : jusqu'au IVe siècle, Lutèce et tout le territoire actuel de Seine-et-Oise firent partie de la quatrième Lyonnaise ou Sénonie.

 
Sur ce sol si profondément remué depuis, l'établissement de la domination romaine a laissé peu de traces ; nous savons cependant que des routes furent ouvertes pour le passage des légions ; Paris, que sa position fit adopter par les vainqueurs comme un des centres de leur gouvernement, a pu conserver quelques ruines des monuments de cette époque ; mais, dans le pays environnant, couvert de forêts profondes, habité par des populations aguerries et menaçantes, il convenait peu à la politique romaine d'encourager le développement des anciens bourgs ou l'établissement de villes nouvelles dont l'importance aurait réveillé les souvenirs et les espérances des nationalités vaincues.

 
Sur un sol aussi remué et fouillé que l'a été celui de Seine-et-Oise, on ne peut guère compter sur la conservation des monuments mégalithiques, celtiques et gallo-romains : Cependant on rencontre encore quelques-uns de ces monuments. On connaît, par exemple, les. dolmens de Meudon, les menhirs de Bruyères-le-Châtel ; le nom du village de Pierrefitte rappelle le souvenir d'un de ces monuments, et, près de Chars-en-Vexin, le docteur Bonnejoy a sauvé de la mise en moellons une autre pierre connue autrefois sous le nom de la Pierre qui tourne.

 
A Gency, on montre une pierre levée que l'on appelle dans le pays le Palet de Gargantua, la Pierre du Fouet ou la Pierre qui pousse, et, comme à la plupart des monuments de ce genre, la légende ne manque pas. A Jouy-le-Moutier, on en montre une autre. A Bougival et à La Celle-Saint-Cloud, à Marcoussis, sur la lisière du bois des Charmeaux, on a trouvé des débris de poteries et de tuiles de l'époque gallo-romaine.

 
Aux Mureaux, dans le canton de Meulan, Guégan a retrouvé des traces du séjour des populations préhistoriques. Au Pecq, à Marly, au lieu dit la Tour aux Païens, on a mis au jour des sépultures, des armes en silex, des poteries. Le dragages de la Seine, du Pecq à Conflans-Sainte-Honorine, a aussi fourni son contingent d'antiquités celtiques. A L'Étang-la-Ville, on a mis au jour, en 1878, un dolmen qui renfermait de nombreux ossements : on peut évaluer a cent cinquante le nombre des individus qui y avaient été enterrés.

 
A Mareil-Marly, dans la tranchée du chemin de fer de Grande-Ceinture, on a trouvé des vestiges romains qui font supposer que ce lieu était un poste de surveillance pour maintenir en respect les populations gauloises. Enfin, en pratiquant une tranchée pour le petit chemin de fer d'intérêt local de Beaumont (Seine-et-Oise) à Neuilly-en-Thelle (Oise), Guégan a trouvé, sur le territoire de la commune de Baines, un cimetière celto-gaulois, gallo-romain et mérovingien.

 
C'est dans les annales du christianisme qu'il faut chercher les seuls faits importants à recueillir pour l'histoire des quatre premiers siècles de notre ère. Saint Denis fut le premier des apôtres qui pénétra dans le pays des Parisii ; mais la date de son arrivée est incertaine et les détails de son martyre sont plutôt une sainte légende qu'une réalité historique. On cite, après lui, saint Nicaise, mort comme lui victime de son zèle apostolique ; quoique ses prédications datent du commencement du IVe siècle, certains auteurs disent qu'il fut martyrisé à Vadiniacum, aujourd'hui Gasny-sur-Epte ; d'autres assignent, comme théâtre a cet événement, Meulan, qui a choisi ce saint pour patron.

 
La piété des nouveaux chrétiens nous aurait conservé sans doute de précieux documents sur cette époque de transformation sociale, si l'invasion des barbares eût bouleversé moins profondément cette contrée de Lutèce où les proconsuls romains et l'empereur Julien en personne firent leurs dernières tentatives de résistance. C'est par la nuit et le silence qu'elles ont laissés derrière elles qu'on peut juger les ravages de ces invasions, qui passèrent sur la Gaule celtique comme un torrent.

 
Quelques points oubliés du territoire étaient encore restés sous la domination des Romains ; Clovis, à la tête des Francs, s'avance du nord sur la Gaule ravagée ; sa conversion à la foi nouvelle achève l'oeuvre de la conquête ; le flot des premiers barbares s'est écoulé ; rien ne subsiste plus de la puissance romaine ; un nouvel empire se fonde entre la Meuse et la Loire. Mais, à la mort du fondateur, déjà le nouvel empire se démembre, et notre département échoit en partie, avec la royauté de Paris, à Childebert, un des quatre fils de Clovis.

 
C'est de cette époque que commence à dater la notoriété historique de la plupart des villes de l'ancienne Ile-de-France ; mais hélas ! cette gloire fut chèrement payée : les divisions arbitraires des territoires, les rivalités des souverains furent, pendant les temps mérovingiens, la cause de guerres incessantes ; l'Ile-de-France semblait condamnée à être le champ clos où Neustrie et Austrasie venaient vider leurs sanglantes querelles.

 
Cependant, à côté du spectacle affligeant qu'offraient les déchirements des jeunes monarchies, l'histoire nous montre une puissance nouvelle grandissant dans le silence et la paix, s'enrichissant des présents du vainqueur et des dépouilles du vaincu : c'est la puissance des abbés ; dans leur ferveur de néophytes, les Mérovingiens avaient fondé et enrichi le monastère de Saint-Denis et celui de Saint-Germain-des-Prés ; l'exemple des maîtres avait été suivi par les leudes ou seigneurs ; au vine siècle, l'abbaye de Saint-Germain tenait en sa possession Palaiseau, Verrières, Jouy-en-Josas, La Celle-lès-Bordes, Gagny, Épinay-sur-Orge, La Celle-Saint-Cloud, Villeneuve-Saint-Georges, Mer-sang ; Le Coudray-sur-Seine, Maule et autres domaines de moindre importance ; et l'abbaye de Saint-Denis, maîtresse d'une grande partie du Vexin, était à la veille de voir inféodées ses pacifiques conquêtes, par un édit de Charlemagne, sous le titre de fendum sacrum sancti Dionysii.

 
Il faut reconnaître que, dans ces temps de barbarie, la domination ecclésiastique fut quelquefois moins dure pour le peuple que celle des leudes et .des rois, prenant à leurs vassaux leur sang dans la guerre, et le fruit de leur travail lorsqu'ils étaient en paix. Ce fut donc un bonheur pour cette époque que le prodigieux accroissement de puissance des abbayes de Saint-Germain et de Saint-Denis ; leurs domaines furent un refuge pour l'artisan des villes ou le laboureur, qui ailleurs ne trouvait pas même le repos dans la servitude.

 
Aucun document n'est parvenu jusqu'à nous concernant l'organisation administrative, sous les Romains, du pays dont nous retraçons brièvement l'histoire ; ce n'est que sous les Mérovingiens que nous retrouvons, à l'aide des chartes, les principales divisions administratives des pagi ou cantons. Le département de Seine-et-Oise était irrégulièrement composé : 1édeg; du grand pagus de Paris, subdivisé plus tard ; 2° dupagus Castrensis (de Châtres ou Arpajon), qui fut depuis le Hurepoix ; 3° du pagus de Poissy, autrement le Pincerais (Pinciacensis) ; 4° de celui de Madrie (Madriacensis), dont le chef-lieu était probablement Méré, près de Montfort-l'Amaury ; ces deux derniers étaient du diocèse de Chartres ; ajoutons-y le pagus Stampensis ou d'Étampes, au diocèse de Sens. Plusieurs de ces pagi devinrent des comtés au IXe siècle, et leurs possesseurs convertirent leurs dignités en fiefs, comme on le verra plus tard.

 
La grande époque de Charlemagne fut une ère de paix et de prospérité relative pour le pays de l'Ile-de-France ; l'empereur avait transporté sa capitale sur le Rhin, à Aix-la-Chapelle ; la haute direction des affaires publiques était confiée, dans l'intérieur du pays, à des inspecteurs impériaux, missi dominici ; sous leur surveillance, l'administration de l'Ile-de-France resta aux mains et sous l'influence des deux puissants abbés de Saint-Germain et de Saint-Denis.

 
La mort de Charlemagne jeta la France dans une période de guerre et d'anarchie que la faiblesse de Louis le Débonnaire et de ses successeurs ne put arrêter. Par suite du partage de l'empire, les pays de Seine-et-Oise furent dévolus à Charles le Chauve. La trêve accordée à ces malheureuses contrées n'avait point été de longue durée ; aux guerres intestines succèdent les invasions des Normands.

 
En 845, Épine est brûlée ; en 865, Mantes est pillée onze ans plus tard, l'ennemi remonte la Seine jusqu'à Meulan. A chaque invasion nouvelle, il pénètre plus au cœur du pays : Étampes ne doit son salut, en 885, qu'à la valeur du comte Eudes ; Pontoise, moins heureux, est réduit par la famine ; les hostilités ne cessent, en 911, qu'après le traité de Saint-Clair-sur-Epte, par lequel Charles le Simple abandonne à Rollon, chef des barbares, la Normandie et le Vexin jusqu'à la rivière d'Epte.

 
Les malheureux successeurs de Charlemagne ne savaient pas mieux défendre leur autorité à l'intérieur que leurs frontières contre l'ennemi. Charles le Chauve, en consacrant en droit, par le capitulaire de Quierzy, en 877, la transmission des bénéfices des mains des possesseurs en celles de leurs héritiers, avait constitué définitivement la féodalité ; les comtes et les autres officiers royaux s'empressèrent de convertir leurs charges en fiefs et propriétés personnelles ; dans le pays de Seine-et-Oise, la transformation féodale fut instantanée et complète.

 
L'histoire du département offre l'exemple le plus frappant des conséquences qu'entraîna cette grande mesure. Grâce à elle, en moins d'un siècle, l'hérédité des titres et la transmission des fiefs firent des comtes de Paris la souche d'une troisième dynastie. La capitulaire de Charles le Chauve inféodait à leur maison les comtes du Vexin, seigneurs de Pontoise, qui absorbèrent bientôt à leur tour les comtes de Madrie et les comtes de Meulan, les comtes de Corbeil, les barons de Montfort-l'Amaury, de Montlhéry et de Montmorency.

 
C'est encouragé et aidé par ses puissants vassaux, que Hugues le Grand se fit proclamer roi de France ; mais le prix de leur concours, c'était le partage du pouvoir. Hugues Capet roi, c'était la féodalité couronnée. Les Normands n'avaient rencontré sur leur chemin que des tours en bois construites pour protéger le cours de la Seine ; maintenant que les comtes et barons ont leurs, domaines à défendre, nous verrons les pierres amoncelées s'élever en formidables remparts, les rochers taillés à pic devenir des murailles imprenables, les rivières détournées de leur cours inonder les fossés des châteaux forts.

 
Nous verrons grandir au nord les colossales assises de Montmorency, et surgir au sud les massifs créneaux de la tour de Montlhéry ; il n'y aura plus de montagne qui n'ait son castel bâti sur sa crête comme un nid de vautour ; plus de vallée qui n'ait à son embouchure son fort menaçant et sombre prêt à disputer et à faire payer le passage. La paix ne pouvait pas sortir de préparatifs aussi peu pacifiques ; la guerre fut donc la vie du XIe siècle. Dans leur indépendance, les grands vassaux refusent obéissance à leurs souverains et s'attachent à la fortune des princes dont ils espèrent meilleure récompense.

 
En 1015, le trône du roi Robert est menacé par une ligue dont font partie Galeran Ier, comte de Meulan, et Gauthier, comte du Vexin ; ce n'est que par l'intervention de Fulbert, évêque de Chartres, que la guerre est suspendue. Vingt ans plus tard, ce même Galeran s'allie aux comtes de Brie et de Champagne, dans la guerre qu'ils soutiennent contre Henri Ier. En 1102, Houchard IV de Montmorency refuse à Louis le Gros de faire réparation des dommages causés par lui à l'abbaye de Saint-Denis, et se laisse assiéger dans sa forteresse, dont les soldats du roi sont contraints d'abandonner le siège.

 
Pendant près d'un siècle, la malveillance impunie des sires de Montlhéry entrave les communications de la capitale avec Étampes, demeuré fief de la couronne. En rattachant les souvenirs de ces faits recueillis parmi beaucoup d'autres aux impressions produites par la vue des ruines féodales qui couvrent encore le sol, on pourra se faire une. idée des désordres et de l'anarchie de cette déplorable époque, pendant laquelle les Normands, toujours habiles à profiter de l'affaiblissement du pouvoir central, vinrent ajouter les ravages de leurs excursions aux misères de nos déchirements intérieurs ; en 1060, Meulan avait été encore une fois pris et saccagé par eux ; en 1087, Pontoise et Mantes furent livrés aux flammes.

 
Dans la lutte devenue inévitable entre les rois et les seigneurs féodaux, la royauté eût probablement succombé sans le mouvement religieux qui entraîna vers les croisades cette noblesse ambitieuse et turbulente ; pendant que le roi Philippe Ier se faisait représenter à la première expédition, en 1083, par Eudes d'Étampes, les plus indociles et les plus redoutables de ses sujets prenaient la croix et s'enrôlaient sous la sainte oriflamme.

 
Quelques-uns revenaient comme le fameux Simon de Montfort, qui continua si cruellement contre les Albigeois ses exploits de Constantinople et de Palestine ; mais beaucoup d'autres y mouraient ou trouvaient au retour leurs domaines aux mains de nouveaux maîtres.

 
L'autorité royale n'avait pas seule gagné dans cet amoindrissement de la puissance féodale ; plusieurs seigneurs, pour payer les préparatifs de l'expédition et les frais du voyage, avaient vendu, contre argent, certaines franchises aux bourgeois de leurs villes ; les rois avaient encouragé, de leur pouvoir moins contesté, ces premières tentatives d'émancipation des communes ; pour la royauté d'alors, grandir le peuple, c'était affaiblir d'autant le seigneur intraitable et si souvent menaçant ; c'était créer un antagonisme dont elle se réservait l'arbitrage.

 
C'est donc de cette époque que sont datées les premières chartes octroyées par les rois de France aux communes. Mantes a les siennes en 1110, Étampes quelques années plus tard, Pontoise en 1188, Meulan en 1189 : un maire et des échevins ou jurés nommés parles bourgeois étaient chargés de l'administration des deniers communaux, de la garde de la ville et de l'exercice plus ou moins étendu de la justice.

 
L'essor que prirent dès lors les communes, l'importance toujours grandissante de la bourgeoisie assura désormais la soumission des seigneurs contre lesquels la royauté avait partout des alliés reconnaissants. Certes, le trône de France eut encore de rudes assauts à soutenir ; les maisons féodales qui résistèrent à cette première secousse n'en devinrent que plus puissantes et plus redoutables ; c'est à la politique de Louis XI, c'est au génie de Richelieu qu'il était réservé de leur porter les derniers coups ; mais, dans ce pays de Seine-et-Oise, dans l'histoire duquel notre récit doit se circonscrire, la féodalité rebelle, menaçante, rivale parfois de la royauté, cette féodalité ne survécut pas au règne de Philippe-Auguste.

 
Si l'habile modération qui fut la règle de conduite des puissants abbés de Saint-Germain et de Saint-Denis explique la paisible possession dans laquelle les laissèrent les guerres de la féodalité, la constance de leurs sympathies et de leur fidélité pour les rois de France explique plus naturellement encore la généreuse reconnaissance des monarques pour l'Église. Chaque succès de la royauté est signalé par la fondation de quelque établissement religieux ; Charlemagne et Hugues Capet avaient payé leur tribut après les deux grandes abbayes si souvent citées par nous, celle d'Argenteuil avait été fondée en 665, celle de Chelles en 656, celle de Néauphle-le-Vieux et de Saint-Mellon à Pontoise vers 899, et, quelques années plus tard, celles de Saint-Spire à Corbeil et de Saint-Nicaise à Meulan.

 
La consolidation définitive de la dynastie capétienne eut pour l'Église de non moins précieux résultats. Elle lui doit, au XIe siècle, la collégiale d'Étampes, le prieuré de Saint-Germaïn-en-Laye, l'abbaye de Morigny, près d'Étampes, le prieuré de Notre-Dame de Longpont ; les abbayes de Saint-Martin de Poissy et de Saint-Martin de Pontoise au XIIe ; l'abbaye de Juziers, de Saint-Corentin-sur-Septeuil, des Vaux-de-Cernay, de Gif, de Port-Royal, et enfin l'abbaye de Maubuisson, près de Pontoise, en 1236 ; les dominicains de Poissy en 1304 ; les célestins de Limay en 1376, ceux de Marcoussis en 1409.

 
Toutes ces fondations indiquent une longue période de prospérité et de paix qui nous conduit jusqu'aux premières guerres des Anglais. Sous la conduite du roi Édouard, nous les voyons suivre la même route que les Normands, leurs ancêtres ; ils remontent le cours de la Seine, et jusqu'à Poissy tout est mis à feu et à sang sur leur passage.

 
La triste histoire du roi Jean, celle de Charles V, la démence de Charles VI, la minorité de Charles VII rappellent les désastres de la patrie, encore présents à toutes les mémoires ; la France entière fut frappée, mais aucune de nos provinces ne le fut aussi cruellement que l'Ile-de-France ; les invasions anglaises étaient périodiques, et quand cette malheureuse contrée avait par hasard échappé aux dévastations de leur arrivée, elle avait à subir leurs exactions ou leur vengeance au retour ; l'histoire de chaque année est la même et peut se résumer dans les mêmes mots : sac, pillage, incendie.

 
« Après l'invasion de 1360, de Mantes à Paris, dit un chroniqueur contemporain, il n'y avait plus un seul habitant ; » celle de 1370, commandée par le routier Robert Knolles, amena les Anglais jusqu'aux portes de Paris ; de son hôtel Saint-Paul, le roi pouvait voir les flammes allumées par l'ennemi. Un libérateur inespéré, Du Guesclin, sauva cette fois Paris et la France ; la rude leçon que le brave connétable breton avait donnée aux bandes de Robert Knolles les eût peut-être empêchées de songer de longtemps à de nouvelles attaques, si l'Anglais n'eût bientôt retrouvé dans nos discordes un encouragement à de nouvelles tentatives Armagnacs et Bourguignons se disputaient l'héritage de Charles VI vivant encore ; dans sa haine contre le dauphin, la reine Isabeau appela elle-même l'étranger ; le traité de Troyes livra la France à l'Angleterre.

 
La miraculeuse délivrance de la patrie, les combats, les victoires de Jeanne d'Arc, la vierge inspirée, cette épopée nationale appartient à d'autres pages de notre ouvrage ; nous sommes heureux cependant de pouvoir rattacher à ce grand événement de notre histoire la délivrance du pays de Seine-et-Oise. Charles VII avait été sacra ; à Reims en 1429, Paris avait été repris en 1436, les garnisons anglaises évacuèrent Pontoise en 1441 et Mantes en 1449.

 
Avant ces miraculeux succès, l'affaiblissement de la monarchie avait réveillé les prétentions des grands vassaux de la couronne ; il ne s'agissait plus des sires de Montmorency ou des comtes de Meulan, mais de ces grandes maisons enrichies par les alliances royales et à la tête desquelles marchaient les ducs de Bourgogne, de Berry et de Bretagne. Louis XI, malgré les ruses de sa politique, n'avait pu dissimuler son projet d'asseoir le trône de France sur la ruine de tous ces grands fiefs, éléments éternels de discorde et d'anarchie ; ses ennemis menacés prirent l'offensive et formèrent une ligue qu'ils appelèrent Ligue du bien public.

 
Le drame se dénoua encore dans le pays de Seine-et-Oise : le comte de Charolais, à la tête de 15 000 Flamands, rejoignit l'armée des ducs près de Montlhéry ; l'issue de la bataille fut incertaine, chacun des partis s'attribua la victoire ; Louis XI, selon son habitude, parut céder pour attendre une occasion meilleure ; le traité signé à Conflans donna Étampes et Montfort au duc de Bretagne, et au duc de Nemours le gouvernement de Paris et de l'Ile-de-France. Par mariages, alliances, extinctions de races, ou de haute lutte, et par confiscation sous Richelieu et Louis XIV, la monarchie devait bientôt rentrer en possession de ce qu'elle semblait alors abandonner ; nous suivrons, dans l'histoire particulière des villes, les progrès de ces revendications.

 
Les guerres religieuses du XVIe siècle, les troubles de la Fronde, les prétentions des Guises firent jaillir quelques étincelles des cendres de la féodalité ; mais désormais il n'y avait plus d'incendie sérieux a redouter pour la province de I'Ile-de-France, sur laquelle le roi de France régna sans interruption et sans conteste, même alors que Paris était au pouvoir des rebelles, grâce à quelques surprises qui n'eurent ni résultat ni durée.

 
Ce n'est point dire que le pays fût désormais à l'abri des agitations dont la France fut troublée ; plus, au contraire, son administration se rattachait directement et étroitement à la couronne, plus il ressentait vivement les secousses dont la royauté était atteinte. Nous constatons seulement son annexion définitive, à une époque où la possession de la plupart de nos provinces était encore incertaine et précaire. Au règne de Charles VIII se rattache le retour à la couronne du comté de Montfort-l'Amaury, qui fut une conséquence du mariage du roi avec Anne de Bretagne.


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Les départements-(histoire)-Val de Marne - 94 -



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(Région Ile-de-France)

 
C'est en 1968 que fut officiellement constitué le département du Val-de-Marne, composé de communes appartenant aux anciens départements de la Seine et de laSeine-et-Oise.

 
L'île étroite qui fut le berceau de Paris n'a dû paraître au-dessus des eaux du fleuve qu'après les révolutions géologiques dont la contrée fut le théâtre vers la fin de la période tertiaire et lorsque notre continent eut reçu à peu près sa configuration actuelle ; la série des siècles qui constituent la période quaternaire dessina ensuite, par la retraite des glaces et des eaux, les vallées et les plaines qui constituent le vaste bassin dont cette île, qui sortit de l'abaissement de la mer, occupe la partie centrale et forme aujourd'hui la Cité.

 
Elle faisait originairement partie d'un groupe de cinq îles dont trois ont été successivement supprimées par des travaux d'utilité générale. Une seule reste près de la première : c'est l'île Saint-Louis ou Notre-Dame. La surface du bassin de Paris est limitée sur une partie considérable de son contour par des collines plus ou moins élevées qui lui font une enceinte ; la Seine, qui coule au milieu, reçoit les eaux de la Bièvre, faible rivière qui a creusé une étroite vallée, et à l'est, en amont, la Marne vient joindre son cours à celui du fleuve.

 
Les observations géologiques faites dans le sol de ce bassin ainsi déterminé ont démontré que les eaux de l'Océan y séjournèrent à une époque inconnue : les huîtres, les coquilles, les oursins, les squelettes de poissons, les os de baleines, les dents de squales, les empreintes de plantes marines, etc., qu'on y a découverts démontrent d'une manière indubitable la présence et l'action prolongée des eaux de la mer en ces parages.

 
Quand celle-ci se retira, le fleuve dut s'étendre sur une surface considérable et y former des. dépôts fluvio-marins ; puis les alluvions s'entassèrent ; le dessèchement progressif créa des marais ; enfin la Seine et la Marne tracèrent leurs lits tels à peu près qu'on les voit aujourd'hui. Une végétation abondante, étrangère aux essences qui s'y trouvent maintenant, envahit le sol récemment découvert ; les animaux purent y vivre.

 
Notre grand Cuvier, à l'aide des ossements qu'ils ont laissés dans les carrières du bassin de Paris, a pu faire reparaître une quinzaine de quadrupèdes et d'oiseaux qui durent habiter cette contrée à cette époque reculée. L'homme y vint alors, et, pour défendre sa misérable existence, il dut disputer aux animaux féroces, lions, tigres, etc., dont on a retrouvé les restes, les cavernes qui leur servaient de retraites.

 
C'est à ce moment qu'apparaissent les premières traces d'industrie. L'exploitation des sables voisins du Champ-de-Mars a décelé la présence d'instruments de chasse en silex grossièrement taillé. Bientôt une industrie un peu plus avancée permit aux sauvages habitants des rives de la Seine de creuser des barques dans le tronc d'un arbre (on a retrouvé un de ces bateaux monoxyles dans les alluvions de l'île des Cygnes) ; le fleuve fut traversé et des cabanes de terre et de branchages établies dans l'île.

 
Des fouilles opérées dans l'ancien sol, en mettant à découvert des instruments de silex d'un travail plus perfectionné que ceux de l'époque antérieure, montrent que l'habitation de l'île de la Seine date d'une haute antiquité. Les monuments mégalithiques et les sépultures datant des époques antéhistoriques découvertes de nos jours au bois de Vincennes, à La Varenne-Saint-Hilaire, sur les bords de la Marne, sur ceux de la Seine à Paris, à Meudon, à Marly, auprès de Saint-Germain-en-Laye, à Argenteuil et jusqu'à l'embouchure de l'Oise, à Conflans-Sainte-Honorine, démontrent combien les hommes qui occupèrent alors le territoire qui devint plus lard celui des Parisii surent profiter des avantages que leur offrait la situation de la région qu'ils habitaient.

 
Des conquérants galls, celtes ou kymris se rendirent maîtres de cette région ; plus civilisée que celle dont elle était héritière, cette population nouvelle construisit des ponts qui rendirent faciles les communications entre l'île et les deux rives du fleuve ; elle cultivait le froment, l'orge et l'avoine et menait paître de nombreux troupeaux d'animaux domestiques dans les terrains de la rive gauche.

 
Quand César vint à l'assemblée des peuples de la Gaule convoqués par lui à Lutèce (tel était le nom de l'île de la Seine et de la bourgade qu'on y avait élevée), les habitants, descendus des Celtes, des Galls ou des Kymris, arrivés successivement d'Asie, faisaient partie d'un clan ou tribu dont l'auteur des Commentaires nomme les membres Parisii.

 
Le Moyen Age inventa une origine troyenne à ce nom devenu si célèbre : Francus, fils d'Hector, vint fonder Troyes en Champagne et une ville dans une île de la Seine à laquelle il appliqua pieusement le nom de son oncle Pâris ; l'imparfaite et puérile érudition de nos pères en fait d'étymologie était frappée d'une concordance de nom comme d'une preuve historique irréfragable. Troyes en Champagne et Paris en France devaient nécessairement dériver de la Troie de l'Iliade et du Pâris qui ravit Hélène.

 
Au XVIe siècle, une érudition grecque un peu plus avancée et le désir de trouver dans une étymologie la consécration d'un droit déjà bien cher à nos compatriotes firent imaginer que Paris venait du mot parrhisia, qui signifie le franc parler : « chose autant propre aux Parisiens qu'à nation quelconque, » comme dit le vieux moine octogénaire Du Breul, qui s'intitule avec tant de soin Parisien sur le titre de ses Antiquités de Paris, ainsi que l'avaient fait d'ailleurs Gilles Corrozet et Nicolas Bonfons, les premiers historiens de la grande cité.

 
L'opinion qui fait dériver le nom de notre capitale du celtique par ou bar, frontière, offre, à défaut de certitude, plus de vraisemblance. On suppose que les Parisii, originaires de la Belgique, vinrent se fixer sur les bords de la Seine après en avoir obtenu la permission des Senones ; ils se soumirent même, pour s'assurer la protection de celte nation puissante, à une certaine dépendance. Leur territoire, borné à une circonférence de dix à douze lieues, était enclavé entre les Silvanectes au nord, les Meldi à l'est, les Senones au sud-est, les Carnutes au sud-ouest.

 
Telle était la situation où César trouva les Parisii en l'an 54 avant Jésus-Christ. Lui-même raconte dans ses Commentaires qu'il convoqua dans leur ville une assemblée de chefs gaulois, desquels il obtint une levée de cavalerie. L'année suivante, une insurrection générale ayant éclaté, Labiénus se vit arrêter au confluent de la Seine et de la Marne par l'armée confédérée, sous les ordres du vieux Camulogène, chef des Aulerci.

 
Après avoir remonté le cours du fleuve pour s'emparer de Melun, il le redescendit, mais par la rive gauche, et vint camper sur le mont Leucotitius (montagne Sainte-Geneviève). C'est là que les Parisiens, après avoir mis le feu à leur ville, vinrent se réunir à l'armée gauloise que la marche du général romain avait forcée de se replier. Les Gaulois furent vaincus dans une bataille livrée dans les terrains qui se trouvent compris aujourd'hui entre lssy et Vaugirard. Camulogène fut tué dans l'action.

 
Quoique César présente les Parisii comme un peuple dont l'alliance lui est acquise, il est permis d'en douter lorsqu'on les voit fournir ensuite leur contingent à la grande armée de Vercingétorix ; faible contingent, à la vérité, et qui démontre leur peu d'importance. Réunis aux Pictaves, aux Turones et aux Suessiones, ils ne fournirent que huit mille hommes. La conquête des Gaules achevée, il ne fut plus question des Parisii, si ce n'est dans la distribution en provinces qui les rangea dans la Lyonnaise.

 
L'excellente position des Parisii, déjà remarquée par César, leur valut l'honneur de voir plusieurs empereurs habiter parmi eux, comme nous aurons occasion de le dire en parlant de Paris. L'importance que leur ville acquit se conserva sous les Francs vainqueurs, qui en firent une de leurs capitales. L'invasion austrasienne dépouilla les Parisii de cet honneur. Ils eurent simplement parmi eux des comtes, et leur territoire forma un comté qui dépendait du duché de France.

 
Gérard était comte de Paris en 759. Étienne, qui lui succéda, figure dans les capitulaires. Son successeur, Bigon ou Pécopin, épousa une fille de Louis le Débonnaire. Vers ce temps, les comtes de Paris devinrent héréditaires. C'est : Gérard II, qui se déclara pour Lothaire ; Conrad, que l'abbé Gozlin entraîna dans le parti de Louis le Germanique ; Odo ou Eudes, qui défendit si bien Paris en 885 et devint roi ; Robert, qui fut roi aussi ; Hugues le Grand, qui se contenta du titre de duc de France, et enfin Hugues Capet, qui fixa définitivement sur sa tête et sur celles de ses descendants la couronne royale en 987. Devenus depuis longtemps de grands personnages, les comtes de Paris se déchargeaient sur des vicomtes de l'administration particulière de la ville. Dès l'an 900, nous trouvons un vicomte de Paris, Grimoard.

 
A partir de la révolution de 987, qui assura à Paris le rang de capitale de la France future, l'histoire du comté de Paris se confond avec celle du royaume entier. Nous arrêtons donc nécessairement ici ce que nous avons à dire en général du département de la Seine, dont l'histoire se retrouvera dans celle de Paris et des localités qui l'entourent, nous bornant à signaler l'héroïque patriotisme dont notre banlieue donna plus d'une fois l'exemple, principalement en 1814 et 1815, à la barrière Clichy et sur les huttes Chaumont.

 
Toutefois, nous ne pouvons nous dispenser de dire un mot des terribles événements dont le département de la Seine a été théâtre et victime durant la guerre franco-allemande de 1870-1871. Dès le 5 septembre 1870, à l'approche des troupes ennemies, des commencements de fortifications avaient été ordonnés aux alentours de Paris ; mais on avait malheureusement négligé le plateau de Châtillon, qui domine le fort d'Issy et où les Prussiens devaient plus tard .établir de formidables batteries pour cette oeuvre odieuse du bombardement. de la capitale, devant laquelle leur haine envieuse ne devait pas reculer.

 
Le 16 septembre, la marche des corps composant les deux armées allemandes chargées des opérations contre Paris se dessinant de plus en plus, un mouvement d'émigration se prononce, en même temps qu'un mouvement en sens inverse se produit. L'investissement, commencé le 18, continue le 19 et est complet le 21. L'implacable blocus devait durer près de cinq mois. On conçoit quel dut être le sort des malheureux habitants de la banlieue parisienne qui n'avaient pas abandonné leurs foyers devant le flot de l'invasion.

 
On sait aussi quelles ruines amoncelèrent les soldats allemands autour de la ville assiégée ; mais il est difficile de raconter les souffrances de tout genre qu'endura la population qui y vécut enfermée durant ce long espace de temps. Pourtant, au cours de l'article que nous consacrons ci-dessous à Paris, nous dirons les douloureuses péripéties de ce siège mémorable, ainsi que les combats qui eurent lieu aux environs de la place.

 
Parmi les départements envahis, le département de la Seine est celui qui eut le plus à souffrir ; ses pertes se sont élevées à la somme énorme de 269 496 022 francs.


Les départements-(histoire)-Seine-Saint-Denis - 93 -





Histoire des départements en France F5a06e8c


(Région Ile-de-France)

 
 
C'est en 1968 que fut officiellement constitué le département de la Seine-Saint-Denis, composé de communes appartenant aux anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise.
 
L'île étroite qui fut le berceau de Paris n'a dû paraître au-dessus des eaux du fleuve qu'après les révolutions géologiques dont la contrée fut le théâtre vers la fin de la période tertiaire et lorsque notre continent eut reçu à peu près sa configuration actuelle ; la série des siècles qui constituent la période quaternaire dessina ensuite, par la retraite des glaces et des eaux, les vallées et les plaines qui constituent le vaste bassin dont cette île, qui sortit de l'abaissement de la mer, occupe la partie centrale et forme aujourd'hui la Cité.
 
Elle faisait originairement partie d'un groupe de cinq îles dont trois ont été successivement supprimées par des travaux d'utilité générale. Une seule reste près de la première : c'est l'île Saint-Louis ou Notre-Dame. La surface du bassin de Paris est limitée sur une partie considérable de son contour par des collines plus ou moins élevées qui lui font une enceinte ; la Seine, qui coule au milieu, reçoit les eaux de la Bièvre, faible rivière qui a creusé une étroite vallée, et à l'est, en amont, la Marne vient joindre son cours à celui du fleuve.
 
Les observations géologiques faites dans le sol de ce bassin ainsi déterminé ont démontré que les eaux de l'Océan y séjournèrent à une époque inconnue : les huîtres, les coquilles, les oursins, les squelettes de poissons, les os de baleines, les dents de squales, les empreintes de plantes marines, etc., qu'on y a découverts démontrent d'une manière indubitable la présence et l'action prolongée des eaux de la mer en ces parages.
 
Quand celle-ci se retira, le fleuve dut s'étendre sur une surface considérable et y former des. dépôts fluvio-marins ; puis les alluvions s'entassèrent ; le dessèchement progressif créa des marais ; enfin la Seine et la Marne tracèrent leurs lits tels à peu près qu'on les voit aujourd'hui. Une végétation abondante, étrangère aux essences qui s'y trouvent maintenant, envahit le sol récemment découvert ; les animaux purent y vivre.
 
Notre grand Cuvier, à l'aide des ossements qu'ils ont laissés dans les carrières du bassin de Paris, a pu faire reparaître une quinzaine de quadrupèdes et d'oiseaux qui durent habiter cette contrée à cette époque reculée. L'homme y vint alors, et, pour défendre sa misérable existence, il dut disputer aux animaux féroces, lions, tigres, etc., dont on a retrouvé les restes, les cavernes qui leur servaient de retraites.
 
C'est à ce moment qu'apparaissent les premières traces d'industrie. L'exploitation des sables voisins du Champ-de-Mars a décelé la présence d'instruments de chasse en silex grossièrement taillé. Bientôt une industrie un peu plus avancée permit aux sauvages habitants des rives de la Seine de creuser des barques dans le tronc d'un arbre (on a retrouvé un de ces bateaux monoxyles dans les alluvions de l'île des Cygnes) ; le fleuve fut traversé et des cabanes de terre et de branchages établies dans l'île.
 
Des fouilles opérées dans l'ancien sol, en mettant à découvert des instruments de silex d'un travail plus perfectionné que ceux de l'époque antérieure, montrent que l'habitation de l'île de la Seine date d'une haute antiquité. Les monuments mégalithiques et les sépultures datant des époques antéhistoriques découvertes de nos jours au bois de Vincennes, à La Varenne-Saint-Hilaire, sur les bords de la Marne, sur ceux de la Seine à Paris, à Meudon, à Marly, auprès de Saint-Germain-en-Laye, à Argenteuil et jusqu'à l'embouchure de l'Oise, à Conflans-Sainte-Honorine, démontrent combien les hommes qui occupèrent alors le territoire qui devint plus lard celui des Parisii surent profiter des avantages que leur offrait la situation de la région qu'ils habitaient.
 
Des conquérants galls, celtes ou kymris se rendirent maîtres de cette région ; plus civilisée que celle dont elle était héritière, cette population nouvelle construisit des ponts qui rendirent faciles les communications entre l'île et les deux rives du fleuve ; elle cultivait le froment, l'orge et l'avoine et menait paître de nombreux troupeaux d'animaux domestiques dans les terrains de la rive gauche.
 
Quand César vint à l'assemblée des peuples de la Gaule convoqués par lui à Lutèce (tel était le nom de l'île de la Seine et de la bourgade qu'on y avait élevée), les habitants, descendus des Celtes, des Galls ou des Kymris, arrivés successivement d'Asie, faisaient partie d'un clan ou tribu dont l'auteur des Commentaires nomme les membres Parisii.
 
Le Moyen Age inventa une origine troyenne à ce nom devenu si célèbre : Francus, fils d'Hector, vint fonder Troyes en Champagne et une ville dans une île de la Seine à laquelle il appliqua pieusement le nom de son oncle Pâris ; l'imparfaite et puérile érudition de nos pères en fait d'étymologie était frappée d'une concordance de nom comme d'une preuve historique irréfragable. Troyes en Champagne et Paris en France devaient nécessairement dériver de la Troie de l'Iliade et du Pâris qui ravit Hélène.
 
Au XVIe siècle, une érudition grecque un peu plus avancée et le désir de trouver dans une étymologie la consécration d'un droit déjà bien cher à nos compatriotes firent imaginer que Paris venait du mot parrhisia, qui signifie le franc parler : « chose autant propre aux Parisiens qu'à nation quelconque, » comme dit le vieux moine octogénaire Du Breul, qui s'intitule avec tant de soin Parisien sur le titre de ses Antiquités de Paris, ainsi que l'avaient fait d'ailleurs Gilles Corrozet et Nicolas Bonfons, les premiers historiens de la grande cité.
 
L'opinion qui fait dériver le nom de notre capitale du celtique par ou bar, frontière, offre, à défaut de certitude, plus de vraisemblance. On suppose que les Parisii, originaires de la Belgique, vinrent se fixer sur les bords de la Seine après en avoir obtenu la permission des Senones ; ils se soumirent même, pour s'assurer la protection de celte nation puissante, à une certaine dépendance. Leur territoire, borné à une circonférence de dix à douze lieues, était enclavé entre les Silvanectes au nord, les Meldi à l'est, les Senones au sud-est, les Carnutes au sud-ouest.
 
Telle était la situation où César trouva les Parisii en l'an 54 avant Jésus-Christ. Lui-même raconte dans ses Commentaires qu'il convoqua dans leur ville une assemblée de chefs gaulois, desquels il obtint une levée de cavalerie. L'année suivante, une insurrection générale ayant éclaté, Labiénus se vit arrêter au confluent de la Seine et de la Marne par l'armée confédérée, sous les ordres du vieux Camulogène, chef des Aulerci.
 
Après avoir remonté le cours du fleuve pour s'emparer de Melun, il le redescendit, mais par la rive gauche, et vint camper sur le mont Leucotitius (montagne Sainte-Geneviève). C'est là que les Parisiens, après avoir mis le feu à leur ville, vinrent se réunir à l'armée gauloise que la marche du général romain avait forcée de se replier. Les Gaulois furent vaincus dans une bataille livrée dans les terrains qui se trouvent compris aujourd'hui entre lssy et Vaugirard. Camulogène fut tué dans l'action.
 
Quoique César présente les Parisii comme un peuple dont l'alliance lui est acquise, il est permis d'en douter lorsqu'on les voit fournir ensuite leur contingent à la grande armée de Vercingétorix ; faible contingent, à la vérité, et qui démontre leur peu d'importance. Réunis aux Pictaves, aux Turones et aux Suessiones, ils ne fournirent que huit mille hommes. La conquête des Gaules achevée, il ne fut plus question des Parisii, si ce n'est dans la distribution en provinces qui les rangea dans la Lyonnaise.
 
L'excellente position des Parisii, déjà remarquée par César, leur valut l'honneur de voir plusieurs empereurs habiter parmi eux, comme nous aurons occasion de le dire en parlant de Paris. L'importance que leur ville acquit se conserva sous les Francs vainqueurs, qui en firent une de leurs capitales. L'invasion austrasienne dépouilla les Parisii de cet honneur. Ils eurent simplement parmi eux des comtes, et leur territoire forma un comté qui dépendait du duché de France.
 
Gérard était comte de Paris en 759. Étienne, qui lui succéda, figure dans les capitulaires. Son successeur, Bigon ou Pécopin, épousa une fille de Louis le Débonnaire. Vers ce temps, les comtes de Paris devinrent héréditaires. C'est : Gérard II, qui se déclara pour Lothaire ; Conrad, que l'abbé Gozlin entraîna dans le parti de Louis le Germanique ; Odo ou Eudes, qui défendit si bien Paris en 885 et devint roi ; Robert, qui fut roi aussi ; Hugues le Grand, qui se contenta du titre de duc de France, et enfin Hugues Capet, qui fixa définitivement sur sa tête et sur celles de ses descendants la couronne royale en 987. Devenus depuis longtemps de grands personnages, les comtes de Paris se déchargeaient sur des vicomtes de l'administration particulière de la ville. Dès l'an 900, nous trouvons un vicomte de Paris, Grimoard.
 
A partir de la révolution de 987, qui assura à Paris le rang de capitale de la France future, l'histoire du comté de Paris se confond avec celle du royaume entier. Nous arrêtons donc nécessairement ici ce que nous avons à dire en général du département de la Seine, dont l'histoire se retrouvera dans celle de Paris et des localités qui l'entourent, nous bornant à signaler l'héroïque patriotisme dont notre banlieue donna plus d'une fois l'exemple, principalement en 1814 et 1815, à la barrière Clichy et sur les huttes Chaumont.
 
Toutefois, nous ne pouvons nous dispenser de dire un mot des terribles événements dont le département de la Seine a été théâtre et victime durant la guerre franco-allemande de 1870-1871. Dès le 5 septembre 1870, à l'approche des troupes ennemies, des commencements de fortifications avaient été ordonnés aux alentours de Paris ; mais on avait malheureusement négligé le plateau de Châtillon, qui domine le fort d'Issy et où les Prussiens devaient plus tard .établir de formidables batteries pour cette oeuvre odieuse du bombardement. de la capitale, devant laquelle leur haine envieuse ne devait pas reculer.
 
Le 16 septembre, la marche des corps composant les deux armées allemandes chargées des opérations contre Paris se dessinant de plus en plus, un mouvement d'émigration se prononce, en même temps qu'un mouvement en sens inverse se produit. L'investissement, commencé le 18, continue le 19 et est complet le 21. L'implacable blocus devait durer près de cinq mois. On conçoit quel dut être le sort des malheureux habitants de la banlieue parisienne qui n'avaient pas abandonné leurs foyers devant le flot de l'invasion.
 
On sait aussi quelles ruines amoncelèrent les soldats allemands autour de la ville assiégée ; mais il est difficile de raconter les souffrances de tout genre qu'endura la population qui y vécut enfermée durant ce long espace de temps. Pourtant, au cours de l'article que nous consacrons ci-dessous à Paris, nous dirons les douloureuses péripéties de ce siège mémorable, ainsi que les combats qui eurent lieu aux environs de la place.
 
Parmi les départements envahis, le département de la Seine est celui qui eut le plus à souffrir ; ses pertes se sont élevées à la somme énorme de 269 496 022 francs.

Les départements-(histoire)-Hauts-de-Seine - 92 -

Histoire des départements en France 72ee61a8
(Région Ile-de-France)
 
C'est en 1968 que fut officiellement constitué le département des Hauts-de-Seine, composé de communes appartenant aux anciens départements de la Seine et de laSeine-et-Oise.
 
L'île étroite qui fut le berceau de Paris n'a dû paraître au-dessus des eaux du fleuve qu'après les révolutions géologiques dont la contrée fut le théâtre vers la fin de la période tertiaire et lorsque notre continent eut reçu à peu près sa configuration actuelle ; la série des siècles qui constituent la période quaternaire dessina ensuite, par la retraite des glaces et des eaux, les vallées et les plaines qui constituent le vaste bassin dont cette île, qui sortit de l'abaissement de la mer, occupe la partie centrale et forme aujourd'hui la Cité.
 
Elle faisait originairement partie d'un groupe de cinq îles dont trois ont été successivement supprimées par des travaux d'utilité générale. Une seule reste près de la première : c'est l'île Saint-Louis ou Notre-Dame. La surface du bassin de Paris est limitée sur une partie considérable de son contour par des collines plus ou moins élevées qui lui font une enceinte ; la Seine, qui coule au milieu, reçoit les eaux de la Bièvre, faible rivière qui a creusé une étroite vallée, et à l'est, en amont, la Marne vient joindre son cours à celui du fleuve.
 
Les observations géologiques faites dans le sol de ce bassin ainsi déterminé ont démontré que les eaux de l'Océan y séjournèrent à une époque inconnue : les huîtres, les coquilles, les oursins, les squelettes de poissons, les os de baleines, les dents de squales, les empreintes de plantes marines, etc., qu'on y a découverts démontrent d'une manière indubitable la présence et l'action prolongée des eaux de la mer en ces parages.
 
Quand celle-ci se retira, le fleuve dut s'étendre sur une surface considérable et y former des. dépôts fluvio-marins ; puis les alluvions s'entassèrent ; le dessèchement progressif créa des marais ; enfin la Seine et la Marne tracèrent leurs lits tels à peu près qu'on les voit aujourd'hui. Une végétation abondante, étrangère aux essences qui s'y trouvent maintenant, envahit le sol récemment découvert ; les animaux purent y vivre.
 
Notre grand Cuvier, à l'aide des ossements qu'ils ont laissés dans les carrières du bassin de Paris, a pu faire reparaître une quinzaine de quadrupèdes et d'oiseaux qui durent habiter cette contrée à cette époque reculée. L'homme y vint alors, et, pour défendre sa misérable existence, il dut disputer aux animaux féroces, lions, tigres, etc., dont on a retrouvé les restes, les cavernes qui leur servaient de retraites.
C'est à ce moment qu'apparaissent les premières traces d'industrie. L'exploitation des sables voisins du Champ-de-Mars a décelé la présence d'instruments de chasse en silex grossièrement taillé. Bientôt une industrie un peu plus avancée permit aux sauvages habitants des rives de la Seine de creuser des barques dans le tronc d'un arbre (on a retrouvé un de ces bateaux monoxyles dans les alluvions de l'île des Cygnes) ; le fleuve fut traversé et des cabanes de terre et de branchages établies dans l'île.
 
Des fouilles opérées dans l'ancien sol, en mettant à découvert des instruments de silex d'un travail plus perfectionné que ceux de l'époque antérieure, montrent que l'habitation de l'île de la Seine date d'une haute antiquité. Les monuments mégalithiques et les sépultures datant des époques antéhistoriques découvertes de nos jours au bois de Vincennes, à La Varenne-Saint-Hilaire, sur les bords de la Marne, sur ceux de la Seine à Paris, à Meudon, à Marly, auprès de Saint-Germain-en-Laye, à Argenteuil et jusqu'à l'embouchure de l'Oise, à Conflans-Sainte-Honorine, démontrent combien les hommes qui occupèrent alors le territoire qui devint plus lard celui des Parisii surent profiter des avantages que leur offrait la situation de la région qu'ils habitaient.
 
Des conquérants galls, celtes ou kymris se rendirent maîtres de cette région ; plus civilisée que celle dont elle était héritière, cette population nouvelle construisit des ponts qui rendirent faciles les communications entre l'île et les deux rives du fleuve ; elle cultivait le froment, l'orge et l'avoine et menait paître de nombreux troupeaux d'animaux domestiques dans les terrains de la rive gauche.
 
Quand César vint à l'assemblée des peuples de la Gaule convoqués par lui à Lutèce (tel était le nom de l'île de la Seine et de la bourgade qu'on y avait élevée), les habitants, descendus des Celtes, des Galls ou des Kymris, arrivés successivement d'Asie, faisaient partie d'un clan ou tribu dont l'auteur des Commentaires nomme les membres Parisii.
 
Le Moyen Age inventa une origine troyenne à ce nom devenu si célèbre : Francus, fils d'Hector, vint fonder Troyes en Champagne et une ville dans une île de la Seine à laquelle il appliqua pieusement le nom de son oncle Pâris ; l'imparfaite et puérile érudition de nos pères en fait d'étymologie était frappée d'une concordance de nom comme d'une preuve historique irréfragable. Troyes en Champagne et Paris en France devaient nécessairement dériver de la Troie de l'Iliade et du Pâris qui ravit Hélène.
 
Au XVIe siècle, une érudition grecque un peu plus avancée et le désir de trouver dans une étymologie la consécration d'un droit déjà bien cher à nos compatriotes firent imaginer que Paris venait du mot parrhisia, qui signifie le franc parler : « chose autant propre aux Parisiens qu'à nation quelconque, » comme dit le vieux moine octogénaire Du Breul, qui s'intitule avec tant de soin Parisien sur le titre de ses Antiquités de Paris, ainsi que l'avaient fait d'ailleurs Gilles Corrozet et Nicolas Bonfons, les premiers historiens de la grande cité.
 
L'opinion qui fait dériver le nom de notre capitale du celtique par ou bar, frontière, offre, à défaut de certitude, plus de vraisemblance. On suppose que les Parisii, originaires de la Belgique, vinrent se fixer sur les bords de la Seine après en avoir obtenu la permission des Senones ; ils se soumirent même, pour s'assurer la protection de celte nation puissante, à une certaine dépendance. Leur territoire, borné à une circonférence de dix à douze lieues, était enclavé entre les Silvanectes au nord, les Meldi à l'est, les Senones au sud-est, les Carnutes au sud-ouest.
 
Telle était la situation où César trouva les Parisii en l'an 54 avant Jésus-Christ. Lui-même raconte dans ses Commentaires qu'il convoqua dans leur ville une assemblée de chefs gaulois, desquels il obtint une levée de cavalerie. L'année suivante, une insurrection générale ayant éclaté, Labiénus se vit arrêter au confluent de la Seine et de la Marne par l'armée confédérée, sous les ordres du vieux Camulogène, chef des Aulerci.
 
Après avoir remonté le cours du fleuve pour s'emparer de Melun, il le redescendit, mais par la rive gauche, et vint camper sur le mont Leucotitius (montagne Sainte-Geneviève). C'est là que les Parisiens, après avoir mis le feu à leur ville, vinrent se réunir à l'armée gauloise que la marche du général romain avait forcée de se replier. Les Gaulois furent vaincus dans une bataille livrée dans les terrains qui se trouvent compris aujourd'hui entre lssy et Vaugirard. Camulogène fut tué dans l'action.
 
Quoique César présente les Parisii comme un peuple dont l'alliance lui est acquise, il est permis d'en douter lorsqu'on les voit fournir ensuite leur contingent à la grande armée de Vercingétorix ; faible contingent, à la vérité, et qui démontre leur peu d'importance. Réunis aux Pictaves, aux Turones et aux Suessiones, ils ne fournirent que huit mille hommes. La conquête des Gaules achevée, il ne fut plus question des Parisii, si ce n'est dans la distribution en provinces qui les rangea dans la Lyonnaise.
 
L'excellente position des Parisii, déjà remarquée par César, leur valut l'honneur de voir plusieurs empereurs habiter parmi eux, comme nous aurons occasion de le dire en parlant de Paris. L'importance que leur ville acquit se conserva sous les Francs vainqueurs, qui en firent une de leurs capitales. L'invasion austrasienne dépouilla les Parisii de cet honneur. Ils eurent simplement parmi eux des comtes, et leur territoire forma un comté qui dépendait du duché de France.
 
Gérard était comte de Paris en 759. Étienne, qui lui succéda, figure dans les capitulaires. Son successeur, Bigon ou Pécopin, épousa une fille de Louis le Débonnaire. Vers ce temps, les comtes de Paris devinrent héréditaires. C'est : Gérard II, qui se déclara pour Lothaire ; Conrad, que l'abbé Gozlin entraîna dans le parti de Louis le Germanique ; Odo ou Eudes, qui défendit si bien Paris en 885 et devint roi ; Robert, qui fut roi aussi ; Hugues le Grand, qui se contenta du titre de duc de France, et enfin Hugues Capet, qui fixa définitivement sur sa tête et sur celles de ses descendants la couronne royale en 987. Devenus depuis longtemps de grands personnages, les comtes de Paris se déchargeaient sur des vicomtes de l'administration particulière de la ville. Dès l'an 900, nous trouvons un vicomte de Paris, Grimoard.
 
A partir de la révolution de 987, qui assura à Paris le rang de capitale de la France future, l'histoire du comté de Paris se confond avec celle du royaume entier. Nous arrêtons donc nécessairement ici ce que nous avons à dire en général du département de la Seine, dont l'histoire se retrouvera dans celle de Paris et des localités qui l'entourent, nous bornant à signaler l'héroïque patriotisme dont notre banlieue donna plus d'une fois l'exemple, principalement en 1814 et 1815, à la barrière Clichy et sur les huttes Chaumont.
 
Toutefois, nous ne pouvons nous dispenser de dire un mot des terribles événements dont le département de la Seine a été théâtre et victime durant la guerre franco-allemande de 1870-1871. Dès le 5 septembre 1870, à l'approche des troupes ennemies, des commencements de fortifications avaient été ordonnés aux alentours de Paris ; mais on avait malheureusement négligé le plateau de Châtillon, qui domine le fort d'Issy et où les Prussiens devaient plus tard .établir de formidables batteries pour cette oeuvre odieuse du bombardement. de la capitale, devant laquelle leur haine envieuse ne devait pas reculer.
 
Le 16 septembre, la marche des corps composant les deux armées allemandes chargées des opérations contre Paris se dessinant de plus en plus, un mouvement d'émigration se prononce, en même temps qu'un mouvement en sens inverse se produit. L'investissement, commencé le 18, continue le 19 et est complet le 21. L'implacable blocus devait durer près de cinq mois. On conçoit quel dut être le sort des malheureux habitants de la banlieue parisienne qui n'avaient pas abandonné leurs foyers devant le flot de l'invasion.
 
On sait aussi quelles ruines amoncelèrent les soldats allemands autour de la ville assiégée ; mais il est difficile de raconter les souffrances de tout genre qu'endura la population qui y vécut enfermée durant ce long espace de temps. Pourtant, au cours de l'article que nous consacrons ci-dessous à Paris, nous dirons les douloureuses péripéties de ce siège mémorable, ainsi que les combats qui eurent lieu aux environs de la place.
 
Parmi les départements envahis, le département de la Seine est celui qui eut le plus à souffrir ; ses pertes se sont élevées à la somme énorme de 269 496 022 francs.
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Partie 2
 
(Région Ile-de-France)
 
Jusqu'à la Révolution de 1789, il était compris dans le gouvernement de l'lle-de-France ; on y comptait, sous le rapport judiciaire, les prévôtés royales de Poissy, Montlhéry, Corbeil, Arpajon, Gonesse, qui toutes relevaient des prévôté et. vicomté de Paris ; puis venaient : le bailliage et présidial de Mantes, les bailliages simples de Montfort-l'Amaury et d'Étampes, les bailliage et prévôté de Pontoise, etc. Le ressort de ces juridictions était plus ou moins étendu. La coutume de Paris les régissait presque toutes, à l'exception des paroisses du bailliage de Pontoise, qui suivaient les unes la coutume de Senlis et les autres celle du Vexin français.
 
Sous le rapport financier, le département était de la généralité de Paris, et on y comptait les élections d'Étampes, Mantes, Montfort-l'Amaury et Pontoise. Corbeil, Versailles, Saint-Germain et leurs dépendances étalent de l'élection de Paris. Des gouverneurs royaux commandaient dans les principales villes qui étaient du domaine de la couronne.
 
Le département, formé en 1790 par l'Assemblée nationale dans un sentiment de défiance contre Paris qu'elle craignait de rendre trop redoutable au reste de la France, fut alors divisé en 9 districts administratifs et judiciaires : Versailles, Montlhéry, Mantes, Pontoise, Dourdan, Montfort-l'Amaury, Étampes, Corbeil et Gonesse. L'organisation impériale de 1804, qui a prévalu jusqu'à nos jours, le partagea en 5 arrondissements : Versailles, chef-lieu ; Corbeil, Étampes, Mantes et Pontoise.
 
En 1811, Rambouillet fut érigé en 6e arrondissement, pour la formation duquel on prit sur ceux d'Étampes et de Versailles ; ces 6 arrondissements se subdivisent en 36 cantons, comprenant chacun en moyenne 19 communes. Le Concordat de 1801 a établi a Versailles un évêché, qui étend sa juridiction sur tout le département.
 
Il serait difficile de caractériser la population de Seine-et-Oise ; la diversité de race de ses anciens habitants a été remplacée par la variété des travaux, la différence des positions, l'inégalité des fortunes ; de même que le sol se prête à tous les genres de culture, le génie des habitants s'est plié à toute espèce d'industrie : l'usine y touche à là ferme, la chaumière du vigneron au château du banquier millionnaire.
 
Seine-et-Oise est à la fois, et le jardin de Paris et là succursale de ses manufactures ; le campagnard ne travaille qu'en vue de Paris, qui consomme et qui achète ; il y a toujours au bout des rêves du Parisien un point des riants paysages de l'Ile-de-France, comme but de sa promenade des dimanches, comme retraite promise aux loisirs de sa vieillesse ; ces rapports étroits, intimes, ce frottement continuel, ont donné au paysan de Seine-et-Oise un caractère qui n'est déjà plus celui du campagnard et qui cependant n'est pas encore celui du citadin ; ce type nouveau, que la rapidité des communications développe de jour en jour, mériterait une étude plus approfondie que ne le comporte le cadre de cet ouvrage ; il nous appartenait seulement d'en signaler l'apparition, qui n'est nulle part plus. sensible que dans cette contrée.
 
Que nous reste-t-il à dire après tout ce qui a été écrit sur les sites délicieux de ce pays ? Quel est celui de ses bois, de ses coteaux ou de ses vallons qui n'ait eu ses peintres, ses historiens, ses poètes ? A ces tableaux, qui sont encore devant tous les yeux, à ces descriptions qui sont dans toutes les mémoires, nous n'ajouterons qu'un mot, c'est que ni l'inspiration des uns ni l'enthousiasme des autres n'a exagéré les gracieuses merveilles de la réalité; c'est que, malgré tout ce qu'ont pu ajouter aux délices du paysage les fantaisies du luxe, les ressources de l'art, les magnificences des rois, on peut dire que pour lui la nature avait fait plus encore.
 
Durant la guerre franco-allemande de 1870-1871, le département de Seine-et-Oise fut, parmi les départements qui subirent alors les douleurs et les hontes de l'invasion, un de ceux qui eurent le plus à souffrir. La situation de son territoire, qui enveloppe Paris de tous les côtés, l'exposait plus que tout autre au danger ; en effet, aussitôt après la lamentable défaite à Sedan, dès le 4 septembre, la capitale de la France devenait l'objectif des Allemands : la IIIe armée, celle du prince royal de Prusse, moins les Bavarois, se mettait en marche dans cette direction.
 
Le 12 septembre, deux éclaireurs sont aperçus à Ablon, dans le canton de Longjumeau; le 15, des cavaliers se montrent à Draveil; le 16, dès le matin, des troupes de toutes armes, venues de Lagny et de Brie-Comte-Robert, inondent le canton de Boissy-Saint-Léger et se massent dans la plaine de Vigneux. A ce moment, Paris était prêt d'être investi : la IIIeet la IVe armée allemandes sont à deux marches de la capitale, dans la direction du nord-est et du nord-ouest : la 5e et la 6e division de cavalerie, chargées d'éclairer les colonnes, s'avancent vers Pontoise; le même jour, les Prussiens occupent la voie ferrée entre Ablon et Athis, puis ils descendent vers Mongeron.
 
Le 17, un pont de bateaux est jeté sur la Seine, près de Villeneuve-Saint-Georges, et une avant-garde de 1 000 hommes, appartenant au XIe corps bavarois, se présente dans le faubourg de Corbeil. Le 18 septembre, la 6e division de cavalerie, commandée par le duc de Mecklembourg (IVe armée) marche sur Poissy et y franchit la Seine; la 5e division de cavalerie occupe Pontoise ; le IVe corps atteint Le Mesnil-Amelot, entre Dammartin et Saint-Denis ; la brigade des uhlans de la garde attachée à ce corps marche sur Argenteuil, entre Saint-Denis et Pontoise; la garde se porte sur Thieux, entre Claye et Dammartin. Le XIIe corps (prince de Saxe) s'établit à Claye, en avant de Meaux et de Dammartin, tandis que la 2e division de cavalerie de la IIIe armée, celle du prince royal de Prusse, se dirige sur Sarlay, au sud de Paris, occupe la route qui y mène et se lie par Chevreuse avec la cavalerie du prince de Saxe ; le Ve corps de la même armée passe la Seine a Villeneuve-Saint-Georges (grande route de Melun à Paris) et s'avance jusqu'à Palaiseau ; le IIe corps bavarois marche sur Longjumeau, détachant une brigade à Montlhéry ; le VIe corps occupe Villeneuve-Saint-Georges et Brunoy.
Le quartier général de l'armée de la Meuse (ive armée) est à Saint-Souplet, entre Meaux et Dammartin, près de l'embranchement des routes, sur Paris, de Meaux, Nanteuil et Senlis. Celui de l'armée du prince royal (IIIe armée) s'établit à Saint-Germainlès-Corbeil, a la porte de Corbeil.
 
Le 19 septembre, le blocus est sur le point d'être complété par les deux armées allemandes; le seul côté moins fortement investi est l'espace compris en avant des forts de l'Est : la 6e division de cavalerie marche sur Chevreuse, la 5e sur Poissy; le IVe corps est à Argenteuil, la garde en avant de Pontoise ; le XIIe corps contourne Saint-Denis ; la 2e division de cavalerie, vers Chevreuse et Saclay, relie la droite de la lVe armée avec la gauche de la IIIe ; le Ve corps est a Versailles même et pousse ses avant-postes jusqu'à Sèvres et Saint-Cloud ; le IIe corps bavarois est près de l'Hay, vers Meudon jusqu'à la Bièvre ; le VIe corps est entre la Seine et la Bièvre, avec une brigade et deux escadrons sur la rive droite du fleuve et de forts avant-postes entre la Marne et la Seine.
 
Le 21 septembre, l'ennemi complète l'investissement de Paris sur un périmètre extérieur de près de 80 kilomètres ; il établit des communications télégraphiques directes reliant tous les quartiers généraux des divers corps d'armée par un fil électrique qui n'a pas moins de 150 kilomètres de développement.
 
A la date du 22 septembre, écrit Gustave Desjardins, le département de Seine-et-Oise avait sur son territoire environ 216 bataillons d'infanterie, 244 escadrons de cavalerie avec 774 canons. L'investissement de Paris était fait par 216 bataillons et 140 escadrons. Cet effectif varia peu durant le siège. Le Ier corps bavarois et la 22e division du XIe corps prussien furent détachés, le 6 octobre, et remplacés par le XIe corps prussien envoyé dans les premiers jours de novembre. Le IIe corps marcha vers l'est le 3 janvier ; mais le Ier corps bavarois revint occuper le canton de Boissy-Saint-Léger.
 
A l'extrême gauche de la Ille armée, la landwehr de la garde prussienne, rendue disponible par la prise de Strasbourg, avait pris position à Chatou, donnant la main à la IVearmée. L'ennemi put prendre ses positions sans rencontrer pour ainsi dire de résistance. Quelques échauffourées eurent lieu çà et là, sans autre résultat que de motiver les pillages et les exécutions sommaires.
 
On conçoit d'ailleurs qu'une pareille concentration de troupes sur un même point n'ait pu se faire sans un grand dommage et de grandes vexations pour les habitants, auxquels les menaces, les coups, la mort même ne furent pas épargnés. Les villes et les villages furent submergés par ce flot envahisseur qui ne cessait de grossir. Les soldats, dit Gustave Desjardins, pénètrent avec effraction dans les maisons fermées, s'installent par groupes, arrachent les habitants de leur lit.
 
A Verrières-le-Buisson, ils mettent leurs chevaux dans les boutiques et les rez-de-chaussée, pillent en masse les marchands de comestibles. Corbeil est écrasé : 90 000 hommes y passent en trois jours. Tout est envahi : magasins, maisons, églises ; dans le tribunal s'installe une boucherie.
A Versailles, les Allemands n'osent pas entrer dans les casernes qu'ils supposent minées et occupent les promenades. En un clin d'oeil, la ville du grand roi se transforme en campement de horde germanique. On n'entend plus que le bruit des patrouilles. et les cris rauques des sentinelles. Le 20 septembre, Saint-Germain est menacé de bombardement ; cinq bombes sont même lancées du Pecq sur cette ville.
 
Les faits militaires ont été peu nombreux dans le département de Seine-et-Oise, et cela se conçoit facilement, puisque l'armée régulière n'existait pas ; les gardes nationales étaient a peine armées et mal instruites ; les francs-tireurs seuls opposèrent de la résistance et quelquefois avec succès. Dans son expédition vers Mantes, la 5e division de cavalerie prussienne rencontre, après avoir brûlé Mézières, des francs-tireurs parisiens. Deux bataillons, sous les ordres du commandant de Faybel, traversent . Mantes, chassent les patrouilles prussiennes ; mais ils sont obligés de se retirer en combattant, par Écquevilly et Mareil-sur-Mauldre, sur Mantes, et de là à Vernon, devant des forces supérieures.
 
Dans l'arrondissement de Rambouillet, des paysans s'organisent en guérillas. Pour venir à bout de la résistance, le général de la 6e division de cavalerie prussienne ordonna une battue dans ce pays couvert de bois, et ses soldats se livrèrent à d'indignes cruautés contre des habitants inoffensifs.
 
Le 8 octobre, les Français attaquent les Prussiens et les Bavarois barricadés dans Ablis, près de Dourdan, et font, après une demi-heure de combat, 70 hussards prisonniers. Le lendemain, après le départ des francs-tireurs, une colonne ennemie envahit la commune, brise les portes et les fenêtres et la livre au pillage. A La Montignotte, près de Milly, le 28 septembre, quelques francs-tireurs unis à des gardes nationaux font éprouver des pertes sensibles à une colonne de 800 hommes envoyée de Melun pour châtier Milly.
 
A Parmain, commune de Jouy-le-Comte, dans le canton de L'Isle-Adam, des volontaires accourus de Pontoise, de Valmondois, de Méry, de Jouy-le-Comte et d'autres localités environnantes, unis à quelques francs-tireurs de la légion Mocquart, se barricadent et s'apprêtent a défendre énergiquement le passage de l'Oise. Le 27 septembre, à 10 heures du matin, quelques centaines de Prussiens, avec quatre pièces d'artillerie, essayent de s'emparer des barricades. Ne pouvant y parvenir, ils s'en prennent à la population de L'Isle-Adam. Le 29, à midi, 4 500 Prussiens sont dirigés sur Parmain, et une partie ayant réussi à passer l'Oise à Mours, tourne le village que les francs-tireurs ont le temps d'évacuer. Le 30, les Prussiens bombardaient Nesles et brûlaient Parmain.
 
Le chapitre des réquisitions exigées serait interminable, s'il fallait tout relater. Contentons-nous d'un court résumé. Huit jours après leur entrée dans le département, il n'était pas un village qui n'eût reçu la visite des Prussiens. On voyait d'abord paraître trois ou quatre cavaliers, sondant de l'œil tous les recoins du pays ; au premier bruit suspect, ils détalent au galop comme des daims effarouchés. Semble-t-on avoir peur, ils deviennent plus hardis, commencent par briser le télégraphe et intiment avec arrogance aux habitants l'ordre de combler les tranchées pratiquées dans les routes ; si une foule irritée les entoure, ils montrent beaucoup de modération et tâchent de se tirer de ce mauvais pas sans faire usage de leurs armes ; mais ils reviennent un instant après menaçants, soutenus par des forces imposantes. lis savent que leurs chefs veillent sur eux avec sollicitude, leur porteront secours à temps et feront payer cher le moindre attentat envers leurs personnes.
 
A Dourdan, on s'ameute contre des hussards ; un homme porte la main à la bride du cheval d'un officier. Le lendemain, un parlementaire signifie a la municipalité, que si pareille offense se renouvelle, la ville sera livrée aux flammes et les habitants pendus jusqu'au plus petit enfant, comme dans les guerres bibliques. A Poissy, le général Schmidt fait savoir que si la ville ne lui rend pas deux dragons pris par la garde nationale, elle sera bombardée et frappée d'une contribution de 200 000 francs...
 
Dans les campagnes, l'ennemi se contente de provisions de bouche ; dans les villes, il demande des couvertures, des matelas, des balais, des gants, des semelles, des fournitures de bureau, des objets de toilette, de l'amidon, du cirage, des bandages herniaires, des peaux de sanglier et de chevreuil, tout ce que sa fantaisie imagine. Le major de Colomb, commandant de place à Corbeil, entendant qualifier de riche en cuirs un paysan dont le langage est orné de liaisons superflues, saute sur une plume et s'empresse de libeller un ordre de livrer 60 peaux pour basaner les culottes de ses dragons : Ab uno disce omnes.
 
Certains officiers affectent une politesse exagérée, suivie aussitôt d'une menace froide ; d'autres, en arrivant, mettent le revolver au poing et parlent de tout tuer et brûler si l'on n'obéit sur-le-champ. A la plus petite objection, coups de cravache et coups de sabre pleuvent comme grêle... On n'a rien de mieux à faire que d'obéir et de les gorger de vin et d'avoine...
 
Pour les héros de l'Allemagne moderne, comme pour leurs aïeux les reîtres du XVIe siècle, la guerre est une franche lippée. Le majordome, préparant à Versailles les logements de la cour du roi de Prusse, veut contraindre le maire à violer le domicile d'un absent qui a dans sa cave des vins dignes de la taule de son maître. Dès les premiers jours d'octobre, ils sont entièrement nos maîtres ; la résistance a été partout comprimée avec une sauvage rigueur, et la terreur prussienne règne dans le département. On annonce l'arrivée à Versailles de Guillaume le Victorieux.
 
On pouvait espérer que l'arrivée du roi de Prusse mettrait fin aux exactions, aux réquisitions et aux vexations. M. de Brauchitsch, nommé préfet prussien de Seine-et-Oise, présenta, en effet, au conseil municipal de Versailles, convoqué pour entendre ses communications, le plus séduisant tableau des intentions de son auguste souverain. Mais ce n'était là qu'une déclaration platonique ; aux exactions et aux violences brutales des soldats allaient succéder des exactions et des violences hypocrites.
 
Dans son livre intitulé Versailles pendant l'occupation, E. Delérot écrit : « Nous avons pu juger par expérience comment la Prusse contemporaine entendait l'administration civile des pays occupés : le préfet de Brauchitsch est, à ce titre, un échantillon curieux de cupidité à étudier. Ses actes et ceux des subordonnés placés sous ses ordres sont d'autant plus intéressants qu'ils s'accomplissaient sous les yeux du roi, par conséquent avec son assentiment tacite. »
 
Le préfet prussien essaya d'abord de se servir de l'organisation française ; mais il se heurta au refus ou au mauvais vouloir des anciens employés qui, pour la plupart, ne voulurent pas reprendre leurs fonctions et s'y dérobèrent même par la fuite. Pour avoir des huissiers, le préfet dut les faire empoigner par les gendarmes. Ceci se passait à Versailles et fut d'un salutaire effet pour le reste du département. A Corbeil seulement, il fut possible aux Allemands de réorganiser le personnel de la sous-préfecture.
 
Devant la mauvaise volonté générale, le préfet prussien du département de Seine-et-Oise réorganisa l'administration sur la base du canton. Le maire du chef-lieu, investi de tous les pouvoirs, était chargé des communications avec l'autorité centrale, de la réparation des chemins, du service de la poste, de la perception des contributions. Le refus absolu était à peu près impossible ; car le préfet terminait son injonction par ces mots, dans le cas de non-acceptation : « Je me verrai obligé, contre mon gré, à en recourir à la force ; ce qui serait toujours regrettable. »
 
Les exactions, bien entendu, continuèrent de plus belle. Au mois de janvier 1871, M. de Brauchitsch « s'avisa que la perception des contributions indirectes était interrompue et voulut la remplacer. II ajouta à l'impôt foncier un supplément de 950 pour 100 ; mais il n'eut pas le temps d'en poursuivre partout le recouvrement ; toutefois, il extorqua ainsi, dans l'arrondissement de Versailles, près d'un million et demi. En arrivant, les Prussiens avaient frappé le département d'une contribution extraordinaire d'un million. D'autres exigences furent encore présentées ; elles prirent ; celles-la, la forme d'un emprunt forcé qui fournit 1 101 279 fr. »
 
Lors de son installation, le préfet prussien avait promis formellement que les réquisitions cesseraient ou du moins seraient payées. L'armée d'occupation parut ignorer complètement ces engagements, et la population de Seine-et-Oise ne trouva dans la présence de M. de Brauchistch qu'une aggravation à ses maux : elle dut payer l'impôt et fournir les réquisitions.
 
Les vexations et les réquisitions ne cessèrent même pas durant l'armistice, et le département de Seine-et-Oise ne fut délivré des hordes germaniques que le 12 mars 1871. Les pertes qu'il supporta s'élevèrent à la somme énorme de 146 500 930 fr. 12, la plus considérable après le département de la Seine.

Les départements-(histoire)- Essonne - 91 -

Histoire des départements en France 99df3410
(Région Ile-de-France)
 
C'est en 1968 que fut officiellement constitué le département de l'Essonne, composé exclusivement de communes appartenant à l'ancien département de la Seine-et-Oise.
 
Le département de Seine-et-Oise ; compris autrefois dans la province de l'Ile-de-France, n'a jamais eu plus d'unité que nous ne lui en voyons aujourd'hui ; bien avant les développements qu'a pris Paris comme capitale de la France, avant même que l'ancienne Lutèce eût acquis l'importance que lui donna la domination romaine, les habitants des contrées qui nous occupent étaient divisés en nations distinctes et souvent hostiles les unes aux autres.
 
Les rives de la Seine étaient occupées par les Parisii, peuplade adonnée à la navigation ; les Vellocasses étaient possesseurs de la partie septentrionale du département, qui s'étend entre l'Oise et la Seine, et qui fit plus tard partie du Vexin ; l'ouest appartenait aux Carnutes, dans un espace compris entre l'emplacement actuel de Mantes et le canton de Rambouillet ; enfin, toute la région méridionale, c'est-à-dire le territoire des arrondissements d'Étampes et de Corbeil, avait pour maîtres les Sénonais. Les immenses forêts qui s'étendaient à l'ouest protégeaient les mystères religieux des druides ; aussi leurs principaux collèges étaient-ils dans le pays des Carnutes. César rend hommage au caractère belliqueux de ces habitants de la Gaule celtique ; contre eux, il eut plus souvent recours aux ruses de la politique qu'à la force des armes.
 
Quand Vercingétorix fit appel au patriotisme gaulois, CarnutesSénonais et Parisii furent des plus ardents à se ranger sous ses ordres, et le département de Seine-et-Oise put compter, selon les récits de César lui-même, vingt mille de ses soldats parmi les premiers martyrs de l'indépendance nationale. La victoire définitive des Romains eut pour conséquence l'effacement des nationalités entre lesquelles se partageait le territoire ; de nouvelles délimitations furent tracées, de nouvelles dénominations furent imposées : jusqu'au IVe siècle, Lutèce et tout le territoire actuel de Seine-et-Oise firent partie de la quatrième Lyonnaise ou Sénonie.
 
Sur ce sol si profondément remué depuis, l'établissement de la domination romaine a laissé peu de traces ; nous savons cependant que des routes furent ouvertes pour le passage des légions ; Paris, que sa position fit adopter par les vainqueurs comme un des centres de leur gouvernement, a pu conserver quelques ruines des monuments de cette époque ; mais, dans le pays environnant, couvert de forêts profondes, habité par des populations aguerries et menaçantes, il convenait peu à la politique romaine d'encourager le développement des anciens bourgs ou l'établissement de villes nouvelles dont l'importance aurait réveillé les souvenirs et les espérances des nationalités vaincues.
 
Sur un sol aussi remué et fouillé que l'a été celui de Seine-et-Oise, on ne peut guère compter sur la conservation des monuments mégalithiques, celtiques et gallo-romains : Cependant on rencontre encore quelques-uns de ces monuments. On connaît, par exemple, les. dolmens de Meudon, les menhirs de Bruyères-le-Châtel ; le nom du village de Pierrefitte rappelle le souvenir d'un de ces monuments, et, près de Chars-en-Vexin, le docteur Bonnejoy a sauvé de la mise en moellons une autre pierre connue autrefois sous le nom de la Pierre qui tourne.
 
A Gency, on montre une pierre levée que l'on appelle dans le pays le Palet de Gargantua, la Pierre du Fouet ou la Pierre qui pousse, et, comme à la plupart des monuments de ce genre, la légende ne manque pas. A Jouy-le-Moutier, on en montre une autre. A Bougival et à La Celle-Saint-Cloud, à Marcoussis, sur la lisière du bois des Charmeaux, on a trouvé des débris de poteries et de tuiles de l'époque gallo-romaine.
Aux Mureaux, dans le canton de Meulan, Guégan a retrouvé des traces du séjour des populations préhistoriques. Au Pecq, à Marly, au lieu dit la Tour aux Païens, on a mis au jour des sépultures, des armes en silex, des poteries. Le dragages de la Seine, du Pecq à Conflans-Sainte-Honorine, a aussi fourni son contingent d'antiquités celtiques. A L'Étang-la-Ville, on a mis au jour, en 1878, un dolmen qui renfermait de nombreux ossements : on peut évaluer a cent cinquante le nombre des individus qui y avaient été enterrés.
 
A Mareil-Marly, dans la tranchée du chemin de fer de Grande-Ceinture, on a trouvé des vestiges romains qui font supposer que ce lieu était un poste de surveillance pour maintenir en respect les populations gauloises. Enfin, en pratiquant une tranchée pour le petit chemin de fer d'intérêt local de Beaumont (Seine-et-Oise) à Neuilly-en-Thelle (Oise), Guégan a trouvé, sur le territoire de la commune de Baines, un cimetière celto-gaulois, gallo-romain et mérovingien.
 
C'est dans les annales du christianisme qu'il faut chercher les seuls faits importants à recueillir pour l'histoire des quatre premiers siècles de notre ère. Saint Denis fut le premier des apôtres qui pénétra dans le pays des Parisii ; mais la date de son arrivée est incertaine et les détails de son martyre sont plutôt une sainte légende qu'une réalité historique. On cite, après lui, saint Nicaise, mort comme lui victime de son zèle apostolique ; quoique ses prédications datent du commencement du IVe siècle, certains auteurs disent qu'il fut martyrisé à Vadiniacum, aujourd'hui Gasny-sur-Epte ; d'autres assignent, comme théâtre a cet événement, Meulan, qui a choisi ce saint pour patron.
 
La piété des nouveaux chrétiens nous aurait conservé sans doute de précieux documents sur cette époque de transformation sociale, si l'invasion des barbares eût bouleversé moins profondément cette contrée de Lutèce où les proconsuls romains et l'empereur Julien en personne firent leurs dernières tentatives de résistance. C'est par la nuit et le silence qu'elles ont laissés derrière elles qu'on peut juger les ravages de ces invasions, qui passèrent sur la Gaule celtique comme un torrent.
 
Quelques points oubliés du territoire étaient encore restés sous la domination des Romains ; Clovis, à la tête des Francs, s'avance du nord sur la Gaule ravagée ; sa conversion à la foi nouvelle achève l'oeuvre de la conquête ; le flot des premiers barbares s'est écoulé ; rien ne subsiste plus de la puissance romaine ; un nouvel empire se fonde entre la Meuse et la Loire. Mais, à la mort du fondateur, déjà le nouvel empire se démembre, et notre département échoit en partie, avec la royauté de Paris, à Childebert, un des quatre fils de Clovis.
 
C'est de cette époque que commence à dater la notoriété historique de la plupart des villes de l'ancienne Ile-de-France ; mais hélas ! cette gloire fut chèrement payée : les divisions arbitraires des territoires, les rivalités des souverains furent, pendant les temps mérovingiens, la cause de guerres incessantes ; l'Ile-de-France semblait condamnée à être le champ clos où Neustrie et Austrasie venaient vider leurs sanglantes querelles.
 
Cependant, à côté du spectacle affligeant qu'offraient les déchirements des jeunes monarchies, l'histoire nous montre une puissance nouvelle grandissant dans le silence et la paix, s'enrichissant des présents du vainqueur et des dépouilles du vaincu : c'est la puissance des abbés ; dans leur ferveur de néophytes, les Mérovingiens avaient fondé et enrichi le monastère de Saint-Denis et celui de Saint-Germain-des-Prés ; l'exemple des maîtres avait été suivi par les leudes ou seigneurs ; au vine siècle, l'abbaye de Saint-Germain tenait en sa possession Palaiseau, Verrières, Jouy-en-Josas, La Celle-lès-Bordes, Gagny, Épinay-sur-Orge, La Celle-Saint-Cloud, Villeneuve-Saint-Georges, Mer-sang ; Le Coudray-sur-Seine, Maule et autres domaines de moindre importance ; et l'abbaye de Saint-Denis, maîtresse d'une grande partie du Vexin, était à la veille de voir inféodées ses pacifiques conquêtes, par un édit de Charlemagne, sous le titre de fendum sacrum sancti Dionysii.
 
Il faut reconnaître que, dans ces temps de barbarie, la domination ecclésiastique fut quelquefois moins dure pour le peuple que celle des leudes et .des rois, prenant à leurs vassaux leur sang dans la guerre, et le fruit de leur travail lorsqu'ils étaient en paix. Ce fut donc un bonheur pour cette époque que le prodigieux accroissement de puissance des abbayes de Saint-Germain et de Saint-Denis ; leurs domaines furent un refuge pour l'artisan des villes ou le laboureur, qui ailleurs ne trouvait pas même le repos dans la servitude.
 
Aucun document n'est parvenu jusqu'à nous concernant l'organisation administrative, sous les Romains, du pays dont nous retraçons brièvement l'histoire ; ce n'est que sous les Mérovingiens que nous retrouvons, à l'aide des chartes, les principales divisions administratives des pagi ou cantons. Le département de Seine-et-Oise était irrégulièrement composé : 1édeg; du grand pagus de Paris, subdivisé plus tard ; 2° dupagus Castrensis (de Châtres ou Arpajon), qui fut depuis le Hurepoix ; 3° du pagus de Poissy, autrement le Pincerais (Pinciacensis) ; 4° de celui de Madrie (Madriacensis), dont le chef-lieu était probablement Méré, près de Montfort-l'Amaury ; ces deux derniers étaient du diocèse de Chartres ; ajoutons-y le pagus Stampensis ou d'Étampes, au diocèse de Sens. Plusieurs de ces pagi devinrent des comtés au IXe siècle, et leurs possesseurs convertirent leurs dignités en fiefs, comme on le verra plus tard.
 
La grande époque de Charlemagne fut une ère de paix et de prospérité relative pour le pays de l'Ile-de-France ; l'empereur avait transporté sa capitale sur le Rhin, à Aix-la-Chapelle ; la haute direction des affaires publiques était confiée, dans l'intérieur du pays, à des inspecteurs impériaux, missi dominici ; sous leur surveillance, l'administration de l'Ile-de-France resta aux mains et sous l'influence des deux puissants abbés de Saint-Germain et de Saint-Denis.
 
La mort de Charlemagne jeta la France dans une période de guerre et d'anarchie que la faiblesse de Louis le Débonnaire et de ses successeurs ne put arrêter. Par suite du partage de l'empire, les pays de Seine-et-Oise furent dévolus à Charles le Chauve. La trêve accordée à ces malheureuses contrées n'avait point été de longue durée ; aux guerres intestines succèdent les invasions des Normands.
 
En 845, Épine est brûlée ; en 865, Mantes est pillée onze ans plus tard, l'ennemi remonte la Seine jusqu'à Meulan. A chaque invasion nouvelle, il pénètre plus au cœur du pays : Étampes ne doit son salut, en 885, qu'à la valeur du comte Eudes ; Pontoise, moins heureux, est réduit par la famine ; les hostilités ne cessent, en 911, qu'après le traité de Saint-Clair-sur-Epte, par lequel Charles le Simple abandonne à Rollon, chef des barbares, la Normandie et le Vexin jusqu'à la rivière d'Epte.
 
Les malheureux successeurs de Charlemagne ne savaient pas mieux défendre leur autorité à l'intérieur que leurs frontières contre l'ennemi. Charles le Chauve, en consacrant en droit, par le capitulaire de Quierzy, en 877, la transmission des bénéfices des mains des possesseurs en celles de leurs héritiers, avait constitué définitivement la féodalité ; les comtes et les autres officiers royaux s'empressèrent de convertir leurs charges en fiefs et propriétés personnelles ; dans le pays de Seine-et-Oise, la transformation féodale fut instantanée et complète.
 
L'histoire du département offre l'exemple le plus frappant des conséquences qu'entraîna cette grande mesure. Grâce à elle, en moins d'un siècle, l'hérédité des titres et la transmission des fiefs firent des comtes de Paris la souche d'une troisième dynastie. La capitulaire de Charles le Chauve inféodait à leur maison les comtes du Vexin, seigneurs de Pontoise, qui absorbèrent bientôt à leur tour les comtes de Madrie et les comtes de Meulan, les comtes de Corbeil, les barons de Montfort-l'Amaury, de Montlhéry et de Montmorency.
 
C'est encouragé et aidé par ses puissants vassaux, que Hugues le Grand se fit proclamer roi de France ; mais le prix de leur concours, c'était le partage du pouvoir. Hugues Capet roi, c'était la féodalité couronnée. Les Normands n'avaient rencontré sur leur chemin que des tours en bois construites pour protéger le cours de la Seine ; maintenant que les comtes et barons ont leurs, domaines à défendre, nous verrons les pierres amoncelées s'élever en formidables remparts, les rochers taillés à pic devenir des murailles imprenables, les rivières détournées de leur cours inonder les fossés des châteaux forts.
 
Nous verrons grandir au nord les colossales assises de Montmorency, et surgir au sud les massifs créneaux de la tour de Montlhéry ; il n'y aura plus de montagne qui n'ait son castel bâti sur sa crête comme un nid de vautour ; plus de vallée qui n'ait à son embouchure son fort menaçant et sombre prêt à disputer et à faire payer le passage. La paix ne pouvait pas sortir de préparatifs aussi peu pacifiques ; la guerre fut donc la vie du XIe siècle. Dans leur indépendance, les grands vassaux refusent obéissance à leurs souverains et s'attachent à la fortune des princes dont ils espèrent meilleure récompense.
 
En 1015, le trône du roi Robert est menacé par une ligue dont font partie Galeran Ier, comte de Meulan, et Gauthier, comte du Vexin ; ce n'est que par l'intervention de Fulbert, évêque de Chartres, que la guerre est suspendue. Vingt ans plus tard, ce même Galeran s'allie aux comtes de Brie et de Champagne, dans la guerre qu'ils soutiennent contre Henri Ier. En 1102, Houchard IV de Montmorency refuse à Louis le Gros de faire réparation des dommages causés par lui à l'abbaye de Saint-Denis, et se laisse assiéger dans sa forteresse, dont les soldats du roi sont contraints d'abandonner le siège.
 
Pendant près d'un siècle, la malveillance impunie des sires de Montlhéry entrave les communications de la capitale avec Étampes, demeuré fief de la couronne. En rattachant les souvenirs de ces faits recueillis parmi beaucoup d'autres aux impressions produites par la vue des ruines féodales qui couvrent encore le sol, on pourra se faire une. idée des désordres et de l'anarchie de cette déplorable époque, pendant laquelle les Normands, toujours habiles à profiter de l'affaiblissement du pouvoir central, vinrent ajouter les ravages de leurs excursions aux misères de nos déchirements intérieurs ; en 1060, Meulan avait été encore une fois pris et saccagé par eux ; en 1087, Pontoise et Mantes furent livrés aux flammes.
 
Dans la lutte devenue inévitable entre les rois et les seigneurs féodaux, la royauté eût probablement succombé sans le mouvement religieux qui entraîna vers les croisades cette noblesse ambitieuse et turbulente ; pendant que le roi Philippe Ier se faisait représenter à la première expédition, en 1083, par Eudes d'Étampes, les plus indociles et les plus redoutables de ses sujets prenaient la croix et s'enrôlaient sous la sainte oriflamme.
 
Quelques-uns revenaient comme le fameux Simon de Montfort, qui continua si cruellement contre les Albigeois ses exploits de Constantinople et de Palestine ; mais beaucoup d'autres y mouraient ou trouvaient au retour leurs domaines aux mains de nouveaux maîtres.
 
L'autorité royale n'avait pas seule gagné dans cet amoindrissement de la puissance féodale ; plusieurs seigneurs, pour payer les préparatifs de l'expédition et les frais du voyage, avaient vendu, contre argent, certaines franchises aux bourgeois de leurs villes ; les rois avaient encouragé, de leur pouvoir moins contesté, ces premières tentatives d'émancipation des communes ; pour la royauté d'alors, grandir le peuple, c'était affaiblir d'autant le seigneur intraitable et si souvent menaçant ; c'était créer un antagonisme dont elle se réservait l'arbitrage.
 
Les règnes suivants devaient être agités par les guerres de la Réforme. Les idées nouvelles pénétrèrent de bonne heure dans l'Ile-de-France ; elles avaient de nombreux adhérents dans le Vexin, où Calvin avait été accueilli par le seigneur d'Hargeville, dans son château situé près de Wy ou Joli-Village ; il y résida quelque temps, y composa une partie de ses ouvrages et prêcha lui-même sa doctrine dans les villages environnants, à Limay, Avernes, Arthies, Jambville et Gadancourt.
 
Henri Ier, François Il et Charles IX, pendant les premières années de son règne, passèrent alternativement de la rigueur à la tolérance dans leur attitude vis-à-vis des protestants. C'est dans le pays de Seine-et-Oise que se tinrent les premières réunions où les représentants des deux cultes travaillèrent à la pacification des esprits et a la conciliation des consciences ; les états généraux furent d'abord convoqués dans ce but à Saint-Germain ; puis, quelques années plus tard, en 1561, s'ouvrit le colloque de Poissy, fameux par les discussions violentes de Théodore de Bèze ; de nouvelles conférences eurent lieu l'année suivante à Saint-Germain sans amener de meilleurs résultats, et la guerre éclata tout à coup par le massacre de Vassy.
 
Qui ne se rappelle les sanglants épisodes de ces déplorables guerres, les tristes exploits de Coligny, de Condé et de Montmorency ; ce malheureux département en fut trop souvent le théâtre ; les points stratégiques que les partis ennemis se disputèrent avec le plus d'acharnement furent Corbeil, qui commande le cours de la haute Seine, et Étampes qui domine la ligne de communication entre la capitale et les provinces de l'ouest et du sud.
 
Cette dernière ville, prise par Condé, resta au pouvoir des protestants jusqu'au traité de paix de Longjumeau ; dans l'intervalle eut lieu la bataille de Dreux, gagnée par Montmorency, commandant l'armée catholique, et la bataille de Saint-Denis, qui amena la petite paix, trêve de six mois rompue par le massacre de la Saint-Barthélemy. Les fanatiques égorgeurs de Paris durent avoir des complices nombreux dans le département de Seine-et-Oise ; mais le rang et le nom des victimes parisiennes ont trop fait oublier les martyrs plus obscurs des campagnes environnantes.
 
La soif de vengeance que la trahison du Louvre alluma au coeur des huguenots rendit la guerre plus ardente et plus implacable encore. La tiédeur et l'hésitation que les zélés catholiques reprochaient à Henri III avaient grandi l'influence des Guises. L'ambition héréditaire de cette famille n'allait à rien moins qu'à s'emparer de la couronne, dont elle n'était plus séparée que. par un prince maladif et peu populaire, et par Henri de Béarn, chef du parti huguenot. L'assassinat du roi de France, frappé à Saint-Cloud par un jacobin fanatique nommé Jacques Clément, simplifiait encore la question : d'un côté, le droit et la légitimité avec Henri le huguenot ; de l'autre, l'usurpation avec les Guises, forts de leur valeur personnelle, de leur clientèle fanatisée et de la puissante organisation de la Ligue.
 
A l'exemple de Paris, l'Ile-de-France tenait en grande partie pour les Guises ; aussi fut-elle encore le théâtre des luttes qu'eut à soutenir Henri IV lorsqu'il vint jusque sous les murs de la capitale revendiquer ses droits à l'héritage de Henri III. La conversion du roi acheva l'oeuvre de pacification si glorieusement commencée par la victoire d'Ivry ; la sage administration de Sully, l'esprit de tolérance et d'économie du gouvernement, eurent bientôt cicatrisé les plaies faites par les dernières guerres ; l'Ile-de-France, dont le sol offre tant de ressources, releva toutes ses ruines ; la culture encouragée reprit un rapide essor ; Sully en donnait l'exemple, et, comme, propriétaire du château de Rosny, il fit de nombreuses plantations de mûriers ; Mantes, dont il était le gouverneur, vit s'élever dans ses murs une fabrique de draps ; le château de Saint-Germain fut reconstruit, celui d'Étampes restauré et le duché concédé à la belle Gabrielle d'Estrées.
 
Les bienfaits de ce règne furent répartis avec tant d'à propos et, d'intelligence, la pacification des esprits fut si complète, qu'à la mort du roi les désordres qui signalèrent la régence de Marie de Médicis n'affectèrent quo d'une façon peu sensible les pays de Seine-et-Oise. L'administration de Richelieu consolida encore pour eux les bienfaits de celle de Sully. Nous n'avons à citer, sous le règne de Louis XIII, que la naissance à Saint-Germain de Louis XIV, en 1638, et, en 1641, l'assemblée générale que tint le clergé de France dans la ville de Mantes.
 
La haute noblesse, qui avait été obligée de courber la tête sous la main de fer de Richelieu, voyait à la mort de Louis XIll, dans la perspective d'une longue minorité, une occasion favorable pour revendiquer ses prétendus droits et reconquérir ses privilèges.
 
La confiance de la reine régente, abandonnée à un autre cardinal dévoué aux idées de Richelieu, son continuateur présumé, à un étranger, à Mazarin, souleva l'indignation des grands et dès princes ; l'opposition des parlements, suscitée par là noblesse, fut le prélude d'hostilités plus sérieuses ; les promesses des meneurs, les épigrammes des beaux diseurs, l'influence du clergé, parvinrent à entraîner les bourgeois de Paris dans cette non-elle Ligue.
 
Les frondeurs disputaient à la reine mère et au cardinal la personne du jeune roi ; la cour dut quitter Paris et se réfugier à Saint-Germain, sous la protection d'une armée de huit mille hommes ; de leur côté, les rebelles organisèrent leurs forces : le prince de Conti fut nommé généralissime. Les villes de Seine-et-Oise furent, comme toujours, les points qu'on se disputa le plus vivement ; Étampes, Corbeil, Saint-Cloud, Dourdan, dont la Fronde était maîtresse, furent d'abord repris par Condé : une paix de peu de durée fut la conséquence de ces premiers succès de l'armée royale ; une rupture, qui éclata entre la cour et Condé, donna à la lutte un caractère plus sérieux ; Turenne fut opposé par Mazarin à ce redoutable adversaire ; personne n'a oublié les exploits plus affligeants encore que brillants des deux illustres capitaines, ni le fameux combat du faubourg Saint-Antoine, où ils faillirent eux-mêmes en venir aux mains ; cette guerre sans motifs sérieux, et à laquelle devait mettre fin la majorité de Louis XIV, n'en causa pas moins de grands malheurs dans nos pays : Corbeil, Saint-Cloud, Palaiseau, Mantes, furent victimes de l'indiscipline. des soldats des deux armées, qui, manquant de vêtements et de solde, pillaient et rançonnaient les villes et les campagnes. Enfin Paris, éclairé sur le but réel des princes et des organisateurs de la Fronde, se détacha de leur cause et ouvrit ses portes au roi, qui y fit son entrée en 1653.
 
Les pays de Seine-et-Oise, qui avaient eu une si large part dans tous les revers et toutes les épreuves de la royauté, participèrent plus que toute autre province aux splendeurs du triomphe : le règne de Louis XIV, est raconté par toutes les magnificences des châteaux dont il nous reste à faire l'histoire. La guerre, portée au delà de nos frontières, n'ensanglanta plus les campagnes de l'Ile-de-France ; et Versailles a gardé le glorieux souvenir des années de paix.
 
Il en est de même pour le règne des princes qui se sont succédé jusqu'à nos jours sur le trône de France ; l'importance des châteaux royaux et des résidences princières rattache désormais à leurs lambris le souvenir des faits principaux qui seuls sont du domaine de cette notice. C'est à Louveciennes et à Marly que nous étudierons Louis XV ; pour son malheureux successeur, Trianon complètera Versailles, Saint-Cloud nous dira le 18 brumaire, et les douloureux mystères de la Malmaison nous conduiront des gloires du premier Empire aux désastres de l'invasion.
 
Ajoutons que, depuis 1789, l'immense développement de Paris a absorbé toute importance politique, toute originalité saillante dans Seine-et-Oise qui l'entoure ; ce qui nous reste à dire du département n'est plus guère qu'une oeuvre de statistique.
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MessageSujet: Re: Histoire des départements en France   Histoire des départements en France Icon_minitimeDim 4 Oct - 10:43

Les départements-(histoire)-Territoire de Belfort - 90 -

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(Région Franche-Comté)
 
Le Territoire de Belfort était compris dans la partie méridionale de l'Alsace et portait le nom de Sundgau, lequel était borné : à l'est, par le Rhin et le territoire de Bâle ; au sud, par les terres de l'évêque de Bâle et les comtés de Montbéliard et de Bourgogne ; à l'ouest, par les Vosges et la Lorraine ; au nord, par la Thur, descendant de la vallée de Saint-Amarin, qui séparait le Sundgau de la haute Alsace.
 
C'est seulement après l'occupation du pays par les Francs et sa réunion au royaume de Lorraine, en 843, que cette contrée fut divisée en deux grands cantons, celui du nord, appelé Nordgau, et celui du sud, qui prit la dénomination de Sudgau ou Sundgau. Belfort était la ville principale de ce dernier canton. Toutefois, il est impossible de séparer l'histoire de cette petite portion de l'Alsace de celle de la contrée dont elle faisait antérieurement partie.
 
On nous permettra donc de rapporter ici tous les faits relatifs au territoire qui constituait naguère le département français du Haut-Rhin tout entier. L'histoire de ce département peut se diviser en quatre parties : la première comprenant les temps antérieurs à la conquête romaine et la domination romaine elle-même ; la seconde : l'invasion et l'établissement de la monarchie franque jusqu'aux successeurs de Charlemagne ; la troisième correspondant à la période allemande, depuis Othon jusqu'au traité de Westphalie ; la dernière enfin, commençant par l'incorporation de l'Alsace à la France, sous Louis XIV.
 
Ce qu'on a pu recueillir de positif sur l'histoire du pays avant l'arrivée des Romains, c'est qu'il était habité par la race celtique ; que les principales peuplades maîtresses de la haute Alsace étaient les Rauraques et les Séquanais, et qu'on y conservait un vif et douloureux souvenir de l'invasion d'Arioviste. Les bourgades existant à cette époque et dont le nom est parvenu jusqu'à nous sont : Gramatum (Offemont), Larga (Largitzen), Arialbin (Binningen), Brisac (Vieux-Brisach), Olin (Edenbourg), Argentonaria (Hornbourg).
 
On croit avoir reconnu sur le sommet des Vosges quelques vestiges d'anciens autels druidiques ; ce qui paraît plus positif, c'est que, sous le nom de Krutzman, une espèce d'Hercule sauvage était adoré par les populations, et que le Rhin fut lui-même une des divinités du pays.
 
Les traces du passage des Romains sont beaucoup moins incertaines ; cinquante forts furent élevés sur les bords du Rhin, pour protéger le pays contre les menaces d'invasion ; huit légions furent employées à leur garde, et, parmi leurs généraux, l'histoire a gardé les noms de Drusus, de Germanicus et de Silius. Des routes percées, souvent à travers les forêts défrichées, relièrent entre elles les anciennes villes agrandies, ou de nouvelles cités qui se formaient. Deux siècles de prospérité et de paix récompensèrent les intelligents efforts du génie colonisateur des Romains.
 
Mais les deux siècles suivants, troublés par les révolutions impériales, dont le contrecoup se faisait sentir depuis Rome jusqu'aux provinces les plus reculées, par les ferments de discorde que l'incertitude du pouvoir développait, furent agités surtout par les menaces incessantes et plus redoutables d'année en année des hordes du nord , qu'une invincible fatalité poussait vers les rives du Rhin, seule barrière qui les séparât de ces contrées occidentales, objet de leur ardente convoitise, proie dévouée à leurs envahissements.
 
Malgré l'apaisement d'une première révolte, suscitée en l'an 70 par Civilis, malgré les glorieux exploits de Crispus sous Constantin, les victoires de Julien qui put envoyer prisonnier à Rome le roi barbare Chrodomar, en 357 ; malgré l'importante journée d'Argentonaria, en 378, et la pacification momentanée de la province par Gratien, il fallut bientôt renoncer a la lutte. Stilicon, lieutenant d'Honorius, ayant retiré ses troupes, les barbares se ruèrent sur le pays sans défense et en firent un désert. Aux Alains et aux Vandales succédèrent les Alamans, qui tentèrent de fonder quelques établissements, en 407.
 
Tout fut dispersé ou anéanti lors du passage d'Attila, en 451 ; puis enfin, en 496, la victoire de Tolbiac, près de Cologne, vint asseoir sur toute la contrée le pouvoir de Clovis et la domination des Francs. C'est à l'époque romaine et au règne de Constantin que se rattachent les premières prédications du christianisme en Alsace, et saint Materne fut le premier révélateur de la foi nouvelle, qui déjà, vers la fin du IVe siècle, possédait un évêque à Strasbourg ; là comme dans les autres provinces de France, les progrès religieux furent rapides sous la monarchie franque.
 
La haute Alsace, ou Sundgau, comprise d'abord dans le duché d'Alemanie, forma ensuite avec la basse Alsace un duché particulier du royaume d'Austrasie, jusqu'à la mort de Childebert II, époque à laquelle, en vertu du traité de Verdun, elle fut incorporée dans le nouveau royaume de Lorraine. La division du territoire, à cette époque, en cantons (gaue) administrés au nom du roi par des comtes, et en terres franches ou mundats(immunitates), qui appartenaient à l'Église ou relevaient d'administrations particulières, l'éloignement du pouvoir central, expliquent le développement simultané de deux puissances : celle des évêques, qui surent se soustraire plus tard, eux et leurs domaines, à toute domination ; et celle des seigneurs, qui devinrent la souche des plus puissantes dynasties.
 
Parmi les cinq ducs qui représentèrent d'abord en Alsace l'autorité royale, Athic ou Adalric, plus connu encore sous le nom d'Ethico, qui succéda à Boniface et à Gundon, est le personnage le plus illustre que l'Alsace puisse revendiquer ; sans parler de sa descendance immédiate, de son fils Adalbert et de son petit-fils Luitfrid, qui tous deux héritèrent de sa dignité, et aux mains desquels elle s'éteignit, les ducs d'Alsace ayant été remplacés alors par des commissaires royaux, sous le titre d'envoyés de la chambre,nuntii camerae, la lignée masculine du duc Eticho embrasse : les comtes d'Eguisheim, les ducs de Lorraine, la maison de Habsbourg, les comtes de Flandre, de Paris, de Roussillon, de Brisgau, d'Altenbourg, de Zaehringen, de Bade et de Lentybourg ; et par les femmes cette illustre famille tient aux empereurs d'Allemagne, à ceux de la maison Hohenstauffen et à Hugues Capet par Robert le Fort.
 
Le gouvernement des ducs d'Alsace ne fut signalé par aucun événement politique important. Sa fin nous conduit au règne de Charlemagne qui, respecté au dehors, obéi au dedans, continua pour cette province l'ère de paix et d'organisation qu'elle devait à l'administration précédente.
 
La troisième période commence en 870, au milieu des déchirements qui suivirent la mort du grand empereur, et dont le partage de ses vastes États fut la cause. L'Alsace incorporée à l'empire germanique eut, en 916, une nouvelle série de ducs qui prirent alors le titre de ducs de Souabe et d'Alsace. On en compte vingt-six, dont les quinze premiers, de différentes familles allemandes, et les onze autres appartenant tous à la maison impériale de Hohenstauffen. Le dernier fut Conradin, envoyé en Italie à l'âge de seize ans, à la tête d'une armée, pour disputer à Charles d'Anjou le royaume de Pouille et de Sicile ; il fut vaincu, pris et décapité à Naples, le 26 octobre 1268.
 
L'autorité des ducs n'était pas souveraine, elle s'exerçait au nom de l'empereur, mais le haut rang des princes qui en étaient revêtus, presque tous fils ou proches parents du souverain, rehaussa l'éclat de cette dignité, devenue en quelque sorte héréditaire, en même temps qu'elle procurait à l'Alsace presque tous les avantages d'une véritable immédiateté.
 
Les landgraves succédèrent aux ducs ; non pas cependant que l'établissement du landgraviat coïncide avec l'extinction des duchés ; depuis 1186, les landgraves, dans la personne d'Adalbert IIl, dit le Riche, avaient remplacé les comtes du Sundgau ou de la haute Alsace, qui, sous les ducs, administraient la province, et étaient spécialement chargés de rendre la justice.
 
Ils n'avaient point de résidence fixe et tenaient leurs assises à Meyenheim, à Ensisheim, à Rouffach et souvent en pleine campagne ; les premiers comtes, depuis 673 jusqu'à 1111, avaient été pris dans diverses familles, principalement cependant dans celle du duc Eticho ; de 1111 à 1308, ils furent tous de la maison de Habsbourg, et depuis cette époque jusqu'à la réunion à la France, en 1648, les landgraves, successeurs des comtes, appartinrent sans exception à la maison habsbourgo-autrichienne.
 
C'est à la longue possession du landgraviat par la même famille, à l'accumulation des richesses, à l'étendue des domaines et. à l'influence qui en furent les conséquences naturelles, que Rodolphe Ier de Habsbourg dut son élévation au trône impérial, en 1273. II n'est sorte de faveurs, distinctions et privilèges qui n'aient été constamment attachés à cette dignité de landgrave, devenue comme l'apanage héréditaire des fils puînés de la famille impériale dont plusieurs, à l'exemple de Rodolphe, n'ont quitté le gouvernement de l'Alsace que pour aller s'asseoir sur le trône des Césars.
 
Jusqu'au XVe siècle, outre les invasions normandes et anglaises , les revendications armées des rois de France et les démêlés avec la maison de Bourgogne, le pays fut presque continuellement déchiré par des discordes intestines. Tous les pouvoirs avaient grandi à la fois ; nous avons signalé l'origine de celui des évêques ; la féodalité avait acquis en Alsace les mêmes développements que dans le reste de la France ; nous avons montré quelle était la grandeur et l'illustration des ducs et des landgraves : à côté, au-dessous d'eux, trop haut placés pour descendre aux détails de l'administration, s'étaient élevés les landvogt, qui, laissant aux princes impériaux les dehors de la toute-puissance, s'attachaient à en conquérir les réalités ; la bourgeoisie des villes enfin opposait alternativement aux prétentions du clergé les immunités et privilèges de l'empire, aux réclamations de l'empire ses vieilles franchises épiscopales.
 
De ce conflit perpétuel, de celte incertitude sur l'étendue et la légitimité de tous les pouvoirs, naquit une situation confuse dont les désordres devinrent souvent de véritables brigandages. Et cependant, au milieu de ces luttes sanglantes que soutenait la bourgeoisie pour augmenter ou défendre ses libertés, l'art grandissait comme pour prouver une fois de plus son alliance indissoluble avec la liberté ; l'Alsace avait ses peintres, ses sculpteurs, ses musiciens, ses savants, ses poètes, et Gutenberg inventait l'art typographique.
 
C'est dans ces circonstances qu'apparut Luther, dont la doctrine se répandit rapidement dans tout le pays. Entre ses premières prédications et la fondation par Calvin d'une Église réformée à Strasbourg, en 1548, se place le douloureux épisode de la guerre desrustauds, lutte des paysans contre la noblesse, et le massacre des anabaptistes, apôtres de l'égalité absolue.
 
Hâtons-nous de franchir cette période sanglante qui n'offre que des récits de persécutions, que des tableaux de meurtre et de désolation ; mentionnons la guerre de Trente ans qui en fut comme le couronnement ; Colmar, Belfort, Altkirch, nous diraient les exploits de Gustave-Adolphe et du général Horn ; arrivons enfin à la victorieuse intervention de la France, au traité de Westphalie et à la réunion au sol français de cette belle province qui depuis lui resta si fidèle.
 
Cependant, si Louis XIV apportait le repos à ce pays longtemps troublé, le despotisme de son gouvernement devait froisser vivement des populations auxquelles la liberté était si chère ;. le traité d'annexion avait garanti aux anciennes villes impériales le maintien de leurs franchises et privilèges ; la violation de. cet article essentiel du contrat suscita des séditions et des révoltes qui ne cédèrent qu'aux victoires de Turenne, de Condé et de Créqui.
 
Ce fut donc alors pour l'Alsace plutôt une soumission à la force qu'une incorporation à la patrie commune ; le règne de Louis XV ne lui donna encore que les abus de l'ancien régime français avec la paix, en compensation des gloires si chèrement payées du règne précédent, mais sans aucune restitution de ses libertés ravies.
 
Enfin arriva le jour qui devait cimentera jamais l'union de l'Alsace et de la France ; la proclamation des principes de 1789 répondait trop aux sentiments, aux souvenirs et aux espérances toujours vivaces des habitants pour ne pus y être accueillie avec la plus grande satisfaction. L'égalité des cultes était surtout une précieuse conquête pour une contrée où les dissidents formaient une minorité notable de la population.
 
Aussi, quand la France républicaine fut menacée, l'Alsace se leva comme un seul homme, et courut aux frontières. Exposée la première à toutes les attaques, à tous les assauts des puissances coalisées, jamais cette province, devenue le premier boulevard de la liberté, ne faillit .aux devoirs que ses destinées nouvelles lui imposaient ; pas une plainte ne. s'éleva du sein de cette brave contrée, sentinelle avancée de la France, toujours sur pied, toujours en armes ; pas un murmure n'échappa à cet héroïque pays qui s'était fait, tout à coup, et volontairement, le soldat de sa nouvelle patrie, et soldat aussi dévoué, aussi soumis, aussi discipliné, qu'il avait été sujet intraitable et rebelle pour les anciens maîtres dont il contestait le pouvoir.
 
Hélas ! cette union, qui durait depuis 223 ans, devait être rompue violemment Le 15 juillet I870, le gouvernement français se décidait témérairement, sans motif plausible et malgré l'opposition des patriotes clairvoyants, au nombre desquels M. Thiers était au premier rang, à déclarer la guerre à la Prusse, et, dès le 19 du même mois, le gouvernement prussien recevait notification officielle de cette folle déclaration. Le résultat fut désastreux : la France fut amenée au bord de l'abîme, amputée de deux riches provinces : l'Alsace et la plus grande partie de la Lorraine.
 
Nous allons passer rapidement en revue les principaux événements qui amenèrent et précédèrent, l'envahissement du Haut-Rhin et le siège de Belfort. Dès le début, on avait dû renoncer au plan d'attaque conçu par Napoléon III ; la rapidité de la mobilisation des troupes allemandes et le désarroi dans lequel se trouvèrent immédiatement les troupes françaises ne permettaient d'autre objectif que la défensive.
 
Le 2 août, le général de Failly attaque la petite place de Sarrebruck, qu'il abandonnait presque immédiatement. Le 4, le général Abel Douai est battu et tué à Wissembourg. Les défaites succèdent- aux défaites : le 5 et le 6, le maréchal de Mac-Mahon était vaincu à Froeschwiller, en même temps que le général Frossard l'était à Forbach. Le 10, le général allemand de Werder sommait Strasbourg de se rendre.
 
Cette reddition ne devait avoir lieu que le 28 septembre, après la vigoureuse défense du général Uhrich. Le 13 août, la première armée allemande entourait Metz. Le 14, le 15 et le 18, se livrèrent les batailles meurtrières de Borny, de Gravelotte et de Saint-Privat, à la suite desquelles - l'armée du Rhin, sous les ordres de Bazaine, rentrait dans Metz. Dès le 19, l'armée du prince Frédéric-Charles commençait le blocus de cette place, qui jusqu'à ce jour s'était enorgueillie de son surnom de la Pucelle.
 
Le 23 août, le bombardement de Strasbourg commençait. Il était impossible d'y répondre efficacement : nos pièces avaient une portée insuffisante ; il était impossible aussi de garantir des projectiles la garnison et les habitants : les refuges casematés faisaient défaut. Le 30 août, la défaite du maréchal de Mac-Mahon à Beaumont préludait à la catastrophe de Sedan. Le 1er septembre, Napoléon III rendait son épée au roi Guillaume de Prusse. Wimpfen signait la capitulation dont on trouvera le texte au département des Ardennes.
 
Le 23 septembre, Phalsbourg se rendait ; Strasbourg le 28. Le 1er octobre, le général de Schmeling franchissait le Rhin et pénétrait dans le Haut-Rhin. Les villes les plus importantes de ce département furent successivement occupées par des troupes allemandes : Colmar, Altkirch, Mulhouse, Neuf-Brisach, Dannemarie, etc. Belfort ne fut rendu que le 17 février 1871.
 
Vers la fin de septembre, un petit corps allemand s'installa à Chalampé, sur la rive française du Rhin, un peu au nord de Mulhouse, en face de la petite ville badoise de Neuenbourg, qu'un simple bac reliait à l'autre rive ; au commencement d'octobre, l'ennemi, laissé définitivement tranquille possesseur de Chalampé, y établit un pont par lequel entrèrent dans le Haut-Rhin quelques milliers d'hommes qui commencèrent à rançonner le pays d'alentour, et notamment Mulhouse.
 
Malheureusement, les populations étaient prises d'une panique indicible ; dès qu'un uhlan apparaissait, les armes qui avaient été distribuées dans le but d'obtenir une résistance locale, étaient renvoyées à Belfort, où elles arrivaient par charretées ; heureux encore quand elles n'étaient pas livrées par centaines à quelques cavaliers. Cette défaillance inconcevable enhardit tellement l'ennemi qu'il osa alors venir à Altkirch, presque à mi-chemin de Mulhouse et de Belfort. Le général Thorneton, qui occupait avec de la cavalerie et de l'infanterie les abords de Belfort jusqu'à Dannemarie, fit retraite de ses positions le 6 octobre, et peu s'en fallut que le grand viaduc du chemin de fer à Dannemarie ne fût prématurément détruit.
 
Mais les événements avaient pris une tournure de plus en plus grave ; l'ennemi avait grossi en nombre dans le Haut-Rhin, réquisitionnant partout sans trouver la moindre résistance, même à Mulhouse, où le conseil municipal avait redouté de laisser armer la nombreuse population ouvrière qui, sans cela, se fût défendue avec plus ou moins de succès, mais eût 'au moins arrêté quelque temps l'envahisseur.
 
Enfin, devenu assez fort, l'ennemi entreprit le siège de Neuf-Brisach, puis celui de Schlestadt, qui, tous les deux, capitulèrent après de courtes et incomplètes résistances. A la suite de divers engagements, glorieux pour nos armes, dans la haute Alsace et à l'entrée de Saint-Amarin avec les francs-tireurs de Keller, député du-Haut-Rhin, mais dont les résultats furent insuffisants pour l'arrêter, l'ennemi attaqua, le 14 octobre,. la petite ville de Soultz, énergiquement défendue par les francs-tireurs, avec le concours de la population. L'ennemi avait du canon et l'affaire fut chaude. Vers le soir, renonçant à entrer dans Soultz avec les troupes dont il disposait, il appela à lui des renforts ; l'arrivée d'un détachement français de 300 hommes dépendant de Dannemarie, avec une centaine de gardes nationaux de Mulhouse, le décida à une retraite immédiate. Cette affaire, où la victoire nous resta, fut le plus sérieux de tous les engagements de ce côté.
 
Vers la même époque (19 octobre), le général Crouzat fut appelé sous les ordres du général Cambriels, et le commandement de Belfort fut. donné au lieutenant-colonel du génie Denfert-Rochereau, qui fut en même temps nommé colonel. A l'article que nous consacrons plus loin à Belfort, nous racontons en détail les péripéties de ce siège, qui suffirait à lui seul pour sauver l'honneur du pays, et qui eut pour résultat de conserver à la France mutilée cette position précieuse, cette gardienne de la Trouée des Vosges.
 
Les pertes éprouvées par le Territoire de Belfort au cours de celte guerre douloureuse se sont élevées au chiffre énorme de 6 010 778 fr. 48. Le démembrement de la France fut d'abord consacré par le traité préliminaire conclu à Versailles, puis par le traité définitif signé à Francfort.

Les départements-(histoire)- Yonne - 89 -

Histoire des départements en France De6f3209
(Région Bourgogne)
 
Dans la division de la France en départements, celui de l'Yonne fut surtout formé de deux petites provinces, le Sénonais et l'Auxerrois, qui faisaient partie, l'un de la première Champagne, et l'autre de la Bourgogne. Les Romains trouvèrent la contrée habitée par les Senones peuple puissant de la confédération gauloise ; leur capitale était Agedincum : son nom actuel, Sens, rappelle celui de ses fondateurs.
 
Le pays des Senones fut compris dans la quatrième Lyonnaise, qui lui emprunta sa désignation particulière de Senonie. De 408 à 410, les Burgondes ou Bourguignons vinrent disputer et enlever aux Romains leur conquête ; la Sénonie fut incorporée au nouveau royaume de Bourgogne, et, comme pour constater l'origine des nouveaux maîtres, dès les premiers temps de l'établissement du christianisme, l'archevêque de Sens prenait le titre de primat des Gaules et de Germanie.
 
Les Francs succédèrent aux Bourguignons ; Clotaire, en 558, réunissait la Bourgogne au vaste héritage de Clovis. A sa mort, le partage de ses États amena la reconstitution d'un royaume de Bourgogne, que les premiers Carlovingiens réunirent encore à la couronne de France.
 
Sous les descendants de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, le morcellement de la France et l'affaiblissement de la monarchie donnèrent au duché de Bourgogne une existence à peu près indépendante, mais dénuée d'intérêt historique jusqu'à l'avènement des Capétiens.
 
Robert le Fort, dont les exploits préparaient à ses neveux le, chemin du trône, vint aider les Bourguignons de l'Yonne à repousser les Normands. C'était alors le titre principal à la reconnaissance des populations ; le duc Raoul avait dû à des services pareils de pouvoir impunément se faire proclamer roi de France ; il était mort à Auxerre, en 936, sans laisser d'héritier direct. Son frère puîné, Hugues le Noir, qui lui succéda, mourut aussi sans postérité, ainsi que Giselbert, successeur des deux princes, comme époux de leur soeur Ermengarde. Hugues le Grand, petit-fils de Robert le Fort, et qui avait épousé une autre soeur de Raoul et de Hugues le Noir, devint donc à la fois duc de Bourgogne, duc de France et comte de Paris.
 
Le sentiment de l'unité monarchique était alors si peu dans les esprits, que cette occasion précieuse de concentrer dans les mêmes mains les principales provinces du royaume fut encore perdue. Othon, second fils de Hugues Capet, fut duc de Bourgogne, et après lui, à défaut d'enfants son frère Henri. La femme de ce dernier prince, Gerberge, voulut lui donner pour successeur un fils qu'elle avait eu d'un premier mariage, Othon Guillaume, et qui ne tenait par aucun lien de parenté à la famille des Capets.
 
Le roi Robert le Pieux réclama contre cette usurpation ; il trouva dans la province une redoutable hostilité à la légitimité de ses droits ; il tenta de reconquérir par les armes l'héritage qui lui était contesté ; il assiégea vainement Auxerre ; repoussé par Landry, il dut accepter l'arbitrage d'un concile convoqué à Airy en 1015. Pour donner plus de solennité à la réunion, on y transporta les châsses des saints de Montier-en-Der, de Saint-Pierre-le-Vif et de Châtillon-sur-Seine.
 
La sentence abandonna à Othon-Guillaume la Bourgogne d'outre-Saône ; la contrée d'Yonne fut adjugée à Robert. Il se hâta d'investir du duché, limité conformément à l'arrêt, son second fils Henri. Celui-ci, étant devenu roi de France par la mort de son frère, transmit à son tour l'apanage à son autre frère Robert, « pour qu'il le tint en pleine propriété et souveraineté, sauf foi et hommage au roi, et le fit passer à ses héritiers. » C'est ce Robert qui fut la tige de la première race royale des ducs de Bourgogne. Cette dynastie dura de 1033 à 1361 et s'éteignit dans la personne de Philippe de Rouvres, qui mourut à quatorze ans avant d'avoir été marié.
 
Pendant cette période, la maison de Bourgogne conserva à l'égard des rois de France une attitude respectueuse et dévouée, nous voyons les ducs de cette branche assister comme premiers pairs du royaume au sacre des souverains, les assister dans les guerres de l'intérieur et du dehors, les accompagner en terre sainte, pendant les croisades, et occuper avec fidélité et dignité les plus hautes fonctions de l'État. Leurs efforts sont constamment dirigés vers l'agrandissement de leurs domaines ; mais ils poursuivent généralement leur but par des moyens honorables et pacifiques.
 
Outre le démembrement qu'avait opéré la sentence du concile d'Airy, un comté de Bourgogne avait été constitué en grande partie avec la Franche-Comté, des fiefs nombreux et importants avaient été détachés à divers titres du duché proprement dit ; c'est à la récupération de ces pertes que les ducs travaillèrent et souvent avec succès ; c'est ainsi que Hugues III acquit de l'évêque de Langres, par échange, des terres que le prélat possédait enclavées dans le Dijonnais.
 
Hugues VI acheta le comté d'Auxonne à un autre Hugues, comte de Bourgogne ; Semur-en-Auxois lui revint comme fief de son duché, la race des seigneurs étant éteinte ; il obtint encore du comte Jean de Châlon, par échange et cession, le comté de Charolais et Châlon-sur-Saône. Si nous ajoutons à ces conquêtes l'annexion des villes de Beaune, d'Avallon, du Briennois, des deux Semur et du pays de la montagne, dont la capitale est Châtillon-sur-Seine, on trouvera que le duché avait repris d'imposantes proportions.
 
L'émancipation des communes, crise si orageuse ailleurs, s'était accomplie sans grands déchirements. La constitution politique de la province, basée sur la représentation, dans les états de Bourgogne, de la noblesse, du clergé et du tiers état, fonctionnait sans confusion et sans violences.
 
C'est dans ces favorables conditions que le duché fit une fois encore retour à la couronne par la mort du jeune Philippe, dernier de sa race. Le roi Jean, accepté comme héritier par les états, avait à peine recueilli la succession, qu'il la transmit à soli quatrième fils, Philippe le Hardi. De l'investiture de Philippe en 1364 à la mort de Charles le Téméraire, arrivée en 1477, il ne s'écoula qu'un siècle, mais, pendant ce temps, combien de désastres, quelles affreuses calamités causa à la France, à la patrie commune, déchirée et trahie, cette seconde dynastie des ducs de Bourgogne !
 
Il ne faut pas chercher leur histoire dans le département de l'Yonne, elle est dans la Guyenne et dans les Flandres, sous les murs mêmes de Paris, partout où il y a une blessure à faire à la France. La Providence donna à la monarchie un champion digne de ses adversaires. Louis XI s'empara de l'héritage de Charles le Téméraire, ne laissant à sa fille Marie que le comté de Bourgogne.
 
Plus tard, Charles-Quint exigea de François Ier, son prisonnier, la cession du duché de Bourgogne ; mais les états protestèrent, et le traité de Cambrai n'accorda que le Charolais à la maison d'Autriche. L'attitude patriotique des états, en cette circonstance, augmenta leur influence et étendit leurs prérogatives ; la coutume de Bourgogne ne fut modifiée en 1570 que de leur consentement et sur l'avis conforme du parlement. Quant à l'autorité ducale, elle ne fut jamais rétablie, l'expérience en avait trop cruellement prouvé le danger ; ce titre purement honorifique ne fut accordé qu'aux princes du sang royal, héritiers présomptifs de la couronne : il fut porté par la père de Louis XV, et le petit-fils de ce monarque la conserva jusqu'à sa mort en 1761.
 
Nous aurons à signaler, dans le XIIIe et le XIVe siècle, le sanglant passage des Anglais et plusieurs invasions de la peste. Sous les ducs de la seconde dynastie, l'épuisement de la monarchie française profita dans une certaine mesure à la Bourgogne l'agresseur porte la guerre sur le territoire ennemi, nos rois n'étaient pas en position de prendre l'offensive.
 
Mais les discordes religieuses ensanglantèrent les rives de l'Yonne. Les cruautés qui se commirent de part et d'autre avaient exaspéré les esprits, et permirent aux ligueurs de recruter dans le pays d'ardents et fanatiques sectaires. Henri IV profita de sa victoire pour incorporer le comté d'Auxerre au duché de Bourgogne. La tranquillité du pays fut encore troublée par les agitations de la Fronde ; Condé parcourut le pays et mit la siège devant Auxerre qui persévéra dans sa fidélité à la cause royale. En toute circonstance, les Bourguignons semblent avoir eu à cœur de protester contre les divisions qui furent surtout l'oeuvre des ducs.
 
Il n'est pas en France de province plus intimement et plus complètement française aujourd'hui que la Bourgogne. Elle a, dans les derniers temps de notre histoire, donné les preuves les plus éclatantes de son patriotisme et de sa nationalité ; dans la grande lutte de la France républicaine contre l'Europe coalisée, l'indépendance du territoire et le salut de la patrie ne rencontrèrent nulle part des citoyens plus dévoués, des soldats plus courageux ; et quand l'épuisement des forces, l'affaissement de l'esprit public, eurent amené les désastres de 1814 et les deux invasions de l'étranger, c'est sur le sol du département de I'Yonne que Napoléon Ier s'appuya pour tenter les derniers efforts d'une héroïque résistance ; c'est dans la coeur des braves Bourguignons qu'il alla puiser ses dernières ressources.
 
Cette affinité sympathique des deux peuples est providentielle et était indispensable à la constitution de la patrie commune ; si l'existence d'une Bourgogne, isolée dans son indépendance, fut une pensée chimérique, on doit reconnaître qu'il n'y a réellement eu une France en Europe qu'à dater du jour où la Bourgogne lui a été réunie.
 
Le croisement des races burgonde et sénonaise à formé, pour le département de l'Yonne, une population d'un type particulier dans lequel on retrouve aussi les traces de l'élément champenois. D'une taille moins haute, de formes moins allongées que ses frères du Dijonnais et du Mâconnais, le Bourguignon de l'Yonne est plus large de carrure ; ses membres, plus ramassés, sont plus trapus ; son visage moins régulièrement ovale est plus coloré ; on sent dans tout son extérieur l'influence de travaux moins exclusivement agricoles.
 
En effet, si la culture de la vigne est de beaucoup la principale industrie du département, elle s'allie dans les villes à la fabrication des objets les plus divers, dans les campagnes à l'exploitation des forêts, à la production du fer et du charbon ; elle alimente et encourage le long des fleuves et des canaux l'activité de mariniers nombreux, intermédiaires obligés pour le transport des marchandises entre la capitale et les provinces de l'est, du centre et du midi.
 
Les moeurs industrielles et les habitudes commerciales ont altéré dans l'Yonne moins qu'ailleurs les qualités du caractère originel. L'habitant est resté loyal, sincère, hospitalier. L'aisance générale répandue dans le pays maintient dans les relations une indépendance un peu rude, qui n'exclut aucunement la bienveillance et révèle même chez le paysan et l'ouvrier la conscience de leur dignité.
 
Notre histoire réservait à cette contrée des épreuves analogues à celles qu'elle avait éprouvées en 1814. En effet, durant la guerre franco-allemande de 1870-1871, le riche département de l'Yonne fut envahi par les troupes ennemies, appartenant à la Ire et à la IIe armée, sous les ordres respectifs des généraux en chef de Mauteuffel et du prince Frédéric-Charles.
 
Auxerre, Sens, Tonnerre, Joigny, Saint-Florentin, Chablis, et un grand nombre d'autres localités moins importantes eurent à subir les douleurs de l'occupation. Pourtant, dès le 5 octobre, le conseil général de l'Yonne votait un emprunt applicable à la défense du département, et, le 21 du même mois, une troupe composée de gardes nationaux attaquait sans grand résultat, à Grand-Puits, près de Nangis, un faible détachement prussien.
 
Le 11 novembre, après un essai de résistance honorable à Brienon, Joigny tombait aux mains des troupes envahissantes, et, sauf de courts intervalles, cette malheureuse cité ne devait en être débarrassée qu'après la signature de la paix. Le 12 du même mois, une colonne ennemie entrait à Sens ; quelques jours après, Villeneuve-l'Archevêque et Tonnerre étaient occupés ; le 16, un détachement allemand arrivait à Chablis ; le 20, l'artillerie prussienne envoyait sur Auxerre environ 80 projectiles ; le 21, le général Zastrow, commandant du VIIe corps, entrait dans cette ville, qui devait être abandonnée et réoccupée, plusieurs fois dans le courant de la guerre. Au premier moment, le flot des envahisseurs fut tel que chaque maison regorgeait de soldats. Il est inutile de parler des vexations de toute nature, des réquisitions et des menaces, procédés habituels de l'état-major allemand.
 
Ce ne fut pas seulement Auxerre que les Prussiens bombardèrent ; la petite ville de Saint-Bris eut le même sort. Le 27 décembre, Courson était livrée au pillage. Le 16 janvier, Avallon était bombardée, et le 25 un engagement eut lieu à Laroche, entre Joigny et Tonnerre ; il eut pour résultat la prise de la gare par les volontaires de l'Yonne et la destruction du pont du chemin de fer.
 
L'armistice préserva Auxerre, qui avait été réoccupée par des forces françaises, d'une attaque imminente ; mais, pendant la période d'occupation, le département de l'Yonne devait faire partie du gouvernement général du nord de la France, dont le siège était à Versailles et dont le chef était le général Fabrice. Son chef-lieu retombait entre les mains allemandes et devait subir la présence des troupes commandées par le général Von Fabeck. Il ne fut délivré que le 14 mars.
 
Les pertes éprouvées par le département de l'Yonne durant cette période néfaste de notre histoire se sont élevées à 5 705 599 francs.

Les départements-(histoire)- Vosges - 88 -

Histoire des départements en France 36194189
(Région Lorraine)
 
La contrée qui est bornée à l'est par le revers occidental des Vosges et au sud par les monts Faucilles et une partie du plateau de Langres était habitée jadis par une population que César désigne sous le nom de Leuces (Leuci). Comme pour la plupart des peuples de l'ancienne Gaule, l'histoire ne commence pour les Leuces que du jour où ils se trouvent en contact avec les Romains. Ces conquérants, qui rencontrèrent sur le sol gaulois de si redoutables adversaires, n'eurent avec les Leuces que des rapports pacifiques.
 
Lorsque César, se disposant à marcher contre Arioviste et les Suèves, veut rassurer son armée épouvantée, il cite les Leuces parmi les peuples amis de Rome, et qui ont promis de fournir des vivres durant la campagne. C'est que les Leuces étaient des premiers menacés par cette formidable invasion germanique dont les Suèves étaient l'avant-garde ; ils ne virent dans César que le sauveur de la Gaule. César, d'ailleurs, eut soin d'entretenir leurs dispositions sympathiques.
 
On voit dans ses Commentaires que la conquête romaine ne pesa -pas durement sur leur pays ; dans un passage où il énumère les populations gauloises traitées avec le plus de faveur et qui conservèrent de grandes franchises après la réduction du pays en provinces, il cite en première ligne les Leuces. Rome, qui témoignait ainsi sa reconnaissance à un peuple ami, avait su apprécier aussi ses qualités guerrières ; Lucain vante l'habileté des Leuces à manier la fronde.
 
Dans la division de l'empire en provinces, les Leuces furent compris dans la Belgique première. Le pays des Vosges eut sa part des misères qui signalèrent la dissolution de l'empire ; au commencement du Ve siècle, lors de la grande invasion des barbares, il fut désolé par les Vandales, qui pénétrèrent jusque dans la vallée qui donne naissance à la Moselle et ruinèrent un château et une ville qui s'élevaient sur l'emplacement d'Épinal. Un peu plus tard, la domination des Francs, qui étaient aussi de rudes conquérants, s'étendit sur la Gaule, et le pays des Vosges fit partie du royaume de Clovis et, après sa mort, du royaume d'Austrasie, dont il forma la limite méridionale ; au delà des monts Faucilles commençait le royaume des Bourguignons.
 
Au milieu des troubles et des violences dont la période mérovingienne présente le triste spectacle l'histoire du département des Vosges est presque tout entière dans les légendes pieuses et dans les récits des chroniqueurs sur la fondation de quelques monastères, dont les plus célèbres furent Saint-Dié et Remiremont. Dans ces temps malheureux, on ne trouvait un peu de calme et de sécurité que dans la vie monastique.
 
Lorsque Charlemagne, voulant organiser l'empire, établit la division administrative en comtés et légations, le pays qui répondait à peu près au département des Vosges forma trois comtés désignés sous les noms suivants : comitatus Calvomontensis (entre la Moselle et la Meurthe), comitatus Segentensis (vers Mirecourt), comitatus Vosagus (au sud du précédent). Charlemagne et son fils Louis le Débonnaire avaient une prédilection marquée pour ce pays aux vastes et sombres forêts ; ils y venaient souvent en automne pour leurs grandes chasses impériales.
 
Dans le démembrement de I'empire carlovingien consacré par le traité de Verdun, le pays des Vosges fit partie des États de Lothaire ler, et échut ensuite à son fils Lothaire Il ; le royaume de ce prince, qui comprenait les pays situés entre la Meuse, l'Escaut et le Rhin, était appelé la France de Lothaire (Lotharingia), d'où est venu le nom de Lorraine. Pendant un demi-siècle, la possession de ces contrées fut un continuel sujet de guerre entre les tristes successeurs de Charlemagne, princes dégénérés, mais que le souvenir du grand empereur animait d'une insatiable ambition.
 
Lorsque, au commencement du Xe siècle, la Lorraine fut rattachée à l'empire germanique et divisée ensuite en duchés, le pays des Vosges fit partie du duché de Lorraine mosellane ou haute Lorraine, « qui eut pour premier duc, dit M. Gérard Gley, Frédéric de Bar, beau-frère de Hugues Capet, en 959, et qui appartenait en grande partie à des seigneurs ecclésiastiques ou laïques, dont l'autorité était presque sans bornes. » (Géographie physique et historique des Vosges). Les longues luttes des petits-fils de Charlemagne, et plus tard des rois de France et des empereurs d'Allemagne, pour la possession de la Lorraine favorisèrent l'indépendance des seigneurs, qui ne laissèrent aux ducs de Lorraine qu'une autorité restreinte et des domaines fort limités.
 
C'est ainsi que le pays des Vosges se couvrit de ces forteresses féodales dont les vestiges subsistent encore en beaucoup d'endroits. Ce serait une longue et fastidieuse histoire que celle des démêlés et des guerres de tous ces petits tyrans féodaux entre eux et de leurs révoltes contre les ducs de Lorraine.
Nous ne ferons pas davantage l'énumération des monastères et des églises qui furent fondés alors dans le pays des Vosges par les seigneurs. Remarquons seulement que plusieurs de ces monastères donnèrent naissance à des villes, que dans ces temps de barbarie les terres ecclésiastiques étaient ordinairement plus respectées que les autres, et qu'ainsi les habitations se groupèrent autour des églises et des monastères. Telle fut l'origine d'Épinal, de Saint-Dié, de Remiremont, etc.
 
Mais ces villes, qui relevaient de la féodalité ecclésiastique ou laïque, grandirent en population et en importance, et il vint un temps où leurs habitants se trouvèrent assez forts pour se soustraire à la sujétion féodale. C'est au XIIIe siècle, du temps du due Ferry III, que la liberté bourgeoise s'établit dans le pays des Vosges, et que les villes y reçurent, comme dans presque toute la Lorraine, ce que l'on appelait la charte ou la loi de Beaumont ; Beaumont était une petite ville de Champagne, bâtie par un archevêque de Reims, qui avait attiré les habitants en leur accordant une constitution municipale d'après laquelle s'organisèrent un peu plus tard un grand nombre de villes.
 
Avec la liberté on vit renaître le commerce et l'industrie ; mais combien la sécurité manquait encore à ceux qui s'aventuraient hors des murs de leur ville ! On voit au XIVesiècle des marchands de Neufchâteau arrêtés sur la grande route et saisis, comme le serait une propriété, par des créanciers de leur seigneur. Une autre misère de cette époque était ces compagnies de pillards et de brigands qui se formaient à la faveur de la guerre entre la France et l'Angleterre, et dont les ravages s'étendirent jusqu'au pied des Vosges ; Neufchâteau fut horriblement dévasté par eux en 1371.
 
Au siècle suivant, le pays eut à souffrir de la guerre cruelle dans laquelle les maisons d'Anjou et de Vaudemont se disputèrent le duché de Lorraine. Le duc Charles le Hardi avait marié Isabelle, sa fille et son héritière, à René d'Anjou, qui avait hérité déjà du comté de Bar. René trouva un compétiteur dans Antoine de Vaudemont, d'une branche cadette de la famille ducale. Les prétentions de Vaudemont étaient appuyées par le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, et par les Anglais.
 
Mais une grande partie de la noblesse lorraine tenait pour René, qui avait reçu, en outre, quelques renforts français sous le commandement du fameux Barbazan et de Baudricourt, le capitaine de Vaucouleurs. Antoine de Vaudemont avait une armée composée surtout d'aventuriers anglais et de seigneurs bourguignons. Les deux rivaux se trouvèrent en présence près de Bulnéville (2 juillet 1431).
 
L'armée de Vaudemont avait l'avantage du terrain ; Barbazan conseillait à René de couper les vivres à l'ennemi pour le forcer à déloger ; mais les jeunes seigneurs lorrains et allemands qui entouraient René, comptant sur la supériorité du nombre, demandèrent le combat à grands cris. Barbazan fut tué dès le commencement de l'action ; sa mort mit le désordre dans l'armée ; l'artillerie de Vaudemont et ses archers décidèrent la victoire. René, tombé aux mains des Bourguignons fut emmené captif à Dijon.
 
A la captivité de René se rattache un épisode digne d'être mentionné ici. Après la bataille de Bulgnéville, la femme du prisonnier, Isabelle, vint implorer le secours de Charles VII ; la duchesse était accompagnée d'une de ses amies d'enfance, gracieuse jeune fille, dont la vue fit une vive impression sur le coeur de Charles VII ; c'était Agnès Sorel, « une des plus belles femmes que je vis oncques, dit un contemporain, et qui fit en sa qualité beaucoup de bien au royaulme. » Les maîtresses de nos rois n'ont pas souvent mérité pareil éloge.
 
Les hostilités ne s'arrêtèrent pas après la bataille de Bulgnéville. Pendant plusieurs années, Antoine de Vaudemont ravagea le pays avec ses bandes d'aventuriers ; Mirecourt fut pillé en 1438. La même année, Charles VII envoya des troupes au secours de René, son beau-frère, avec Lahire et Xaintrailles.
 
Ce fut un surcroît de malheur que l'arrivée de ces prétendus auxiliaires, qui pillaient également amis et ennemis. Enfin, la paix fut rétablie entre Vaudemont et René, qui consentit au mariage de sa fille avec le fils de son rival. Ce traité devait plus tard rendre la Lorraine au descendant de l'antique famille ducale ; mais la guerre avait cruellement pesé sur le pays vosgien, et d'ailleurs la tranquillité ne fut pas de longue durée pour ses habitants.
 
René Il de Vaudemont venait de succéder à Nicolas d'Anjou ; aussitôt Charles le Téméraire, l'ambitieux due de Bourgogne, envahit la Lorraine, se rend maître des Vosges et des villes voisines. Charmes, Mirecourt, Épinal et Saint-Dié sont forcés, Bruyères est saccagé, Neufchâteau et Remiremont sont obligés de se rendre. Mais la chasse de Granson, comme dit Comines, et le désastre de Morat marquèrent le terme des prospérités de la maison de Bourgogne, et le pays des. Vosges retourna avec le reste de la Lorraine sous l'autorité de René Il et de ses successeurs.
 
C'est dans les montagnes des Vosges que le duc Charles IV chercha un asile, lorsque ses imprudentes provocations fournirent à Richelieu un motif pour envahir la Lorraine. C'est à Épinal qu'il signa une première abdication. C'est à Mirecourt qu'il se retira lorsque Nancy fut occupé par une garnison française, et qu'il signa en 1634 une seconde abdication ; c'est encore parles Vosges qu'il rentra dans son duché, l'année suivante, à la tête d'une armée. C'est que le pays des Vosges était comme la citadelle de la Lorraine ; c'était un sol favorable à une guerre de partisans, comme Charles IV était réduit à la faire.
 
Mais, pendant que ce prince singulier balançait ainsi la fortune du grand ministre de Louis XIII, le pays se ressentait douloureusement de tous les maux de la guerre. Des soldats féroces pillaient et brûlaient les églises et les monastères, maltraitaient les religieuses et ouvraient le ventre des prisonniers pour chercher l'or qu'ils pouvaient avoir avalé. Aux excès de la cruauté humaine se joignirent la famine et la peste, qui dépeuplèrent des villages entiers.
 
Il faut arriver jusqu'au règne de Léopold, que le traité de Ryswick (1697) remit en possession de la Lorraine, pour voir la fin des calamités de ce pays. Quelques années plus tard, les combinaisons de la politique européenne donnèrent à la Lorraine un souverain étranger, Stanislas Leczinski.
On sait combien fut brillant le règne de ce prince ; mais n'oublions pas que les magnificences de Lunéville étaient coûteuses et que les impôts pesèrent lourdement sur la population des compagnes. Néanmoins, de sages mesures signalèrent aussi le règne de Stanislas ; c'est ainsi qu'après la famine de 1741 des greniers d'abondance furent établis à Épinal, Saint-Dié, Mirecourt, Neufchâteau, etc. En 1766, à la mort de Stanislas, le pays des Vosges suivit le sort du reste de la Lorraine, qui devint province française. Compris dans le grand gouvernement de Lorraine-Barrois, il était divisé alors en neuf bailliages : ceux d'Épinal, de Saint-Dié, de Bruyères, de Remiremont, de Darney, de Mirecourt, de Châtel, de Charmes et de Neufchâteau, relevant de la cour souveraine de Nancy, qui fut érigée en parlement par Louis XVI.
 
Le décret de 1790 qui divisa la France en départements établit le département des Vosges et lui donna pour chef-lieu Épinal. Les habitants d'un pays qui souffrait depuis des siècles des abus de la féodalité ecclésiastique ne pouvaient accueillir qu'avec sympathie et comme une ère réparatrice la Révolution. Si la condition nouvelle imposée à la Lorraine au XVIe siècle excita des regrets chez une population attachée à sa vieille dynastie, ils durent s'effacer alors devant un sentiment nouveau.
 
Jusqu'alors, les Vosgiens ne connaissaient la France que par des invasions militaires et des exactions financières ; ils comprirent, mieux que les édits royaux de Louis XV, qu'ils n'avaient pas à se plaindre de leur destinée, qui les ramenait après tant de siècles dans la grande famille française.
 
Signalé pour son patriotisme en 1792, le département des Vosges fut la premier, en 1800, à acquitter la plus forte partie de ses contributions ; le gouvernement consulaire, pour reconnaître ce patriotique empressement, décréta que la place Royale à Paris prendrait le nom de place des Vosges ; elle conserva ce nom jusqu'à la Restauration, pour le reprendre en 1848, le perdit sous le second Empire et le recouvra après 1870.
 
En 1814, ces braves populations montrèrent combien elles étaient françaises de cœur. Les armées coalisées marchaient sur la France ; Blücher arrivait par le nord de la Lorraine et Schwarzenberg par le haut Rhin ; les deux armées devaient se réunir sur la haute Meuse. Une partie du corps de Schwarzenberg fut arrêtée quelque temps dans les Vosges par une héroïque résistance ; et, quelques mois plus tard, lorsque, après la bataille de Montereau, l'armée autrichienne fit un mouvement de recul, ce fut encore dans les Vosges qu'elle éprouva le plus de pertes.
 
Peut-être l'étranger n'eût-il pas franchi la frontière, si Napoléon eût compris plus tôt que, dans cette lutte suprême, il fallait s'abandonner à cet énergique patriotisme des masses, dont les Vosgiens donnèrent alors un si bel exemple.
 
Le département des Vosges eut beaucoup à souffrir pendant la guerre de 1870-1871. Un des premiers envahis, il fut le dernier évacué et à la signature de la paix il perdit un canton entier, celui de Schirmeck, comprenant les communes de  : Schirmeck, Barembach, La Broque, Grandfontaine, Natzviller, Neuviller-la-Roche, Rothau, Russ, Waldersbach, Wildersbach, Wisches, et la partie septentrionale du canton de Saales, c'est-à-dire les communes de Saales, de Bourg-Bruche, de Colroy-la-Roche, de Plaine, de Saint-Blaise-la-Roche, de Saulxures et de Ranrupt ; en tout, 18 communes, et une population d'environ 22 000 habitants. L'invasion et l'occupation étrangère lui avaient coûté 8 millions 785 723 fr. 85.
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MessageSujet: Re: Histoire des départements en France   Histoire des départements en France Icon_minitimeDim 4 Oct - 10:55

Les départements-(histoire)- Haute Vienne - 87 -

Histoire des départements en France F972ae99
(Région Limousin)
 
Le département de la Haute-Vienne est formé du haut Limousin, d'une. partie de la basse Marche et de quelques communes du haut Poitou. Avant la conquête romaine, ce pays, compris dans la Celtique, était habité par les Lemovices, peuple indépendant dont la puissance paraît avoir été assez considérable.
 
Les Lémovices, dans la lutte contre César, ne trahirent pas la nationalité gauloise. Ils envoyèrent 10 000 hommes sous les murs d'Alésia pour forcer les Romains à lever le siège de cette ville, et leur chef, Sédulius, périt dans la déroute de Vercingétorix. Sous Auguste, lors de la division des Gaules en quatre provinces, la cité des Lémovices fut annexée à l'Aquitaine. Plus tard, Dioclétien divisa l'Aquitaine en deux parties, et le Limousin fut compris dans la première, qui avait Bourges pour métropole.
 
L'histoire de cette province se confond pendant toute la durée de l'empire avec celle de l'Aquitaine. En 418, le faible Honorius la céda aux Wisigoths. Leur domination fut de courte durée. Clovis, chef des Francs, s'empara du Limousin après la bataille de Vouillé (507). En 579 éclata un soulèvement général des peuples de Limoges. Chilpéric, fils de Clovis, avait établi un nouvel impôt sur les produits des terres et sur la propriété des esclaves.
 
La multitude, excitée par le clergé, se porta vers la demeure de Marcus, le référendaire royal ; elle saisit les registres de l'imposition et les brûla en place publique. Des poursuites rigoureuses furent dirigées contre les auteurs et les complices de cette insurrection. Plusieurs prêtres subirent la torture et la mort ; un grand nombre de laïques furent décapités. Mais ces exécutions ne firent qu'exaspérer la haine que les habitants portaient à la domination des rois francs. En 630, Dagobert donne l'Aquitaine à son frère Caribert II.
 
Pendant la période des rois fainéants, le Limousin, comme tout le Midi de la France, eut à souffrir des invasions des Sarrasins. Pépin le Bref rétablit l'unité de la Gaule. Après la chute de Waïfre (768), le duché d'Aquitaine perdit son indépendance, et le Limousin rentra sous l'autorité des rois francs. Charles le Chauve, en 845, céda à Pépin Il toute l'Aquitaine, moins le Poitou, la Saintonge et l'Angoumois.
 
L'année suivante, les Normands parurent dans le Limousin. Les seigneurs du pays, irrités contre Pépin, appelèrent Charles le Chauve et le proclamèrent roi d'Aquitaine à Limoges (848) ; mais bientôt ils l'abandonnèrent ; puis, par un nouveau revirement, ils lui livrèrent son rival (852). Charles, second fils de Charles le Chauve, fut nommé roi d'Aquitaine (855). Il mourut dix ans après (865).
Charles le Chauve établit dans le Limousin des comtes et des vicomtes héréditaires. Le roi Eudes, fils de Robert le Fort, eut à combattre Rainulfe II, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, qui prenait le titre de roi. Eudes établit le premier vicomte à Limoges en 876 ; c'était Aldebert, de la maison de Ségur. En 930, Raoul, duc de Bourgogne, proclamé roi de France par Hugues le Grand, battit les Normands dans le Limousin. Sous le règne de Hugues Capet, le pays fut désolé par la peste (994). Le clergé, profitant de la terreur que le redoutable fléau jetait dans toutes les âmes, demanda l'établissement de la trêve de Dieu. Le concile de Limoges (1031) prononça l'excommunication contre tous ceux qui ne garderaient pas la paix de la justice.
 
En 1152, Éléonore de Guyenne, fille de Guillaume IX, dernier duc d'Aquitaine, après avoir été répudiée par Louis le Jeune, épousa Henri Platangenet, et lui apporta en dot les domaines de son père, dont le Limousin faisait partie avec l'Auvergne, le Périgord, le Poitou, l'Angoumois, la Saintonge et la Guyenne. Lorsque, après la mort d'Étienne, Henri succéda au trône d'Angleterre (1154), il possédait un tiers de la France.
 
Le Limousin resta sous la domination anglaise jusqu'en 1203. Il fut alors confisqué et réuni au domaine royal, en exécution de l'arrêt rendu par les pairs de France contre Jean sans Terre. La soumission de cette province ne fut achevée que par Louis VIII, en 1224. Louis IX, par la traité d'Abbeville (1259), rendit à Henri III d'Angleterre, outre le pays au delà de la Garonne, le Limousin, le Quercy, le Périgord, les revenus de l'Agénois, Saintes et la partie de la Saintonge au sud de la Charente, à la condition de faire l'hommage lige et de renoncer à toutes les autres possessions des rois anglais en France.
 
Jean le Bon, par le traité de Brétigny (8 mai 1360), confirma les Anglais dans la possession de nos provinces méridionales. Charles V essaya de réparer par une politique adroite et cauteleuse les désastres de Crécy et de Poitiers. Il entretint de secrètes intelligences dans le Limousin. Louis, vicomte de Rochechouart, devint suspect au prince de Galles, qui le fit venir à Angoulême et donna l'ordre de l'arrêter. Remis en liberté, il prit ouvertement le parti du roi de France et soutint un siège dans son château contre les troupes anglaises. Charles V le nomma gouverneur du Limousin.
 
L'évêque de Limoges, gagné par les émissaires du roi, traita avec le duc de Berry (1368), et la cité de Limoges qu'il ne faut pas confondre avec le château ou ville proprement dite, selon l'expression du temps, se tourna française. Mais le Prince Noir punit bientôt cette trahison en faisant massacrer une partie de ceux qui défendaient la cité, en 1370.
 
En 1374, une armée anglaise, sous le commandement des ducs de Lancastre et de Bretagne, partit de Calais, passa sous les murs d'Arras, de Ham, de Saint-Quentin, traversa l'Oise, la Marne, la Seine, et vint dévaster la Bourgogne, l'Auvergne et le Limousin. « Plusieurs barons et chevaliers du royaume de France et consaulx des bonnes villes murmuroient l'un à l'autre, et disoient en public que c'estoit chose inconvénients et grand vitupère pour les nobles du royaume de France, où tant a de barons, chevaliers et écuyers, et de quoi la puissance est si renommée, quand ils laissoient ainsi passer les Anglais à leur aise, et point ne s'estoient combattus, et que de ce blâme ils estioent vitupérés par tout le monde. » (Froissart.)
 
Le roi, malgré les plaintes, ne changea point de politique. « Par ma foi, disoit-il, je n'en pense jà à issir ni à mettre ma chevalerie ni mon royaume en péril d'estre perdus pour un peu de plat pays. » Telle était aussi l'opinion de Clisson et de Du Guesclin. « Laissez-les aller ; par fumières ne peuvent-ils venir à votre héritage. Il leur ennuiera, et iront tous à néant. Quand un orage et une tempête se appert à la fois en un pays, si se départ depuis et se dégâte de soi-même ; ainsi adviendra-t-il de ces gens anglois. »
 
En effet, les troupes anglaises, épuisées par la fatigue, sans chevaux, sans armes, sans vivres, purent à grande peine arriver jusqu'à Bordeaux. C'était la dernière armée d'Edouard III. Charles V, en évitant les grosses affaires, avait tiré des mains de l'ennemi le Ponthieu, le Limousin, le Quercy, le Rouergue, la Saintonge, l'Angoumois et le Poitou.
 
Pourtant le Limousin ne fut pas dès lors complètement délivré des Anglais. Ce fut une des malheureuses provinces où la guerre se poursuivit malgré toutes les trêves officielles. Aux limites des deux dominations s'étaient établis des aventuriers qui se disaient Anglais pour avoir un prétexte de piller et de ravageur les terres de France. On pouvait leur appliquer à tous ces paroles que Froissart met dans la bouche d'un chevalier : « Ils ne sont pas Anglois de nation, mais Gascons, et font guerre d'Anglois. » Un de leurs capitaines en renom, Geofrroy Tête noire, disait à ses compagnons de brigandage : « Ma guerre a toujours été telle que je n'avois cure à qui, mais que profit y eùt. Jamais, sur l'ombre de la guerre et querelle des rois d'Angleterre, je me suis formé et opinioné plus que de nul autre ; car je me suis toujours trouvé en terre de conquest ; et là se doivent toujours traire et tenir les compagnons aventureux qui demandent les armes et se désirent a avancer. »
 
Froissart nous montre ces Anglais de Gascogne, établis en 1387, sous les ordres de Perrot le Béarnais, au château de Chalusset, près de Limoges. « Les compagnons à l'aventure couroient en Auvergue ; or pour ce que le pays a esté et estoit toujours en doute pour tels gens, sur les frontières du Bourbonnois se tenoit, de par le duc de Bourbon, un sien chevalier, vaillant homme aux armes .
 
Les temps du brigandage féodal étaient revenus. Pillés par les aventuriers, par les Anglais, par leurs propres seigneurs, les paysans, poussés à bout, cherchèrent plus d'une fois la fin de leurs maux dans des révoltes désespérées. En 1381, ceux de l'Auvergne, du Limousin et du Poitou prirent les armes, assiégèrent les châteaux, massacrèrent les nobles et cette nouvelle Jacquerie ne fut éteinte que dans les supplices.
 
Pendant la première période du règne de Charles VII, la misère du peuple alla toujours croissant. Quand ce n'étaient pas les Anglais qui étaient maîtres de son royaume, c'étaient ses serviteurs, ses routiers pillards et féroces. « Il faut bien que nous vivions, répondaient-ils aux plaintes des paysans : si ce fussent des Anglois, vous n'en parleriez pas tant. »
 
En 1442, Charles VII se décida à purger enfin de ces hôtes exécrables les provinces de l'Ouest et du Midi. Dans son expédition vers les Pyrénées, il traversa le Limousin et en chassa les écorcheurs. Louis XI acheva l'oeuvre de son père, et rétablit dans les provinces un peu d'ordre et de sécurité. Le parlement de Bordeaux, qu'il créa en 1462, comprit le Limousin dans sa juridiction.
 
Durant le XIVe siècle, ce pays, encore fatigué des longues souffrances de la Guerre de Cent ans, ne put échapper aux désastres des guerres de religion. La Réforme commença à se montrer en Limousin vers 1560 ; mais elle fit peu de progrès. Les habitants suivirent en général la cause du roi, et repoussèrent également les ligueurs et les huguenots.
 
Pendant les guerres de religion, le Limousin fut le théâtre de la guerre en 1569. C'est à Châlus que les Allemands, amenés par le duc de Deux-Ponts, opérèrent leur jonction avec les troupes de Coligny. Le duc d'Anjou perdit la bataille de La Roche-l'Abeille. L'armée catholique mourait de faim dans ce pays peu fertile et déjà ravagé par les protestants. Les reîtres du duc d'Anjou déclaraient qu'ils ne pouvaient combattre à jeûn.
 
Gens d'armes et fantassins s'en allaient par bandes sans congé. De leur côté, les huguenots se fatiguaient de la guerre d'escarmouches. Leur victoire de La Roche-l'Abeille ne leur avait pas procuré de grands avantages. Ils auraient mieux aimé une bataille décisive. Pour terminer la campagne, ils tentèrent la voie des négociations ; mais Charles IX déclara qu'ils n'accorderait rien avant que les rebelles eussent posé les armes.
 
C'était rejeter formellement toute proposition de paix. Coligny et les princes continuèrent les opérations militaires. Ils s'occupèrent à des sièges à défaut de bataille, et soumirent plusieurs places du Périgord, du haut Poitou et du Limousin. Après la mort de Henri III (1589), la Ligue mit pour gouverneurs dans le Limousin et dans les provinces voisines Louis de Pompadour et Desprez de Montpezat. Anne de Lévis de Ventadour était gouverneur pour le roi lorsque les ligueurs assiégèrent la ville de Saint-Yrieix.
 
En 1594, Henri IV, par ses victoires et ses négociations, acheva la conquête de la France. Mais, pendant que les grands traitaient avec le roi et que les cités de toutes parts lui ouvraient leurs portes la lassitude de la guerre civile, qui faisait déposer les armes à la bourgeoisie, les faisait prendre aux paysans du sud-ouest. Il n'est pas facile d'imaginer à quel degré d'insolence et de cruauté étaient arrivés les petits chefs militaires des provinces : toutes les horreurs des temps les plus désordonnés de la féodalité se renouvelaient au fond des donjons ligueurs et royalistes.
 
Mille petits tyrans, d'autant plus pressés de se gorger d'or qu'ils sentaient leur règne plus éphémère, écrasaient, torturaient, suçaient jusqu'au sang les peuples des campagnes. Les paysans se soulevèrent par milliers dans le Poitou, la Saintonge, le Limonsin, la Marche, le Périgord, l'Agénois, le Queréy, non plus pour la messe ou le prêche, pour le roi ou la Ligue, mais pour avoir le droit de vivre et d'être hommes.
Ils refusèrent le payement des tailles, des dîmes, des droits féodaux ; assaillirent les repaires de leurs oppresseurs, coururent sus aux percepteurs, aux gens de guerre, aux nobles connus, pour maltraiter leurs vassaux, à tous ceux qui croquaient le pauvre peuple. Leur cri de guerre : Aux croquants ! aux croquants ! leur valut à eux-mêmes le nom bizarre qu'ils donnaient à leurs ennemis.
 
Dans le Poitou, le Limousin et l'Angoumois, où le mouvement avait commencé, les gouverneurs royaux dissipèrent les bandes de paysans moitié par force, moitié par promesse d'un meilleur traitement. Dans le Limousin, les croquants avaient pour cher un nommé P. Deschamps. Il fut tué au mois de mai 1591. Les paysans pillèrent le château de Châlus et assiégèrent Saint-Yrieix.
 
On peut lire dans Chroniques limousines : « M. de Chambaret, gouverneur du haut et bas Limousin, fit venir quatre à cinq cents hommes de cheval et des compagnies de gens de pied. MM. Dably et de Marsillac (La Rochefoucauld) lui amenèrent autant d'hommes. Les seigneurs de La Capelle, Biron et de Peyraux s'y joignirent encore avec toute la noblesse de ces provinces. Ils vinrent à Rujaleuf où se tenait le capitaine des croquants, qu'il n'osa attaquer. Il se retira à Crouzilh (Couzeix), autrement le petit Limoges, où il remporta quelque avantage, et mit le feu au bourg. Il les dénicha, avec le canon, de Crouzilh, puis de Saint-Priest-Ligoure.
 
« Entre Nexon, Meilhat, Lagarde et Bost-Richard, il voulut charger 2 500 de leurs arquebusiers ; mais les croquants et Desmoulins, leur capitaine, les repoussèrent vivement d'abord. Desmoulins et leurs autres capitaines, gagnés par M. de Chambaret, les abandonnèrent ensuite. On en tua 1 500, et presque tous les autres furent blessés. C'était un ramassis de paysans des paroisses de Saint-Pardoux, Saint-Paul, Saint-Jorry, Sainte-Marie, SaintPriest, Saint-Nicolas, Meilhat, Frugier, Firbeix, Dournazac, Legeyrac, Ladignac, Champsac en Périgord et en Limosin. »
 
LLe Bulletin de la Société de l'histoire de France a publié une circulaire de paysans insurgés, se qualifiant du tiers état des pays de Quercy, Agénois, Périgord, Saintonge, Limousin, haute et basse Marche, en armes pour le service du roi et conservation du royaume. Cette pièce est adressée aux officiers et habitants des diverses châtellenies de la contrée, que les insurgés somment de se joindre à eux contre « les inventeurs de subsides, voleurs, leurs receveurs et commis, etc. »
 
Ils reconnaissent Henri IV pour roi de droit divin, naturel et humain, et déclarent vouloir maintenir l'Église, la noblesse sans reproche et la justice. L'autorité royale étouffa dans les massacres et dans les supplices cette révolte uniquement dirigée contre les brigands féodaux. Mais la même main qui écrasait les croquants ne ménagea pas davantage les seigneurs trop remuants et trop orgueilleux.
 
En 1605, les nobles mécontents conspiraient dans le Midi contre Henri IV. Le roi résolut de se montrer en personne dans ses provinces du sud. Il marcha en Limousin à la tête d'un petit corps d'armée (octobre 1605). Une chambre du Parlement de Paris vint tenir les Grands-Jours à Limoges, et, suivant l'expression des mémoires de Sully, « il y eut dix à douze têtes qui volèrent. »
 
Pendant la réunion des états généraux, l'insolence d'un député limousin amena une vive querelle entre la noblesse et le tiers état. Le 3 février 1615, le sieur de Bonneval, député de la noblesse du Limousin, chargea de coups de bâton, dans la rue, le sieur de Chavailles, député du tiers de la même province et lieutenant particulier à Uzerche. Cet outrage. souleva une furieuse tempête. Le tiers en corps se transporta sur-le-champ au Louvre, et demanda justice à Louis XIII du crime de lèse-majesté commis sur un membre des états, participant de l'inviolabilité royale.
 
Pendant les troubles de la Fronde, le Limousin n'eut pas trop à souffrir de la guerre civile. Condé le traversa, mais en aventurier et dans un singulier équipage. Gourville, dans ses mémoires, raconte cette expédition dont il fit partie. « M. le Prince, dit-il, ayant eu des nouvelles que M. de Beaufort, qui commandait les troupes de Monsieur, et M. de Nemours, qui commandait les siennes, quoique beaux-frères, avaient de grands démêlés ensemble, jusque-là qu'on craignait qu'ils n'en vinssent aux mains, et que, si M. le Prince pouvait se rendre à cette armée, cela pourrait obliger la cour à faire une paix qui lui serait avantageuse.
 
« M. le Prince prit le parti de s'y rendre avec un petit nombre de gens à sa suite ; ayant concerté l'affaire avec M. de La Rochefoucauld, qui souhaita que M. le prince de Marsillac, quoique fort jeune, en fût aussi, M. le marquis de Lévis, M. de Chavagnac, M. Guitaut, M. de Bercenay, capitaine des gardes de M. de La Rochefoucauld, moi et Rochefort, valet de chambre de Son Altesse sérénissime. Le jour qui fut choisi pour partir (d'Agen) était le, dimanche des Rameaux (1652). Ils prirent tous des habits modestes, qui paraissaient plutôt habits de cavaliers que de seigneurs...
 
« Nous entrâmes dans un village (au delà de Cahuzac), où il y avait un cabaret. L'on y demeura trois ou quatre heures, et n'y ayant trouvé que des œufs, M. le Prince se piqua de bien faire une omelette. L'hôtesse lui ayant dit qu'il fallait la tourner pour la mieux faire cuire, et enseigné à peu près comme il fallait faire, l'ayant voulu exécuter, il la jeta bravement du premier coup dans le feu. Je priai l'hôtesse d'en faire une a autre et de ne pas la confier à cet habile cuisinier. Nos gens ne faisant que dormir, j'étais obligé d'avoir soin des chevaux et de compter, de sorte que je ne pouvais reposer un moment.
 
« Le mercredi, à trois heures du matin, marchant auprès de notre guide, et voyant que nous approchions d'un lieu qui me parut assez gros, je lui demandai si nous devions passer dedans ; il me dit que non, mais que la rivière en était si proche qu'il n'y ait que la largeur du chemin entre deux, et qu'on y faisait une espèce de garde. Je me mis pour lors une écharpe blanche dont je m'étais nanti : voyant quelques hommes devant la porte, je les priai de ne laisser entrer personne de ceux qui me suivaient ; je, fus aussitôt obéi. Nous passâmes, et allâmes faire repaître nos chevaux dans un gros village, où un paysan dit à M. le Prince qu'il le connaissait bien, et en effet le nomma. L'ayant entendu, je me mis a rire, et, quelques autres s'approchant, je leur dis ce qui venait d'arriver. Tous plaisantant sur cela, le pauvre ne savait plus qu'en croire. »
 
Le duc de La Rochefoucauld parle aussi de cette course. aventureuse à travers le Périgord et le Limousin. « Ce qu'il y eut, dit il de plus rude dans ce voyage fut l'extraordinaire diligence avec laquelle on marcha jour et nuit, presque toujours sur les mêmes chevaux, et sans demeurer jamais deux heures en même lieu. On logea chez deux ou trois gentilshommes, amis du duc de Lévis, pour se reposer quelques heures et pour acheter des chevaux ; mais ces hôtes soupçonnaient si peu M. le Prince d'être ce qu'il était, que, dans un de ces repas, où l'on dit d'ordinaire ses sentiments avec plus de sincérité qu'ailleurs, il put apprendre des nouvelles de ses proches qu'il avait peut-être ignorées jusqu'alors. »
 
La Rochefoucauld fait ici allusion à ses amours avec Mme de Longueville, sœur du prince de Condé. Gourville, plus discret que son maître, ne rapporte pas ce détail assez piquant. Le voyage se termina heureusement ; Condé traversa sans encombre le Périgord, le Limousin, l'Auvergne et le Bourbonnais. « Il arriva, le samedi au soir au Bec-d'Allier, à deux lieues de La Charité, où il passa la rivière de Loire sans aucan empêchement. »
 
Depuis la victoire de Louis XIV et l'établissement de la monarchie absolue, l'histoire du Limousin se confond entièrement dans celle de la nation ; cette province n'a plus de vie personnelle ; pourtant, elle ne perd pas tout à fait son caractère propre et original. Dans l'unité de la France, on reconnaît encore le Limousin.
 
Voici le tableau de cette province à la fin du XVIIe siècle, tel que l'a tracé le comte dé Boulainvilliers, d'après les rapports de l'intendant de Limoges : « Le haut Limousin est montueux et froid, couvert de bois de châtaigniers, dont le fruit est la principale nourriture du peuple. Les. terres sont peu propres au froment ; mais on y recueille de bon seigle, et surtout quantité de blé noir avec des raves de la grosse espèce. Ces deux derniers, avec les châtaignes, sont la nourriture ordinaire des paysans, et, quelque bonne que soit d'ailleurs la récolte, ils pâtissent toujours beaucoup quand l'une de ces trois espèces vient à manquer. Il ne faut pas croire qu'ils fassent du pain de châtaignes, comme on le dit à Paris, ce fruit n'étant propre ni à être moulu ni à être pétri ; mais ils le font bouillir, le dépouillent par ce moyen de ses deux écorces, et le mangent ensuite avec délice. Cette nourriture rend les hommes durs au travail et robustes, mais elle ne leur donne aucune vivacité. »
 
Après avoir décrit le pays, Boulainvilliers, traçant le caractère des habitants, ajoute : « Les habitants du haut Limosin sont grossiers et pesants, mais laborieux, entendus à leurs affaires, vigilants, économes jusqu'à l'avarice, jaloux, défiants, craignant le mépris, durs sur le recouvrement des deniers du roi. Quand ils se soumettent aux impôts, c'est plutôt par crainte que par bonne volonté ; car leur passion dominante est de posséder sans inquiétude et sans partagé le fruit de leurs travaux. »
 
Le Limousin n'avait pas de coutumes ni d'usages particuliers : c'était un pays de droit écrit, et l'une des provinces qui, suivant Necker, étaient les moins productives. « Ce pays, dit l'abbé de Laporte dans son Voyageur français, a donné plusieurs papes à l'Église, plusieurs hommes célèbres dans la magistrature et dans les lettres, les sciences et des arts : les Dorat, les Saint-Aulaire, les d'Aguesseau, et plusieurs autres qui doivent effacer par leurs talents ou leur illustration l'espèce de ridicule que Molière a jeté sur la noblesse Limousine et sur l'esprit des habitants de cette province. Il est vrai que le peuple, pauvre et malheureux, obligé de suppléer par une vie dure, par des travaux continuels, à la stérilité du sol, n'a guère cultivé ses facultés intellectuelles et n'a point suivi les progrès de son siècle. La misère n'est point favorable à l'instruction. Le besoin a fait naître chez les Limosins l'industrie, l'activité, la sobriété. On leur reproche d'être méfiants, processifs et surtout superstitieux. La religion des Limosins ne consiste qu'en des pratiques extérieures de processions et de pèlerinages, et la vénération qu'ils ont pour les saints de leur pays, saint Martial et saint Léonard, est exclusive de tous les autres, et va même à l'abaissement du culte de Dieu. »
 
Une nouvelle industrie, celle de la porcelaine, a augmenté l'aisance des habitants, et cette profession, presque artistique, a éveillé des intelligences longtemps paresseuses. Au XIXesiècle, le département compte 40 fabriques de porcelaine, dont les produits rivalisent avec les plus beaux et les plus estimés de l'Angleterre, de la Saxe et des autres pays étrangers.
 
Depuis le temps où Turgot, intendant de la généralité de Limoges (1761), abolit la corvée et donna à ce pays, jusqu'alors impraticable, les routes les plus belles et les mieux entretenues de la France, de nouveaux progrès ont été accomplis, et la création d'un réseau de chemins de fer à travers le département y a apporté une activité industrielle, et commerciale qui n'a pas tardé à l'enrichir et à en faire un des plus importants de la France.
 
Mais si le frottement de la civilisation moderne a poli le caractère, limousin, il n'en a pas altéré les qualités saines et solides. Dans sa Statistique du département de la Haute-Vienne, AI. Texier Olivier, préfet de la Haute-Vienne a fait en ces termes l'éloge de ses administrés .« La douceur est le caractère distinctif des habitants du département de la Haute-Vienne. Ils sont, en général, pleins de bonhomie et de candeur ; et, quoique excessivement économes, ils se montrent charitables et hospitaliers. Durs envers eux-mêmes, ils sont honnêtes envers les étrangers ; ils savent apprécier le bien qu'on leur fait ; ils sont serviables et reconnaissants. »
 
Toujours au XIXe siècle, on parle généralement à Limoges le français, mais avec une prononciation vicieuse ; l'accent limousin se perd difficilement, même chez ceux qui font de longues absences. Le patois du pays est un idiome mélangé de latin, d'espagnol et de langue romane corrompue. Au Moyen Age, la langue limousine a eu ses troubadours et ses poètes ; de nos jours, les imitations des fables de La Fontaine, les contes, les chansons et les noëls patois des abbés Foucaud et Richard et de quelques autres, nous ont conservé celle langue. On y trouve des expressions originales qui, traduites en français, perdraient tout ce qu'elles ont d'énergie, de sel et de valeur.

Les départements-(histoire)- Vienne - 86 -

Histoire des départements en France E0b8fd73
(Région Poitou-Charentes)
 
Le département de la Vienne a été formé, en 1790, de la contrée qu'on appelait le haut Poitou. Antérieurement à la conquête romaine, ce pays était habité par les Pictones, les Pictons, dont le nom se transforma plus tard en celui de Pictavi, tribu importante de la nation gauloise.
 
Publius Crassus, un des lieutenants de César, pénétra le premier chez les Pictones, dont César en personne vint plus tard incorporer le territoire dans l'Aquitaine. Le Poitou s'associa aux efforts des provinces qui protestèrent avec Vercingétorix contre le joug de l'étranger, et son contingent, sous les murs d'Alise, paya sa dette à la nationalité opprimée. Là, comme ailleurs, la politique habile des vainqueurs parvint à énerver, à endormir pendant plusieurs siècles les ressentiments des vaincus.
 
Les bienfaits de la civilisation romaine firent oublier les hontes de la servitude. Les camps devinrent des villes, les vieilles cités s'embellirent, des voies de communication furent tracées et ouvertes, le commerce et les arts achevèrent l'oeuvre que les victoires des légions avaient commencée. Cette transformation sociale était à peine accomplie que les Romains, à leur tour, purent regretter de ne plus avoir pour alliés ou pour sujets que des esclaves à opposer aux nouveaux ennemis qui venaient leur disputer leurs conquêtes.
 
Après de longues années d'une résistance qui allait toujours mollissant, il fallut capituler avec ces barbares infatigables, qu'aucun échec n'épuisait, dont le flot grossissait toujours, irrésistible, implacable comme la fatalité. L'Ouest et le Sud étaient devenus la proie des Wisigoths ; l'orgueil romain transi-en et, ne pouvant les chasser, les accepta dans l'Aquitaine. Le partage de la souveraineté, c'était l'abdication.
 
La domination romaine s'efface, disparaît ; l'empire wisigoth est fondé. Il avait pour limites la Loire et les Pyrénées ; le Poitou en fit partie. Toutefois, ce triomphe de la barbarie consacrait en même temps le triomphe d'une foi nouvelle, bien plus favorable aux progrès de l'avenir et aux destinées de l'humanité que tous les raffinements de la civilisation qu'elle venait remplacer. Les princes wisigoths, comme les rois francs, prirent d'abord le christianisme pour base de leur autorité ; ils travaillèrent aussi à sa propagation, mais se laissèrent bientôt entraîner dans le schisme d'Arius.
 
On sait avec quelle adresse et quel bonheur Clovis exploita la circonstance ; l'orthodoxie avait été le prétexte, les évêques furent les instruments ; le résultat ne fut rien moins que la constitution de la monarchie franque. C'est dans les plaines du Poitou, en 507, que se vida cette grande querelle. Nous verrons encore, dans les crises suprêmes, races et principes se heurter au milieu de cette province, théâtre prédestiné où devaient se dérouler les épisodes les plus décisifs de notre histoire nationale.
 
Les armées de Clovis et d'Alaric se rencontrèrent dans un lieu désigné alors sous le nom deCampus Vocaldensis, c'est-à-dire Vouillé ; Alaric y fut battu et tué. De nos jours, on a voulu contester à Vouillé l'honneur de ce champ de bataille mémorable en le plaçant sur le territoire des communes actuelles de Voulon et de Mougon ; d'autres assignent pour théâtre à cet important événement de notre histoire nationale le lieu dit : Le Camp Sichard, à 2 kilomètres à l'est de Voulon, sur la rive droite du Clain, en face de l'embouchure de la Bouleure ; on trouve, en effet, dans ce lieu de nombreuses tombelles sépulcrales et des tombes en maçonnerie ; mais cela ne prouve rien à propos du champ de bataille. Ce qui est certain, c'est que ce grand drame se joua dans les environs de Poitiers, et que cette ville, déjà importante, renfermait des catholiques ardents, dont le concours et les sympathies étaient acquis à Clovis.
 
Le Poitou, pendant la période mérovingienne, fut gouverné par des comtes non héréditaires, dont quelques noms sont parvenus jusqu'à nous. Willechaire en 509, Austrapius en 544, Sigulfe en 567, Eunodius en 577 et en 586, Bérulfe, dans l'intervalle, en 581, Macon en 589 et Sadragésile en 630. Puis, sous Dagobert, on voit se former, au profit des princes du sang royal, le royaume ou duché d'Aquitaine, dans lequel le Poitou se trouve absorbé.
 
Tout l'intérêt historique de cette époque est dans la lutte héroïque des ducs d'Aquitaine et d'es maires du palais des derniers rois chevelus, les uns s'efforçant de reconstituer, dans ses limites et dans son indépendance, l'empire des Wisigoths, les autres ne voulant pas laisser s'amoindrir le domaine de Clovis, dont leur génie les fera héritiers. Boggis, Hunold, Waïfre, héros vaincus, princes dépossédés, sont les noms dans lesquels se résument les péripéties de ces guerres, dont le Poitou partagea les calamités et subit les conséquences.
 
Il est un événement de la même époque dont la gloire se rattache plus spécialement aux annales du Poitou : c'est la victoire de Charles Martel sur les Sarrasins. L'invasion, cette fois, au lieu de venir du Nord, partait du Midi. L'Ibérie était conquise, les Pyrénées franchies, la partie la plus méridionale des Gaules occupée, et l'émir Abd-el-Rhaman, traînant tout un peuple après lui, se dirigeait vers la Loire.
En ce péril, le duc Eudes s'adressa aux Francs d'Austrasie, ennemis de sa race, mais chrétiens et défenseurs solidaires de l'Aquitaine contre les envahissements du croissant. Charles Martel rassembla ses forces, qui ne s'élevaient pas au-dessus de trente mille hommes, et se dirigea par la Touraine à la rencontre des Sarrasins, c'est sur la voie romaine de Poitiers à Tours, dans le lieu appelé Moussais-la-Bataille, que ce grand conflit s'engagea.
 
Abd-el-Rhaman, à la nouvelle de l'arrivée des Austrasiens, fit un mouvement rétrograde pour concentrer sa nombreuse armée. Il forma à la hâte un camp pour y abriter les femmes, enfants, vieillards et ceux qui n'avaient pas l'habitude de combattre. Ses soldats furent placés en arrière du point où est actuellement le bourg de Moussais, la gauche appuyée sur le Clain, le centre sur la voie romaine et la droite sur la hauteur où se trouve la ferme de la Bataille. Ainsi, comme l'a fait remarquer un habile tacticien moderne, « les Arabes présentaient une vaste courbure, embrassant les plaines du vieux Poitiers, dans lesquelles ils croyaient, suivant l'usage des formations orientales, enfermer leurs adversaires par le rapprochement de leurs ailes. »
 
Charles passa la Vienne et rangea son armée en bataille dans les plaines en avant de Moussais. Une sorte d'hésitation sembla précéder l'engagement décisif. La croix et le croissant demeurent en présence et comme immobiles pendant plusieurs jours. Enfin Abd-el-Rhaman donna le signal à la tête de sa cavalerie. Le premier choc fut terrible ; la race du Midi eut d'abord l'avantage, mais celle du Nord reprit le dessus ; la fougue des cavaliers orientaux venait se briser contre les armures d'acier des fantassins septentrionaux ; des efforts d'une valeur indicible furent faits de part et d'autre, mais un mouvement inattendu décida tout à coup du triomphe de la croix.
 
C'était Eudes, le duc des Aquitains, qui, arrivant en toute diligence avec son corps de troupes, attaqua la droite des musulmans et pénétra dans leur camp, où il fit un grand carnage, surtout parmi les non-combattants. S'apercevant du mouvement rétrograde de cette partie de son armée, Abd-el-Rhaman courut rétablir le combat ; mais il y trouva la mort, et, le désordre s'étant mis aussitôt parmi les siens, la déroute devint complète. La nuit seule, qui survint, empêcha l'entière destruction de cette horde arabe, qui se retira par essaims vers les Pyrénées.
 
La gloire de cette journée rejaillit sur Charles Martel et facilita à sa famille l'avènement au trône de France, aussi bien que la domination de l'Aquitaine. Charlemagne, en 778, reconstitua cette province en royaume particulier, dépendant de l'empire franc, et il en fit l'apanage de son fils aîné, Louis le Débonnaire, le jour même de sa naissance. Le Poitou partagea encore les destinées du nouvel État ; jusqu'au règne de Louis le Bègue, c'est-à-dire jusqu'à l'établissement de la grande féodalité, il fut gouverné par des comtes révocables : Abbon en 778, Ricwin en 814, Raynulfe Ier en 839 et Bernhard en 869.
 
A dater de cette époque, les prétentions des comtes de Poitou semblent grandir en proportion de l'affaissement du pouvoir des Carlovingiens. Raynulfe Il ajoute à son titre celui de duc d'Aquitaine, et en 880 il veut se faire nommer roi. Eudes eut recours au poison pour se délivrer de ce vassal insatiable. Mais le principe d'hérédité était désormais acquis à cette maison de Poitou, qui, par alliance ou conquête, avait ajouté à ses domaines l'Auvergne, le Berry, le Limousin, et à laquelle on ne songeait plus à contester le titre de ducs d'Aquitaine. Le premier de ces seigneurs héréditaires qui ait laissé un nom historique est le fameux Guillaume Tête d'Étoupe, surnom qu'il devait à la couleur de ses cheveux. Las de la vie guerrière et agitée qu'il avait menée, il se retira dans l'abbaye de Saint-Maixent, y prit l'habit de moine et y mourut en 964.
 
Son fils, Guillaume, qui lui succéda, fut surnommé Fier-à-bras, titre qu'il mérita principalement, dit Belleforêt, parce qu'il tint tête à Hugues Capet et qu'il lui écrivit dans les termes les plus forts et les plus hardis. Ce monarque vint assiéger Poitiers et contraignit enfin le duc d'Aquitaine à se soumettre. Ce fut ce même duc qui fonda l'abbaye de Maillezais et qu'on assure être mort, comme son père, religieux de ce couvent ou de celui de Saint-Maixent. On prétend aussi qu'il eut un frère puîné, qui passa en Dauphiné et fut la tige de l'illustre maison de Poitiers, qui ne s'est éteinte qu'au XVIIe siècle et de laquelle descendait la fameuse maîtresse de Henri Il.
 
Le fils de Fier-à-bras, nommé Guillaume, comme ses aïeux, mérita le surnom de Grand. Ce fut un prince très savant dans ce siècle d'ignorance ; il entretenait des relations avec tous les esprits distingués de son temps. Les hommes de guerre l'appelèrent Grand, parce qu'il augmenta considérablement ses États par ses conquêtes et ses alliances. Les moines le surnommèrent le Pieux, parce qu'il releva beaucoup d'églises ruinées, et les savants l'appelèrent le Grammairien, parce qu'il fonda des écoles et qu'il s'occupa du soin d'instruire ses sujets.
 
Sa fille Agnès, qui épousa l'empereur Henri III, était également savante. Ses trois fils lui succédèrent l'un après l'autre. Le premier se nomma Guillaume le Gros ; le second, Eudes, qui, du chef de sa mère, réunit la Gascogne à ses domaines, et le troisième, encore Guillaume. Celui-ci eut un fils, qui prit le nom de Guillaume, héréditaire, comme on le voit, dans la famille ; il était fort instruit, homme d'esprit et d'une rare vaillance, mais ses moeurs et ses principes étaient peu exemplaires. Il composait des vers, des chansons et des fabliaux, remarquables, dit-on, par la verve et la finesse, mais généralement très libres, très scandaleux et même injurieux pour le clergé.
 
Un auteur anglais accuse ce prince d'avoir eu l'idée de fonder une abbaye de belles dames et de jolies demoiselles, plus galantes que dévotes, et de leur donner des règlements conformes à leurs moeurs. Il voulait mettre à leur tête Maubergeonne, vicomtesse de Châtellerault, avec laquelle il vivait publiquement après avoir abandonné sa femme Hildegarde. Celle-ci en porta ses plaintes au pape, et les évêques forcèrent le comte à la reprendre et à vivre avec elle.
 
Ce fut sans doute pour éluder cet ordre, et cependant pour réparer ses premiers scandales, qu'il se croisa et passa en Orient. Il y acquit beaucoup de gloire par sa valeur, quoique ses troupes y eussent été maltraitées et qu'il revînt lui-même en assez piteux état. Il mourut en 1126, laissant pour successeur son fils, Guillaume IX, dernier duc d'Aquitaine de la maison des anciens comtes de Poitou.
 
La vie de ce Guillaume est un véritable roman. Les légendes populaires, les contes merveilleux s'y sont tellement substitués à l'histoire, qu'il est bien difficile de faire la part de ce qui est vrai de ce qui ne l'est pas. Protecteur zélé de l'Église durant les premières années de son règne, fondateur du Montierneuf à Poitiers, bienfaiteur de Fontevrault, il eut le malheur de prendre parti pour l'antipape Anaclet contre Innocent II.
 
Saint Bernard, ne voulant pas laisser au schisme un appui aussi puissant, se rendit lui-même auprès de Guillaume. Un jour qu'il célébrait la messe en présence du duc, au moment de l'élévation, tenant entre ses mains l'hostie, sainte levée, dans un accès de soudaine inspiration, il adjura Guillaume de reconnaître le pape légitime, de chasser de ses domaines les évêques schismatiques et de rappeler ceux qu'il avait bannis de leurs sièges. S'abandonnant à sa foudroyante éloquence, à cet enthousiasme mystique dont nul autre ne fut possédé au même degré, il le menace de la colère céleste et le déclare frappé d'excommunication s'il n'obéit. Guillaume, interdit, effrayé, promet tout ; mais le lendemain il veut éluder ses promesses.
 
Alors s'accomplissent autour de lui les prodiges du plus sinistre augure : l'évêque intrus de Limoges tombe de sa mule et meurt de sa chute ; celui de Poitiers est pris d'une fièvre chaude et se coupe la gorge avec un rasoir. Le duc, saisi de terreur, n'essaye plus de résister aux avertissements du ciel. Il va consulter saint Bernard à Clairvaux, il se rend en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Galice, appelle auprès de lui les trois officiers de sa maison auxquels il avait le plus de confiance, leur fait promettre, sous les plus grands serments, d'exécuter ses ordres avec fidélité et discrétion, puis il leur remet son testament et les charge de le porter au roi Louis le Gros. C'était son abdication au profit d'Éléonore, sa fille aînée ; il priait le roi de lui servir de tuteur et de lui faire épouser son fils, Louis le Jeune.
 
Les volontés de Guillaume furent exécutées de tout point. Quant à lui, après s'être fait passer pour mort et s'être fait construire un tombeau, il s'embarque pour la Terre sainte. Ici commence une série d'aventures auxquelles manque tout caractère d'authenticité, et qui, d'ailleurs, ne se rattachent aucunement à l'histoire du Poitou.
 
Cette province suivit les destinées de la princesse qui en était devenue souveraine ; séparée de la France, comme on le sait, par le déplorable divorce d'Éléonore, elle devint, par son second mariage avec Henri Plantagenet, apanage des princes anglais. L'accroissement de puissance des comtes de Poitou avait eu pour conséquence un développement proportionnel des grands vassaux qui, au-dessous d'eux, gouvernaient le pays.
 
Le sol avait été divisé en vigueries, institution empruntée à la nation gothique, pour l'administration de la justice ; au-dessus des viguiers avaient été placés les vicomtes, comme intermédiaires entre eux et les comtes. Plus la maison de Poitou étendait ses possessions, plus les vicomtes, ses lieutenants, acquéraient d'indépendance et d'importance ; ils créèrent donc à leur tour des dynasties héréditaire, avec lesquelles eurent souvent à compter les rois de France et d'Angleterre. Telle fut l'origine des maisons de Melle, d'Aunay, de Châtellerault, de Thouars, de Lusignan, de Parthenay, de Talmont, de Mauléon, de Bressuire et de beaucoup d'autres que nous pourrions citer.
 
Les conséquences calamiteuses qu'entraîna la possession d'une partie de la France par un prince anglais ne se firent sentir nulle part plus cruellement qu'en Poitou ; c'est là, en effet, que l'étranger établit le centre de sa domination. Richard Coeur de Lion, fils d'Éléonore et de Henri Il d'Angleterre, fut créé comte de Poitou ; il aimait cette province et y résida longtemps, partageant son temps entre le palais de Poitiers et le château à de Montreuil-Bonnin, où il faisait battre monnaie.
Lorsqu'il fut devenu roi, il donna le Poitou à son neveu, Othon de Saxe, dit de Brunswick, qui, plus tard, devint empereur d'Allemagne. L'arrêt de confiscation prononcé contre Jean Plantagenet après l'assassinat d'Arthur, duc de Bretagne, fit rentrer momentanément le Poitou sous la loi française ; saint Louis concéda, en 1241, le Poitou à son frère Alphonse, et les tentatives des Anglais pour le reprendre aboutirent à la glorieuse bataille de Taillebourg.
 
A la mort d'Alphonse, qui ne laissa pas d'héritier, ses domaines firent retour à la couronne, et, en 1304, Philippe le Bel investit du comté de Poitou le second de ses fils ; ce prince, lorsqu'il arriva au trône, sous le nom de Philippe le Long réunit de nouveau le Poitou au domaine royal. Cette possession, toutefois, était plus nominale que réelle ; l'Anglais n'avait point cessé d'avoir pied en France, et, malgré les divers traités intervenus, les hostilités étaient pour ainsi dire permanentes.
 
La rivalité des maisons de France et d'Angleterre caractérisait cette époque, comme autrefois la lutte des Francs et des Wisigoths et plus tard l'invasion des Maures d'Espagne avaient marqué deux autres grandes périodes de notre histoire. Cette fois encore le Poitou fut le théâtre où s'accomplit l'acte le plus important de cette crise. En avril 1356, le prince Noir, fils aîné du roi d'Angleterre, maître du Limousin et du Berry, menaçait la Touraine, où il semblait vouloir faire jonction avec le duc de Lancastre, qui venait d'opérer en Bretagne ; le roi Jean, occupé alors au siège de Breteuil, en Normandie, fit rassembler des troupes dans la province menacée, vint en prendre lui-même le commandement, et passa la Vienne pour se porter à la rencontre de l'ennemi. A cette nouvelle, le prince Noir, qui était parvenu à deux lieues de Poitiers, fit halte et se retrancha non loin de l'abbaye de Nouaillé, dans la lande de Maupertuis-de-Beauvoir.
 
C'est là que les deux armées se rencontrèrent, et, après être restées deux journées en présence, elles en vinrent aux mains le 19 septembre. Le prince anglais, habile tacticien, quoique bien inférieur en forces à son adversaire, sut disposer ses troupes de manière à écraser avec toute son armée chacun des trois corps français tenus dans l'isolément l'un de l'autre.
 
La supériorité numérique des soldats du roi Jean ne fit qu'ajouter au désordre de la défaite ; la France, dans cette journée néfaste, perdit 11 000 hommes, parmi lesquels le connétable, un des maréchaux, plusieurs princes et 2 000 chevaliers. Le roi, nu-tête et à pied, tenant sa hache à deux mains, se défendit avec un courage héroïque jusqu'à la fin de la bataille ; succombant enfin sous le nombre, épuisé de fatigue, affaibli par ses, blessures, il fut conduit au prince de Galles.
 
On sait que le malheureux monarque, traîné de Bordeaux à Londres, y figura dans l'entrée triomphale de son vainqueur. Sa liberté coûta à la France le traité de Brétigny (8 mai 1360), qui abandonnait à l'Angleterre le Poitou et une grande partie de nos provinces d'outre-Loire.
 
Édouard, investi du duché d'Aquitaine, conserva le Poitou jusqu'aux victoires de Du Guesclin. Le Poitou donc redevenu français fut l'apanage de Jean de Berry, du duc de Touraine et du dauphin, fils de Charles VI et d'Isabeau de Bavière. De ce domaine, ils n'eurent le plus souvent que le titre ; le Poitou ne fut définitivement réuni à la France qu'en 1436, après les victoires décisives de Charles VII. Ce prince, néanmoins, après le massacre des Armagnacs, en mai 1418, avait trouvé un asile à Poitiers et y avait établi le parlement. Un siècle de paix succéda à ces longs orages ; mais la province, à peine remise de ces violentes secousses, avait une dernière épreuve à traverser.
 
Le Poitou fut une des premières provinces de France envahies par le protestantisme. Calvin y avait prêché la doctrine nouvelle dans les grottes de Saint-Benoît et de Croutelle ; l'une d'elles porte encore son nom. Les dissentiments se changeant en discordes civiles, les persécutions poussant les vaincus à la vengeance et à la guerre, c'est l'histoire de tous les pays dont s'empare le fanatisme religieux ; ce fut donc aussi durant le XVIe siècle l'histoire du Poitou, avec cette particularité, qu'au plus fort de la lutte, au moment où la crise était suprême, c'est encore sur ce sol prédestiné que les deux partis se heurtèrent.
 
La rencontre eut lieu la 3 octobre 1577, non sur les hauteurs de Moncontour, quoique le nom en soit resté à la fameuse journée, mais assez loin de là, dans la plaine, entre les bourgs d'Assais et de Jumeaux, le village de Plumain et la butte de Puytaillé. Le sang coula Surtout dans les vallées appelées aujourd'hui, à cause de ce grand événement, la vallée Sanguine et la vallée de la Bataille.
 
L'armée protestante, sous les ordres de Coligny, était forte de 12 000 fantassins et de 7 000 hommes de cavalerie. L'armée catholique, sous la conduite du duc d'Anjou, se composait de 18 000 hommes de pied et de 9 000 chevaux. Henri IV, débutant alors dan la carrière militaire, assista à la défaite des huguenots. L'importance de cette journée était telle, que Catherine de Médicis, à qui on parlait des suites qu'aurait pu entraîner alors une défaite de son parti, répondit qu'il aurait fallu se résigner à entendre la messe en français.
 
La bataille de Moncontour est le dernier événement politique dont soient marquées les annales du haut Poitou ; la département de la Vienne est entré avec intelligence et résolution dans la voie de progrès ouverte aux générations modernes depuis le commencement de ce siècle. Il a eu l'heureuse fortune de rester en dehors de ces guerres impies et fratricides qui ensanglantèrent les contrées voisines, alors que la patrie n'avait pas trop du sang de tous ses enfants pour se défendre contre l'étranger. Dans ces derniers temps, il a eu le bonheur d'échapper aux désastres de l'occupation étrangère (1870-1871).
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