FEMMES, VECTEUR DU CHANGEMENT AGRICOLE EN INDE ET EN AFRIQUE
Comment lutter contre la pauvreté et la sécheresse en Inde et en Afrique subsaharienne : En faisant des femmes le vecteur du changement agricole. C’est l’objectif ambitieux de l’Institut international de recherche sur les cultures des tropiques semi-arides (ICRISAT), dans le cadre du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI). Très actifs dans la lutte contre la crise alimentaire qui secoue la planète, ces instituts entendent promouvoir la petite agriculture vivrière plutôt que « l'agribusiness » pour venir en aide aux pays du Sud. Accès à l’éducation, à la science et aux innovations agricoles, Jérôme Bossuet, chercheur à l’ICRISAT, témoigne à travers ce reportage des actions menées en Inde, au Bénin et au Niger.
« En Inde et en Afrique subsaharienne, les femmes sont un véritable agent de changement dans leurs communautés. Avec l'ICRISAT, nous les avons initiées à des projets comme la bio-réhabilitation des terres appauvries, qui permet de rehausser la fertilité du sol grâce à des méthodes écologiques. De petites innovations comme celle-ci peuvent avoir un grand impact sur la production agricole. C'est aussi un moyen détourné de donner plus de pouvoir aux femmes, à qui l'accès à la terre est normalement très difficile. Le récent sommet du G20 (qui s'est tenu à Cannes les 3 et 4 novembre 2011, ndlr) devait mettre l'agriculture et les questions de sécurité alimentaire sur le devant de la scène, mais ces thèmes ont été éclipsés par la crise de l'Euro. Cependant, le message est toujours d'actualité : si l'on veut résoudre la crise alimentaire actuelle, il faut mettre en valeur le rôle important des femmes, et leur apporter le soutien nécessaire. »
Propos recueillis par Thomas Vitry.
La Journée internationale des femmes rurales, qui a lieu le 15 octobre chaque année, est volontairement célébrée la veille de la Journée mondiale de l'alimentation, afin de souligner le rôle majeur, et trop peu reconnu, des femmes dans l'agriculture. Elles représentent 43% des travailleurs agricoles à l'échelle mondiale et constituent même 70% de cette main d’œuvre dans certaines parties du globe. Mais ces chiffres sont sûrement en deçà de la réalité, car les statistiques officielles de nombreux pays ignorent la contribution des femmes.
Auparavant, Lakshmi confectionnait des paniers en osier pour quelques roupies par jour dans le village de Kothapally, dans l’État d’Andhra Pradesh, en Inde. Elle préside maintenant un groupe communautaire de 33 femmes, possède son propre magasin, une nouvelle maison et jongle entre plusieurs métiers. Les raisons de tous ces changements, selon elle, sont simples : quelques vers de terre et de l'eau !
«Ces vers de terre se nourrissent de n’importe quel déchet organique et produisent alors un compost riche et fertilisant. Ils peuvent même transformer ainsi des herbes toxiques qui envahiraient nos champs en engrais naturel, explique Lakshmi. Les chercheurs de l'ICRISAT nous ont appris comment gérer une entreprise de vermiculture et maintenant, c'est nous qui formons d’autres villageois», poursuit-elle. La demande de vermicompost est importante depuis que les paysans ont suffisamment d’eau pour cultiver, même en saison sèche. Le vermicompost est précieux pour nourrir le sol entre les récoltes et permet d’obtenir de meilleurs rendements pour certaines cultures recherchées, comme la tomate. Le surplus des récoltes est vendu sur les marchés, ce qui a permis d'améliorer la situation économique du village.
A 200 km de Kothapally, la région d’Addakal a souffert d’une terrible sécheresse en 2009. Pourtant, les paysans locaux ont eu des récoltes plutôt bonnes, car les femmes du réseau d’entraide local (« adarsha ») avaient réalisé un plan d’adaptation à la sécheresse grâce à l’Académie Virtuelle pour les Tropiques Semi-Arides, mis en place par l'ICRISAT. Sur cette photo, une formatrice volontaire présente en vidéoconférence, une carte des risques de sécheresse.
Lors de ces conférences - audio ou vidéo - hebdomadaires au centre communautaire, les femmes reçoivent des conseils agronomiques adaptés à la situation de sécheresse, qu’elles pourront partager avec leur communauté. Au cours de ces dialogues, elles apportent des informations de terrain essentielles pour les chercheurs de l'ICRISAT, sur les attaques d’insectes et la pluviométrie locale par exemple, ce qui permet aux scientifiques, en retour, de leur fournir les bonnes réponses à leurs problèmes.
Les paysannes transmettent alors les conseils qu'elles ont reçus au sein de leur village. Ici, en prévision d’un épisode de sécheresse, les chercheurs leur ont suggéré de cultiver des plantes résistantes en période aride, comme le mil, plutôt que l’habituel riz, très gourmand en eau.
En Afrique subsaharienne, les femmes n’ont pas ou peu accès à la terre ; bien qu'elles représentent plus de la moitié de la force vive agricole, elles sont peu reconnues : d’après l'UNICEF, seules 6% des femmes étaient considérées actives au Niger. Là-bas, l'ICRISAT fait en sorte que des groupes de femmes puissent profiter de terres communales délaissées pour devenir maîtresses de leur avenir grâce à la bio-réhabilitation.
Le système de bio-réhabilitation de terres appauvries au Sahel permet de convertir des terres de latérite (sol rouge-brun riche en oxyde de fer et en alumine) stériles en sols productifs. Cela est possible grâce à des techniques traditionnelles de récolte d’eau de pluie et à la culture d’arbres résistants et de légumes localement adaptés. Ce système permet de générer des revenus et d’améliorer la nutrition des familles. Il renforce le rôle de la femme et permet à l'agriculture locale de s’adapter à la grande variabilité climatique de la région, tout en conservant une grande biodiversité. Suite au succès des premiers projets pilotes au Niger, de nouveaux sites ont été choisis dans d'autres districts du pays, Dosso et Zinder.
A Dosso, des groupements de femmes plantent deux sortes de légumes traditionnels dans des cuvettes (sur la photo, elles plantent des graines d'okra), pour garder l’humidité après les pluies. Cette technique simple se répand vite : de 7 ha dans deux villages en 2007, on est passé à 67 ha dans 20 villages en 2009.
Une autre technique, utilisée pour augmenter la productivité, est la fertilisation par micro-dosage. Avec une capsule de bouteille, une femme applique directement au pied de la plante juste ce qu’il faut d'engrais, soit 1/6e de la quantité utilisée en Europe. Les expérimentations de l’ICRISAT montrent que cette technique permet d’augmenter les rendements de 55% en moyenne pour la culture du mil. Cette augmentation s'explique par la pauvreté en nutriments des sols de la région sahélienne.
Sur la photo, une jeune fille se cache derrière un jujubier, appelé « pommier du Sahel », un arbre très résistant à la sécheresse. Dans les tropiques semi-arides comme au Niger, les variétés précoces sont très importantes car elles fleurissent dans un délai très court et échappent ainsi à la élevée. Par exemple, la pomme du Sahel, qui est un fruit indigène, peut survivre avec très peu d’eau et donne de bonnes récoltes : de 6 à 10 kg par arbre pendant 3 ans.
Cette photo a été prise au Bénin, dans un «Jardin potager africain», un nouveau système que nous avons mis en place. Il s'agit d'un kit de production de légumes au goutte-à-goutte à basse pression. Le goutte-à-goutte permet de meilleurs rendements avec moins de travail : pour un jardin de 500 m², il faut 10 minutes pour irriguer la parcelle, là où les femmes y passaient 4 heures par jour auparavant. De plus, cette technique est très économe en eau, car celle-ci est appliquée directement au niveau des racines. Enfin, le goutte-à-goutte utilise moins d’énergie de pompage que l'irrigation classique et fonctionne très bien avec des sources d’énergies renouvelables comme le photovoltaïque. Les pompes n’ont besoin que d’un minimum d’entretien, elles ont une longue durée de vie et fonctionnent avec une source d’énergie abondante au Sahel : le soleil.
Au Bénin, trois groupes de femmes ont utilisé ce système solaire pendant les trois dernières années pour la production des légumes ; cela a eu un impact significatif sur les revenus et la santé dans leur communauté. Chaque femme génère en moyenne 200$ par an sur une surface potagère de seulement 120m². Les jeunes filles sont particulièrement ravies, car elles ne passent plus des heures à arroser et à désherber.