les dépendances:
Il
y a trois ans, Chris Nilan était au bout du rouleau. L’ex-homme fort se
transformait petit à petit en loque humaine, prêt à tout pour se
procurer des doses de plus en plus fortes de pilules antidouleur.
L’ancien hockeyeur cognait à la porte de tous les médecins, à Boston, à Montréal, en quête d’ordonnances.
Toutes les excuses étaient bonnes : un mal de dents, l’arthrite, son genou tout magané.
Oui, Nilan avait mal. Mais il était devenu toxicomane, purement et simplement.
« Je devais avoir assez de pilules pour un mois, mais je les consommais en cinq jours », confie-t-il.
Petit
à petit, les médecins, voyant que sa détresse était beaucoup plus liée à
une forte dépendance qu’à des douleurs chroniques, refusaient ses
requêtes.
« C’est à ce moment que j’ai commencé à prendre de l’héroïne », raconte- t-il.
Au début, il la sniffait. Peu de temps après, il se l’injectait directement dans les veines.
«
Ça pouvait me coûter jusqu’à 400 $ par jour, dit-il. Et j’étais
absolument incapable de me débarrasser de mes dépendances. Quand ce
n’était pas la drogue, c’était l’alcool. »
Comment en arrive-t-on là ? À petites doses, sans qu’on s’en aperçoive.
Une petite ordonnance... Nilan n’a jamais été du genre à se plaindre de ses bobos. Et Dieu sait qu’il en avait, de la tête aux pieds.
En
1998, après avoir fait ses dents comme adjoint de Jacques Lemaire au
New Jersey, Nilan devient l’entraîneurchef des Icebreakers de
Chesapeake, dans la East Coast League.
C’était
six ans après qu’il eut accroché ses patins et l’arthrite l’incommode
de plus en plus. Il l’endure pendant les interminables voyages en
autobus propres à ce circuit.
« Derrière le banc et durant les entraînements, j’en arrachais, et pas à peu près », raconte Nilan.
«
C’est à ce moment qu’on m’a prescrit des médicaments. Ça m’aidait à
surmonter la douleur intense que j’endurais, jour après jour. »
Totalement accro Au
début, le Percocet prescrit fait amplement l’affaire. Ce médicament
contient cinq milligrammes d’oxycodone, un opioïde comme la morphine.
Petit à petit, Nilan s’y accoutume et en prend de plus en plus, mais les effets sont mitigés, sinon nuls.
L’OxyContin vient à la « rescousse ». Beaucoup plus puissant (80 mg), ce médicament contient de l’oxycodone pure.
Son
aventure dans la East Coast League prend fin après deux saisons (il a
été nommé entraîneur de l’année après la première) quand l’équipe
déménage au Mississippi, où il refuse de s’établir.
Pas
d’offre d’emploi à l’horizon. Chez lui à ne rien faire, le blues
l’envahit.« Ça devenait fou, dit-il. J’y pensais sans arrêt, à
l’OxyContin; j’ai commencé par une, puis deux, trois, quatre, cinq, six
pilules par jour. J’étais malade comme un chien quand j’arrêtais d’en
prendre. J’avais mal partout dans les articulations, j’avais la
diarrhée, des frissons, puis je vomissais. Puis, dès que je réussissais à
me procurer des pilules, tout allait bien.
« J’étais totalement accro. »
Coup de pouce de Gainey
Réalisant qu’il a un gros problème, Nilan lâche un coup de fil à son ancien coéquipier, Bob Gainey.
Celui-ci
le met en contact avec le service d’aide pour abus de substances de la
LNH. Nilan accepte et suit un traitement de trois mois avec succès.
Il reste sobre quatre ans, ni drogue, ni alcool.
En 2005, autre opération, à l’épaule cette fois. Il se fait prescrire des médicaments et boude les Alcooliques anonymes (AA).
«
Je n’allais plus aux réunions, dit-il. J’avais perdu de vue que c’était
essentiel. Je pensais que je pouvais contrôler ma boisson. Quelques bières, c’est tout. Mais c’était une erreur. C’est vite redevenu hors de contrôle. »
Son rolodex contient le nom de plusieurs médecins. La quête d’OxyContin repart de plus belle.
Dose huit fois plus forte Comme bien des junkies, Nilan connaît tous les trucs pour sentir l’effet maximal des substances.
Au
lieu d’ingérer la pilule, qui libère seulement 10 mg de médication à
l’heure, Nilan l’écrase et sniffe la poudre d’une seule traite, une dose
huit fois plus grande de 80 mg.
Nilan ressent un soulagement immédiat et sa compulsion ne fait que grandir.
Puis,
en 2008, les États-Unis légifèrent l’OxyContin pour contrôler les abus
de cet analgésique. Le petit tour de passe-passe ne fonctionne plus.
Dix milligrammes à l’heure ? Chez lui, ça ne faisait pas l’effet d’une Tylenol pour enfants.
Au Canada, cependant, il était toujours possible, en écrasant les comprimés
d’OxyContin, d’éliminer la libération contrôlée de la médication. Nilan
s’en procure alors chez des médecins de Toronto et de Montréal. Sauf
qu’il épuisait ses réserves mensuelles en seulement cinq jours.
Le
dur à cuire, en manque, court s’approvisionner auprès de revendeurs de
la rue, qui font des affaires d’or avec ce marché pharmaceutique
illégal.
« Ça coûtait 70 $ l’unité, et je pouvais en prendre 20 par jour », révèle-t-il.
C’est
à ce moment que Nilan a atteint le fond du baril avec l’héroïne, qui
s’avérait une « aubaine » à 400$ par jour, comparativement aux pilules
Il
a même fait usage d’héroïne de type « black tar », très puissante,
produite au Mexique dans des conditions douteuses. C’est une ronde sans
fin d’injections, et ça dure des mois.
«
Arrive un point où tu ne ressens plus de buzz. Sans drogue, tu te sens
malade. Quand tu en prends, tu te sens normal et c’est tout. C’est une
vie merdique. Tu ne fais que penser à ça, à ton héroïne, ta prochaine
pilule. C’est une obsession. »
Projeté par la fenêtreUne idée fixe qui, un soir de tempête, l’amène de Boston à Montréal dans l’espoir d’obtenir une autre ordonnance.
Nilan
est au volant sur la route 133, un chum à ses côtés. Il arrête dans une
station- service, repart et oublie de boucler sa ceinture. Cinq minutes
plus tard, il dérape pour éviter d’entrer en collision avec un camion.
Sa voiture effectue plusieurs tonneaux; Nilan est projeté par la
fenêtre.
« Mon ami pensait que
j’étais mort. Il m’a retrouvé sur le côté de la route dans un banc de
neige. Je ne me rappelais plus rien. »
Nilan
n’en peut plus. Il recontacte le service d’aide de la LNH. Passe une
année en Oregon à mener une petite vie simple, loin des grands centres
et de leurs tentations. C’est à cette époque qu’il rencontre Jaime Holtz
et tombe en amour.
Autre rechute Tout va bien... jusqu’à une autre rechute. Jaime, écoeurée, le quitte.
«
Elle voyait bien que j’étais tout fucké, quand nous nous parlions via
Skype. Plus tard, elle m’a écrit une longue lettre où elle me disait
combien elle m’aimait. Comment ma famille était importante pour moi. Que
je devais arrêter de me raconter des menteries. Que je devais prendre
mes responsabilités. »
- J’avais
peur, un matin, d’apprendre la nouvelle de sa mort dans un journal,
révèle Jaime. Avec la manchette : l’exjoueur du Canadien Chris Nilan
retrouvé mort d’une surdose dans sa chambre d’hôtel.
Ultimatum - Si tu arrêtes de consommer, on peut se revoir.
Nilan dit oui. Le sevrage est difficile, mais il endure, surmonte l’épreuve, et va la rejoindre à Hawaï, son île natale.
« Depuis, je n’ai plus retouché ni drogue, ni alcool, assure-t-il, son petit livret des AA à portée de la main.
«
Maintenant, je sais que je vais mourir si je continue. Je vais tout
perdre. La personne la plus importante dans ma vie, ma famille, mes
enfants. »
Se considère-t-il
chanceux d’être en vie ? « Chanceux n’est pas le bon terme. Béni,
plutôt. Si je suis ici, c’est qu’il y a une raison. Je l’ai compris et
j’agis en conséquence. »
Bonne lecture!!!
Ninnenne