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marileine
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MessageSujet: contes , fables et légendes(un peu de tout)   contes , fables et légendes(un peu de tout) Icon_minitimeDim 6 Mar - 14:06

Finette Cendron de Mme d'Aulnoy

contes , fables et légendes(un peu de tout) Ec120870
Finette Cendron de  Mme d'Aulnoy
 
Il était une fois un roi et une reine qui avaient mal fait leurs affaires. On les chassa de leur royaume. Ils vendirent leurs couronnes pour vivre, puis leurs habits, leurs linges, leurs dentelles et tous leurs meubles, pièce à pièce. Les fripiers étaient las d'acheter, car tous les jours ils vendaient chose nouvelle. Quand le roi et la reine furent bien pauvres, le roi dit à sa femme : " Nous voilà hors de notre royaume, nous n'avons plus rien, il faut gagner notre vie et celle de nos pauvres enfants ; avisez un peu ce que nous avons à faire, car jusqu'à présent je n'ai su que le métier de roi, qui est fort doux. " La reine avait beaucoup d'esprit ; elle lui demanda huit jours pour y rêver. Au bout de ce temps, elle lui dit : " Sire, il ne faut point nous affliger ; vous n'avez qu'à faire des filets dont vous prendrez des [size=16]oiseaux à la chasse et des poissons à la pêche. Pendant que les cordelettes s'useront, je filerai pour en faire d'autres. A l'égard de nos trois filles, ce sont de franches paresseuses, qui croient être de grandes dames ; elles veulent faire les demoiselles. Il faut les mener si loin, si loin, qu'elles ne reviennent jamais ; car il serait impossible que nous puissions leur fournir assez d'habits à leur gré. " Le roi commença de pleurer, quand il vit qu'il fallait se séparer de ses enfants. Il était bon père mais la reine était la maîtresse. Il demeura donc d'accord de tout ce qu'elle voulait ; il lui dit : " Levez-vous demain de bon matin, et prenez vos trois filles, pour les mener où vous jugerez à propos. " Pendant qu'ils complotaient cette affaire, la princesse Finette qui était la plus petite des filles, écoutait par le trou de la serrure ; et quand elle eut découvert le dessein de son papa et de sa maman, elle s'en alla tant vite qu'elle put à une grande grotte fort éloignée de chez eux, où demeurait la fée Merluche, qui était sa marraine. Finette avait pris deux livres de beurre frais, des œufs, du lait et de la farine pour faire un excellent gâteau à sa marraine, afin d'en être bien reçue. Elle commença gaîment son voyage ; mais plus elle allait, plus elle se lassait. Ses souliers s'usèrent jusqu'à la dernière semelle ; et ses petits pieds mignons s'écorchèrent si fort que c'était grande pitié ; elle n'en pouvait plus. Elle s'assit sur l'herbe, pleurant. Par là passa un beau cheval d'Espagne, tout sellé, tout bridé ; il y avait plus de diamants à sa housse, qu'il n'en faudrait pour acheter trois villes ; et quand il vit la princesse, il se mit à paître doucement auprès d'elle ; ployant le jarret, il semblait lui faire la révérence ; aussitôt elle le prit par la bride : " Gentil dada, dit-elle, voudrais-tu bien me porter chez ma marraine la fée ? Tu me feras un grand plaisir, car je suis si lasse que je vais mourir ; mais si tu me sers dans cette occasion, je te donnerai de bonne avoine et de bon foin ; tu auras de la paille fraîche pour te coucher. " Le cheval se baissa presque à terre devant elle, et la jeune Finette sauta dessus ; il se mit à courir si légèrement, qu'il semblait que ce fût un oiseau. Il s'arrêta à l'entrée de la grotte, comme s'il en avait su le chemin ; et il le savait bien aussi, car c'était Merluche qui, ayant deviné que sa filleule la voulait venir voir, lui avait envoyé ce beau cheval. Quand elle fut entrée, elle fit trois grandes révérences à sa marraine, et prit le bas de sa robe qu'elle baisa ; et puis elle lui dit : " Bonjour, ma marraine ; comment vous portez-vous ? voilà du beurre, du lait, de la farine et des œufs que je vous apporte pour vous faire un bon gâteau à la mode de notre pays. - Soyez la bien venue, Finette, dit la fée ; venez que je vous embrasse. "Elle l'embrassa deux fois, dont Finette resta très joyeuse, car madame Merluche n'était pas une fée à la douzaine. Elle dit : " Ça, ma filleule, je veux que vous soyez ma petite femme de chambre ; décoiffez-moi et me peignez. " La princesse la décoiffa et la peigna le plus adroitement du monde. " Je sais bien, dit Merluche, pourquoi vous venez ici ; vous avez écouté le roi et la reine qui veulent vous mener perdre, et vous voulez éviter ce malheur. Tenez, vous n'avez qu'à prendre ce peloton, le fil n'en rompra jamais ; vous attacherez le bout à la porte de votre maison, et vous le tiendrez à votre main. Quand la reine vous aura laissée, il vous sera aisé de revenir en suivant le fil. " La princesse remercia sa marraine, qui lui remplit un sac de beaux habits, tous d'or et d'argent. Elle l'embrassa ; elle la fit remonter sur le joli cheval, et en deux ou trois moments, il la rendit à la porte de la maisonnette de leurs majestés. Finette dit au cheval : " Mon petit ami, vous êtes beau et très sage ; vous allez plus vite que le soleil ; je vous remercie de votre peine ; retournez d'où vous venez. " Elle entra tout doucement dans la maison, cachant son sac sous son chevet ; elle se coucha sans faire semblant de rien. Dès que le jour parut, le roi réveilla sa femme : " Allons, allons, madame, lui dit-il, apprêtez-vous pour le voyage. " Aussitôt elle se leva, prit ses gros souliers, une jupe courte, une camisole blanche et un bâton. Elle fit venir l'aînée de ses filles qui s'appelait Fleur-d'Amour, la seconde Belle-de-Nuit et la troisième Fine-Oreille : c'est pourquoi on la nommait ordinairement Finette. " J'ai rêvé cette nuit, dit la reine, qu'il faut que nous allions voir ma sœur, elle nous régalera bien ; nous mangerons et nous rirons tant que nous voudrons. " Fleur d'Amour, qui se désespérait d'être dans un désert, dit à sa mère : " Allons, madame, où il vous plaira, pourvu que je me promène, il ne m'importe. " Les deux autres en dirent autant. Elles prennent congé du roi, et les voilà toutes quatre en chemin. Elles allèrent si loin, si loin, que Fine-Oreille avait grande peur de n'avoir pas assez de fil, car il y avait près de mille lieues. Elle marchait toujours derrière ses sœurs, passant le fil adroitement dans les buissons. Quand la reine crut que ses filles ne pourraient plus retrouver le chemin, elle entra dans un grand bois, et leur dit: " Mes petites brebis, dormez ; je ferai comme la bergère qui veille autour de son troupeau, crainte que le loup ne le mange. " Elles se couchèrent sur l'herbe, et s'endormirent. La reine les quitta, croyant ne les revoir jamais. Finette fermait les yeux, et ne dormait pas. " Si j'étais une méchante fille, disait-elle, je m'en irais tout à l'heure, et je laisserais mourir mes sœurs ici, car elles me battent et m'égratignent jusqu'au sang. Malgré toutes leurs malices, je ne les veux pas abandonner. " Elle les réveille, et leur conte toute l'histoire ; elles se mettent à pleurer, et la prient de les mener avec elle, qu'elles lui donneront leurs belles poupées, leur petit ménage d'argent, leurs autres jouets et leurs bonbons. " Je sais assez que vous n'en ferez rien, dit Finette, mais je n'en serai pas moins bonne sœur " ; et se levant, elle suivit son fil, et les princesses aussi ; de sorte qu'elles arrivèrent presque aussitôt que la reine. En s'arrêtant à la porte, elles entendirent que le roi disait : " J'ai le cœur tout saisi de vous voir revenir seule. - Bon, dit la reine, nous étions trop embarrassés de nos filles. - Encore, dit le roi, si vous aviez ramené ma Finette, je me consolerais des autres, car elles n'aiment rien. " Elles frappèrent, toc, toc. Le roi dit : " Qui va là?" Elles répondirent : " Ce sont vos trois filles, Fleur-d'Amour, Belle-de-Nuit, et Fine-Oreille. " La reine se mit à trembler : " N'ouvrez pas, disait-elle, il faut que ce soit des esprits, car il est impossible qu'elles fussent revenues. " Le roi était aussi poltron que sa femme, et il disait : " Vous me trompez, vous n'êtes point mes filles." Mais Fine-Oreille, qui était adroite, lui dit : " Mon papa, je vais me baisser, regardez-moi par le trou du chat, et si je ne suis pas Finette, je consens d'avoir le fouet. "Le roi regarda comme elle lui avait dit, et dès qu'il l'eut reconnue, il leur ouvrit. La reine fit semblant d'être bien aise de les revoir ; elle leur dit qu'elle avait oublié quelque chose, qu'elle l'était venu chercher ; mais qu'assurément elle les aurait été retrouver. Elles feignirent de la croire, et montèrent dans un beau petit grenier où elles couchaient. " Ça, dit Finette, mes sœurs, vous m'avez promis une poupée, donnez-la-moi. - Vraiment tu n'as qu'à t'y attendre, petite coquine, dirent-elles, tu es cause que le roi ne nous regrette pas. " Là-dessus prenant leurs quenouilles, elles la battirent comme plâtre. Quand elles l'eurent bien battue, elle se coucha ; et comme elle avait tant de plaies et de bosses, elle ne pouvait dormir, et elle entendit que la reine disait au roi : " Je les mènerai d'un autre côté, encore plus loin, et je suis certaine qu'elles ne reviendront jamais. " Quand Finette entendit ce complot, elle se leva tout doucement pour aller voir encore sa marraine. Elle entra dans le poulailler, elle prit deux poulets et un maître coq, à qui elle tordit le cou, puis deux petits lapins que la reine nourrissait de choux, pour s'en régaler dans l'occasion ; elle mit le tout dans un panier, et partit. Mais elle n'eut pas fait une lieue à tâtons, mourant de peur, que le cheval d'Espagne vint au galop, ronflant et hennissant ; elle crut que c'était fait d'elle, que quelques gens d'armes l'allaient prendre. Quand elle vit le joli cheval tout seul, elle monta dessus, ravie d'aller si à son aise : elle arriva promptement chez sa marraine. Après les cérémonies ordinaires, elle lui présenta les poulets, le coq et les lapins, et la pria de l'aider de ses bons avis, parce que la reine avait juré qu'elle les mènerait jusqu'au bout du monde. Merluche dit à sa filleule de ne pas s'affliger ; elle lui donna un sac tout plein de cendre : " Vous porterez le sac devant vous, lui dit-elle, vous le secouerez, vous marcherez sur la cendre, et quand vous voudrez revenir, vous n'aurez qu'à regarder l'impression de vos pas ; mais ne ramenez point vos sœurs, elles sont trop malicieuses, et si vous les ramenez, je ne veux plus vous voir. " Finette prit congé d'elle, emportant, par son ordre, pour trente ou quarante millions de diamants en une petite boîte, qu'elle mit dans sa poche : le cheval était tout prêt, et la rapporta comme à l'ordinaire. Au point du jour, la reine appela les princesses ; elles vinrent , et elle leur dit : " Le roi ne se porte pas trop bien ; j'ai rêvé cette nuit qu'il faut que j'aille lui cueillir des fleurs et des herbes en un certain pays où elles sont fort excellentes, elles le feront rajeunir ; c'est pourquoi allons-y tout à l'heure. " Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, qui ne croyaient pas que leur mère eût encore envie de les perdre, s'affligèrent de ces nouvelles. Il fallut pourtant partir ; et elles allèrent si loin, qu'il ne s'est jamais fait un si long voyage. Finette, qui ne disait mot, se tenait derrière les autres, et secouait sa cendre à merveille, sans que le vent ni la pluie y gâtassent rien. La reine étant persuadée qu'elles ne pourraient retrouver le chemin, remarqua un soir que ses trois filles étaient bien endormies ; elle prit ce temps pour les quitter, et revint chez elle. Quand il fut jour, et que Finette connut que sa mère n'y était plus, elle éveilla ses sœurs : " Nous voici seules, dit-elle, la reine s'en est allée. " Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit se prirent à pleurer : elles arrachaient leurs cheveux, et meurtrissaient leur visage à coups de poings. Elles s'écriaient : "Hélas ! qu'allons-nous faire ? " Finette était la meilleure fille du monde ; elle eut encore pitié de ses sœurs. "Voyez à quoi je m'expose, leur dit-elle ; car lorsque ma marraine m'a donné le moyen de revenir, elle m'a défendu de vous enseigner le chemin ; et que si je lui désobéissais, elle ne voulait plus me voir. " Belle-de-Nuit se jette au cou de Finette, autant en fit Fleur-d'Amour ; elles la caressèrent si tendrement, qu'il n'en fallut pas davantage pour revenir toutes trois ensemble chez le roi et la reine. Leurs majestés furent bien surprises de revoir les princesses ; ils en parlèrent toute la nuit, et la cadette qui ne se nommait pas Fine-Oreille pour rien, entendait qu'ils faisaient un nouveau complot, et que le lendemain, la reine se remettrait en campagne. Elle courut éveiller ses sœurs. " Hélas ! leur dit-elle, nous sommes perdues, la reine veut absolument nous mener dans quelque désert, et nous y laisser. Vous êtes cause que j'ai fâché ma marraine, je n'ose l'aller trouver comme je faisais toujours. "Elles restèrent bien en peine, et se disaient l'une à l'autre : "Que ferons-nous ? " Enfin, Belle-de-Nuit dit aux deux autres : " Il ne faut pas s'embarrasser, la vieille Merluche n'a pas tant d'esprit qu'il n'en reste un peu aux autres : nous n'avons qu'à nous charger de pois ; nous les sèmerons le long du chemin et nous reviendrons. " Fleur-d'Amour trouva l'expédient admirable ; elles se chargèrent de pois, elles remplirent leurs poches ; pour Fine-Oreille, au lieu de prendre des pois, elle prit le sac aux beaux habits, avec la petite boîte de diamants, et dès que la reine les appela pour partir, elles se trouvèrent toutes prêtes. Elle leur dit : " J'ai rêvé cette nuit qu'il y a dans un pays, qu'il n'est pas nécessaire de nommer, trois beaux princes qui vous attendent pour vous épouser ; je vais vous y mener, pour voir si mon songe est véritable. " La reine allait devant et ses filles après, qui semaient des pois sans s'inquiéter, car elles étaient certaines de retourner à la maison. Pour cette fois la reine alla plus loin encore qu'elle n'était allée : mais pendant une nuit obscure, elle les quitta et revint trouver le roi ; elle arriva fort lasse et fort aise de n'avoir plus un si grand ménage sur les bras. Les trois princesses ayant dormi jusqu'à onze heures du matin se réveillèrent ; Finette s'aperçut la première de l'absence de la reine ; bien qu'elle s'y fût préparée, elle ne laissa pas de pleurer, se confiant davantage pour son retour à sa marraine la fée, qu'à l'habileté de ses sœurs. Elle fut leur dire toute effrayée : " La reine est partie, il faut la suivre au plus vite. - Taisez-vous, petite babouine, répliqua Fleur-d'Amour, nous trouverons bien le chemin quand nous voudrons, vous faites ici ma commère l'empressée mal à propos. " Finette n'osa répliquer. Mais quand elles voulurent retrouver le chemin, il n'y avait plus ni traces ni sentiers ; les pigeons, dont il y a grand nombre en ce pays-là, étaient venus manger les pois ; elles se mirent à pleurer jusqu'aux cris. Après avoir resté deux jours sans manger, Fleur-d'Amour dit à Belle-de-Nuit : " Ma sœur, n'as-tu rien à manger ? - Non ", dit-elle. Elle dit la même chose à Finette : " Je n'ai rien non plus, répliqua-t-elle, mais je viens de trouver un gland. - Ha ! donnez-le-moi, dit l'une. - Donnez-le-moi, dit l'autre. " Chacune le voulait avoir. " Nous ne serons guère rassasiées d'un gland à nous trois, dit Finette ; plantons-le, il en viendra un autre qui nous pourra servir. " Elles y consentirent quoiqu'il n'y eût guère d'apparence qu'il vînt un arbre dans un pays où il n'y en avait point, on n'y voyait que des choux et des laitues, dont les princesses mangeaient ; si elles avaient été bien délicates, elles seraient mortes cent fois ; elles couchaient presque toujours à la belle étoile ; tous les matins et tous les soirs elles allaient tour à tour arroser le gland, et lui disaient : " Croîs, croîs, beau gland. " Il commença de croître à vue d'œil. Quand il fut un peu grand, Fleur-d'Amour voulut monter dessus, mais il n'était pas assez fort pour la porter ; elle le sentait plier sous elle, aussitôt elle descendit ; Belle-de-Nuit eut la même aventure ; Finette plus légère s'y tint longtemps ; et ses sœurs lui demandèrent : " Ne vois-tu rien, ma sœur ? " Elle leur répondit : "Non, je ne vois rien. - Ah ! c'est que le chêne n'est pas assez haut ", disait Fleur-d'Amour. De sorte qu'elles continuaient d'arroser le gland et de lui dire : " Croîs, croîs, beau gland. " Finette ne manquait jamais d'y monter deux fois par jour : un matin qu'elle y était, Belle-de-Nuit dit à Fleur-d'Amour : " J'ai trouvé un sac que notre sœur nous a caché ; qu'est-ce qu'il peut y avoir dedans ? " Fleur-d'Amour répondit " Elle m'a dit que c'était de vieilles dentelles qu'elle raccommode, et moi, je crois que c'est du bonbon ", ajouta Belle-de-Nuit ; elle était friande, et voulut y voir ; elle y trouva effectivement toutes les dentelles du roi et de la reine, mais elles servaient à cacher les beaux habits de Finette et la boîte de diamants. " Hé bien ! se peut-il une plus grande petite coquine, s'écria-t-elle, il faut prendre tout pour nous, et mettre des pierres à la place. " Elles le firent promptement. Finette revint sans s'apercevoir de la malice de ses sœurs, car elle ne s'avisait pas de se parer dans un désert ; elle ne songeait qu'au chêne qui devenait le plus beau de tous les chênes. Une fois qu'elle y monta et que ses sœurs, selon leur coutume, lui demandèrent si elle ne découvrait rien, elle s'écria : " Je découvre une grande maison, si belle, si belle que je ne saurais assez le dire ; les murs en sont d'émeraudes et de rubis, le toit de diamants : elle est toute couverte de sonnettes d'or, les girouettes vont et viennent comme le vent. - Tu mens, disaient-elles, cela n'est pas si beau que tu le dis. - Croyez-moi, répondit Finette, je ne suis pas menteuse, venez-y plutôt voir vous-mêmes, j'en ai les yeux tout éblouis. " Fleur-d'Amour monta sur l'arbre : quand elle eut vu le château, elle ne s'en pouvait taire. Belle-de-Nuit qui était fort curieuse, ne manqua pas de monter à son tour, elle demeura aussi ravie que ses sœurs. " Certainement, dirent-elles, il faut aller à ce palais, peut-être que nous y trouverons de beaux princes qui seront trop heureux de nous épouser. " Tant que la soirée fut longue, elles ne parlèrent que de leur dessein, elles se couchèrent sur l'herbe ; mais lorsque Finette leur parut fort endormie, Fleur-d'Amour dit à Belle-de-Nuit : " Savez-vous ce qu'il faut faire, ma sœur, levons-nous et nous habillons des riches habits que Finette a apportés. - Vous avez raison ", dit Belle-de-Nuit ; elles se levèrent donc, se frisèrent, se poudrèrent, puis elles mirent des mouches, et les belles robes d'or et d'argent toutes couvertes de diamants ; il n'a jamais été rien de si magnifique. Finette ignorait le vol que ses méchantes sœurs lui avaient fait ; elle prit son sac dans le dessein de s'habiller, mais elle demeura bien affligée de ne trouver que des cailloux ; elle aperçut en même temps ses sœurs qui s'étaient accommodées comme des soleils. Elle pleura et se plaignit de la trahison qu'elles lui avaient faite ; et elles d'en rire et de se moquer. " Est-il possible, leur dit-elle, que vous ayez le courage de me mener au château sans me parer et me faire belle ? - Nous n'en avons pas trop pour nous, répliqua Fleur-d'Amour, tu n'auras que des coups si tu nous importunes. - Mais, continua-t-elle, ces habits que vous portez sont à moi, ma marraine me les a donnés, ils ne vous doivent rien. - Si tu parles davantage, dirent-elles, nous allons t'assommer, et nous t'enterrerons sans que personne le sache. " La pauvre Finette n'eut garde de les agacer ; elle les suivait doucement et marchait un peu derrière, ne pouvant passer que pour leur servante. Plus elles approchaient de la maison, plus elle leur semblait merveilleuse. " Ha ! disaient Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, que nous allons nous bien divertir ! que nous ferons bonne chère, nous mangerons à la table du roi, mais pour Finette elle lavera les écuelles dans la cuisine, car elle est faite comme une souillon, et si l'on demande qui elle est, gardons-nous bien de l'appeler notre sœur : il faudra dire que c'est la petite vachère du village." Finette qui était pleine d'esprit et de beauté, se désespérait d'être si maltraitée. Quand elles furent à la porte du château, elles frappèrent : aussitôt une vieille femme épouvantable leur vint ouvrir, elle n'avait qu'un œil au milieu du front, mais il était plus grand que cinq ou six autres, le nez plat, le teint noir et la bouche si horrible, qu'elle faisait peur ; elle avait quinze pieds de haut et trente de tour. " 0 malheureuses ! qui vous amène ici ? leur dit-elle. Ignorez-vous que c'est le château de l'ogre, et qu'à peine pouvez-vous suffire pour son déjeuner ; mais je suis meilleure que mon mari ; entrez, je ne vous mangerai pas tout d'un coup, vous aurez la consolation de vivre deux ou trois jours davantage. " Quand elles entendirent l'ogresse parler ainsi, elles s'enfuirent, croyant se pouvoir sauver, mais une seule de ses enjambées en valait cinquante des leurs ; elle courut après et les reprit, les unes par les cheveux, les autres par la peau du cou ; et les mettant sous son bras, elle les jeta toutes trois dans la cave qui était pleine de crapauds et de couleuvres, et l'on ne marchait que sur les os de ceux qu'ils avaient mangés. Comme elle voulait croquer sur-le-champ Finette, elle fut quérir du vinaigre, de l'huile et du sel pour la manger en salade ; mais elle entendit venir l'ogre, et trouvant que les princesses avaient la peau blanche et délicate, elle résolut de les manger toute seule, et les mit promptement sous une grande cuve où elles ne voyaient que par un trou. L'ogre était six fois plus haut que sa femme ; quand il parlait, la maison tremblait, et quand il toussait, il semblait des éclats de tonnerre ; il n'avait qu'un grand vilain œil, ses cheveux étaient tout hérissés, il s'appuyait sur une bûche dont il avait fait une canne ; il avait dans sa main un panier couvert ; il en tira quinze petits enfants qu'il avait volés par les chemins, et qu'il avala comme quinze œufs frais. Quand les trois princesses le virent, elles tremblaient sous la cuve, elles n'osaient pleurer bien haut, de peur qu'il ne les entendît ; mais elles s'entredisaient tout bas : " Il va nous manger tout en vie, comment nous sauverons-nous ? " L'ogre dit à sa femme : " Vois-tu, je sens chair fraîche, je veux que tu me la donnes. - Bon, dit l'ogresse, tu crois toujours sentir chair fraîche, et ce sont tes moutons qui sont passés par là. - Oh, je ne me trompe point, dit l'ogre, je sens chair fraîche assurément ; je vais chercher partout. - Cherche, dit-elle, et tu ne trouveras rien. - Si je trouve, répliqua l'ogre, et que tu me le caches, je te couperai la tête pour en faire une boule. " Elle eut peur de cette menace, et lui dit : " Ne te fâche point, mon petit ogrelet, je vais te déclarer la vérité. Il est venu aujourd'hui trois jeunes fillettes que j'ai prises, mais ce serait dommage de les manger, car elles savent tout faire. Comme je suis vieille, il faut que je me repose ; tu vois que notre belle maison est fort malpropre, que notre pain n'est pas cuit, que la soupe ne te semble plus si bonne, et que je ne te parais plus si belle, depuis que je me tue de travailler ; elles seront mes servantes ; je te prie, ne les mange pas à présent ; si tu en as envie quelque jour, tu en seras assez le maître. " L'ogre eut bien de la peine à lui promettre de ne les pas manger tout à l'heure. Il disait : " Laisse-moi faire, je n'en mangerai que deux. - Non, tu n'en mangeras pas. - Hé bien, je ne mangerai que la plus petite. " Et elle disait: " Non, tu n'en mangeras pas une. " Enfin après bien des contestations, il lui promit de ne les pas manger. Elle pensait en elle-même : " Quand il ira à la chasse, je les mangerai, et je lui dirai qu'elles se sont sauvées. " L'ogre sortit de la cave, il lui dit de les mener devant lui ; les pauvres filles étaient presque mortes de peur, l'ogresse les rassura ; et quand il les vit, il leur demanda ce qu'elles savaient faire ? Elles répondirent qu'elles savaient balayer, qu'elles savaient coudre et filer à merveille, qu'elles faisaient de si bons ragoûts, que l'on mangeait jusques aux plats, que pour du pain, des gâteaux et des pâtés, l'on en venait chercher chez elles de mille lieues à la ronde. L'ogre était friand, il dit : " Ça, çà, mettons vite ces bonnes ouvrières en besogne ; mais, dit-il à Finette, quand tu as mis le feu au four, comment peux-tu savoir s'il est assez chaud ? - Monseigneur, répliqua-t-elle, j'y jette du beurre, et puis j'y goûte avec la langue. - Hé bien, dit-il, allume donc le four. " Ce four était aussi grand qu'une écurie, car l'ogre et l'ogresse mangeaient plus de pain que deux armées. La princesse y fit un feu effroyable, il était embrasé comme une fournaise, et l'ogre qui était présent, attendant le pain tendre, mangea cent agneaux et cent petits cochons de lait. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit accommodaient la pâte. Le maître ogre dit : " Hé bien, le four est-il chaud ? " Finette répondit : " Monseigneur, vous l'allez voir. " Elle jeta devant lui mille livres de beurre au fond du four, et puis elle dit : " Il faut tâter avec la langue, mais je suis trop petite. - Je suis grand, " dit l'ogre, et se baissant, il s'enfonça si avant qu'il ne pouvait plus se retirer, de sorte qu'il brûla jusqu'aux os. Quand l'ogresse vint au four, elle demeura bien étonnée de trouver une montagne de cendre des os de son mari. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, qui la virent fort affligée, la consolèrent de leur mieux ; mais elles craignaient que sa douleur ne s'apaisât trop tôt, et que l'appétit lui venant, elle ne les mît en salade, comme elle avait déjà pensé faire. Elles lui dirent : " Prenez courage, madame, vous trouverez quelque roi ou quelque marquis, qui seront heureux de vous épouser. " Elle sourit un peu, montrant des dents plus longues que le doigt. Lorsqu'elles la virent de bonne humeur, Finette lui dit : " Si vous vouliez quitter ces horribles peaux d'ours, dont vous êtes habillée, vous mettre à la mode, nous vous coifferions à merveille, vous seriez comme un astre. - Voyons, dit-elle, comme tu l'entends ; mais assure-toi que s'il y a quelques dames plus jolies que moi, je te hacherai menu comme chair à pâté. " Là-dessus les trois princesses lui ôtèrent son bonnet, et se mirent à la peigner et la friser ; en l'amusant de leur caquet, Finette prit une hache, et lui donna par derrière un si grand coup, qu'elle sépara son corps d'avec sa tête. Il ne fut jamais une telle allégresse ; elles montèrent sur le toit de la maison pour se divertir à sonner les clochettes d'or, elles furent dans toutes les chambres, qui étaient de perles et de diamants, et les meubles si riches qu'elles mouraient de plaisir ; elles riaient et chantaient, rien ne leur manquait, du blé, des confitures, des fruits et des poupées en abondance. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit se couchèrent dans des lits de brocart et de velours, et s'entredirent : " Nous voilà plus riches que n'était notre père, quand il avait son royaume, mais il nous manque d'être mariées, il ne viendra personne ici, cette maison passe assurément pour un coupe-gorge, car on ne sait point la mort de l'ogre et de l'ogresse. Il faut que nous allions à la plus prochaine ville nous faire voir avec nos beaux habits ; et nous n'y serons pas longtemps sans trouver de bons financiers qui seront bien aises d'épouser des princesses. " Dès qu'elles furent habillées, elles dirent à Finette qu'elles allaient se promener, qu'elle demeurât à la maison à faire le ménage et la lessive, et qu'à leur retour tout fût net et propre ; que si elle y manquait, elles l'assommeraient de coups. La pauvre Finette qui avait le cœur serré de douleur, resta seule au logis, balayant, nettoyant, lavant sans se reposer, et toujours pleurant. " Que je suis malheureuse, disait-elle, d'avoir désobéi à ma marraine, il m'en arrive toutes sortes de disgrâces ; mes sœurs m'ont volé mes riches habits ; ils servent à les parer ; sans moi, l'ogre et sa femme se porteraient encore bien ; de quoi me profite de les avoir fait mourir ? N'aimerais-je pas autant qu'ils m'eussent mangée que de vivre comme je vis ? " Quand elle avait dit cela, elle pleurait à étouffer, puis ses sœurs arrivaient chargées d'oranges de Portugal, de confitures, de sucre, et elles lui disaient : " Ah ! que nous venons d'un beau bal ! qu'il y avait de monde ! le fils du roi y dansait ; l'on nous a fait mille honneurs : allons, viens nous déchausser et nous décrotter, car c'est là ton métier. " Finette obéissait ; et si par hasard elle voulait dire un mot pour se plaindre, elles se jetaient sur elle, et la battaient à la laisser pour morte. Le lendemain encore elles retournaient et revenaient conter des merveilles. Un soir que Finette était assise proche du feu sur un monceau de cendres, ne sachant que faire, elle cherchait dans les fentes de la cheminée ; et cherchant ainsi elle trouva une petite clé si vieille et si crasseuse, qu'elle eut toutes les peines du monde à la nettoyer. Quand elle fut claire, elle connut qu'elle était d'or, et pensa qu'une clé d'or devait ouvrir un beau petit coffre ; elle se mit aussitôt à courir par toute la maison, essayant la clé aux serrures, et enfin elle trouva une cassette qui était un chef-d’œuvre. Elle l'ouvrit : il y avait dedans des habits, des diamants, des dentelles, du linge, des rubans pour des sommes immenses : elle ne dit mot de sa bonne fortune ; mais elle attendit impatiemment que ses sœurs sortissent le lendemain. Dès qu'elle ne les vit plus, elle se para, de sorte qu'elle était plus belle que le soleil. Ainsi ajustée, elle fut au même bal où ses sœurs dansaient ; et quoiqu'elle n'eût point de masque, elle était si changée en mieux, qu'elles ne la reconnurent pas. Dès qu'elle parut dans l'assemblée, il s'éleva un murmure de voix, les unes d'admiration, et les autres de jalousie. On la prit pour danser, elle surpassa toutes les dames à la danse, comme elle les surpassait en beauté. La maîtresse du logis vint à elle, et lui ayant fait une profonde révérence, elle la pria de lui dire comment elle s'appelait, afin de ne jamais oublier le nom d'une personne si merveilleuse. Elle lui répondit civilement qu'on la nommait Cendron. Il n'y eut point d'amant qui ne fût infidèle à sa maîtresse pour Cendron, point de poète qui ne rimât en Cendron ; jamais petit nom ne fit tant de bruit en si peu de temps ; les échos ne répétaient que les louanges de Cendron ; l'on n'avait pas assez d'yeux pour la regarder, assez de bouche pour la louer. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, qui avaient fait d'abord grand fracas dans les lieux où elles avaient paru, voyant l'accueil que l'on faisait à cette nouvelle venue, en crevaient de dépit ; mais Finette se démêlait de tout cela de la meilleure grâce du monde ; il semblait, à son air, qu'elle n'était faite que pour commander. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit, qui ne voyaient leur sœur qu'avec de la suie de cheminée sur le visage, et plus barbouillée qu'un petit chien, avaient si fort perdu l'idée de sa beauté, qu'elles ne la reconnurent point du tout ; elles faisaient leur cour à Cendron comme les autres. Dès qu'elle voyait le bal prêt à finir, elle sortait vite, revenait à la maison, se déshabillait en diligence, reprenait ses guenilles ; et quand ses sœurs arrivaient : " Ah ! Finette, nous venons de voir, lui disaient-elles, une jeune princesse qui est toute charmante ; ce n'est pas une guenuche comme toi ; elle est blanche comme la neige, plus vermeille que les roses ; ses dents sont de perles, ses lèvres de corail ; elle a une robe qui pèse plus de mille livres, ce n'est qu'or et diamants : qu'elle est belle ! qu'elle est aimable ! " Finette répondait entre ses dents : " Ainsi j'étais, ainsi j'étais. - Qu'est-ce que tu bourdonnes ? ", disaient-elles. Finette répliquait encore plus bas : " Ainsi j'étais. " Ce petit jeu dura longtemps ; il n'y eut presque pas de jour que Finette ne changeât d'habits, car la cassette était fée, et plus on y en prenait, plus il en revenait, et si fort à la mode, que les dames ne s'habillaient que sur son modèle. Un soir que Finette avait plus dansé qu'à l'ordinaire, et qu'elle avait tardé assez tard à se retirer, voulant réparer le temps perdu et arriver chez elle un peu avant ses sœurs, en marchant de toute sa force, elle laissa tomber une de ses mules, qui était de velours rouge, toute brodée de perles. Elle fit son possible pour la retrouver dans le chemin ; mais le temps était si noir, qu'elle prit une peine inutile ; elle rentra au logis, un pied chaussé et l'autre nu. Le lendemain le prince Chéri, fils aîné du roi, allant à la chasse, trouve la mule de Finette ; il la fait ramasser, la regarde, en admire la petitesse et la gentillesse, la tourne, retourne, la baise, la chérit et l'emporte avec lui. Depuis ce jour-là, il ne mangeait plus ; il devenait maigre et changé, jaune comme un coing, triste, abattu. Le roi et la reine, qui l'aimaient éperdument, envoyaient de tous côtés pour avoir de bon gibier et des confitures ; c'était pour lui moins que rien ; il regardait tout cela sans répondre à la reine, quand elle lui parlait. L'on envoya quérir des médecins partout, même jusqu'à Paris et à Montpellier. Quand ils furent arrivés, on leur fit voir le prince, et après l'avoir considéré trois jours et trois nuits sans le perdre de vue, ils conclurent qu'il était amoureux, et qu'il mourrait si l'on n'y apportait remède. La reine, qui l'aimait à la folie, pleurait à fondre en eau, de ne pouvoir découvrir celle qu'il aimait, pour la lui faire épouser. Elle amenait dans sa chambre les plus belles dames, il ne daignait pas les regarder. Enfin elle lui dit une fois : " Mon cher fils, tu veux nous faire étouffer de douleur, car tu aimes, et tu nous caches tes sentiments ; dis-nous qui tu veux, et nous te la donnerons, quand ce ne serait qu'une simple bergère. " Le prince, plus hardi par les promesses de la reine, tira la mule de dessous son chevet, et l'ayant montrée : " Voilà, madame, lui dit-il, ce qui cause mon mal ; j'ai trouvé cette petite pouponne, mignonne, jolie mule en allant à la chasse ; je n'épouserai jamais que celle qui pourra la chausser. - Hé bien, mon fils, dit la reine, ne t'afflige point, nous la ferons chercher. " Elle fut dire au roi cette nouvelle ; il demeura bien surpris, et commanda en même temps que l'on fût avec des tambours et des trompettes, annoncer que toutes les filles et les femmes vinssent pour chausser la mule, et que celle à qui elle serait propre, épouserait le prince. Chacune ayant entendu de quoi il était question, se décrassa les pieds avec toutes sortes d'eaux, de pâtes et de pommades. Il y eut des dames qui se les firent peler, pour avoir la peau plus belle ; d'autres jeûnaient ou se les écorchaient afin de les avoir plus petits. Elles allaient en foule essayer la mule, une seule ne la pouvait mettre et plus il en venait inutilement, plus le prince s'affligeait. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit se firent un jour si braves, que c'était une chose étonnante. " Où allez-vous donc? leur dit Finette. - Nous allons à la grande ville, répondirent-elles, où le roi et la reine demeurent, essayer la mule que le fils du roi a trouvée ; car si elle est propre à l'une de nous deux, il l'épousera, et nous serons reines. - Et moi, dit Finette, n'irai-je point ? - Vraiment, dirent-elles, tu es un bel oison bridé : va, va arroser nos choux, tu n'es propre à rien. " Finette songea aussitôt qu'elle mettrait ses plus beaux habits, et qu'elle irait tenter l'aventure comme les autres, car elle avait quelque petit soupçon qu'elle y aurait bonne part ; ce qui lui faisait de la peine, c'est qu'elle ne savait pas le chemin, le bal où l'on allait danser n'était point dans la grande ville. Elle s'habilla magnifiquement ; sa robe était de satin bleu, toute couverte d'étoiles et de diamants ; elle avait un soleil sur la tête, une pleine lune sur le dos ; tout cela brillait si fort, qu'on ne la pouvait regarder sans clignoter les yeux. Quand elle ouvrit la porte pour sortir elle resta bien étonnée de trouver le joli cheval d'Espagne qui l'avait portée chez sa marraine. Elle le caressa et lui dit : " Sois le bien venu, mon petit dada ; je suis obligée à ma marraine Merluche. " Il se baissa ; elle s'assit dessus comme une nymphe. Il était tout couvert de sonnettes d'or et de rubans ; sa housse et sa bride n'avaient point de prix ; et Finette était trente fois plus belle que la belle Hélène. Le cheval d'Espagne allait légèrement, ses sonnettes faisaient din, din, din. Fleur-d'Amour et Belle-de-Nuit les ayant entendues, se retournèrent et la virent venir ; mais dans ce moment quelle fut leur surprise ? Elles la reconnurent pour être Finette Cendron. Elles étaient fort crottées, leurs beaux habits étaient couverts de boue : "Ma sœur, s'écria Fleur-d'Amour, en parlant à Belle-de-Nuit, je vous proteste que voici Finette Cendron " ; l'autre s'écria tout de même, et Finette passant près d'elles, son cheval les éclaboussa, et leur fit un masque de crotte : elle se prit à rire, et leur dit : " Altesses, Cendrillon vous méprise autant que vous le méritez " ; puis passant comme un trait, la voilà partie. Belle-de-Nuit et Fleur-d'Amour s'entre-regardèrent. " Est-ce que nous rêvons ? disaient-elles ; qui est-ce qui peut avoir fourni des habits et un cheval à Finette ? Quelle merveille le bonheur lui en veut, elle va chausser la mule, et nous n'aurons que la peine d'un voyage inutile. " Pendant qu'elles se désespéraient, Finette arrive au palais ; dès qu'on la vit, chacun crut que c'était une reine, les gardes prennent leurs armes, l'on bat le tambour, l'on sonne la trompette, l'on ouvre toutes les portes, et ceux qui l'avaient vue au bal, allaient devant elle, disant : " Place, place, c'est la belle Cendron, c'est la merveille de l'univers. " Elle entre avec cet appareil dans la chambre du prince mourant ; il jette les yeux sur elle, et demeure charmé, souhaitant qu'elle eût le pied assez petit pour chausser la mule : elle la mit tout d'un coup et montra la pareille, qu'elle avait apportée exprès. En même temps l'on crie: " Vive la princesse Chérie, vive la princesse qui sera notre reine ! " Le prince se leva de son lit, il vint lui baiser les mains, elle le trouva beau et plein d'esprit : il lui fit mille amitiés. L'on avertit le roi et la reine, qui accoururent ; la reine prend Finette entre ses bras, l'appelle sa fille, sa mignonne, sa petite reine, lui fait des présents admirables, sur lesquels le roi libéral renchérit encore. L'on tire le canon ; les violons, les musettes, tout joue ; l'on ne parle que de danser et de se réjouir. Le roi, la reine et le prince prient Cendron de se laisser marier : " Non, dit-elle, il faut avant que je vous conte mon histoire " ; ce qu'elle fit en quatre mots. Quand ils surent qu'elle était née princesse, c'était bien une autre joie, il tint à peu qu'ils n'en mourussent ; mais lorsqu'elle leur dit le nom du roi son père, de la reine sa mère, ils reconnurent que c'étaient eux qui avaient conquis leur royaume : ils le lui annoncèrent ; et elle jura qu'elle ne consentirait point à son mariage, qu'ils ne rendissent les états de son père ; ils le lui promirent, car ils avaient plus de cent royaumes, un de moins n'était pas une affaire. Cependant Belle-de-Nuit et Fleur-d'Amour arrivèrent. La première nouvelle fut que Cendron avait mis la mule, elles ne savaient que faire, ni que dire, elles voulaient s'en retourner sans la voir ; mais quand elle sut qu'elles étaient là, elle les fit entrer, et au lieu de leur faire mauvais visage, et de les punir comme elles le méritaient, elle se leva, et fut au devant d'elles les embrasser tendrement, puis elle les présenta à la reine, lui disant : "Madame, ce sont mes sœurs qui sont fort aimables, je vous prie de les aimer. " Elles demeurèrent si confuses de la bonté de Finette, qu'elles ne pouvaient proférer un mot. Elle leur promit qu'elles retourneraient dans leur royaume, que le prince le voulait rendre à leur famille. A ces mots, elles se jetèrent à genoux devant elle, pleurant de joie. Les noces furent les plus belles que l'on eût jamais vues. Finette écrivit à sa marraine, et mit sa lettre avec de grands présents sur le joli cheval d'Espagne, la priant de chercher le roi et la reine, de leur dire son bonheur, et qu'ils n'avaient qu'à retourner dans leur royaume. La fée Merluche s'acquitta fort bien de cette commission. Le père et la mère de Finette revinrent dans leurs états, et ses sœurs furent reines aussi bien qu'elle.[/size]
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MessageSujet: Re: contes , fables et légendes(un peu de tout)   contes , fables et légendes(un peu de tout) Icon_minitimeDim 6 Mar - 14:08

LA PETITE POUCETTE de Hans Christian Andersen

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LA PETITE POUCETTE Hans Christian Andersen
Il y avait une fois, une femme qui aurait bien voulu avoir un tout petit enfant, mais elle ne savait pas du tout comment elle pourrait se le procurer; elle alla donc trouver une vieille sorcière, et lui dit : - J'aurais grande envie d'avoir un petit enfant, ne veux-tu pas me dire où je pourrais m'en procurer un ? - Si, nous allons bien en venir à bout ! dit la sorcière. Tiens, voilà un grain d'orge, il n'est pas du tout de l'espèce qui pousse dans le champ du paysan, ou qu'on donne à manger aux poules, mets-le dans un pot, et tu verras ! - Merci, dit la femme. Et elle donna douze shillings à la sorcière, rentra chez elle, planta le grain d'orge, et aussitôt poussa une grande fleur superbe qui ressemblait tout à fait à une tulipe, mais les pétales se refermaient, serrés comme si elle était encore en bouton. - C'est une belle fleur, dit la femme. Et elle l'embrassa sur les beaux pétales rouges et jaunes, mais au moment même de ce baiser, la fleur s'ouvrit avec un grand bruit d'explosion. C'était vraiment une tulipe, ainsi qu'il apparut alors, mais au milieu d'elle, assise sur le siège vert, était une toute petite fille, mignonne et gentille, qui n'était pas plus haute qu'un pouce, et qui, pour cette raison, fut appelée Poucette. Elle eut pour berceau une coque de noix laquée, des pétales bleus de violettes furent ses matelas, et des pétales de roses son édredon ; c'est là qu'elle dormait la nuit, et le jour elle jouait sur la table, où la femme avait posé une assiette entourée d'une couronne de fleurs dont les tiges trempaient dans l'eau ; un grand pétale de tulipe y flottait, où Poucette pouvait se tenir et naviguer d'un bord à l'autre de l'assiette ; elle avait pour ramer deux crins de [size=16]cheval blanc. C'était charmant. Et elle savait aussi chanter, et son chant était doux et gentil, tel qu'on n'avait jamais entendu le pareil ici. Une nuit qu'elle était couchée dans son délicieux lit, arriva une vilaine grenouille qui sauta par la fenêtre ; il y avait un carreau cassé. La grenouille était laide, grosse et mouillée, elle sauta sur la table où Poucette était couchée et dormait sous l'édredon de feuilles de roses rouges. "Ce serait une femme parfaite pour mon fils !!" se dit la grenouille, et elle s'empara de la coque de noix où Poucette dormait, et, à travers le carreau, sauta dans le jardin avec elle. Tout près de là coulait un grand et large ruisseau ; mais le bord en était bourbeux et marécageux ; c'est là qu'habitait la grenouille avec son fils. Hou ! lui aussi était laid et vilain, il ressemblait tout à fait à sa mère; koax, koax, brékékékex! c'est tout ce qu'il sut dire quand il vit la jolie fille dans la coque de noix. - Ne parle pas si haut, tu vas la réveiller ! dit la vieille grenouille, elle pourrait encore nous échapper, car elle est légère comme duvet de cygne; nous la mettrons sur une des larges feuilles de nénuphar, ce sera pour elle, si petite et légère, comme une île ; de là, elle ne pourra pas s'enfuir, pendant que nous préparerons la belle chambre, sous la vase, où vous habiterez. Dans le ruisseau poussaient beaucoup de nénuphars dont les larges feuilles vertes semblaient flotter à la surface de l'eau ; la feuille la plus éloignée était aussi la plus grande de toutes; c'est là que la vieille grenouille nagea et plaça la coque de noix avec Poucette. La pauvre petite mignonne se réveilla de très bonne heure le matin, et lorsqu'elle vit où elle était, elle se mit à pleurer amèrement, car il y avait de l'eau de tous les côtés autour de la grande feuille verte, elle ne pouvait pas de tout aller à terre. La vieille grenouille était au fonde de la vase et ornait la chambre avec des roseaux et des boutons jaunes de nénuphar - il fallait que ce fût tout à fait élégant pour sa nouvelle bru - et avec son vilain fils elle nagea vers la feuille où était Poucette afin de prendre à eux deux le beau lit, et l'installer dans la chambre de l'épousée, avant qu'elle y vînt elle-même. La vieille grenouille s'inclina profondément dans l'eau devant elle et dit : - Voilà, mon fils, il sera ton mari, et vous aurez un délicieux logement au fond de la vase. - Koax, koax, brékékékex! C'est tout ce que le fils put dire. Et ils prirent le gentil petit lit et partirent avec à la nage, et Poucette resta toute seule et pleura sur la feuille verte, car elle ne voulait pas demeurer chez la vilaine grenouille, ni avoir son fils si laid pour mari. Les petits poissons qui nageaient dans l'eau avait bien vu la grenouille et entendu ce qu'elle avait dit, et ils sortirent la tête de l'eau ils voulaient voir la petite fille. Aussitôt qu'ils l'eurent vue, ils la trouvèrent charmante, et cela leur fit de la peine qu'elle dût descendre chez la vilaine grenouille. Non, il ne le fallait pas. Ils s'assemblèrent sous l'eau tout autour de la tige qui tenait la feuille, et mordillèrent la tige, si bien que la feuille descendit le cours du ruisseau, emportant Poucette loin, très loin, où la grenouille ne pouvait pas aller. Poucette navigua, passa devant beaucoup d'endroits, et les petits oiseaux perchés sur les arbustes la voyaient et chantaient : quelle gentille demoiselle! La feuille avec elle, s'éloigna de plus en plus ; c'est ainsi que Poucette partit pour l'étranger. Un joli petit papillon blanc ne cessait de voler autour d'elle, et finit par se poser sur la feuille, car Poucette lui plaisait, et elle était bien contente, car la grenouille ne pouvait plus l'atteindre, et le lieu où elle naviguait était très agréable; le soleil luisait sur l'eau, c'était comme de l'or magnifique. Et elle défit sa ceinture, en attacha un bout au papillon, et fixa l'autre bout dans la feuille, et ainsi la feuille prit une course beaucoup plus rapide, et elle avec, puisqu'elle était dessus. À ce moment arriva en volant un grand hanneton, il l'aperçut, et aussitôt saisit dans ses pinces la taille grêle de la petit, qu'il emporta dans un arbre, mais la feuille verte continua de descendre le courant, et le papillon de voler avec, car il était attaché à la feuille et ne pouvait pas s'en libérer. Dieu! comme Poucette fut effrayée lorsque le hanneton s'envola dans l'arbre avec elle, mais surtout elle fut chagrinée pour le beau papillon blanc qu'elle avait attaché à la feuille; s'il ne parvenait pas à se libérer, il allait mourir de faim. Mais c'était bien égal au hanneton. Avec elle il se plaça sur la plus grande feuille verte de l'arbre, lui donna le pollen des fleurs à manger, et lui dit qu'elle était très gentille, bien qu'elle ne ressemblât pas du tout à un hanneton. Ensuite tous les autres hannetons qui habitaient l'arbre vinrent lui rendre visite, ils regardèrent Poucette, et les demoiselles hannetons allongèrent leurs antennes et dirent : - Elle n'a tout de même que deux pattes, c'est misérable, et elle n'a pas d'antennes ! - Elle a la taille trop mince, fi ! elle ressemble à l'espèce humaine! Qu'elle est laide! Et pourtant le hanneton qui l'avait prise la trouvait très gentille, mais comme tous les autres disaient qu'elle était vilaine, il finit par le croire aussi, et ne voulut plus l'avoir ! elle pouvait s'en aller où elle voulait. On vola en bas de l'arbre avec elle, et on la posa sur une grande marguerite ; là, elle pleura parce qu'elle était si laide que les hannetons ne voulaient pas d'elle, et elle était pourtant l'être le plus délicieux que l'on put imaginer, délicat et pur comme le plus beau pétale de rose. La preuve Poucette vécut toute seule tout l'été dans la grande forêt. Elle se tressa un lit de brins d'herbe et l'accrocha sous une grande feuille de patience, en sorte qu'il ne pouvait pleuvoir sur elle ; elle récoltait le pollen des fleurs et s'en nourrissait, et elle buvait la rosée qui était tous les matins sur les feuilles; ainsi passèrent l'été et l'automne, mais vint alors l'hiver, le froid et long hiver. Tous les oiseaux qui lui avaient chanté de belles chansons s'en allèrent, les arbres et les fleurs se fanèrent, la grande feuille de patience sous laquelle elle avait habité se recroquevilla et devint un pédoncule jaune fané, et elle eut terriblement froid, car ses vêtements étaient déchirés, et elle-même était si petite et si frêle, la pauvre Poucette, qu'elle devait mourir de froid. Il se mit à neiger, et chaque flocon de neige qui tombait sur elle était comme un paquet de neige qu'on jetterait sur nous, car nous sommes grands et elle n'avait qu'un pouce. Alors elle s'enveloppa dans une feuille fanée, mais cela ne pouvait pas la réchauffer, elle tremblait de froid. À l'orée de la forêt, où elle était alors parvenue, s'étendait un grand champ de blé, mais le blé n'y était plus depuis longtemps, seul le chaume sec et nu se dressait sur la terre gelée. C'était pour elle comme une forêt qu'elle parcourait. Oh! comme elle tremblait de froid. Elle arriva ainsi à la porte de la souris des champs. C'était un petit trou au pied des fétus de paille. La souris avait là sa bonne demeure tiède, toute sa chambre pleine de grain, cuisine et salle à manger. La pauvre Poucette se plaça contre la porte, comme toute pauvre mendiante, et demanda un petit morceau de grain d'orge, car depuis deux jours elle n'avait rien eu du tout à manger. - Pauvre petite, dit la souris, car c'était vraiment une bonne vieille souris des champs, entre dans ma chambre chaude manger avec moi! Puis, comme Poucette lui plut, elle dit: - Tu peux bien rester chez moi cet hiver, mais il faudra tenir ma chambre tout à fait propre et me conter des histoires, car je les aime beaucoup. Et Poucette fit ce que demandait la bonne vieille souris, et vécut parfaitement. - Nous aurons bientôt une visite, dit la souris des champs, mon voisin a l'habitude de venir me voir tous les jours de la semaine. Il se tient enfermé encore plus que moi, il a de grandes salles et il porte une délicieuse pelisse de velours noir; si tu pouvais l'avoir pour mari, tu n'aurais besoin de rien; mais il ne voit pas clair. Il faudra lui conter les plus belles histoires que tu saches. Mais Poucette ne se souciait pas d'avoir le voisin, qui était une taupe. Il vint rendre visite dans sa pelisse de velours noir. Il était riche et instruit, dit la souris des champs, son appartement était aussi vingt fois plus grand que celui de la souris, et il était plein de science, mais il ne pouvait supporter le soleil et les belles fleurs, il en disait du mal, car il ne les avait jamais vues. Poucette dut chanter, et elle chanta " Hanneton, vole, vole " et " Le moine va aux champs", et la taupe devint amoureuse d'elle à cause de sa belle voix, mais ne dit rien, car c'était une personne circonspecte. Elle s'était récemment construit un long corridor dans la terre, de sa demeure à celle de la souris, et elle permit à la souris et a Poucette de s'y promener tant qu'elles voudraient. Mais elle leur di de ne pas avoir peur de l'oiseau mort qui gisait dans le corridor. C'était un oiseau entier avec bec et plumes, qui sûrement était mort depuis peu, au commencement de l'hiver, et avait été enterré juste à l'endroit où elle avait fait son corridor. La taupe prit dans sa bouche un morceau de mèche, car cela brille comme du feu dans l'obscurité, et elle marcha devant eux et les éclaira dans le long couloir sombre; lorsqu'ils arrivèrent à l'endroit où gisait l'oiseau mort, la taupe dresse en l'air son large nez et heurta le plafond, et cela fit un grand trou par lequel la lumière put briller. Sur le sol gisait une hirondelle morte, ses jolies ailes plaquées contre son corps, les pattes et la tête cachées sous les plumes. Le pauvre oiseau était évidemment mort de froid. Poucette en eut de la peine, elle aimait tant tous les petits oiseaux, qui avaient si joliment chanté et gazouillé pour elle tout l'été, mais la taupe donna un coup de ses courtes pattes à l'hirondelle, et dit : - Elle ne piaillera plus! ça doit être lamentable de naître petit oiseau. Dieu merci, aucun de mes enfants ne sera ainsi, un oiseau pareil n'a rien d'autre pour lui que son "qvivit", et doit mourir de faim l'hiver! - Oui, vous pouvez le dire, vous qui êtes prévoyant, dia la souris. Qu'a l'oiseau pour tout son "qvivit", quand vient l'hiver? Il doit avoir faim et geler; mais ce "qvivit" est tout de même une grande chose! Poucette ne dit rien, mais lorsque les deux autres eurent tourné le dos à l'oiseau, elle se baissa, écarta les plumes qui recouvraient la tête de l'hirondelle, et la baisa sur ses yeux clos. "C'est peut-être celle qui a si joliment chanté pour moi cet été, se dit-elle, quelle joie il m'a procurée, le bel oiseau!" Puis la taupe boucha le trou par où le jour luisait, et les dames l'accompagnèrent à sa demeure. Mais la nuit, Poucette ne put dormir, elle e se leva de son lit et tressa une belle couverture de paille dont elle alla envelopper l'oiseau mort, et elle mit du coton moelleux, qu'elle avait trouvé chez la taupe, autour du corps de l'oiseau, afin qu'il put être au chaud dans la terre froide. -Adieu, beau petit oiseau, dit-elle. Adieu, et merci pour tes délicieux chants de cet été, lorsque tous les arbres étaient verts et que le soleil brillait si chaud au-dessus de nous! Et elle posa sa tête sur la poitrine de l'oiseau, mais fut aussitôt très effrayée, car il y avait comme des battements à l'intérieur. C'était le coeur de l'oiseau. L'oiseau n'était pas mort, il était engourdi, et la chaleur l'avait réanimé. À l'automne toutes les hirondelles s'envolent vers les pays chauds, mais il en est qui s'attardent, et elles ont tellement froid qu'elles tombent comme mortes, elles restent où elles sont tombées, et la froide neige les recouvre. Poucette était toute tremblante de frayeur, car l'oiseau était fort grand, à côté d'elle qui n'avait qu'un pouce, mais elle rassembla son courage, pressa davantage le coton autour de la pauvre hirondelle, et alla chercher une feuille de menthe crépue, qu'elle avait eue elle-même comme couverture, et la passa sur la tête de l'oiseau. La nuit suivante elle se glissa de nouveau vers lui, et il était alors tout à fait vivant, mais très faible; il ne put ouvrir qu'un instant ses yeux et voir Poucette, qui était là, un morceau de mèche à la main, car elle n'avait pas d'autre lumière. - Sois remerciée, gentille enfant lui dit l'hirondelle malade, j'ai été délicieusement réchauffé, bientôt j'aurais repris des forces et de nouveau je pourrai voler aux chauds rayons du soleil! - Oh! dit Poucette, il fait froid dehors, il neige et il gèle, reste dans ton lit chaud, je te soignerai. Elle apporta de l'eau dans un pétale de fleur à l'hirondelle, qui but et raconta comment elle s'était blessée l'aile à une ronce, et n'avait pas pu voler aussi vite que les autres hirondelles, qui étaient parties loin, très loin, vers les pays chauds. Elle avait fini par tomber à terre, ensuite elle ne se rappelait plus rien, et ne savait pas du tout comment elle était venue là. Tout l'hiver elle y restera, et Poucette fut bonne pour elle, et l'aima beaucoup; ni la taupe ni la souris des champs ne s'en doutèrent, car elles ne pouvaient sentir la pauvre malheureuse hirondelle. Dès que vint le printemps et que le soleil réchauffa la terre, l'hirondelle dit adieu à Poucette, qui ouvrit le trou fait par la taupe au-dessus. Le soleil rayonnait superbe au- dessus d'elles, et l'hirondelle demanda à Poucette si elle ne voulait pas venir avec elle, car elle pourrait se mettre sur son dos, elles s'envoleraient ensemble loin dans la forêt verte. Mais Poucette savait que cela ferait de la peine à la vieille souris des champs, si elle la quittait ainsi. - Non je ne peux pas, dit Poucette. - Adieu, adieu, bonne et gentille fille, dit l'hirondelle en s'envolant au soleil. Poucette la suivit des yeux, et ses yeux se mouillèrent, car elle aimait beaucoup la pauvre hirondelle. - Qvivit! qvivit! chanta l'oiseau. Et il s'éloigna dans la forêt verte. Poucette était triste. Elle n'eut pas la permission de sortir au chaud soleil: le blé, qui était semé sur le champ au-dessus de la maison de la souris, poussa d'ailleurs haut en l'air, c'était une forêt drue pour la pauvre petite fille qui n'avait qu'un pouce. - Cet été tu vas coudre ton costume, lui dit la souris, car sa voisine, l'ennuyeuse taupe à la pelisse de velours noir, l'avait demandé en mariage. Tu n'auras de la laine et du linge. Tu auras de quoi t'asseoir et te coucher, quand tu seras la femme de la taupe! Poucette dut filer à la quenouille, et la souris embaucha quatre araignées pour filer et tisser nuit et jour. Tous les soirs la taupe venait en visite, et parlait toujours de la fin de l'été, quand le soleil serait beaucoup moins chaud, car pour le moment il brûlait la terre, qui était comme une pierre; quand l'été serait fini auraient lieu les noces avec Poucette; mais la petite n'était pas contente, car elle n'aimait pas du tout l'ennuyeuse taupe. Tous les matins, quand le soleil se levait, et tous les soirs quand il se couchait, elle se glissait dehors à la porte, et si le vent écartait les sommets des tiges, de façon qu'elle pouvait voir le ciel bleu, elle se disait que c'était clair et beau, là dehors, et elle désirait bien vivement revoir sa chère hirondelle; mais elle ne reviendrait jamais, elle volait sûrement très loin dans la forêt verte. Lorsque l'automne arriva, Poucette eut sa corbeille toute prête. - Dans quatre semaines ce sera la noce, lui dit la souris. Et Poucette pleura et dit qu'elle ne voulait pas de l'ennuyeuse taupe. - Tatata, dit la souris, ne regimbe pas, sans quoi je te mords avec ma dent blanche! C'est un excellent mari que tu auras, la reine elle-même n'a pas une pelisse de velours noir pareille. Il a cuisine et cave. Remercie Dieu de l'avoir. La noce devait donc avoir lieu. La taupe était venue déjà pour prendre Poucette, qui devait habiter avec son mari au profond de la terre, ne jamais sortir au chaud soleil qu'il ne pouvait pas supporter. La pauvre enfant était tout affligée, elle voulait dire adieu au beau soleil, que du moins, chez la souris, il lui avait été permis de regarder de la porte. - Adieu, lumineux soleil! dit-elle, les bras tendus en l'air, et elle fit quelques pas hors de la demeure de la souris, car le blé avait été coupé, il ne restait plus que le chaume sec. Adieu, adieu! dit-elle, et elle entoura de ses bras une petite fleur rouge qui était là! Salue de ma part la petite hirondelle, si tu la vois. - Qvivit! qvivit! dit-on à ce moment au-dessus de sa tête. Elle regarda en l'air, c'était la petite hirondelle, qui passait justement. Aussitôt qu'elle vit Poucette, elle fut ravie; la fillette lui raconta qu'elle ne voulait pas du tout avoir pour mari la vilaine taupe, et qu'elle habiterait ainsi au fond de la terre, où le soleil ne brillerait jamais. De cela, elle ne pouvait s'empêcher de pleurer. - Voilà le froid hiver qui vient, dit la petite hirondelle, je m'envole au loin vers les pays chauds, veux-tu venir avec moi? Tu peux te mettre sur mon dos, tu n'as qu'à t'attacher fortement avec ta ceinture, et nous nous envolerons loin de la vilaine taupe et de sa sombre demeure, bien loin par-dessus les montagnes jusqu'aux pays chauds où le soleil luit, plus beau qu'ici, où c'est toujours l'été avec des fleurs exquises. Viens voler avec moi, chère petite Poucette qui m'a sauvé la vie lorsque je gisais gelée dans le sombre caveau de terre! - Oui j'irais avec toi, dit Poucette, qui se mit sur le dos de l'oiseau, les pieds sur ses ailes étendues, et attacha fortement sa ceinture à une des plus grosses plumes. Et ainsi l'hirondelle s'éleva haut dans l'air, au-dessus de la forêt et au-dessus de la mer, haut au-dessus des grandes montagnes toujours couvertes de neige, et Poucette eut froid dans l'air glacé, mais elle se recroquevilla sous les plumes chaudes de l'oiseau, et passa seulement sa petite tête pour voir toute la splendeur étalée sous elle. Et elles arrivèrent aux pays chauds. Le soleil y brillait, beaucoup plus lumineux qu'ici. Le ciel était deux fois plus élevé, et dans des fossés et sur des haies poussaient de délicieux raisins blancs et bleus. Dans les forêt pendaient des citrons et des oranges, les myrtes et la menthe crépue embaumaient, et sur la route couraient de délicieux enfants qui jouaient avec de grands papillons diaprés. Mais l'hirondelle vola plus loin encore, et ce fut de plus en plus beau. Sous de magnifiques arbres verts au bord de la mer bleue se trouvait un château de marbre d'une blancheur éclatante, fort ancien. Les ceps de vigne enlaçaient les hautes colonnes; tout en haut étaient de nombreux nids d'hirondelle, et dans l'un d'eux habitait celle qui portait Poucette. - Voilà ma maison, dit l'hirondelle, mais si tu veux te chercher une des superbes fleurs qui poussent en bas, je t'y poserai, et tu seras aussi bien que tu peux le désirer. - C'est parfait, dit Poucette, et ses petites mains battirent. Il y avait par terre une grande colonne de marbre blanc qui était tombée et s'était cassée en trois morceaux, entre lesquels poussaient les plus belles fleurs blanches. L'hirondelle y vola et déposa Poucette sur l'une des larges pétales; mais quelle surprise fut celle de la petite fille! Un petit homme était assis au milieu de la fleur, aussi blanc et transparent que s'il avait été de verre; il avait sur la tête une belle couronne d'or et aux épaules de jolies ailes claires, et il n'était pas plus grand que Poucette. C'était l'ange de la fleur. Dans chaque fleur habitait un pareil ange, homme ou femme, mais celui-là était le roi de tous. - Oh! qu'il est beau, chuchota Poucette à l'hirondelle. Le petit prince fut très effrayé par l'hirondelle, car elle était un énorme oiseau à côté de lui, qui était si petit et menu, mais lorsqu'il vit Poucette il fut enchanté, c'était la plus belle fille qu'il eût encore jamais vue. Aussi prit-il sur sa tête sa couronne d'or qu'il plaça sur la sienne, lui demanda comment elle s'appelait et si elle voulait être sa femme, elle serait ainsi la reine de toutes les fleurs! Oh! c'était là un mari bien différent du fils de la grenouille et de la taupe à la pelisse de velours noir. Elle dit donc oui au charmant prince, et de chaque fleur arriva une dame ou un jeune homme, si gentil que c'était un plaisir des yeux; chacun apportait un cadeau à Poucette, mais le meilleur de tous fut une couple de belles ailes d'une grande mouche blanche; elles furent accrochées au dos de Poucette, qui put ainsi voler d'une fleur à l'autre; c'était bien agréable, et la petite hirondelle était là-haut dans son nid et chantait du mieux qu'elle pouvait, mais en son coeur elle était affligée, car elle aimait beaucoup Poucette,et aurait voulu ne jamais s'en séparer. - Tu ne t'appelleras pas Poucette, lui dit l'ange de la fleur, c'est un vilain nom, et tu es si belle. Nous t'appellerons Maia. - Adieu, adieu! dit la petite hirondelle, qui s'envola de nouveau, quittant les pays chaud pour aller très loin, jusqu'en Danemark. C'est là qu'elle avait un nid au-dessus de la fenêtre où habite l'homme qui sait conter des contes, elle lui a chanté son "qvivit, qvivit!" et c'est de là que nous tenons toute l'histoire.[/size]
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MessageSujet: Re: contes , fables et légendes(un peu de tout)   contes , fables et légendes(un peu de tout) Icon_minitimeDim 6 Mar - 14:10

Le Chêne parlant (George Sand)

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Il y avait autrefois en la forêt de Cernas un gros vieux chêne qui pouvait bien avoir cinq cents ans. La foudre l'avait frappé plusieurs fois, et il avait dû se faire une tête nouvelle, un peu écrasée, mais épaisse et verdoyante. Longtemps ce chêne avait eu une mauvaise réputation. Les plus vieilles gens du village voisin disaient encore que, dans leur jeunesse, ce chêne parlait et menaçait ceux qui voulaient se reposer sous son ombrage. Ils racontaient que deux voyageurs, y cherchant un abri, avaient été foudroyés. L'un d'eux était mort sur le coup ; l'autre s'était éloigné à temps et n'avait été qu'étourdi, parce qu'il avait été averti par une voix qui lui criait : - Va-t'en vite ! L'histoire était si ancienne qu'on n'y croyait plus guère, et, bien que cet arbre portât encore le nom de chêne parlant, les pâtours s'en approchaient sans trop de crainte. Pourtant le moment vint où il fut plus que jamais réputé sorcier après l'aventure d'Emmi. Emmi était un pauvre petit gardeur de cochons, orphelin et très malheureux, non seulement parce qu'il était mal logé, mal nourri et mal vêtu, mais encore parce qu'il détestait les bêtes que la misère le forçait à soigner. Il en avait peur, et ces animaux, qui sont plus fins qu'ils n'en ont l'air, sentaient bien qu'il n'était pas le maître avec eux. Il s'en allait dès le matin, les conduisant à la glandée, dans la forêt. Le soir, il les ramenait à la ferme, et c'était pitié de le voir, couvert de méchants haillons, la tête nue, ses cheveux hérissés par le vent, sa pauvre petite figure pâle, maigre, terreuse, l'air triste, effrayé, souffrant, chassant devant lui ce troupeau de bêtes criardes, au regard oblique, à la tête baissée, toujours menaçante. A le voir ainsi courir à leur suite sur les sombres bruyères, dans la vapeur rouge du premier crépuscule, on eût dit d'un follet des landes chassé par une rafale. il eût pourtant été aimable et joli, ce pauvre petit porcher, s'il eût été soigné, propre, heureux comme vous autres, mes chers enfants qui me lisez. Lui ne savait pas lire, il ne savait rien, et c'est tout au plus s'il savait parler assez pour demander le nécessaire, et, comme il était craintif, il ne le demandait pas toujours, c'était tant pis pour lui si on l'oubliait. Un soir, les pourceaux rentrèrent tout seuls à l'étable, et le porcher ne parut pas à l'heure du souper. On n'y fit attention que quand la soupe aux raves fut mangée, et la fermière envoya un de ses gars pour appeler Emmi. Le gars revint dire qu'Emmi n'était ni à l'étable, ni dans le grenier, où il couchait sur la paille. On pensa qu'il était allé voir sa tante, qui demeurait aux environs, et on se coucha sans plus songer à lui. Le lendemain matin, on alla chez la tante, et on s'étonna d'apprendre qu'Emmi n'avait point passé la nuit chez elle. Il n'avait pas reparu au village depuis la veille. On s'enquit de lui aux alentours, personne ne l'avait vu. On le chercha en vain dans la forêt. On pensa que les sangliers et les loups l'avaient mangé. Pourtant on ne retrouva ni sa sarclette, - sorte de houlette à manche court dont se servent les porchers, - ni aucune loque de son pauvre vêtement ; on en conclut qu'il avait quitté le pays pour vivre en vagabond, et le fermier dit que ce n'était pas un grand dommage, que l'enfant n'était bon à rien, n'aimant pas ses bêtes et n'ayant pas su s'en faire aimer. Un nouveau porcher fut loué pour le reste de l'année, mais la disparition d'Emmi effrayait tous les gars du pays ; la dernière fois qu'on l'avait vu, il allait du côté du chêne parlant, et c'était là sans doute qu'il lui était arrivé malheur. Le nouveau porcher eut bien soin de n'y jamais conduire son troupeau et les autres enfants se gardèrent d'aller jouer de ce côté-là. Vous me demandez ce qu'Emmi était devenu. Patience, je vais vous le dire. La dernière fois qu'il était allé à la forêt avec ses bêtes, il avait avisé à quelque distance du gros chêne une touffe de favasses en [size=16]fleurs. La favasse ou féverole, c'est cette jolie papilionacée à grappes roses que vous connaissez, la gesse tubéreuse ; les tubercules sont gros comme une noisette, un peu âpres quoique sucrés. Les enfants pauvres en sont friands ; c'est une nourriture qui ne coûte rien et que les pourceaux, qui en sont friands aussi, songent seuls à leur disputer. Quand on parle des anciens anachorètes vivant de racines, on peut être certain que le mets le plus recherché de leur austère cuisine était, dans nos pays du centre, le tubercule de cette gesse. Emmi savait bien que les favasses ne pouvaient pas encore être bonnes à manger, car on n'était qu'au commencement de l'automne, mais il voulait marquer l'endroit pour venir fouiller la terre quand la tige et la fleur seraient desséchées. Il fut suivi par un jeune porc qui se mit à fouiller et qui menaçait de tout détruire, lorsque Emmi, impatienté de voir le ravage inutile de cette bête vorace, lui allongea un coup de sa sarclette sur le groin. Le fer de la sarclette était fraîchement repassé et coupa légèrement le nez du porc, qui jeta un cri d'alarme. Vous savez comment ces animaux se soutiennent entre eux, et comme certains de leurs appels de détresse les mettent tous en fureur contre l'ennemi commun ; d'ailleurs, ils en voulaient depuis longtemps à Emmi, qui ne leur prodiguait jamais ni caresses ni compliments. Ils se rassemblèrent en criant à qui mieux mieux et l'entourèrent pour le dévorer. Le pauvre enfant prit la fuite, ils le poursuivirent ; ces bêtes ont, vous le savez, l'allure effroyablement prompte ; il n'eut que le temps d'atteindre le gros chêne, d'en escalader les aspérités et de se réfugier dans les branches. Le farouche troupeau resta au pied, hurlant, menaçant, essayant de fouir pour abattre l'arbre. Mais le chêne parlant avait de formidables racines qui se moquaient bien d'un troupeau de cochons. Les assaillants ne renoncèrent pourtant à leur entreprise qu'après le coucher du soleil. Alors, ils se décidèrent à regagner la ferme, et le petit Emmi, certain qu'ils le dévoreraient s'il y allait avec eux, résolut de n'y retourner jamais. Il savait bien que le chêne passait pour être un arbre enchanté, mais il avait trop à se plaindre des vivants pour craindre beaucoup les esprits. Il n'avait vécu que de misère et de coups ; sa tante était très dure pour lui : elle l'obligeait à garder les porcs, lui qui en avait toujours eu horreur. Il était né comme cela, elle lui en faisait un crime, et, quand il venait la voir en la suppliant de le reprendre avec elle, elle le recevait, comme on dit, avec une volée de bois vert. Il la craignait donc beaucoup, et tout son désir eût été de garder les moutons dans une autre ferme où les gens eussent été moins avares et moins mauvais pour lui. Dans le premier moment après le départ des pourceaux, il ne sentit que le plaisir d'être débarrassé de leurs cris farouches et de leurs menaces, et il résolut de passer la nuit où il était. Il avait encore du pain dans son sac de toile bise, car, durant le siège qu'il avait soutenu, il n'avait pas eu envie de manger. Il en mangea la moitié, réservant le reste pour son déjeuner ; après cela, à la grâce de Dieu ! Les enfants dorment partout. Pourtant Emmi ne dormait guère. Il était malingre, souvent fiévreux, et rêvait plutôt qu'il ne se reposait l'esprit durant son sommeil. Il s'installa du mieux qu'il put entre deux maîtresses branches garnies de mousse, et il eut grande envie de dormir ; mais le vent qui faisait mugir le feuillage et grincer les branches l'effraya, et il se mit à songer aux mauvais esprits, tant et si bien qu'il s'imagina entendre une voix grêle et fâchée qui lui disait à plusieurs reprises : - Va-t'en, va-t'en d'ici ! D'abord Emmi, tremblant et la gorge serrée, ne songea point à répondre ; mais, comme, en même temps que le vent s'apaisait, la voix du chêne s'adoucissait et semblait lui murmurer à l'oreille d'un ton maternel et caressant : «Va-t'en, Emmi, va-t'en !» Emmi se sentit le courage de répondre : - Chêne, mon beau chêne, ne me renvoie pas. Si je descends, les loups qui courent la nuit me mangeront. - Va, Emmi, va ! reprit la voix encore plus radoucie. - Mon bon chêne parlant, reprit aussi Emmi d'un ton suppliant, ne m'envoie pas avec les loups. Tu m'as sauvé des porcs, tu as été doux pour moi, sois-le encore. Je suis un pauvre enfant malheureux, et je ne puis ni ne voudrais te faire aucun mal : garde-moi cette nuit ; si tu l'ordonnes, je m'en irai demain matin. La voix ne répliqua plus, et la lune argenta faiblement les feuilles. Emmi en conclut qu'il lui était permis de rester, ou bien qu'il avait rêvé les paroles qu'il avait cru entendre. Il s'endormit et, chose étrange, il ne rêva plus et ne fit plus qu'un somme jusqu'au jour. Il descendit alors et secoua la rosée qui pénétrait son pauvre vêtement. - Il faut pourtant, se dit-il, que je retourne au village, je dirai à ma tante que mes porcs ont voulu me manger, que j'ai été obligé de coucher sur un arbre, et elle me permettra d'aller chercher une autre condition. Il mangea le reste de son pain ; mais, au moment de se remettre en route, il voulut remercier le chêne qui l'avait protégé le jour et la nuit. - Adieu et merci, mon bon chêne, dit-il en baisant l'écorce, je n'aurai plus jamais peur de toi, et je reviendrai te voir pour te remercier encore. Il traversa la lande, et il se dirigeait vers la chaumière de sa tante, lorsqu'il entendit parler derrière le mur du jardin de la ferme. - Avec tout ça, disait un des gars, notre porcher n'est pas revenu, on ne l'a pas vu chez sa tante, et il a abandonné son troupeau. C'est un sans-cœur et un paresseux à qui je donnerai une jolie roulée de coups de sabot, pour le punir de me faire mener ses bêtes aux champs aujourd'hui à sa place. - Qu'est-ce que ça te fait, de mener les porcs ? dit l'autre gars. - C'est une honte à mon âge, reprit le premier : cela convient à un enfant de dix ans, comme le petit Emmi ; mais, quand on en a douze, on a droit à garder les vaches ou tout au moins les veaux. Les deux gars furent interrompus par leur père. - Allons vite, dit-il, à l'ouvrage ! Quant à ce porcher de malheur, si les loups l'ont mangé, c'est tant pis pour lui ; mais, si je le retrouve vivant, je l'assomme. Il aura beau aller pleurer chez sa tante, elle est décidée à le faire coucher avec les cochons pour lui apprendre à faire le fier et le dégoûté. Emmi, épouvanté de cette menace, se le tint pour dit. Il se cacha dans une meule de blé, où il passa la journée. Vers le soir, une chèvre qui rentrait à l'étable, et qui s'attardait à lécher je ne sais quelle herbe, lui permit de la traire. Quand il eut rempli et avalé deux ou trois fois le contenu de sa sébile de bois, il se renfonça dans les gerbes jusqu'à la nuit. Quand il fit tout à fait sombre et que tout le monde fut couché, il se glissa jusqu'à son grenier et y prit diverses choses qui lui appartenaient, quelques écus gagnés par lui que le fermier lui avait remis la veille et dont sa tante n'avait pas encore eu le temps de le dépouiller, une peau de chèvre et une peau de mouton dont il se servait l'hiver, un couteau neuf, un petit pot de terre, un peu de linge fort déchiré. Il mit le tout dans son sac, descendit dans la cour, escalada la barrière et s'en alla à petits pas pour ne pas faire de bruit ; mais, comme il passait près de l'étable à porcs, ces maudites bêtes le sentirent ou l'entendirent et se prirent à crier avec fureur. Alors, Emmi, craignant que les fermiers, réveillés dans leur premier sommeil, ne se missent à ses trousses, prit sa course et ne s'arrêta qu'au pied du chêne parlant. - Me voilà revenu, mon bon ami, lui dit-il. Permets-moi de passer encore une nuit dans tes branches. Dis si tu le veux ! Le chêne ne répondit pas. Le temps était calme, pas une feuille ne bougeait. Emmi pensa que qui ne dit mot consent. Tout chargé qu'il était, il se hissa adroitement jusqu'à la grosse enfourchure où il avait passé la nuit précédente, et il y dormit parfaitement bien. Le jour venu, il se mit en quête d'un endroit convenable pour cacher son argent et son bagage, car il n'était encore décidé à rien sur les moyens de s'éloigner du pays sans être vu et ramené de force à la ferme. Il grimpa au-dessus de la place où il se trouvait. Il découvrit alors dans le tronc principal du gros arbre un trou noir fait par la foudre depuis bien longtemps, car le bois avait formé tout autour un gros bourrelet d'écorce. Au fond de cette cachette, il y avait de la cendre et de menus éclats de bois hachés par le tonnerre. - Vraiment, se dit l'enfant, voilà un lit très doux et très chaud où je dormirai sans risque de tomber en rêvant. Il n'est pas grand, mais il l'est assez pour moi. Voyons pourtant s'il n'est pas habité par quelque méchante bête. Il fureta dans l'intérieur de ce refuge, et vit qu'il était percé par en haut, ce qui devait amener un peu d'humidité dans les temps de pluie. Il se dit qu'il était bien facile de boucher ce trou avec de la mousse. Une chouette avait fait son nid dans le conduit. - Je ne te dérangerai pas, pensa Emmi, mais je fermerai la communication. Comme cela, nous serons chacun chez nous. Quand il eut préparé son nid pour la nuit suivante et installé son bagage en sûreté, il s'assit dans son trou, les jambes dehors appuyées sur une branche, et se mit à songer vaguement à la possibilité de vivre dans un arbre ; mais il eût souhaité que cet arbre fût au cœur de la forêt au lieu d'être auprès de la lisière, exposé aux regards des bergers et porchers qui y amenaient leurs troupeaux. Il ne pouvait prévoir que, par suite de sa disparition, l'arbre deviendrait un objet de crainte, et que personne n'en approcherait plus. La faim commençait à se faire sentir, et, bien qu'il fût très petit mangeur, il se ressentait bien de n'avoir rien pris de solide la veille. Irait-il déterrer les favasses encore vertes qu'il avait remarquées à quelques pas de là ? ou irait-il jusqu'aux châtaigniers qui poussaient plus avant dans la forêt ? Comme il se préparait à descendre, il vit que la branche sur laquelle reposaient ses pieds n'appartenait pas à son chêne. C'était celle d'un arbre voisin qui entre-croisait ses belles et fortes ramures avec celles du chêne parlant. Emmi se hasarda sur cette branche et gagna le chêne voisin qui avait, lui aussi, pour proche voisin un autre arbre facile à atteindre. Emmi, léger comme un écureuil, s'aventura ainsi d'arbre en arbre jusqu'aux châtaigniers où il fit une bonne récolte. Les châtaignes étaient encore petites et pas très mûres ; mais il n'y regardait pas de bien près, et il mit comme qui dirait pied à terre pour les faire cuire dans un endroit bien désert et bien caché où les charbonniers avaient fait autrefois une fournée. Le rond marqué par le feu était entouré de jeunes arbres qui avaient repoussé depuis : il y avait beaucoup de menus déchets à demi brûlés. Emmi n'eut pas de peine à en faire un tas et à y mettre le feu au moyen d'un caillou qu'il battit du dos de son couteau, et il recueillit l'étincelle avec des feuilles sèches, tout en se promettant de faire provision d'amadou sur les arbres décrépits, qui ne manquaient pas dans la forêt. L'eau d'une rigole lui permit de faire cuire ses châtaignes dans son petit pot de terre, à couvercle percé, destiné à cet usage. C'est un meuble dont en ce pays-là tout pâtour est nanti. Emmi, qui ne rentrait souvent que le soir à la ferme, à cause de la grande distance où il devait mener ses bêtes, était donc habitué à se nourrir lui-même, et il ne fut pas embarrassé de cueillir son dessert de framboises et de mûres sauvages sur les buissons de la petite clairière. - Voilà, pensa-t-il, ma cuisine et ma salle à manger trouvées. Et il se mit à nettoyer le cours du filet d'eau qu'il avait à sa portée. Avec sa sarclette, il enleva les herbes pourries, creusa un petit réservoir, débarrassa un petit saut que l'eau faisait dans la glaise et l'épura avec du sable et des cailloux. Cet ouvrage l'occupa jusque vers le coucher du soleil. Il ramassa son pot et sa houlette, et, remontant sur les branches dont il avait éprouvé la solidité, il retrouva son chemin d'écureuil, grimpant et sautant d'arbre en arbre jusqu'à son chêne. Il rapportait une épaisse brassée de fougère et de mousse bien sèche dont il fit son lit dans le trou déjà nettoyé. Il entendit bien la chouette sa voisine qui s'inquiétait et grognait au-dessus de sa tête. - Ou elle délogera, pensa-t-il, ou elle s'y habituera. Le bon chêne ne lui appartient pas plus qu'à moi. Habitué à vivre seul, Emmi ne s'ennuya pas. Etre débarrassé de la compagnie des pourceaux fut même pour lui une source de bonheur pendant plusieurs jours. Il s'accoutuma à entendre hurler les loups. Il savait qu'ils restaient au cœur de la forêt et n'approchaient guère de la région où il se trouvait. Les troupeaux n'y venant plus, les compères ne s'en approchaient plus du tout. Et puis Emmi apprit à connaître leurs habitudes. En pleine forêt, il n'en rencontrait jamais dans les journées claires. Ils n'avaient de hardiesse que dans les temps de brouillard, et encore cette hardiesse n'était-elle pas grande. Ils suivaient quelquefois Emmi à distance, mais il lui suffisait de se retourner et d'imiter le bruit d'un fusil qu'on arme en frappant son couteau contre le fer de sa sarclette pour les mettre en fuite. Quant aux sangliers, Emmi les entendait quelquefois, il ne les voyait jamais ; ce sont des animaux mystérieux qui n'attaquent jamais les premiers. Quand il vit approcher l'époque de la cueillette des châtaignes, il fit sa provision qu'il cacha dans un autre arbre creux à peu de distance de son chêne ; mais les rats et les mulots les lui disputèrent si bien, qu'il dut les enterrer dans le sable, où elles se conservèrent jusqu'au printemps. D'ailleurs, Emmi avait largement de quoi se nourrir. La lande étant devenue absolument déserte, il put s'aventurer la nuit jusqu'aux endroits cultivés et y déterrer des pommes de terre et des raves ; mais c'était voler et la chose lui répugnait. Il amassa quantité de favasses dans les jachères et fit des lacets pour prendre des alouettes en ramassant deçà et delà des crins laissés aux buissons par les chevaux aux pâturage. Les pâtours savent tirer parti de tout et ne laissent rien perdre. Emmi ramassa assez de flocons de laine sur les épines des clôtures pour se faire une espèce d'oreiller ; plus tard, il se fabriqua une quenouille et un fuseau et apprit tout seul à filer. Il se fit des aiguilles à tricoter avec du fil de fer qu'il trouva à une barrière mal raccommodée, qu'on répara encore et qu'il dépouilla de nouveau pour fabriquer des collets à prendre les lapins. Il réussit donc à se faire des bas et à manger de la viande. Il devint un chasseur des plus habiles ; épiant jour et nuit toutes les habitudes du gibier, initié à tous les mystères de la lande et de la forêt, il tendit ses pièges à coup sûr et se trouva dans l'abondance. Il eut même du pain à discrétion, grâce à une vieille mendiante idiote, qui, toutes les semaines, passait au pied du chêne et y déposait sa besace pleine, pour se reposer. Emmi, qui la guettait, descendait de son arbre, la tête couverte de sa peau de chèvre, et lui donnait une pièce de gibier en échange d'une partie de son pain. Si elle avait peur de lui, sa peur ne se manifestait que par un rire stupide et une obéissance dont elle n'avait du reste point à se repentir. Ainsi se passa l'hiver, qui fut très doux, et l'été suivant, qui fut chaud et orageux. Emmi eut d'abord grand'peur du tonnerre car la foudre frappa plusieurs fois des arbres assez proches du sien ; mais il remarqua que le chêne parlant, ayant été écimé longtemps auparavant et s'étant refait une cime en parasol, n'attirait plus le fluide, qui s'attaquait à des arbres plus élevés et de forme conique. Il finit par dormir aux roulements et aux éclats du tonnerre sans plus de souci que la chouette sa voisine. Dans cette solitude, Emmi, absorbé par le soin incessant d'assurer sa vie et de préserver sa liberté, n'eut pas le temps de connaître l'ennui. On pouvait le traiter de paresseux, il savait bien, lui, qu'il avait plus de mal à se donner pour vivre seul que s'il fût resté à la ferme. Il acquérait aussi plus d'intelligence, de courage et de prévision que dans la vie ordinaire. Pourtant, quand cette vie exceptionnelle fut réglée à souhait et qu'elle exigea moins de temps et de souci, il commença à réfléchir et à sentir sa petite conscience lui adresser certaines questions embarrassantes. Pourrait-il vivre toujours ainsi aux dépens de la forêt sans servir personne et sans contenter aucun de ses semblables ? Il s'était pris d'une espèce d'amitié pour la vieille Catiche, l'idiote qui lui cédait son pain en échange de ses lapins et de ses chapelets d'alouettes. Comme elle n'avait pas de mémoire, ne parlait presque pas et ne racontait par conséquent à personne ses entrevues avec lui, il était arrivé à se montrer à elle à visage découvert, et elle ne le craignait plus. Ses rires hébétés laissaient deviner une expression de plaisir quand elle le voyait descendre de son arbre. Emmi s'étonnait lui-même de partager ce plaisir ; il ne se disait pas, mais il sentait que la présence d'une créature humaine, si dégradée qu'elle soit, est une sorte de bienfait pour celui qui s'est condamné à vivre seul. Un jour qu'elle lui semblait moins abrutie que de coutume, il essaya de lui parler et de lui demander où elle demeurait. Elle cessa tout à coup de rire, et lui dit d'une voix nette et d'un ton sérieux : - Veux-tu venir avec moi, petit ? - Où ? - Dans ma maison ; si tu veux être mon fils, je te rendrai riche et heureux. Emmi s'étonna beaucoup d'entendre parler distinctement et raisonnablement la vieille Catiche. La curiosité lui donnait quelque envie de la croire, mais un coup de vent agita les branches au-dessus de sa tête, et il entendit la voix du chêne lui dire : - N'y va pas ! - Bonsoir et bon voyage, dit-il à la vieille ; mon arbre ne veut pas que je le quitte. - Ton arbre est un sot, reprit-elle, ou plutôt c'est toi qui es une bête de croire à la parole des arbres. - Vous croyez que les arbres ne parlent pas ? Vous vous trompez bien ! - Tous les arbres parlent quand le vent se met après eux, mais ils ne savent pas ce qu'ils disent ; c'est comme s'ils ne disaient rien. Emmi fut fâché de cette explication positive d'un fait merveilleux. Il répondit à Catiche : - C'est vous qui radotez, la vieille. Si tous les arbres font comme vous, mon chêne du moins sait ce qu'il veut et ce qu'il dit. La vieille haussa les épaules, ramassa sa besace et s'éloigna en reprenant son rire d'idiote. Emmi se demanda si elle jouait un rôle ou si elle avait des moments lucides. Il la laissa partir et la suivit, en se glissant d'arbre en arbre sans qu'elle s'en aperçut. Elle n'allait pas vite et marchait le dos courbé, la tête en avant, la bouche entr'ouverte, l'oeil fixé droit devant elle ; mais cet air exténué ne l'empêchait pas d'avancer toujours sans se presser ni se ralentir, et elle traversa ainsi la forêt pendant trois bonnes heures de marche, jusqu'à un pauvre hameau perché sur une colline derrière laquelle d'autres bois s'étendaient à perte de vue. Emmi la vit entrer dans une méchante cahute isolée des autres habitations, qui, pour paraître moins misérables, n'en étaient pas moins un assemblage de quelques douzaines de taudis. Il n'osa pas s'aventurer plus loin que les derniers arbres de la forêt et revint sur ses pas, bien convaincu que, si la Catiche avait un chez elle, il était plus pauvre et plus laid que le trou de l'arbre parlant. Il regagna son logis du grand chêne et n'y arriva que vers le soir, harassé de fatigue, mais content de se retrouver chez lui. Il avait gagné à ce voyage de connaître l'étendue de la forêt et la proximité d'un village ; mais ce village paraissait bien plus mal partagé que celui de Cernas, où Emmi avait été élevé. C'était tout pays de landes sans trace de culture, et les rares bestiaux qu'il avait vus paître autour des maisons n'avaient que la peau sur les os. Au delà, il n'avait aperçu que les sombres horizons des forêts. Ce n'est donc pas de ce côté-là qu'il pouvait songer à trouver une condition meilleure que la sienne. Au bout de la semaine, la Catiche arriva à l'heure ordinaire. Elle revenait de Cernas, et il lui demanda des nouvelles de sa tante pour voir si cette vieille aurait le pouvoir et la volonté de lui répondre comme la dernière fois. Elle répondit très nettement : - La grand'Nanette est remariée, et, si tu retournes chez elle, elle tâchera de te faire mourir pour se débarrasser de toi. - Parlez-vous raisonnablement ? dit Emmi, et me dites-vous la vérité ? - Je te dis la vérité. Tu n'as plus qu'à te rendre à ton maître pour vivre avec les cochons, ou à chercher ton pain avec moi, ce qui te vaudrait mieux que tu ne penses. Tu ne pourras pas toujours vivre dans la forêt. Elle est vendue, et sans doute on va abattre les vieux arbres. Ton chêne y passera comme les autres. Crois-moi, petit. On ne peut vivre nulle part sans gagner de l'argent. Viens avec moi, tu m'aideras à en gagner beaucoup, et, quand je mourrai, je te laisserai celui que j'ai. Emmi était si étonné d'entendre causer et raisonner l'idiote, qu'il regarda son arbre et prêta l'oreille comme s'il lui demandait conseil. - Laisse donc cette vieille bûche tranquille, reprit la Catiche. Ne sois pas si sot et viens avec moi. Comme l'arbre ne disait mot, Emmi suivit la vieille, qui, chemin faisant, lui révéla son secret. « - Je suis venue au monde loin d'ici, pauvre comme toi et orpheline. J'ai été élevée dans la misère et les coups. J'ai gardé aussi les cochons, et, comme toi, j'en avais peur. Comme toi, je me suis sauvée ; mais, en traversant une rivière sur un vieux pont décrépit, je suis tombée à l'eau d'où on m'a retirée comme morte. Un bon médecin chez qui on m'a portée m'a fait revenir à la vie ; mais j'étais idiote, sourde, et ne pouvant presque plus parler. Il m'a gardée par charité, et, comme il n'était pas riche, le curé de l'endroit a fait des quêtes pour moi, et les dames m'ont apporté des habits, du vin, des douceurs, tout ce qu'il me fallait. Je commençais à me porter mieux, j'étais si bien soignée ! Je mangeais de la bonne viande, je buvais du bon vin sucré, j'avais l'hiver du feu dans ma chambre, j'étais comme une princesse, et le médecin était content. Il disait : » - La voilà qui entend ce qu'on lui dit. Elle retrouve les mots pour parler. Dans deux ou trois mois d'ici elle pourra travailler et gagner honnêtement sa vie. » - Et toutes les belles dames se disputaient à qui me prendrait chez elle. » Je ne fus donc pas embarrassée pour trouver une place aussitôt que je fus guérie ; mais je n'avais pas le goût du travail, et on ne fut pas content de moi. J'aurais voulu être fille de chambre, mais je ne savais ni coudre ni coiffer ; on me faisait tirer de l'eau au puits et plumer la volaille, cela m'ennuyait. Je quittai l'endroit, croyant être mieux ailleurs. Ce fut encore pire, on me traitait de malpropre et de paresseuse. Mon vieux médecin était mort. On me chassa de maison en maison, et, après avoir été l'enfant chéri de tout le monde, je dus quitter le pays comme j'y étais venue, en mendiant mon pain ; mais j'étais plus misérable qu'auparavant. J'avais pris le goût d'être heureuse, et on me donnait si peu, que j'avais à peine de quoi manger. On me trouvait trop grande et de trop bonne mine pour mendier. On me disait : » - Va travailler, grande fainéante ! c'est une honte à ton âge de courir les chemins quand on peut épierrer les champs à six sous par jour. » Alors, je fis la boiteuse pour donner à croire que je pouvais pas travailler ; on trouva que j'étais encore trop forte pour ne rien faire, et je dus me rappeler le temps où tout le monde avait pitié de moi, parce que j'étais idiote. Je sus retrouver l'air que j'avais dans ce temps-là, mon habitude de ricaner au lieu de parler, et je fis si bien mon personnage, que les sous et les miches recommencèrent à pleuvoir dans ma besace. C'est comme cela que je cours depuis une quarantaine d'années, sans jamais essuyer de refus. Ceux qui ne peuvent me donner d'argent me donnent du fromage, des fruits et du pain plus que je n'en peux porter. Avec ce que j'ai de trop pour moi, j'élève des poulets que j'envoie au marché et qui me rapportent gros. J'ai une bonne maison dans un village où je vais te conduire. Le pays est malheureux, mais les habitants ne le sont pas. Nous sommes tous mendiants et infirmes, ou soi-disant tels, et chacun fait sa tournée dans une endroit où les autres sont convenus de ne pas aller ce jour-là. Comme ça, chacun fait ses affaires comme il veut ; mais personne ne les fait aussi bien que moi, car je m'entends mieux que personne à paraître incapable de gagner ma vie». - Le fait est, répondit Emmi, que jamais je ne vous aurais crue capable de parler comme vous faites. - Oui, oui, reprit la Catiche en riant, tu as voulu m'attraper et m'effrayer en descendant de ton arbre, coiffé en loup-garou, pour avoir du pain. Moi, je faisais semblant d'avoir peur, mais je te reconnaissais bien et je me disais : «Voilà un pauvre gars qui viendra quelque jour à Oursines-les-Bois, et qui sera bien content de manger ma soupe». En devisant ainsi, Emmi et la Catiche arrivèrent à Oursines-les-Bois ; c'était le nom de l'endroit où demeurait la fausse idiote et qu'Emmi avait déjà vu. Il n'y avait pas une âme dans ce triste hameau. Les animaux paissaient çà et là, sans être gardés, sur une lande fertile en chardons, qui était toute la propriété communale des habitants. Une malpropreté révoltante dans les chemins boueux qui servaient de rues, une odeur infecte s'exhalant de toutes les maisons, du linge déchiré séchant sur des buissons souillés par la volaille, des toits de chaume pourri, où poussaient des orties, un air d'abandon cynique, de pauvreté simulée ou volontaire, c'était de quoi soulever de dégoût le cœur d'Emmi, habitué aux verdures vierges et aux bonnes senteurs de la forêt. Il suivit pourtant la vieille Catiche, qui le fit entrer dans sa hutte de terre battue, plus semblable à une étable à porcs qu'à une habitation. L'intérieur était tout différent : les murs étaient garnis de paillassons, et le lit avait matelas et couvertures de bonne laine. Une quantité de provisions de toute sorte : blé, lard, légumes et fruits, tonnes de vin et même bouteilles cachetées. Il y avait de tout, et, dans l'arrière-cour, l'épinette était remplie de grasses volailles et de canards gorgés de pain et de son. - Tu vois, dit la Catiche à Emmi, que je suis autrement riche que ta tante ; elle me fait l'aumône toutes les semaines, et, si je voulais, je porterais de meilleurs habits que les siens. Veux-tu voir mes armoires ? Rentrons, et, comme tu dois avoir faim, je vas te faire manger un souper comme tu n'en as goûté de ta vie. En effet, tandis qu'Emmi admirait le contenu des armoires, la vieille alluma le feu et tira de sa besace une tête de chèvre, qu'elle fricassa avec des rogatons de toute sorte et où elle n'épargna ni le sel, ni le beurre rance, ni les légumes avariés, produit de la dernière tournée. Elle en fit je ne sais quel plat, qu'Emmi mangea avec plus d'étonnement que de plaisir et qu'elle le força d'arroser d'une demi-bouteille de vin bleu. Il n'avait jamais bu de vin, il ne le trouva pas bon, mais il but quand même, et, pour lui donner l'exemple, la vieille avala une bouteille entière, se grisa et devint tout à fait expansive. Elle se vanta de savoir voler encore mieux que mendier et alla jusqu'à lui montrer sa bourse, qu'elle enterrait sous une pierre du foyer et qui contenait des pièces d'or à toutes les effigies du siècle. Il y en avait bien pour deux mille francs. Emmi, qui ne savait pas compter, n'apprécia pas autant qu'elle l'eût voulu l'opulence de la mendiante. Quand elle lui eut tout montré : - A présent, lui dit-elle, je pense que tu ne voudras plus me quitter. J'ai besoin d'un gars, et, si tu veux être à mon service, je te ferai mon héritier. - Merci, répondit l'enfant ; je ne veux pas mendier. - Eh bien, soit, tu voleras pour moi. Emmi eut envie de se fâcher, mais la vieille avait parlé de le conduire le lendemain à Mauvert, où se tenait une grande foire, et, comme il avait envie de voir du pays et de connaître les endroits où on peut gagner sa vie honnêtement, il répondit sans montrer de colère : - Je ne saurais pas voler, je n'ai jamais appris. - Tu mens, reprit Catiche, tu voles très habilement à la forêt de Cernas son gibier et ses fruits. Crois-tu donc que ces choses-là n'appartiennent à personne ? Ne sais-tu pas que celui qui ne travaille pas ne peut vivre qu'aux dépens d'autrui ? Il y a longtemps que cette forêt est quasi abandonnée. Le propriétaire était un vieux riche qui ne s'occupait plus de rien et ne la faisait pas seulement garder. A présent qu'il est mort, tout ça va changer et tu auras beau te cacher comme un rat dans des trous d'arbres, on te mettra la main sur le collet et on te conduira en prison. - Eh bien, alors, reprit Emmi, pourquoi voulez-vous m'enseigner à voler pour vous ? - Parce que, quand on sait, on n'est jamais pris. Tu réfléchiras, il se fait tard, et il faut nous lever demain avant le jour pour aller à la foire. Je vais t'arranger un lit sur mon coffre, un bon lit avec une couette et une couverture. Pour la première fois de ta vie, tu dormiras comme un prince. Emmi n'osa résister. Quand la vieille Catiche ne faisait plus l'idiote, elle avait quelque chose d'effrayant dans le regard et dans la voix. Il se coucha et s'étonna d'abord de se trouver si bien ; mais, au bout d'un instant, il s'étonna de se trouver si mal. Ce gros coussin de plumes l'étouffait, la couverture, le manque d'air libre, la mauvaise odeur de la cuisine et le vin qu'il avait bu, lui donnaient la fièvre. Il se leva tout effaré en disant qu'il voulait dormir dehors, et qu'il mourrait s'il lui fallait passer la nuit enfermé. Le lendemain, la Catiche lui confia un panier d'œufs et six poules à vendre, en lui ordonnant de la suivre à distance et de n'avoir pas l'air de la connaître. - Si on savait que je vends, lui dit-elle, on ne me donnerait plus rien. Elle lui fixa le prix qu'il devait atteindre avant de livrer sa marchandise, tout en ajoutant qu'elle ne le perdrait pas de vue, et que, s'il ne lui rapportait pas fidèlement l'argent, elle saurait bien le forcer à le lui rendre. - Si vous vous défiez de moi, répondit Emmi offensé, portez votre marchandise vous-même et laissez-moi m'en aller. - N'essaye pas de fuir, dit la vieille, je saurai te retrouver n'importe où ; ne réplique pas et obéis. Il la suivit à distance comme elle l'exigeait, et vit bientôt le chemin couvert de mendiants plus affreux les uns que les autres. C'étaient les habitants d'Oursines, qui, ce jour-là, allaient tous ensemble se faire guérir à une fontaine miraculeuse. Tous étaient estropiés ou couverts de plaies hideuses. Tous sortaient de la fontaine sains et allègres. Le miracle n'était pas difficile à expliquer, tous leurs maux étant simulés et les reprenant au bout de quelques semaines, pour être guéris le jour de la fête suivante. Emmi vendit ses œufs et ses poules, en reporta vite l'argent à la vieille, et, lui tournant le dos, s'en fut à travers la foule, les yeux écarquillés, admirant tout et s'étonnant de tout. Il vit des saltimbanques faire des tours surprenants, et il s'était même un peu attardé à contempler leurs maillots pailletés et leurs bandeaux dorés, lorsqu'il entendit à côté de lui un singulier dialogue. C'était la voix de la Catiche qui s'entretenait avec la voix rauque du chef des saltimbanques. Ils n'étaient séparés de lui que par la toile de la baraque. - Si vous voulez lui faire boire du vin, disait la Catiche, vous lui persuaderez tout ce que vous voudrez. C'est un petit innocent qui ne peut me servir à rien et qui prétend vivre tout seul dans la forêt, où il perche depuis un an dans un vieux arbre. Il est aussi leste et aussi adroit qu'un singe, il ne pèse pas plus qu'un chevreau, et vous lui ferez faire les tours les plus difficiles. - Et vous dites qu'il n'est pas intéressé ? reprit le saltimbanque. - Non, il ne se soucie pas de l'argent. Vous le nourrirez, et il n'aura pas l'esprit d'en demander davantage. - Mais il voudra se sauver ? - Bah ! avec des coups, vous lui en ferez passer l'envie. - Allez me le chercher, je veux le voir. - Et vous me donnerez vingt francs ? - Oui, s'il convient. La Catiche sortit de la baraque et se trouva face à face avec Emmi, à qui elle fit signe de la suivre. - Non pas, lui dit-il, j'ai entendu votre marché. Je ne suis pas si innocent que vous croyez. Je ne veux pas aller avec ces gens-là pour être battu. - Tu y viendras, pourtant, répondit la Catiche en lui prenant le poignet avec une main de fer et en l'attirant vers la baraque. - Je ne veux pas, je ne veux pas ! cria l'enfant en se débattant et en s'accrochant de la main restée libre à la blouse d'un homme qui était près de lui et qui regardait le spectacle. L'homme se retourna, et, s'adressant à la Catiche, lui demanda si ce petit était à elle. - Non, non, s'écria Emmi, elle n'est pas ma mère, elle ne m'est rien, elle veut me vendre un louis d'or à ces comédiens ! - Et toi, tu ne veux pas ? - Non, je ne veux pas ! sauvez-moi de ses griffes. Voyez ! elle me met en sang. - Qu'est-ce qu'il y a de cette femme et de cet enfant ? dit le beau gendarme Erambert, attiré par les cris d'Emmi et les vociférations de la Catiche. - Bah ! ça n'est rien répondit le paysan qu'Emmi tenait toujours par sa blouse. C'est une pauvresse qui veut vendre un gars aux sauteurs de corde ; mais on l'empêchera bien, gendarme, on n'a pas besoin de vous. - On a toujours besoin de la gendarmerie, mon ami. Je veux savoir ce qu'il y a de cette histoire-là. - Parle, jeune homme, explique-moi l'affaire. Et, s'adressant à Emmi : - Parle, jeune homme, explique-moi l'affaire. A la vue du gendarme, la vieille Catiche avait lâché Emmi et avait essayé de fuir ; mais le majestueux Erambert l'avait saisie par le bras, et vite elle s'était mise à rire et à grimacer en reprenant sa figure d'idiote. Pourtant, au moment où Emmi allait répondre, elle lui lança un regard suppliant où se peignait un grand effroi. Emmi avait été élevé dans la crainte des gendarmes, et il s'imagina que, s'il accusait la vieille, Erambert allait lui trancher la tête avec son grand sabre. Il eut pitié d'elle et répondit : - Laissez-la, monsieur, c'est une femme folle et imbécile qui m'a fait peur, mais qui ne voulait pas me faire de mal. - La connaissez-vous ? n'est-ce pas la Catiche ? une femme qui fait semblant de ce qu'elle n'est pas ? Dites la vérité. Un nouveau regard de la mendiante donna à Emmi le courage de mentir pour lui sauver la vie. - Je la connais, dit-il, c'est une innocente. - Je saurai de ce qui en est, répondit le beau gendarme en laissant aller la Catiche. Circulez, vieille femme, mais n'oubliez pas que depuis longtemps j'ai l'oeil sur vous. La Catiche s'enfuit, et le gendarme s'éloigna. Emmi, qui avait eu encore plus peur de lui que de la vieille, tenait toujours la blouse du père Vincent. C'était le nom du paysan qui s'était trouvé là pour le protéger, et qui avait une bonne figure douce et gaie. - Ah çà ! petit, dit ce bonhomme à Emmi, tu vas me lâcher à la fin ? Tu n'as plus rien à craindre ; qu'est-ce que tu veux de moi ? cherches-tu ta vie ? veux-tu un sou ? - Non, merci, dit Emmi, mais j'ai peur à présent de tout ce monde où me voilà seul sans savoir de quel côté me tourner. - Et où voudrais-tu aller ? - Je voudrais retourner dans ma forêt de Cernas sans passer par Oursines-les-Bois. - Tu demeures à Cernas ? C'est bien aisé de t'y mener, puisque de ce pas je m 'en vas dans la forêt. Tu n'auras qu'à me suivre ; j'entre souper sous la ramée, attends-moi au pied de cette croix, je reviendrai te prendre. Emmi trouva que la croix du village était encore trop près de la baraque des saltimbanques ; il aima mieux suivre le père Vincent sous la ramée, d'autant plus qu'il avait besoin de se restaurer avant de se mettre en route. - Si vous n'avez pas honte de moi, lui dit-il, permettez-moi de manger mon pain et mon fromage à côté de vous. J'ai de quoi payer ma dépense : tenez, voilà ma bourse, vous payerez pour nous deux, car je souhaite payer aussi votre dîner. - Diable ! s'écria en riant le père Vincent, voilà un gars bien honnête et bien généreux ; mais j'ai l'estomac creux, et ta bourse n'est guère remplie. Viens, et mets-toi là. Reprends ton argent, petit, j'en ai assez pour nous deux. Tout en mangeant ensemble, Vincent fit raconter à Emmi toute son histoire. Quand ce fut terminé, il lui dit : - Je vois que tu as bonne tête et bon cœur, puisque tu ne t'es pas laissé tenter par les louis d'or de cette Catiche, et que pourtant tu n'as pas voulu l'envoyer en prison. Oublie-la et ne quitte plus ta forêt, puisque tu y es bien. Il ne tient qu'à toi de ne plus y être tout à fait seul. Tu sauras que j'y vais pour préparer les logements d'une vingtaine d'ouvriers qui se disposent à abattre le taillis entre Cernas et la Planchette. - Ah ! vous allez abattre la forêt ? dit Emmi consterné. - Non ! nous faisons seulement une coupe dans une partie qui ne touche point à ton refuge du chêne parlant, et je sais qu'on ne touchera ni aujourd'hui, ni demain, à la région des vieux arbres. Sois donc tranquille, on ne te dérangera pas ; mais, si tu m'en crois, mon petit, tu viendras travailler avec nous. Tu n'es pas assez fort pour manier la serpe et la cognée ; mais, si tu es adroit, tu pourras très bien préparer les liens et t'occuper au fagotage, tout en servant les ouvriers, qui ont toujours besoin d'un gars pour faire leurs commissions et porter leurs repas. C'est moi qui ai l'entreprise de cette coupe. Les ouvriers sont à leurs pièces, c'est-à-dire qu'on les paye en raison du travail qu'ils font. Je te propose de t'en rapporter à moi pour juger de ce qu'il sera raisonnable de te donner, et je te conseille d'accepter. La vieille Catiche a eu raison de te dire que, quand on ne veut pas travailler, il faut être voleur ou mendiant, et, comme tu ne veux être ni l'un ni l'autre, prends vite le travail que je t'offre, l'occasion est bonne. Emmi accepta avec joie. Le père Vincent lui inspirait une confiance absolue. Il se mit à sa disposition, et ils prirent ensemble le chemin de la forêt. Il faisait nuit quand ils arrivèrent, et, quoique le père Vincent connût bien les chemins, il eût été embarrassé de trouver dans l'obscurité la taille des buttes, si Emmi, qui s'était habitué à voir la nuit comme les chats, ne l'eût conduit par le plus court. Ils trouvèrent un abri déjà préparé par les ouvriers, qui y étaient venus dès la veille. Cela consistait en perches placées en pignon avec leurs branchages, et recouvertes de grandes plaques de mousse et de gazon. Emmi fut présenté aux ouvriers et bien accueilli. Il mangea la soupe bien chaude et dormit de tout son cœur. Le lendemain, il fit son apprentissage : allumer le feu, faire la cuisine, laver les pots, aller chercher de l'eau, et le reste du temps aider à la construction de nouvelles cabanes pour les vingt autres bûcherons qu'on attendait. Le père Vincent, qui commandait et surveillait tout, fut émerveillé de l'intelligence, de l'adresse et de la promptitude d'Emmi. Ce n'est pas lui qui apprenait à tout faire avec rien ; c'est lui qui l'apprenait aux plus malins, et tous s'écrièrent que ce n'était pas un gars, mais un esprit follet que les bons diables de la forêt avaient mis à leur service. Comme, avec tous ses talents et industries, Emmi était obéissant et modeste, il fut pris en amitié, et les plus rudes de ces bûcherons lui parlèrent avec douceur et lui commandèrent avec discrétion. Au bout de cinq jours, Emmi demanda au père Vincent s'il était libre d'aller faire son dimanche où bon lui semblerait. - Tu es libre, lui répondit le brave homme : mais, si tu veux m'en croire, tu iras revoir ta tante et les gens de ton village. S'il est vrai que ta tante ne se soucie pas de te reprendre, elle sera contente de te savoir en position de gagner ta vie sans qu'elle s'en mêle, et, si tu penses qu'on te battra à la ferme pour avoir quitté ton troupeau, j'irai avec toi pour apaiser les gens et te protéger. Sois sûr, mon enfant, que le travail est le meilleur des passeports et qu'il purifie tout. Emmi le remercia du bon conseil, et le suivit. Sa tante, qui le croyait mort, eut peur en le voyant ; mais, sans lui raconter ses aventures, Emmi lui fit savoir qu'il travaillait avec les bûcherons et qu'il ne serait plus jamais à sa charge. Le père Vincent confirma son dire, et déclara qu'il regardait l'enfant comme le sien et en faisait grande estime. Il parla de même à la ferme, où on les obligea de boire et de manger. La grand'Nannette y vint pour embrasser Emmi devant le monde et faire la bonne âme en lui apportant quelques hardes et une demi-douzaine de fromages. Bref, Emmi s'en revint avec le vieux bûcheron, réconcilié avec tout le monde, dégagé de tout blâme et de tout reproche. Quand ils eurent traversé la lande, Emmi dit à Vincent : - Ne m'en voudrez-vous point si je vais passer la nuit dans mon chêne ? Je vous promets d'être à la taille des buttes avant soleil levé. - Fais comme tu veux, répondit le bûcheron ; c'est donc une idée que tu as comme ça de percher ? Emmi lui fit comprendre qu'il avait pour ce chêne une amitié fidèle, et l'autre l'écouta en souriant, un peu étonné de son idée, mais porté à le croire et à le comprendre. Il le suivit jusque-là et voulut voir sa cachette. Il eut de la peine à grimper assez haut pour l'apercevoir. Il était encore agile et fort, mais le passage entre les branches était trop petit pour lui. Emmi seul pouvait se glisser partout. - C'est bien et c'est gentil, dit le bonhomme en redescendant ; mais tu ne pourras pas coucher là longtemps : l'écorce, en grossissant et en se roulant, finira par boucher l'ouverture, et toi, tu ne seras pas toujours mince comme un fétu. Après ça, si tu y tiens, on peut élargir la fente avec une serpe ; je te ferai cet ouvrage-là, si tu le souhaites. - Oh non ! s'écrira Emmi, tailler dans mon chêne, pour le faire mourir ! - Il ne mourra pas ; un arbre bien taillé dans ses parties malades ne s'en porte que mieux. - Eh bien, nous verrons plus tard, répondit Emmi. Ils se souhaitèrent la bonne nuit et se séparèrent. Comme Emmi se trouva heureux de reprendre possession de son gîte ! Il lui semblait l'avoir quitté depuis un an. Il pensait à l'affreuse nuit qu'il avait passée chez la Catiche et faisait maintenant des réflexions très justes sur la différence des goûts et le choix des habitudes. Il pensait à tous ces gueux d'Oursines-les-Bois, qui se croyaient riches parce qu'ils cachaient des louis d'or dans leurs paillasses et qui vivaient dans la honte et l'infection, tandis que lui tout seul, sans mendier, il avait dormi plus d'une année dans un palais de feuillage, au parfum des violettes et des mélites, au chant des rossignols et des fauvettes, sans souffrir de rien, sans être humilié par personne, sans disputes, sans maladies, sans rien de faux et de mauvais dans le cœur. - Tous ces gens d'Oursines, à commencer par la Catiche, se disait-il, ont plus d'argent qu'il ne leur en faudrait pour se bâtir de bonnes petites maisons, cultiver de gentils jardins, élever du bétail sain et propre ; mais la paresse les empêche de jouir de ce qu'ils ont, ils se laissent croupir dans l'ignominie. Ils sont comme fiers du dégoût et du mépris qu'ils inspirent, ils se moquent des braves gens qui ont pitié d'eux, ils volent les vrais pauvres, ceux qui souffrent sans se plaindre. Il se cachent pour compter leur argent et périssent de misère. Quelle folie triste et honteuse, et comme le père Vincent a raison de dire que le travail est ce qui garde et purifie le plaisir de vivre ! Une heure avant le jour, Emmi, qui s'était commandé à lui-même de ne pas dormir trop serré, s'éveilla et regarda autour de lui. La lune s'était levée tard et n'était pas couchée. Les oiseaux ne disaient rien encore. La chouette faisait sa ronde et n'était pas rentrée. Le silence est une belle chose, il est rare dans une forêt, où il y a toujours quelque être qui grimpe ou quelque chose qui tombe. Emmi but ce beau silence comme un rafraîchissement en se rappelant le vacarme étourdissant de la foire, le tam-tam et la grosse caisse des saltimbanques, les disputes des acheteurs et des vendeurs, le grincement des vielles et le mugissement des cornemuses, les cris des animaux ennuyés ou effrayés, les rauques chansons des buveurs, tout ce qui l'avait tour à tour étonné, amusé, épouvanté. Quelle différence avec les voix mystérieuses, discrètes ou imposantes de la forêt ! Une faible brise s'éleva avec l'aube et fit frissonner mélodieusement la cime des arbres. Celle du chêne semblait dire : - Reste tranquille, Emmi ; sois tranquille et content, petit Emmi. «Tous les arbres parlent», lui avait dit la Catiche. - C'est vrai, pensait-il, ils ont tous leur voix et leur manière de gémir ou de chanter ; mais ils ne savent ce qu'ils disent, à ce que prétend cette sorcière. Elle ment : les arbres se plaignent ou se réjouissent innocemment. Elle ne peut pas les comprendre, elle qui ne pense qu'au mal ! Emmi fut aux coupes à l'heure dite et y travailla tout l'été et tout l'hiver suivant. Tous les samedis soir, il allait coucher dans son chêne. Le dimanche, il faisait une courte visite aux habitants de Cernas et revenait à son gîte jusqu'au lundi matin. Il grandissait et restait mince et léger, mais se tenait très proprement et avait une jolie mine éveillée et aimable qui plaisait à tout le monde. Le père Vincent lui apprenait à lire et à compter. On faisait cas de son esprit, et sa tante, qui n'avait pas d'enfants, eût souhaité le retenir auprès d'elle pour lui faire honneur et profit, car il était de bon conseil et paraissait s'entendre à tout. Mais Emmi n'aimait que les bois. Il en était venu à y voir, à y entendre des choses que n'entendaient ni ne voyaient les autres. Dans les longues nuits d'hiver, il aimait surtout la région des pins, où la neige amoncelée dessinait, le long des rameaux noirs, de grandes belles formes blanches mollement couchées, qui, parfois balancées par la brise, semblaient se mouvoir et s'entretenir mystérieusement. Le plus souvent elles paraissaient dormir, et il les regardait avec un respect mêlé de frayeur. Il eût craint de dire un mot, de faire un mouvement qui eût réveillé ces belles fées de la nuit et du silence. Dans la demi-obscurité des nuits claires où les étoiles scintillaient comme des yeux de diamant en l'absence de la lune, il croyait saisir les formes de ces êtres fantastiques, les plis de leurs robes, les ondulations de leurs chevelures d'argent. Aux approches du dégel, elles changeaient d'aspect et d'attitude, et il les entendait tomber des branches avec un bruit frais et léger, comme si, en touchant la nappe neigeuse du sol, elles eussent pris un souple élan pour s'envoler ailleurs. Quand la glace emprisonnait le petit ruisseau, il la cassait pour boire, mais avec précaution pour ne pas abîmer l'édifice de cristal que formait sa petite chute. Il aimait à regarder le long des chemins de la forêt les girandoles du givre et les stalactites irisées par le soleil levant. Il y avait des soirs où l'architecture transparente des arbres privés de feuilles se dessinait en dentelle noire sur le ciel rouge ou sur le fond nacré des nuages éclairés par la lune. Et, l'été, quelles chaudes rumeurs, quels concerts d'oiseaux sous le feuillage ! Il faisait la guerre aux rongeurs et aux fureteurs friands des œufs ou des petits dans les nids. Il s'était fabriqué un arc et des flèches et s'était rendu très adroit à tuer les rats et les vipères. Il épargnait les belles couleuvres inoffensives qui serpentent avec tant de grâce sur la mousse, et les charmants écureuils, qui ne vivent que des amandes du pin, si adroitement extraites par eux de leur cône. Il avait si bien protégé les nombreux habitants de son vieux chêne que tous le connaissaient et le laissaient circuler au milieu d'eux. Il s'imaginait comprendre le rossignol le remerciant d'avoir sauvé sa nichée et disant tout exprès pour lui ses plus beaux airs. Il ne permettait pas aux fourmis de s'établir dans son voisinage ; mais il laissait le pivert travailler dans le bois pour en retirer les insectes rongeurs qui le détériorent. Il chassait les chenilles du feuillage. Les hannetons voraces ne trouvaient pas grâce devant lui. Tous les dimanches, il faisait à son cher arbre une toilette complète, et en vérité jamais le chêne ne s'était si bien porté et n'avait étalé une si riche et si fraîche verdure. Emmi ramassait les glands les plus sains et allait les semer sur la lande voisine où il soignait leur première enfance en empêchant la bruyère et la cuscute de les étouffer. Il avait pris les lièvres en amitié et n'en voulait plus détruire pour sa nourriture. De son arbre, il les voyait danser sur le serpolet, se coucher sur le flanc comme des chiens fatigués, et tout à coup, au bruit d'une feuille sèche qui se détache, bondir avec une grâce comique, et s'arrêter court, comme pour réfléchir après avoir cédé à leur peur. Si, en se promenant par les chaudes journées, il se sentait le besoin de faire une sieste, il grimpait dans le premier arbre venu, et, choisissant son gîte, il entendait les ramiers le bercer de leurs grasseyements monotones et caressants ; mais il était délicat pour son coucher et ne dormait tout à fait bien que dans son chêne. Il fallut pourtant quitter cette chère forêt quand la coupe fut terminée et enlevée. Emmi suivit le père Vincent, qui s'en allait à cinq lieues de là, du côté d'Oursines, pour entreprendre une autre coupe dans une autre propriété. Depuis le jour de la foire, Emmi n'était pas retourné dans ce vilain endroit et n'avait pas aperçu la Catiche. Etait-elle morte, était-elle en prison ? Personne n'en savait rien. Beaucoup de mendiants disparaissaient comme cela sans qu'on puisse dire ce qu'ils sont devenus. Personne ne les cherche ni ne les regrette. Emmi était très bon. Il n'avait pas oublié le temps de solitude absolue où, la croyant idiote et misérable, il l'avait vue chaque semaine au pied de son chêne lui apportant le pain dont il était privé et lui faisant entendre le son de la voix humaine. Il confia au père Vincent le désir qu'il avait d'avoir de ses nouvelles, et ils s'arrêtèrent à Oursines pour en demander. C'était jour de fête dans cette cour des miracles. On trinquait et on chantait en choquant les pots. Deux femmes décoiffées, et le cheveux au vent se battaient devant une porte, les enfants barbotaient dans une mare infecte. Sitôt que les deux voyageurs parurent, les enfants s'envolèrent comme une bande de canards sauvages. Leur fuite avertit de proche en proche les habitants. Tout bruit cessa, et les portes se fermèrent. La volaille effarouchée se cacha dans les buissons. - Puisque ces gens ne veulent pas qu'on voit leurs ébats, dit le père Vincent, et puisque tu connais le logis de la Catiche, allons-y tout droit. Ils y frappèrent plusieurs fois sans qu'on leur répondit. Enfin une voix cassée cria d'entrer, et ils poussèrent la porte. La Catiche pâle, maigre, effrayante, était assise sur une grande chaise auprès du feu, ses mains desséchées collées sur les genoux. En reconnaissant Emmi, elle eut une expression de joie. - Enfin, dit-elle, te voilà, et je peux mourir tranquille ! Elle leur expliqua qu'elle était paralytique et que ses voisines venaient la lever le matin, la coucher le soir et la faire manger à ses heures. - Je ne manque de rien, ajouta-t-elle, mais j'ai un grand souci. C'est mon pauvre argent qui est là, sous cette pierre où je pose mes pieds. Cet argent, je le destine à Emmi, qui est un bon cœur et qui m'a sauvée de la prison au moment où je voulais le vendre à de mauvaises gens ; mais, sitôt que je serai morte, mes voisines fouilleront partout et trouveront mon trésor : c'est cela qui m'empêche de dormir et de me faire soigner convenablement. Il faut prendre cet argent, Emmi, et l'emporter loin d'ici. Si je meurs, garde-le, je te le donne ; ne te l'avais-je pas promis ? Si je reviens à la santé, tu me le rapporteras ; tu es honnête, je te connais. Il sera toujours à toi, mais j'aurai le plaisir de le voir et de le compter jusqu'à ma dernière heure. Emmi refusa d'abord. C'était de l'argent volé qui lui répugnait ; mais le père Vincent offrit à la Catiche de s'en charger pour le lui rendre à sa première réclamation, ou pour le placer au nom d'Emmi, si elle venait à mourir sans le réclamer. Le père Vincent était connu dans tout le pays pour un homme juste qui avait honnêtement amassé du bien, et la Catiche, qui rôdait partout et entendait tout, n'était pas sans savoir qu'on devait se fier à lui. Elle le pria de bien fermer les huisseries de sa cabane, puis de reculer sa chaise, car elle ne pouvait se mouvoir, et de soulever la pierre du foyer. Il y avait bien plus qu'elle n'avait montré la première fois à Emmi. Il y avait cinq bourses de peau et environ cinq mille francs en or. Elle ne voulut garder que trois cents francs en argent pour payer les soins de ses voisins et se faire enterrer. Et, comme Emmi regardait ce trésor avec dédain : - Tu sauras plus tard, lui dit la Catiche, que la misère est un méchant mal. Si je n'étais pas née dans ce mal, je n'aurais pas fait ce que j'ai fait. - Si vous vous en repentez, lui dit le père Vincent, Dieu vous le pardonnera. - Je m'en repens, répondit-elle, depuis que je suis paralytique, parce que je meurs dans l'ennui et la solitude. Mes voisins me déplaisent autant que je leur déplais. Je pense à cette heure que j'aurais mieux fait de vivre autrement. Emmi lui promit de revenir la voir et suivit le père Vincent dans son nouveau travail. Il regretta bien un peu sa forêt de Cernas, mais il avait l'idée du devoir et fit le sien fidèlement. Au bout de huit jours, il retourna vers la Catiche. Il arriva comme on emportait sa bière sur une petite charrette traînée par un âne. Emmi la suivit jusqu'à la paroisse, qui était distante d'un quart de lieue, et assista à son enterrement. Au retour, il vit que tout chez elle était au pillage et qu'on se battait à qui aurait ses nippes. Il ne se repentit plus d'avoir soustrait à ces mauvaises gens le trésor de la vieille. Quand il fut de retour à la coupe, le père Vincent lui dit : - Tu es trop jeune pour avoir cet argent-là. Tu n'en saurais pas tirer parti, ou tu te laisserais voler. Si tu m'agrées pour tuteur, je le placerai pour le mieux, et je t'en servirai la rente jusqu'à ta majorité. - Faites-en ce qu'il vous plaira, répondit Emmi ; je m'en rapporte à vous. Pourtant, si c'est de l'argent volé, comme la vieille s'en vantait, ne vaudrait-il pas mieux essayer de le rendre ? - Le rendre à qui ? Ç'a a été volé sous par sou, puisque cette femme obtenait la charité en trompant le monde et en chipant deçà et delà on ne sait à qui, des choses que nous ne savons pas, et que personne ne songe plus à réclamer. L'argent n'est pas coupable, la honte est pour ceux qui en font mauvais emploi. La Catiche était une champie, elle n'avait pas de famille, elle n'a pas laissé d'héritier ; elle te donne son bien, non pas pour te remercier d'avoir fait quelque chose de mal, mais au contraire parce que tu lui as pardonné celui qu'elle voulait te faire. J'estime donc que c'est pour toi un héritage bien acquis, et qu'en te le donnant cette vieille a fait la seule bonne action de sa vie. Je ne veux pas te cacher qu'avec le revenu que je te servirai, tu as le moyen de ne pas travailler beaucoup ; mais, si tu es, comme je le crois, un vrai bon sujet, tu continueras à travailler de tout ton cœur, comme si tu n'avais rien. - Je ferai comme vous me conseillez, répondit Emmi. Je ne demande qu'à rester avec vous et à suivre vos commandements. Le brave garçon n'eut point à se repentir de la confiance et de l'amitié qu'il sentait pour son maître. Celui-ci le regarda toujours comme son fils et le traita en bon père. Quand Emmi fut en âge d'homme, il épousa une des petites-filles du vieux bûcheron, et, comme il n'avait pas touché à son capital, que les intérêts de chaque année avaient grossi, il se trouva riche pour un paysan de ce temps-là. Sa femme était jolie, courageuse et bonne ; on faisait grand cas, dans tout le pays, de ce jeune ménage, et, comme Emmi avait acquis quelque savoir et montrait beaucoup d'intelligence dans sa partie, le propriétaire de la forêt de Cernas le choisit pour son garde général et lui fit bâtir une jolie maison dans le plus bel endroit de la vieille futaie, tout auprès du chêne parlant. La prédiction du père Vincent s'était facilement réalisée. Emmi était devenu trop grand pour occuper son ancien gîte, et le chêne avait refait tant d'écorce, que la logette s'était presque refermée. Quand Emmi, devenu vieux, vit que la fente allait bientôt se fermer tout à fait, il écrivit avec une pointe d'acier, sur une plaque de cuivre, son nom, la date de son séjour dans l'arbre et les principales circonstances de son histoire, avec cette prière à la fin : « Feu du ciel et du vent de la montagne, épargnez mon ami le vieux chêne. Faites qu'il voie encore grandir mes petits-enfants et leurs descendants aussi. Vieux chêne qui m'as parlé, dis-leur aussi quelquefois une bonne parole pour qu'ils t'aiment toujours comme je t'ai aimé ». Emmi jeta cette plaque écrite dans le creux où il avait longtemps dormi et songé. Le fente s'est refermée tout à fait. Emmi a fini de vivre, et l'arbre vit toujours. Il ne parle plus, ou s'il parle, il n'y a plus d'oreilles capables de le comprendre. On n'a plus peur de lui, mais l'histoire d'Emmi s'est répandue, et, grâce au bon souvenir que l'homme a laissé, le chêne est toujours respecté et béni.[/size]
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