CHANT SUR LE BERCEAU DE VICTOR HUGO
Chant sur le berceau
Je veille. Ne crains rien. J'attends que tu t'endormes.
Les [size=18]anges sur ton front viendront poser leurs bouches.[/size]
Je ne veux pas sur toi d'un rêve ayant des formes
Farouches ;
Je veux qu'en te voyant là, ta main dans la mienne,
Le vent change son bruit d'orage en bruit de lyre.
Et que sur ton sommeil la sinistre nuit vienne
Sourire.
Le poète est penché sur les berceaux qui tremblent ;
Il leur parle, il leur dit tout bas de tendres choses,
Il est leur amoureux, et ses chansons ressemblent
Aux roses.
Il est plus pur qu'avril embaumant la pelouse
Et que mai dont l'oiseau vient piller la corbeille ;
Sa voix est un frisson d'âme, à rendre jalouse
L'abeille ;
Il adore ces nids de soie et de dentelles ;
Son cœur a des gaîtés dans la fraîche demeure
Qui font rire aux éclats avec des douceurs telles
Qu'on pleure ;
Il est le bon semeur des fraîches allégresses ;
Il rit. Mais si les rois et leurs valets sans nombre
Viennent, s'il voit briller des prunelles tigresses
Dans l'ombre,
S'il voit du Vatican, de Berlin ou de Vienne
Sortir un guet-apens, une horde, une bible,
Il se dresse, il n'en faut pas plus pour qu'il devienne
Terrible.
S'il voit ce [size=18]basilic, Rome, ou cette araignée,[/size]
Ignace, ou ce vautour, Bismarck, faire leur crime,
Il gronde, il sent monter dans sa strophe indignée
L'abîme.
C'est dit. Plus de chansons. L'avenir qu'il réclame,
Les peuples et leur droit, les rois et leur bravade,
Sont comme un tourbillon de tempête où cette âme
S'évade.
Il accourt. Reviens, [size=18]France, à ta fierté première ![/size]
Délivrance ! Et l'on voit cet homme qui se lève
Ayant [size=18]Dieu dans le cœur et dans l'œil la lumière[/size]
Du glaive.
Et sa [size=18]pensée, errante alors comme les proues[/size]
Dans l'onde et les drapeaux dans les noires mêlées,
Est un immense char d'aurore avec des roues
Ailées.
Victor HUGO 1802-1885
------------------------------------------------------------------------------------------------
CLAIR DE LUNE DE VICTOR HUGO
CLAIR DE LUNE
La lune était sereine et jouait sur les flots.
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots.
De ses doigts en vibrant s'échappe la [size=18]guitare.[/size]
Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce Un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l'archipel grec de sa rame tartare?
Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour?
Qui trouble ainsi les flots près du sérail des [size=18]femmes?[/size]
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames.
Ce sont des [size=18]sacs pesants, d'où partent des sanglots.[/size]
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine...
La lune était sereine et jouait sur les flots.
VICTOR HUGO
-----------------------------------------------------------------------------------------------
DANS LA FORET DE VICTOR HUGO
Dans la forêt
De quoi parlait le vent ? De quoi tremblaient les branches ?
Était-ce, en ce doux mois des nids et des pervenches,
Parce que les [size=18]oiseaux couraient dans les glaïeuls,[/size]
Ou parce qu'elle et moi nous étions là tout seuls ?
Elle hésitait. Pourquoi ? Soleil, azur, rosées,
Aurore ! Nous tâchions d'aller, pleins de [size=18]pensées,[/size]
Elle vers la campagne et moi vers la forêt.
Chacun de son côté tirait l'autre, et, discret,
Je la suivais d'abord, puis, à son tour docile,
Elle venait, ainsi qu'autrefois en Sicile
Faisaient Flore et Moschus, Théocrite et Lydé.
Comme elle ne m'avait jamais rien accordé,
Je riais, car le mieux c'est de tâcher de rire
Lorsqu'on veut prendre une âme et qu'on ne sait que dire ;
J'étais le plus heureux des hommes, je souffrais.
Que la mousse est épaisse au fond des antres frais !
Par instants un éclair jaillissait de notre âme ;
Elle balbutiait : Monsieur... et moi : Madame.
Et nous restions pensifs, muets, vaincus, vainqueurs,
Après cette clarté faite dans nos deux cœurs.
Une source disait des choses sous un saule ;
Je n'avais encor vu qu'un peu de son épaule,
Je ne sais plus comment et je ne sais plus où ;
Oh ! Le profond printemps, comme cela rend fou !
L'audace des moineaux sous les feuilles obscures,
Les papillons, l'abeille en quête, les piqûres,
Les soupirs, ressemblaient à de vagues essais,
Et j'avais peur, sentant que je m'enhardissais.
Il est certain que c'est une action étrange
D'errer dans l'ombre au point de cesser d'être un ange,
Et que l'herbe était douce, et qu'il est fabuleux
D'oser presser le bras d'une femme aux yeux bleus.
Nous nous sentions glisser vaguement sur la pente
De l'idylle où l'amour traître et divin serpente,
Et qui mène, à travers on ne sait quel jardin,
Souvent à l'enfer, mais en passant par l'éden.
Le printemps laisse faire, il permet, rien ne bouge.
Nous marchions, elle était rose, et devenait rouge,
Et je ne savais rien, tremblant de mon succès,
Sinon qu'elle pensait à ce que je pensais.
Pâle, je prononçais des noms, Béatrix, Dante ;
Sa guimpe s'entrouvrait, et ma prunelle ardente
Brillait, car l'amoureux contient un curieux.
Viens ! Dis-je... - Et pourquoi pas, ô bois mystérieux ?
Victor HUGO 1802-1885
3 avril 1874
------------------------------------------------------------------------------------------------
J'AI CUEILLI CETTE FLEUR POUR TOI SUR LA COLLINE DE HUGO
J'ai cueilli cette [size=18]fleur pour toi sur la colline[/size]
J'ai cueilli cette [size=18]fleur pour toi sur la colline.[/size]
Dans l'âpre escarpement qui sur le flot s'incline,
Que l'aigle connaît seul et seul peut approcher,
Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.
L'ombre baignait les flancs du morne promontoire ;
Je voyais, comme on dresse au lieu d'une victoire
Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil,
À l'endroit où s'était englouti le soleil,
La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s'enfuyaient, au loin diminuées ;
Quelques toits, s'éclairant au fond d'un entonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisser voir.
J'ai cueilli cette [size=18]fleur pour toi, ma bien-aimée.[/size]
Elle est pâle, et n'a pas de corolle embaumée,
Sa racine n'a pris sur la crête des monts
Que l'amère senteur des glauques goémons ;
Moi, j'ai dit: Pauvre [size=18]fleur, du haut de cette cime,[/size]
Tu devais t'en aller dans cet immense abîme
Où l'algue et le nuage et les voiles s'en vont.
Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.
Fane-toi sur ce sein en qui palpite un [size=18]monde.[/size]
Le ciel, qui te créa pour t'effeuiller dans l'onde,
Te fit pour l'océan, je te donne à l'amour. -
Le vent mêlait les flots; il ne restait du jour
Qu'une vague lueur, lentement effacée.
Oh! Comme j'étais triste au fond de ma pensée
Tandis que je songeais, et que le gouffre noir
M'entrait dans l'âme avec tous les frissons du soir !
Victor HUGO 1802-1885
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
[size=24]LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI DE LA FONTAINE
[/size]
Les Grenouilles qui demandent un roi.
Les Grenouilles qui demandent un roi.
De l'état Démocratique,
Par leurs clameurs firent tant
Que Jupin les soumit au pouvoir Monarchique.
Il leur tomba du Ciel un Roi tout pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant
Que la gent marécageuse,
Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,
Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyaient être un géant nouveau ;
Or c'était un Soliveau,
De qui la gravité fit peur à la première
Qui de le voir s'aventurant
Osa bien quitter sa tanière.
Elle approcha, mais en tremblant.
Une autre la suivit, une autre en fit autant,
Il en vint une fourmilière ;
Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.
Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue.
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue.
Le Monarque des Dieux leur envoie une Grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir,
Et Grenouilles de se plaindre ;
Et Jupin de leur dire : Eh quoi ! Votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre ?
Vous avez dû premièrement
Garder votre Gouvernement ;
Mais, ne l'ayant pas fait, il vous devait suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,
De peur d'en rencontrer un pire.
Jean de la Fontaine
[size]
-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
LA SOURCE DE LECONTE DE LISLE
[/size]
La source
Une eau vive étincelle en la forêt muette,
Dérobée aux ardeurs du jour ;
Et le roseau s'y ploie, et fleurissent autour
L'hyacinthe et la violette.
Ni les chèvres paissant les cytises amers
Aux pentes des proches collines,
Ni les pasteurs chantant sur les flûtes divines,
N'ont troublé la source aux flots clairs.
Les noirs chênes, aimés des abeilles fidèles,
En ce beau lieu versent la paix,
Et les ramiers, blottis dans le feuillage épais,
Ont ployé leur col sous leurs ailes.
Les grands cerfs indolents, par les halliers mousseux,
Hument les tardives rosées ;
Sous le dais lumineux des feuilles reposées
Dorment les Sylvains paresseux.
Et la blanche Naïs dans la source sacrée
Mollement ferme ses beaux yeux ;
Elle songe, endormie ; un rire harmonieux
Flotte sur sa bouche pourprée.
Nul œil étincelant d'un amoureux désir
N'a vu sous ces voiles limpides
La Nymphe au corps de [size=18]neige, aux longs cheveux fluides[/size]
Sur le sable argenté dormir.
Et nul n'a contemplé la joue adolescente,
L'ivoire du col, ou l'éclat
Du jeune sein, l'épaule au contour délicat,
Les bras blancs, la lèvre innocente.
Mais l'Aigipan lascif, sur le prochain rameau,
Entr'ouvre la feuillée épaisse
Et voit, tout enlacé d'une humide caresse,
Ce corps souple briller sous l'eau.
Aussitôt il rit d'aise en sa joie inhumaine ;
Son rire émeut le frais réduit ;
Et la Vierge s'éveille, et, pâlissant au bruit,
Disparaît comme une ombre vaine.
Telle que la Naïade, en ce bois écarté,
Dormant sous l'onde diaphane,
Fuis toujours l'œil impur et la main du profane,
Lumière de l'âme, ô Beauté !
Charles-Marie LECONTE DE LISLE 1818-1894
------------------------------------------------------------------------------------------------
[size]
LA CHASSE DE L'AIGLE DE LECONTE DE LISLE
[/size]
La chasse de l'aigle
L’aigle noir aux yeux d'or, prince du ciel mongol,
Ouvre, dès le premier rayon de l'aube claire,
Ses ailes comme un large et sombre parasol.
Un instant immobile, il plane, épie et flaire.
Là-bas, au flanc du roc crevassé, ses aiglons
Érigent, affamés, leurs cous au bord de l'aire.
Par la steppe sans fin, coteau, plaine et vallons,
L'œil luisant à travers l'épais crin qui l'obstrue,
Pâturent, çà et là, des hardes d'étalons.
L'un d'eux, parfois, hennit vers l'aube ; l'autre rue ;
Ou quelque autre, tordant la queue, allègrement,
Pris de vertige, court dans l'herbe jaune et drue.
La lumière, en un frais et vif pétillement,
Croît, s'élance par jet, s'échappe par fusée,
Et l'orbe du soleil émerge au firmament.
A l'horizon subtil où bleuit la rosée,
Morne dans l'air brillant, l'aigle darde, anxieux,
Sa prunelle infaillible et de faim aiguisée.
Mais il n'aperçoit rien qui vole par les cieux,
Rien qui surgisse au loin dans la steppe aurorale,
Cerf ni daim, ni gazelle aux bonds capricieux.
Il fait claquer son bec avec un âpre râle ;
D'un coup d'aile irrité, pour mieux voir de plus haut,
Il s'enlève, descend et remonte en spirale.
L'heure passe, l'air brûle. Il a faim. A défaut
De gazelle ou de daim, sa proie accoutumée,
C'est de la chair, vivante ou morte, qu'il lui faut.
Or, dans sa robe blanche et rase, une fumée
Autour de ses naseaux roses et palpitants,
Un étalon conduit la hennissante armée.
Quand il jette un appel vers les cieux éclatants,
La harde, qui tressaille à sa voix fière et brève,
Accourt, l'oreille droite et les longs crins flottants.
L'aigle tombe sur lui comme un sinistre rêve,
S'attache au col troué par ses ongles de fer
Et plonge son bec courbe au [size=18]fond des yeux qu'il crève.[/size]
Cabré, de ses deux pieds convulsifs battant l'air,
Et comme empanaché de la bête vorace,
L'étalon fait dans l'ombre ardente de l'enfer.
Le ventre contre l'herbe, il fuit, et, sur sa trace,
Ruisselle de l'orbite excave un flux sanglant ;
Il fuit, et son bourreau le mange et le harasse.
L'agonie en sueur fait haleter son flanc ;
Il renâcle, et secoue, enivré de démence,
Cette grande aile ouverte et ce bec aveuglant.
Il franchit, furieux, la solitude immense,
S'arrête brusquement, sur ses jarrets ployés,
S'abat et se relève et toujours recommence.
Puis, rompu de l'effort en vain multiplié,
L'écume aux dents, tirant sa langue blême et rêche,
Par la steppe natale il tombe foudroyé.
Là, ses os blanchiront au soleil qui les sèche ;
Et le sombre Chasseur des plaines, l'aigle noir,
Retourne au [size=18]nid avec un lambeau de chair fraîche,[/size]
Ses petits affamés seront repus ce soir.
Charles-Marie LECONTE DE LISLE (1818-1894)
Ninnenne