NATURE LAISSE MOI ... DE CÉCILE SAUVAGE
Nature, laisse-moi...
Nature, laisse-moi me mêler à ta fange,
M'enfoncer dans la terre où la racine mange,
Où la sève montante est pareille à mon sang.
Je suis comme ton monde où fauche le croissant
Et sous le baiser dru du soleil qui ruisselle,
J'ai le frisson luisant de ton herbe nouvelle.
Tes [size=18]oiseaux sont éclos dans le nid de mon cœur,[/size]
J'ai dans la chair le goût précis de ta saveur,
Je marche à ton pas rond qui tourne dans la sphère,
Je suis lourde de glèbe, et la branche légère
Me prête sur l'azur son geste aérien.
Mon flanc s'appesantit de germes sur le tien.
Oh ! Laisse que tes fleurs s'élevant des ravines
Attachent à mon sein leurs lèvres enfantines
Pour prendre part au lait de mes fils nourrissons ;
Laisse qu'en regardant la prune des buissons
Je sente qu'elle est bleue entre les feuilles blondes
D'avoir sucé la vie à ma veine profonde.
Personne ne saura comme un fils né de moi
M'aura donné le sens de la terre et des bois,
Comment ce fruit de chair qui s'enfle de ma sève
Met en moi la lueur d'une aube qui se lève
Avec tous ses émois de rosée et d'oiseaux,
Avec l'étonnement des bourgeons, les réseaux
Qui percent sur la feuille ainsi qu'un doux squelette,
La corolle qui lisse au jour sa collerette,
Et la gousse laineuse où le grain ramassé
Ressemble à l'embryon dans la nuit caressé.
Enfant, abeille humaine au creux de l'alvéole,
Papillon au maillot de chrysalide molle,
Astre neuf incrusté sur un mortel azur !
Je suis comme le [size=18]Dieu au geste bref et dur[/size]
Qui pour le premier jour façonna les étoiles
Et leur donna l'éclair et l'ardeur de ses moelles.
Je porte dans mon sein un monde en mouvement
Dont ma force a couvé les jeunes pépiements,
Qui sentira la mer battre dans ses artères,
Qui lèvera son front dans les ombres sévères
Et qui, fait du limon du jour et de la nuit,
Valsera dans l'éther comme un astre réduit.
Cécile SAUVAGE 1883-1927
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DÉCEMBRE DE EMILE VERHAEREN
Décembre
(Les hôtes)
- Ouvrez, les gens, ouvrez la porte,
Je frappe au seuil et à l'auvent,
Ouvrez, les gens, je suis le vent,
Qui s'habille de feuilles mortes.
- Entrez, monsieur, entrez, le vent,
Voici pour vous la cheminée
Et sa niche badigeonnée ;
Entrez [size=18]chez nous, monsieur le vent.[/size]
- Ouvrez, les gens, je suis la pluie,
Je suis la veuve en robe grise
Dont la trame s'indéfinise,
Dans un brouillard couleur de suie.
- Entrez, la veuve, entrez [size=18]chez nous,[/size]
Entrez, la froide et la livide,
Les lézardes du mur humide
S’ouvrent pour vous loger [size=18]chez nous.[/size]
- Levez, les gens, la barre en fer,
Ouvrez, les gens, je suis la neige,
Mon manteau blanc se désagrège
Sur les routes du vieil hiver.
- Entrez, la neige, entrez, la dame,
Avec vos pétales de lys
Et semez-les par le taudis
Jusque dans l'âtre où vit la flamme.
Car nous sommes les gens inquiétants
Qui habitent le Nord des régions désertes,
Qui vous aimez - dites, depuis quels temps ? -
Pour les peines que nous avons par vous souffertes.
Émile VERHAEREN 1855-1916
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NOEL DE THÉOPHILE GAUTIER
Noël
Le ciel est noir, la terre est blanche ;
- Cloches, carillonnez gaîment ! -
Jésus est né ; - la Vierge penche
Sur lui son visage charmant.
Pas de courtines festonnées
Pour préserver l'enfant du froid ;
Rien que les toiles d'araignées
Qui pendent des poutres du toit.
Il tremble sur la paille fraîche,
Ce cher petit [size=18]enfant Jésus,[/size]
Et pour l'échauffer dans sa crèche
L'âne et le bœuf soufflent dessus.
La [size=18]neige au chaume coud ses franges,[/size]
Mais sur le toit s'ouvre le ciel
Et, tout en blanc, le chœur des anges
Chante aux bergers : " Noël ! Noël ! "
Théophile GAUTIER 1811-1872
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DÉCOR DE THÉODORE DE BANVILLE
Décor
Dans les grottes sans fin brillent les Stalactites.
Du cyprès gigantesque aux fleurs les plus petites,
Un clair jardin s'accroche au rocher spongieux,
Lys de glace, roseaux, lianes, clématites.
Des thyrses pâlissants, bouquets prestigieux,
Naissent, et leur éclat mystique divinise
Des villes de féerie au vol prodigieux.
Voici les Alhambra où Grenade éternise
Le trèfle pur ; voici les palais aux plafonds
En feu, d'où pendent clairs les lustres de Venise.
Transparents et pensifs, de grands sphinx, des griffons
Projettent des regards longs et mélancoliques
Sur des Dieux monstrueux aux costumes bouffons.
Dans un tendre cristal aux reflets métalliques
S'élancent, dessinant le rythme essentiel,
Vos clochetons à jour, ô sveltes basiliques,
Et sous l'arbre sanglant et providentiel
De la croix, sont éclos, enamourés des mythes,
Les vitraux où revit tout le peuple du ciel.
Stalactites tombant des voûtes, stalagmites
Montant du sol, partout les orgueilleux glaçons
Argentent de splendeurs l'horizon sans limites.
Babel de diamants où courent des frissons,
Colonnes à des Dieux inconnus dédiées,
Souterrains éblouis, miraculeux buissons,
Tout frémit : cent lueurs baignent, irradiées,
Les coupoles qui sont pareilles à des cieux.
Pourtant c'est le destin, voûtes incendiées !
Le voyageur, ravi dans ce lieu précieux
Et sachant qu'une Nymphe auguste est son hôtesse,
Parfois sur vos trésors lève un œil soucieux.
Quel trouble appesanti sur leur délicatesse
Pare de la langueur mourante du sommeil
Ces merveilles du rêve, et d'où vient leur tristesse ?
Hélas ! L’ardent soleil de Dieu, le vrai soleil
Ne les éclaire pas de son regard propice
Et fait voler plus haut ses flèches d'or vermeil.
Sous un mont que jamais le lierre ne tapisse,
Vit cet enchantement qui tremble au son du cor,
Gardé par la caverne et par le précipice.
Mais (chère nymphe, ô Muse inassouvie encor,
Que devance le chœur ailé des Métaphores),
Pour installer ce rare et flamboyant décor,
Sous ces blancs chapiteaux et ces arceaux sonores
Où les métaux ont mis leur charme et leurs poisons,
Il a fallu les pleurs des Soirs et des Aurores.
Car, toi pour qui le roc orna ces floraisons
De rose, de safran et d’azurs constellés,
Tu le sais, Poésie, ange de nos raisons,
Ces caprices divins sont des larmes gelées !
Théodore de BANVILLE 1823-1891
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Ninnenne