[size=24]BIEN QUE DÉJÀ CE SOIR DE EMILE VERHAEREN
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Bien que déjà, ce soir
Bien que déjà, ce soir
L'automne
Laisse aux sentes et aux orées,
Comme des mains dorées,
Lentes, les feuilles choir,
Bien que déjà l'automne,
Ce soir, avec ses bras de vent,
Moissonne,
Sur les [size=18]rosiers fervents[/size]
Les pétales et leur pâleur,
Ne laissons rien de nos deux âmes
Tomber soudain avec ces [size=18]fleurs.[/size]
Mais tous les deux, autour des flammes
De l'âtre en or de souvenir,
Mais tous les deux, blottissons-nous,
Les mains au feu et les genoux.
Contre les deuils cachés dans l'avenir,
Contre le temps qui fixe à toute ardeur sa fin,
Contre notre terreur, contre nous-mêmes enfin,
Blottissons-nous, près du foyer,
Que la mémoire en nous fait flamboyer.
Et si l'automne obère
A grands pans d'ombre et d'orages planants,
Les bois, les pelouses et les étangs,
Que sa douleur du moins n'altère
L'intérieur jardin tranquillisé,
Où s'unissent, dans la lumière,
Les pas égaux de nos [size=18]pensées.[/size]
Émile VERHAEREN 1855-1916
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FUITE D'AUTOMNE DE CÉCILE SAUVAGE
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Fuite d'automne
Sors de ta chrysalide, ô mon âme, voici
L'Automne. Un long baiser du soleil a roussi
Les étangs ; les lointains sont vermeils de feuillage,
Le flexible arc-en-ciel a retenu l'orage
Sur sa voûte où se [size=18]fond la clarté d'un vitrail ;[/size]
La brume des terrains rôde autour du bétail
Et parfois le soleil que le brouillard efface
Est rond comme la lune aux marges de l'espace.
Mon âme, sors de l'ombre épaisse de ta chair
C'est le temps dans les prés où le silence est clair,
Où le vent, suspendant son aile de froidure,
Berce dans les rameaux un rêve d'aventure
Et fait choir en jouant avec ses doigts bourrus
La feuille jaune autour des peupliers pointus.
La libellule vole avec un cri d'automne
Dans ses réseaux cassants ; la brebis monotone
A l'enrouement fêlé des branches dans la voix ;
La lumière en faisceaux bruine sur les bois.
Mon âme en robe d'or faite de feuilles mortes
Se donne au tourbillon que la rafale apporte
Et chavire au soleil sur la pointe du pied
Plus vive qu'en avril le sauvage églantier ;
Cependant que de loin elle voit sur la porte,
Écoutant jusqu'au seuil rouler des feuilles mortes,
Mon pauvre corps courbé dans son châle d'hiver.
Et mon âme se sent étrangère à ma chair.
Pourtant, docilement, lorsque les vitres closes
Refléteront au soir la [size=18]fleur des lampes roses,[/size]
Elle regagnera le masque familier,
Et, servante modeste avec un tablier,
Elle trottinera dans les chambres amères
En retenant des mains le sanglot des chimères.
Cécile Sauvage
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IL FAIT NOVEMBRE EN MON AME DE EMILE VERHAEREN
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Il fait novembre en mon âme
Rayures d'eau, longues feuilles couleur de brique,
Par mes plaines d'éternité comme il en tombe !
Et de la pluie et de la pluie - et la réplique
D'un gros vent boursouflé qui gonfle et qui se bombe
Et qui tombe, rayé de pluie en de la pluie.
- Il fait novembre en mon âme -
Feuilles couleur de ma douleur, comme il en tombe !
Par mes plaines d'éternité, la pluie
Goutte à goutte, depuis quel temps, s'ennuie,
- Il fait novembre en mon âme -
Et c'est le vent du Nord qui clame
Comme une bête dans mon âme.
Feuilles couleur de lie et de douleur,
Par mes plaines et mes plaines comme il en tombe ;
Feuilles couleur de mes douleurs et de mes pleurs,
Comme il en tombe sur mon cœur !
Avec des loques de nuages,
Sur son pauvre œil d'aveugle
S'est enfoncé, dans l'ouragan qui meugle,
Le vieux soleil aveugle.
- Il fait novembre en mon âme -
Quelques osiers en des mares de limon veule
Et des cormorans d'encre en du brouillard,
Et puis leur cri qui s'entête, leur morne cri
Monotone, vers l'infini !
- Il fait novembre en mon âme -
Une barque pourrit dans l'eau,
Et l'eau, elle est d'acier, comme un couteau,
Et des saules vides flottent, à la dérive,
Lamentables, comme des trous sans dents en des gencives.
- Il fait novembre en mon âme -
Il fait novembre et le vent brame
Et c'est la pluie, à l'infini,
Et des nuages en voyages
Par les tournants au loin de mes parages
- Il fait novembre en mon âme -
Et c'est ma bête à [size=18]moi qui clame,[/size]
Immortelle, dans mon âme !
Émile VERHAEREN 1855-1916
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LE MENUISIER DE EMILE VERHAEREN
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Le menuisier
Le menuisier du vieux savoir
Fait des cercles et des carrés,
Tenacement, pour démontrer
Comment l'âme doit concevoir
Les lois indubitables et fécondes
Qui sont la règle et la clarté du [size=18]monde.[/size]
A son enseigne, au coin du bourg, là-bas,
Les branches d'or d'un grand compas
- Comme un blason, sur sa maison -
Semblent deux rais pris au soleil.
Le menuisier construit ses appareils
- Tas d'algèbres en des ténèbres -
Avec des mains prestes et nettes
Et des regards, sous ses lunettes,
Aigus et droits, sur son travail
Tout en détails.
Ses fenêtres à gros barreaux
Ne voient le ciel que par petits carreaux ;
Et sa boutique, autant que lui,
Est vieille et vit d'ennui.
Il est l'homme de l'habitude
Qu'en son cerveau tissa l'étude,
Au long des temps de ses cent ans
Monotones et végétant.
Grâce à de pauvres mécaniques
Et des signes talismaniques
Et des cônes de bois et des segments de cuivre
Et le [size=18]texte d'un pieux livre[/size]
Traçant, la croix, par au travers,
Le menuisier dit l'univers.
Matin et soir, il a peiné
Les yeux vieillots, l'esprit cerné,
Imaginant des coins et des annexes
Et des ressorts malicieux
A son [size=18]travail chinoisement complexe,[/size]
Où, sur le faîte, il dressa [size=18]Dieu.[/size]
Il rabote ses arguments
Et taille en deux toutes répliques
Et ses raisons hyperboliques
Trouent la nuit d'or des firmaments.
Il explique, par des sentences,
Le problème des existences
Et discute sur la substance.
Il s'éblouit du grand mystère,
Lui donne un nom complémentaire
Et croit avoir instruit la terre.
Il est le maître en controverses,
L'esprit humain qu'il bouleverse,
Il l'a coupé en facultés adverses,
Et fourre l'homme qu'il étrique,
A coups de preuves excentriques,
En son système symétrique.
Le menuisier a pour voisins
Le curé et le médecin
Qui ramassent, en ses travaux pourtant irréductibles,
Chacun pour soi, des arguments incompatibles.
Ses scrupules n'ont rien laissé
D'impossible, qu'il n'ait casé,
D'après un morne rigorisme,
En ses tiroirs de syllogismes.
Ses plus graves et assidus clients ?
Les gens branlants, les gens bêlants
Qui achètent leur viatique,
Pour quelques sous, dans sa boutique.
Il vit de son enseigne, au coin du bourg,
- Biseaux dorés et compas lourd -
Et n'écoute que l'aigre serinette,
A sa porte, de la sonnette.
Il a taillé, limé, sculpté
Une science d'entêté,
Une science de paroisse,
Sans lumière, ni sans angoisse.
Si bien qu'au jour qu'il s'en ira
Son appareil se cassera ;
Et ses enfants feront leur jouet,
De cette éternité qu'il avait faite,
A coups d'équerre et de réglette.
Émile VERHAEREN 1855-1916
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LE CHANT DE L'EAU DE EMILE VERHAEREN
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merci à mon ami Jason pour la photo
Le chant de l'eau
L'entendez-vous, l'entendez-vous
Le menu flot sur les cailloux ?
Il passe et court et glisse
Et doucement dédie aux branches,
Qui sur son cours se penchent,
Sa chanson lisse.
Là-bas,
Le petit bois de cornouillers
Où l'on disait que Mélusine
Jadis, sur un tapis de perles fines,
Au clair de lune, en blancs souliers,
Dansa ;
Le petit bois de cornouillers
Et tous ses hôtes familiers
Et les putois et les fouines
Et les souris et les mulots
Ecoutent
Loin des sentes et loin des routes
Le bruit de l'eau.
Aubes voilées,
Vous étendez en vain,
Dans les vallées,
Vos tissus blêmes,
La rivière,
Sous vos duvets épais, dès le prime matin,
Coule de pierre en pierre
Et murmure quand même.
Si quelquefois, pendant l'été,
Elle tarit sa volupté
D'être sonore et frémissante et fraîche,
C'est que le dur juillet
La hait
Et l'accable et l'assèche.
Mais néanmoins, oui, même alors
En ses anses, sous les broussailles
Elle tressaille
Et se ranime encor,
Quand la [size=18]belle gardeuse d'oies[/size]
Lui livre ingénument la joie
Brusque et rouge de tout son corps.
Oh ! Les belles épousailles
De l'eau lucide et de la chair,
Dans le vent et dans l'air,
Sur un lit transparent de mousse et de rocailles ;
Et les baisers multipliés du flot
Sur la nuque et le dos,
Et les courbes et les anneaux
De l'onduleuse chevelure
Ornant les deux seins triomphaux
D'une ample et flexible parure ;
Et les vagues violettes ou roses
Qui se brisent ou tout à coup se juxtaposent
Autour des flancs, autour des reins ;
Et tout là-haut le ciel divin
Qui rit à la santé lumineuse des choses !
La [size=18]belle fille aux cheveux roux[/size]
Pose un pied clair sur les cailloux.
Elle allonge le bras et la hanche et s'inclina
Pour recueillir au bord,
Parmi les lotiers d'or,
La menthe fine ;
Ou bien encor
S'amuse à soulever les pierres
Et provoque la fuite
Droite et subite
Des truites
Au fil luisant de la rivière.
Avec des [size=18]fleurs de pourpre aux deux coins de sa bouche,[/size]
Elle s'étend ensuite et rit et se recouche,
Les pieds dans l'eau, mais le torse au soleil ;
Et les [size=18]oiseaux vifs et vermeils[/size]
Volent et volent,
Et l'ombre de leurs ailes
Passe sur elle.
Ainsi fait-elle encor
A l'entour de son corps
Même aux mois chauds
Chanter les flots.
Et ce n'est qu'en septembre
Que sous les branches d'or et d'ambre,
Sa nudité
Ne mire plus dans l'eau sa mobile clarté,
Mais c'est qu'alors sont revenues
Vers notre ciel les lourdes nues
Avec l'averse entre leurs plis
Et que déjà la brume
Du fond des prés et des taillis
S'exhume.
Pluie aux gouttes rondes et claires,
Bulles de joie et de lumière,
Le sinueux ruisseau gaiement vous fait accueil,
Car tout l'automne en deuil
Le jonche en vain de mousse et de feuilles tombées.
Son flot rechante au long des berges recourbées,
Parmi les prés, parmi les bois ;
Chaque caillou que le courant remue
Fait entendre sa voix menue
Comme autrefois ;
Et peut-être que Mélusine,
Quand la lune, à minuit, répand comme à foison
Sur les gazons
Ses perles fines,
S'éveille et lentement décroise ses pieds d'or,
Et, suivant que le flot anime sa cadence,
Danse encor
Et danse.
Émile VERHAEREN 1855-1916
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L'AMOUR DE SON NÉANT DE FRANÇOIS MALAVAL
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L'amour de son néant
Mon centre est le néant, c'est un vrai lieu de paix.
L'imposture et l'erreur ne s'y trouvent jamais.
Lorsque je ne veux rien, l'ennemi se retire,
Il ne sait où me prendre, il ne sait que me dire.
Quand il veut raisonner, je ne l'écoute pas,
Quand il flatte mes sens, je sais me tenir bas.
Que ce néant est beau ! Qu’il est doux et tranquille.
Ce néant me fait voir que je suis inutile,
Que je n'ai rien de bon, et que je ne puis rien ;
Que je n'ai de mon fonds ni force ni soutien ;
Que tout mon être humain n'est qu'un flux d'inconstance.
Ainsi [size=18]Dieu parait mieux mon unique assistance.[/size]
C'est beaucoup de faveur qu'il me lance un regard.
S'il ne me donne rien, le néant est ma part ;
Souvent de l'oraison toute l'heure est passée,
Que je ne sens en moi ni désir ni [size=18]pensée ;[/size]
S'il m'en vient, c'est un trait de sa bénignité,
Ainsi je vois sa grâce, et mon indignité.
Lorsque je suis, stérile, une retraite entière,
Mon néant me tient lieu d'attrait et de lumière,
Et je me réjouis par un élan de foi
Qu'en [size=18]Dieu tout bien se trouve, et le néant en moi.[/size]
Laissez-moi mon néant, jouissez de votre être,
Seigneur, tout mon repos est de me bien connaître.
Vous n'êtes que grandeur, que gloire et que bonté,
Et moi rien par nature, et rien de volonté.
À vous seul tout hommage, à vous seul toute gloire,
Et moi de mon néant je chéris la mémoire.
Dieu, vivez dans vous-même, et moi dans mon néant
Que je sois toujours bas, et mon [size=18]Dieu toujours grand. [...][/size]
François MALAVAL 1627-1719
Ninnenne