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 La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen

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marileine
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MessageSujet: La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen   La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen Icon_minitimeVen 26 Juin - 12:02

La plume et l'encrier Contes d'Andersen

La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen Fbe4f537
 
Que de choses dans un encrier ! disait quelqu'un qui se trouvait [size=18]chez un poète ; que de belles choses ! Quelle sera la première œuvre qui en sortira ? Un admirable ouvrage sans doute.
- C'est tout simplement admirable, répondit aussitôt la voix de l'encrier ; tout ce qu'il y a de plus admirable ! répéta-t-il, en prenant à témoin la plume et les autres objets placés sur le bureau. Que de choses en moi ... on a quelque peine à le concevoir ... Il est vrai que je l'ignore moi-même et que je serais fort embarrassé de dire ce qui en sort quand une plume vient de s'y plonger. Une seule de mes gouttes suffit pour une demi-page : que ne contient pas celle-ci ! C'est de moi que naissent toutes les œuvres du maître de céans. C'est dans moiqu'il puise ces considérations subtiles, ces héros aimables, ces paysages séduisants qui emplissent tant de livres. Je n'y comprends rien, et la nature me laisse absolument indifférent ; mais qu'importe : tout cela n'en a pas moins sa source en moi, et cela me suffit.
- Vous avez parfaitement raison de vous en contenter, répliqua la plume ; cela prouve que vous ne réfléchissez pas, car si vous aviez le don de la réflexion, vous comprendriez que votre rôle est tout différent de ce que vous le croyez. Vous fournissez la matière qui me sert à rendre visible ce qui vit en moi ; vous ne contenez que de l'encre, l'ami, pas autre chose. C'est moi, la plume, qui écris ; il n'est pas un homme qui le conteste et, cependant, beaucoup parmi les hommes s'entendent à la poésie autant qu'un vieil encrier.
- Vous avez le verbe bien haut pour une personne d'aussi peu d'expérience ; car, vous ne datez guère que d'une semaine, ma mie, et vous voici déjà dans un lamentable état. Vous imagineriez-vous par hasard que mes œuvres sont les vôtres ? Oh ! La belle histoire ! Plumes d'oie ou plumes d'acier, vous êtes toutes les mêmes et ne valez pas mieux les unes que les autres. A vous le soin machinal de reporter sur le papier ce que je renferme quand l'homme vient me consulter. Que m'empruntera-t-il la prochaine fois ? Je serais curieux de le savoir.
- Pataud ! Conclut la plume.
Cependant, le poète était dans une vive surexcitation d'esprit lorsqu'il rentra, le soir. Il avait assisté à un concert et subi le charme irrésistible d'un incomparable violoniste. Sous le jeu inspiré de l'artiste, l'instrument s'était animé et avait exhalé son âme en débordantes harmonies.
Le poète avait cru entendre chanter son propre cœur, chanter avec une voix divine comme en ont parfois des femmes. On eût dit que tout vibrait dans ce violon, les cordes, la chanterelle, la caisse, pour arriver à une plus grande intensité d'expression. Bien que le jeu du virtuose fût d'une science extrême, l'exécution semblait n'être qu'un enfantillage : à peine voyait-on parfois l'archet effleurer les cordes ; c'était à donner à chacun l'envie d'en faire autant avec un violon qui paraissait chanter de lui-même, un archet qui semblait aller tout seul. L'artiste était oublié, lui, qui pourtant les faisait ce qu'ils étaient, en faisant passer en eux une parcelle de son génie. Mais le poète se souvenait et s'asseyant à sa table, il prit sa plume pour écrire ce que lui dictaient ses impressions.
« Combien ce serait folie à l'archet et au violon de s'enorgueillir de leurs mérites ! Et cependant nous l'avons cette folie, nous autres poètes, artistes, inventeurs ou savants. Nous chantons nos louanges, nous sommes fiers de nos œuvres, et nous oublions que nous sommes des instruments dont joue le Créateur. Honneur à lui seul ! Nous n'avons rien dont nous puissions nous enorgueillir.»
Sur ce thème, le poète développa une parabole, qu'il intitula l'Ouvrier et les instruments.
- A bon entendeur, salut ! Mon cher, dit la plume à l'encrier, après le départ du maître. Vous avez bien compris ce que j'ai écrit et ce qu'il vient de relire tout haut ?
- Naturellement, puisque c'est chez moi que vous êtes venue le chercher, labelle. Je vous conseille de faire votre profit de la leçon, car vous ne péchez pas, d'ordinaire, par excès de modestie. Mais vous n'avez pas même senti qu'on s'amusait à vos dépens !
- Vieille cruche ! répliqua la plume.
- Vieux balai ! Riposta l'encrier.
Et chacun d'eux resta convaincu d'avoir réduit son adversaire au silence par des raisons écrasantes. Avec une conviction semblable, on a la conscience tranquille et l'on dort bien ; aussi s'endormirent-ils tous deux du sommeil du juste.
Cependant, le poète ne dormait pas, lui ; les idées se pressaient dans sa tête comme les notes sous l'archet du violoniste, tantôt fraîches et cristallines comme les perles égrenées par les cascades, tantôt impétueuses comme les rafales de la tempête dans la forêt. Il vibrait tout entier sous la main du Maître Suprême. Honneur à lui seul ![/size]
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marileine
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MessageSujet: Re: La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen   La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen Icon_minitimeVen 26 Juin - 12:03

La petite sirène Conte d'Andersen

La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen B600a05c
Au large dans la [size=18]mer, l'eau est bleue comme les pétales du plus beau bleuet et transparente comme le plus pur cristal; mais elle est si profonde qu'on ne peut yjeter l'ancre et qu'ilfaudrait mettre l'unesur l'autre bien des tours d'église pour que la dernière émerge à la surface. Tout en bas, les habitants des ondes ont leur demeure. 
Mais n'allez pas croire qu'iln'ya là que des fonds de sable nu blanc, non ilypousse les arbres et les plantes les plus étranges dont les tiges et les feuilles sont si souples qu'elles ondulent au moindre mouvement de l'eau. On dirait qu'elles sont vivantes. Tous les poissons, grands et petits, glissent dans les branches comme ici les oiseaux dans l'air. 
A l'endroit le plus profond s'élève le château du Roi de la Mer. Les murs en sont de corailet les hautes fenêtres pointues sont faites de l'ambre le plus transparent, mais le toit est en coquillages qui se ferment ou s'ouvrent au passage des courants. L'effet en est féerique car dans chaque coquillage ilya des perles brillantes dont uneseule serait un ornement splendide sur la couronne d'unereine. 
Le Roi de la Mer était veuf depuis de longues années, sa vieille maman tenait sa maison. C'était unefemme d'esprit, mais fière de sa noblesse; elle portait douze huîtres à sa queue, les autres dames de qualité n'ayant droit qu'à six. Elle méritait du reste de grands éloges et cela surtout parce qu'elle aimait infiniment les petites princesses de la mer, filles de son fils. Elles étaient six enfants charmantes, mais la plus jeuneétait la plus belle de toutes, la peau fine et transparente tel un pétale derose blanche, les yeux bleus comme l'océan profond ... mais comme toutes les autres, elle n'avaitpas de pieds, son corps se terminait en queue de poisson. 
Le château était entouré d'un grand jardin aux arbres rouges et bleu sombre, aux fruits rayonnants comme de l'or, les fleurs semblaient de feu, car leurs tiges et leurs pétales pourpres ondulaient comme des flammes. Le sol était fait du sable le plus fin, mais bleu comme le soufre en flammes. Surtout cela planait uneétrange lueur bleuâtre, on se serait cru très haut dans l'azur avec le ciel au-dessus et en dessous de soi, plutôt qu'au fond de la mer
Par temps très calme, on apercevait le soleilcomme unefleur de pourpre, dont la corolle irradiait des faisceaux de lumière. 
Chaque princesse avaitson carré de jardin où elle pouvait bêcher et planter à son gré, l'unedonnait à sa corbeille de fleurs la forme d'unebaleine, l'autre préférait qu'elle figurât unesirène, mais la plus jeunefit la sienne toute ronde comme le soleilet n'yplanta que des fleurs éclatantes comme lui. 
C'était unesingulière enfant, silencieuse et réfléchie. Tandis que ses sœurs ornaient leurs jardinets des objets les plus disparates tombés de navires naufragés, elle ne voulut, en dehors des fleurs rouges comme le soleilde là- haut, qu'unestatuette de marbre, un charmant jeunegarçon taillé dans unepierre d'uneblancheur pure, et échouée, par suite d'un naufrage, au fond de la mer. Elle planta près de la statue un saule pleureur rouge qui grandit à merveille. Elle n'avaitpas de plus grande joie que d'entendre parler du monde des humains. La grand-mère devait raconter tout ce qu'elle savaitdes bateaux et des villes, des hommes et des bêtes et, ce qui l'étonnait le plus, c'est que là- haut, sur la terre, les fleurs eussent un parfum, ce qu'elles n'avaient pas au fond de la mer, et que la forêt yfût verte et que les poissons voltigeant dans les branches chantassent si délicieusement que c'en était un plaisir. C'étaient les oiseaux que la grand-mère appelait poissons, autrement les petites filles ne l'auraient pas comprise, n'ayant jamais vu d'oiseaux. 
- Quand vous aurez vos quinze ans, dit la grand-mère, vous aurez la permission de monter à la surface, de vous asseoir au clair de lunesur les rochers et de voir passer les grands vaisseaux qui naviguent et vous verrez les forêts et les villes, vous verrez ! 
Au cours de l'année, l'unedes sœurs eut quinze ans et comme elles se suivaient toutes à un an de distance, la plus jeunedevait attendre cinq grandes années avant de pouvoir monter du fond de la mer
Mais chacunepromettait aux plus jeunes de leur raconter ce qu'elle avaitvu de plus beau dès le premier jour, grand-mère n'en disait jamais assez à leur gré, elles voulaient savoir tant de choses ! 
Aucunen'était plus impatiente que la plus jeune, justement celle qui avaitle plus longtemps à attendre, la silencieuse, la pensive ... 
Que de nuits elle passait debout à la fenêtre ouverte, scrutant la sombre eau bleue que les poissons battaient de leurs nageoires et de leur queue. Elle apercevait la luneet les étoiles plus pâles ilest vrai à travers l'eau, mais plus grandes aussi qu'à nos yeux. Si parfois un nuage noir glissait au-dessous d'elles, la petite savaitque c'était unebaleine qui nageait dans la mer, ou encore un navire portant de nombreux hommes, lesquels ne pensaient sûrement pas qu'uneadorable petite sirène, là, tout en bas, tendait ses fines mains blanches vers la quille du bateau. 
Vint le temps où l'aînée des princesses eut quinze ans et put monter à la surface de la mer
A son retour, elle avaitmille choses à raconter mais le plus grand plaisir, disait-elle, était de s'étendre au clair de lunesur un banc de sable par unemer calme et de voir, tout près de la côte, la grande ville aux lumières scintillantes comme des centaines d'étoiles, d'entendre la musique et tout ce vacarme des voitures et des gens, d'apercevoir tant de tours d'églises et de clochers, d'entendre sonner les cloches. Justement, parce qu'elle ne pouvait yaller, c'était de cela qu'elle avaitle plus grand désir. Oh! comme la plus jeunesœur l'écoutait passionnément, et depuis lors, le soir, lorsqu'elle se tenait près de la fenêtre ouverte et regardait en haut à travers l'eau sombre et bleue, elle pensait à la grande ville et à ses rumeurs, et illui semblait entendre le son des cloches descendant jusqu'à elle.
[/size]
L'année suivante, ce fut le tour de la troisième sœur. Elle était la plus hardie de toutes, aussi remonta-t-elle le cours d'un large fleuve qui se jetait dans la [size=18]mer. Elle vit de jolies collines vertes couvertes de vignes, des châteaux et des fermes apparaissaient au milieu des forêts, elle entendait les oiseaux chanter et le soleilardent l'obligeait souvent à plonger pour rafraîchir son visage brûlant. 
Dans unepetite anse, elle rencontra un groupe d'enfants qui couraient tout nus et barbotaient dans l'eau. Elle aurait aimé jouer avec eux, mais ils s'enfuirent effrayés, et un petit animal noir - c'était un chien, mais elle n'en avaitjamais vu - aboya si férocement après elle qu'elle prit peur et nagea vers le large. 
La quatrième n'était pas si téméraire, elle resta au large et raconta que c'était là précisément le plus beau. On voyait à des lieues autour de soi et le ciel, au-dessus, semblait unegrande cloche de verre. Elle avaitbien vu des navires, mais de très loin, ils ressemblaient à de grandes mouettes, les dauphins avaient fait des culbutes et les immenses baleines avaient fait jaillir l'eau de leurs narines, des centaines de jets d'eau. 
Vint enfin le tour de la cinquième sœur. Son anniversaire se trouvait en hiver, elle vit ce que les autres n'avaient pas vu. La mer était toute verte, de- ci de-là flottaient de grands icebergs dont chacun avaitl'air d'uneperle. 
Elle était montée sur l'un d'eux et tous les voiliers s'écartaient effrayés de l'endroit où elle était assise, ses longs cheveux flottant au vent, mais vers le soir les nuages obscurcirent le ciel, ilyeut des éclairs et du tonnerre, la mer noire élevait très haut les blocs de glace scintillant dans le zigzag de la foudre. Sur tous les bateaux, on carguait les voiles dans l'angoisse et l'inquiétude, mais elle, assise sur l'iceberg flottant, regardait la lame bleue de l'éclair tomber dans la mer un instant illuminée. 
La première fois que l'unedes sœurs émergeait à la surface de la mer, elle était toujours enchantée de la beauté, de la nouveauté du spectacle, mais, devenues des filles adultes, lorsqu'elles étaient libres d'yremonter comme elles le voulaient, cela leur devenait indifférent, elles regrettaient leur foyer et, au bout d'un mois, elles disaient que le fond de la mer c'était plus beau et qu'on était si bien chez soi ! 
Lorsque le soir les sœurs, se tenant par le bras, montaient à travers l'eau profonde, la petite dernière restait toute seule et les suivait des yeux ; elle aurait voulu pleurer, mais les sirènes n'ont pas de larmes et n'en souffrent que davantage. 
- Hélas ! que n'ai-je quinze ans ! soupirait-elle. Je sais que moi j'aimerais le mondede là-haut et les hommes qui yconstruisent leurs demeures. 
- Eh bien, tu vas échapper à notre autorité, lui dit sa grand-mère, la vieille reine douairière. Viens, que je te pare comme tes sœurs. Elle mit sur ses cheveux unecouronne de lys blancs dont chaque pétale était unedemi-perle et elle lui fit attacher huit huîtres à sa queue pour marquer sa haute naissance. 
- Cela fait mal, dit la petite. 
- Ilfaut souffrir pour être belle, dit la vieille. 
Oh! que la petite aurait aimé secouer d'elle toutes ces parures et déposer cette lourde couronne! Les fleurs rouges de son jardin lui seyaient mille fois mieux, mais elle n'osait pas à présent en changer. 
-Au revoir, dit-elle, en s'élevant aussi légère et brillante qu'unebulle à travers les eaux. 
Le soleilvenait de se coucher lorsqu'elle sortit sa tête à la surface, mais les nuages portaient encore son reflet de rose et d'or et, dans l'atmosphère tendre, scintillait l'étoile du soir, si douce et si belle! L'air était pur et frais, et la mer sans un pli. 
Un grand navire à trois mâts se trouvait là, uneseule voile tendue, car iln'yavaitpas le moindre souffle de vent, et tous à la ronde sur les cordages et les vergues, les matelots étaient assis. On faisait de la musique, on chantait, et lorsque le soir s'assombrit, on alluma des centaines de lumières de couleurs diverses. On eût dit que flottaient dans l'air les drapeaux de toutes les nations. 
La petite sirène nagea jusqu'à la fenêtre du salon du navire et, chaque fois qu'unevague la soulevait, elle apercevait à travers les vitres transparentes uneréunion de personnes en grande toilette. Le plus beau de tous était un jeuneprince aux yeux noirs ne paraissant guère plus de seize ans. C'était sonanniversaire, c'est pourquoi ilyavaitgrande fête. 
Les marins dansaient sur le pont et lorsque Le jeuneprince yapparut, des centaines de fusées montèrent vers le ciel et éclatèrent en éclairant comme en plein jour. La petite sirène en fut tout effrayée et replongea dans l'eau, mais elle releva bien vite de nouveau la tête et illui parut alors que toutes les étoiles du ciel tombaient sur elle. Jamais elle n'avaitvu pareille magie embrasée. De grands soleils flamboyants tournoyaient, des poissons de feu s'élançaient dans l'air bleu et la mer paisible réfléchissait toutes ces lumières. Sur le navire, ilfaisait si clair qu'on pouvait voir le moindre cordage et naturellement les personnes. Que le jeuneprince était beau, ilserrait les mains à la ronde, tandis que la musique s'élevait dans la belle nuit ! 
Ilse faisait tard mais la petite sirène ne pouvait détacher ses regards du bateau ni du beau prince. Les lumières colorées s'éteignirent, plus de fusées dans l'air, plus de canons, seulement, dans le plus profond de l'eau un sourd grondement. Elle flottait sur l'eau et les vagues la balançaient, en sorte qu'elle voyait l'intérieur du salon. Le navire prenait de la vitesse, l'uneaprès l'autre on larguait les voiles, la merdevenait houleuse, de gros nuages parurent, des éclairs sillonnèrent au loin le ciel. Ilallait faire un temps épouvantable ! Alors, vite les matelots replièrent les voiles. Le grand navire roulait dans unecourse folle sur la mer démontée, les vagues, en hautes montagnes noires, déferlaient sur le grand mât comme pour l'abattre, le bateau plongeait comme un cygne entre les lames et s'élevait ensuite sur elles. 
Les marins, eux, si la petite sirène s'amusait de cette course, semblaient ne pas la goûter, le navire craquait de toutes parts, les épais cordages ployaient sous les coups. La mer attaquait. Bientôt le mât se brisa par le milieu comme un simple roseau, le bateau prit de la bande, l'eau envahit la cale. 
Alors seulement la petite sirène comprit qu'ilyavaitdanger, elle devait elle- même se garder des poutres et des épaves tourbillonnant dans l'eau. 
Un instant tout fut si noir qu'elle ne vit plus rien et, tout à coup, le temps d'un éclair, elle les aperçut tous sur le pont. Chacun se sauvait comme ilpouvait. C'était le jeuneprince qu'elle cherchait du regard et, lorsque le bateau s'entrouvrit, elle le vit s'enfoncer dans la mer profonde. 
Elle en eut d'abord de la joie à la pensée qu'ildescendait chez elle, mais ensuite elle se souvint que les hommes ne peuvent vivre dans l'eau et qu'ilne pourrait atteindre que mort le château de son père. 
Non ! ilne fallait pas qu'ilmourût ! Elle nagea au milieu des épaves qui pouvaient l'écraser, plongea profondément puis remonta très haut au milieu des vagues, et enfin elle approcha le prince. Iln'avaitpresque plus la force de nager, ses bras et ses jambes déjà s'immobilisaient, ses beaux yeux se fermaient, ilserait mort sans la petite sirène.
[/size]
Quand vint le matin, la tempête s'était apaisée, pas le moindre débris du bateau n'était en vue; le soleilse leva, rouge et étincelant et semblant ranimer les joues du prince, mais ses yeux restaient clos. La petite sirène déposa un baiser sur son beau front élevé et repoussa ses cheveux ruisselants. 
Elle voyait maintenant devant elle la terre ferme aux hautes montagnes bleues couvertes de [size=18]neige
, aux belles forêts vertes descendant jusqu'à la côte. Uneéglise ou un cloître s'élevait là - elle ne savaitau juste, mais un bâtiment. 
Des citrons et des oranges poussaient dans le jardin et devant le portailse dressaient des palmiers. La mer creusait là unepetite crique à l'eau parfaitement calme, mais très profonde, baignant un rivage rocheux couvert d'un sable blanc très fin. Elle nagea jusque-là avec le beau prince, le déposa sur le sable en ayant soin de relever sa tête sous les chauds rayons du soleil. 
Les cloches se mirent à sonner dans le grand édifice blanc et des jeunes filles traversèrent le jardin. Alors la petite sirène s'éloigna à la nage et se cacha derrière quelque haut récif émergeant de l'eau, elle couvrit d'écume ses cheveux et sa gorge pour passer inaperçue et se mit à observer qui allait venir vers le pauvre prince. 
Unejeunefille ne tarda pas à s'approcher, elle eut d'abord grand-peur, mais un instant seulement, puis elle courut chercher du monde. La petite sirène vit le prince revenir à lui, ilsourit à tous à la ronde, mais pas à elle, ilne savaitpas qu'elle l'avaitsauvé. Elle en eut grand-peine et lorsque le prince eut été porté dans le grand bâtiment, elle plongea désespérée et retourna chez elle au palais de son père. 
Elle avaittoujours été silencieuse et pensive, elle le devint bien davantage. Ses sœurs lui demandèrent ce qu'elle avaitvu là-haut, mais elle ne raconta rien. 
Bien souvent le soir et le matin elle montait jusqu'à la place où elle avaitlaissé le prince. Elle vit mûrir les fruits du jardin et elle les vit cueillir, elle vit la neige fondre sur les hautes montagnes, mais le prince, elle ne le vit pas, et elle retournait chezelle toujours plus désespérée. 
A la fin elle n'ytint plus et se confia à l'unede ses sœurs. Aussitôt les autres furent au courant, mais elles seulement et deux ou trois autres sirènes qui ne le répétèrent qu'à leurs amies les plus intimes. L'uned'elles savaitqui était le prince, elle avaitvu aussi la fête à bord, elle savaitd'où ilétait, où se trouvait son royaume. 
- Viens, petite sœur, dirent les autres princesses. 
Et, s'enlaçant, elles montèrent en unelongue chaîne vers la côte où s'élevait le château du prince. 
Par les vitres claires des hautes fenêtres on voyait les salons magnifiques où pendaient de riches rideaux de soie et de précieuses portières. Les murs s'ornaient, pour le plaisir des yeux, de grandes peintures. Dans la plus grande salle chantait un jet d'eau jaillissant très haut vers la verrière du plafond. 
Elle savaitmaintenant où ilhabitait et elle revint souvent, le soir et la nuit. Elle s'avançait dans l'eau bien plus près du rivage qu'aucunede ses sœurs n'avaitosé le faire, oui, elle entra même dans l'étroit canal passant sous le balcon de marbre qui jetait unelongue ombre sur l'eau et là elle restait à regarder le jeuneprince qui se croyait seul au clair de lune. 
Bien des nuits, lorsque les pêcheurs étaient en mer avec leurs torches, elle les entendit dire du bien du jeuneprince, elle se réjouissait de lui avoir sauvé la vielorsqu'ilroulait à demi mort dans les vagues. Elle songeait au poids de sa tête sur sa jeunepoitrine et de quels fervents baisers elle l'avaitcouvert. Lui ne savaitrien de tout cela, ilne pouvait même pas rêver d'elle. 
De plus en plus elle en venait à chérir les humains, de plus en plus elle désirait pouvoir monter parmi eux, leur monde, pensait-elle, était bien plus vaste que le sien. Ne pouvaient-ils pas sur leurs bateaux sillonner les mers, escalader les montagnes bien au-dessus des nuages et les pays qu'ils possédaient ne s'étendaient-ils pas en forêts et champs bien au-delà de ce que ses yeux pouvaient saisir ? 
Elle voulait savoir tant de choses pour lesquelles ses sœurs n'avaient pas toujours de réponses, c'est pourquoi elle interrogea sa vieille grand-mère, bien informée sur le monde d'en haut, comme elle appelait fort justement les pays au-dessus de lamer
- Si les hommes ne se noient pas, demandait la petite sirène, peuvent-ils vivre toujours et ne meurent-ils pas comme nous autres ici au fond de la mer ? 
- Si, dit la vieille, illeur faut mourir aussi et la durée de leur vie est même plus courte que la nôtre. Nous pouvons atteindre trois cents ans, mais lorsque nous cessons d'exister ici nous devenons écume sur les flots, sans même unetombe parmi ceux que nous aimons. Nous n'avons pas d'âme immortelle, nous ne reprenons jamaisvie, pareils au roseau vert qui, unefois coupé, ne reverdit jamais. 
Les hommes au contraire ont uneâme qui vit éternellement, qui vit lorsque leur corps est retourné en poussière. Elle s'élève dans l'air limpide jusqu'aux étoiles scintillantes. 
De même que nous émergeons de la mer pour voir les pays des hommes, ils montent vers des pays inconnus et pleins de délices que nous ne pourrons voir jamais. 
- Pourquoi n'avons-nous pas uneâme éternelle ? dit la petite, attristée ; je donnerais les centaines d'années que j'ai à vivre pour devenir un seul jour un être humain et avoir part ensuite au monde céleste ! 
- Ne pense pas à tout cela, dit la vieille, nous vivons beaucoup mieux et sommes bien plus heureux que les hommes là-haut. 
- Donc, ilfaudra que je meure et flotte comme écume sur la mer et n'entende jamais plus la musique des vagues, ne voit plus les fleurs ravissantes et le rouge soleil. Ne puis-je rien faire pour gagner unevie éternelle ? 
- Non, dit la vieille, à moins que tu sois si chère à un homme que tu sois pour lui plus que père et mère, qu'ils'attache à toi de toutes ses pensées, de tout sonamour, qu'ilfasse par un prêtre mettre sa main droite dans la tienne en te promettant fidélité ici-bas et dans l'éternité. Alors son âme glisserait dans ton corps et tu aurais part au bonheur humain. Ilte donnerait uneâme et conserverait la sienne. Mais cela ne peut jamais arriver. Ce qui est ravissant ici dans la mer, ta queue de poisson, illa trouve très laide là-haut sur la terre. Ils n'yentendent rien, pour être beau, illeur faut avoir deux grossières colonnes qu'ils appellent des jambes. 
La petite sirène soupira et considéra sa queue de poisson avec désespoir. 
- Allons, un peu de gaieté, dit la vieille, nous avons trois cents ans pour sauter et danser, c'est un bon laps de temps. Ce soir ilya bal à la cour. Ilsera toujours temps de sombrer dans le néant. 
Ce bal fut, ilest vrai, splendide, comme on n'en peut jamais voir sur la terre. Les murs et le plafond, dans la grande salle, étaient d'un verre épais, mais clair. Plusieurs centaines de coquilles roses et vert pré étaient rangées de chaque côté et jetaient uneintense clarté de feu bleue qui illuminait toute la salle et brillait à travers les murs de sorte que la mer, au-dehors, en était tout illuminée. Les poissons innombrables, grands et petits, nageaient contre les murs de verre, luisants d'écailles pourpre ou étincelants comme l'argent et l'or. 
Au travers de la salle coulait un large fleuve sur lequel dansaient tritons et sirènes au son de leur propre chant délicieux. La voix de la petite sirène était la plus jolie de toutes, on l'applaudissait et son cœur en fut un instant éclairé de joie car elle savaitqu'elle avaitla plus belle voix sur terre et sous l'onde. 
Mais très vite elle se reprit à penser au monde au-dessus d'elle, elle ne pouvait oublier le beau prince ni son propre chagrin de ne pas avoir comme lui uneâme immortelle. C'est pourquoi elle se glissa hors du château de son père et, tandis que là tout était chants et gaieté, elle s'assit, désespérée, dans son petit jardin. Soudain elle entendit le son d'un cor venant vers elle à travers l'eau. 
- Ils'embarque sans doute là-haut maintenant, celui que j'aime plus que père et mère, celui vers lequel vont toutes mes pensées et dans la main de qui je mettrais tout le bonheur de ma vie. J'oserais tout pour les gagner, lui et uneâme immortelle. Pendant que mes sœurs dansent dans le château de mon père, j'irai chez la sorcière marine, elle m'a toujours fait si peur, mais peut-être pourra-t-elle me conseiller et m'aider! 
Alors la petite sirène sortit de son jardin et nagea vers les tourbillons mugissants derrière lesquels habitait la sorcière. Elle n'avaitjamais été de ce côté où ne poussait aucunefleur, aucuneherbe marine, iln'yavaitlà rien qu'un fond de sable gris et nu s'étendant jusqu'au gouffre. L'eau ybruissait comme uneroue de moulin, tourbillonnait et arrachait tout ce qu'elle pouvait atteindre et l'entraînait vers l'abîme. Ilfallait à la petite traverser tous ces terribles tourbillons pour arriver au quartier où habitait la sorcière, et sur un long trajet ilfallait passer au-dessus de vases chaudes et bouillonnantes que la sorcière appelait sa tourbière. Au-delà s'élevait sa maison au milieu d'uneétrange forêt. Les arbres et les buissons étaient des polypes, mi-animaux mi-plantes, ils avaient l'air de serpents aux centaines de têtes sorties de terre. Toutes les branches étaient des bras, longs et visqueux, aux doigts souples comme des vers et leurs anneaux remuaient de la racine à la pointe. Ils s'enroulaient autour de tout ce qu'ils pouvaient saisir dans la mer et ne lâchaient jamais prise. 
Debout dans la forêt la petite sirène s'arrêta tout effrayée, son cœur battait d'angoisse et elle fut sur le point de s'en retourner, mais elle pensa au prince, à l'âme humaine et elle reprit courage. Elle enroula, bien serrés autour de sa tête, ses longs cheveux flottants pour ne pas donner prise aux polypes, croisa ses mains sur sa poitrine et s'élança comme le poisson peut voler à travers l'eau, au milieu des hideux polypes qui étendaient vers elle leurs bras et leurs doigts. 
Elle arriva dans la forêt à un espace visqueux où s'ébattaient de grandes couleuvres d'eau montrant des ventres jaunâtres, affreux et gras. Au milieu de cette place s'élevait unemaison construite en ossements humains. La sorcière yétait assise et donnait à manger à un crapaud sur ses lèvres, comme on donne du sucre à un canari. 
- Je sais bien ce que tu veux, dit la sorcière, et c'est bien bête de ta part ! Mais ta volonté sera faite car elle t'apportera le malheur, ma charmante princesse. Tu voudrais te débarrasser de ta queue de poisson et avoir à sa place deux moignons pour marcher comme le font les hommes afin que le jeuneprince s'éprenne de toi, que tu puisses l'avoir, en même temps qu'uneâme immortelle. A cet instant, la sorcière éclata d'un rire si bruyant et si hideux que le crapaud et les couleuvres tombèrent à terre et grouillèrent. 
- Tu viens juste au bon moment, ajouta-t-elle, demain matin, au lever du soleil, je n'aurais plus pu t'aider avant uneannée entière. Je vais te préparer un breuvage avec lequel tu nageras, avant le lever du jour, jusqu'à la côte et là, assise sur la grève, tu le boiras. Alors ta queue se divisera et se rétrécira jusqu'à devenir ce que les hommes appellent deux jolies jambes, mais cela fait mal, tu souffriras comme si la lame d'uneépée te traversait. Tous, en te voyant, diront que tu es la plus ravissante enfant des hommes qu'ils aient jamais vue. Tu garderas ta démarche ailée, nulle danseuse n'aura ta légèreté, mais chaque pas que tu feras sera comme si tu marchais sur un couteau effilé qui ferait couler ton sang. Si tu veux souffrir tout cela, je t'aiderai. 
- Oui, dit la petite sirène d'unevoix tremblante en pensant au prince et à son âme immortelle. 
- Mais n'oublie pas, dit la sorcière, que lorsque tu auras uneapparence humaine, tu ne pourras jamais redevenir sirène, jamais redescendre auprès de tes sœurs dans le palais de ton père. Et si tu ne gagnes pas l'amour du prince au point qu'iloublie pour toi son père et sa mère, qu'ils'attache à toi de toutes ses pensées et demande au pasteur d'unir vos mains afin que vous soyez mari et femme, alors tu n'auras jamais uneâme immortelle. Le lendemain matin du jour où ilen épouserait uneautre, ton cœur se briserait et tu ne serais plus qu'écume sur la mer
- Je le veux, dit la petite sirène, pâle comme unemorte. 
- Mais moi, ilfaut aussi me payer, dit la sorcière, et ce n'est pas peu de chose que je te demande. Tu as la plus jolie voix de toutes ici-bas et tu crois sans doute grâce à elle ensorceler ton prince, mais cette voix, ilfaut me la donner. Le meilleur de ce que tu possèdes, ilme le faut pour mon précieux breuvage ! Moi, j'ymets de mon sang afin qu'ilsoit coupant comme unelame à deux tranchants. 
- Mais si tu prends ma voix, dit la petite sirène, que me restera-t-il? 
- Ta forme ravissante, ta démarche ailée et le langage de tes yeux, c'est assez pour séduire un cœur d'homme. Allons, as-tu déjà perdu courage ? Tends ta jolie langue, afin que je la coupe pour me payer et je te donnerai le philtre tout puissant. 
- Qu'ilen soit ainsi, dit la petite sirène, et la sorcière mit son chaudron sur le feu pour faire cuire la drogue magique. 
- La propreté est unebonne chose, dit-elle en récurant le chaudron avec les couleuvres dont elle avaitfait un nœud. 
Elle s'égratigna le sein et laissa couler son sang épais et noir. La vapeur s'élevait en silhouettes étranges, terrifiantes. A chaque instant la sorcière jetait quelque chose dans le chaudron et la mixture se mit à bouillir, on eût cru entendre pleurer un crocodile. Enfin le philtre fut à point, ilétait clair comme l'eau la plus pure ! 
- Voilà, dit la sorcière et elle coupa la langue de la petite sirène. Muette, elle ne pourrait jamais plus ni chanter, ni parler. 
- Si les polypes essayent de t'agripper, lorsque tu retourneras à travers la forêt, jette uneseule goutte de ce breuvage sur eux et leurs bras et leurs doigts se briseront en mille morceaux. 
La petite sirène n'eut pas à le faire, les polypes reculaient effrayés en voyant le philtre lumineux qui brillait dans sa main comme uneétoile. Elle traversa rapidement la forêt, le marais et le courant mugissant. Elle était devant le palais de son père. Les lumières étaient éteintes dans la grande salle de bal, tout le monde dormait sûrement, et elle n'osa pas aller auprès des siens maintenant qu'elle était muette et allait les quitter pour toujours. Illui sembla que son cœur se brisait de chagrin. Elle se glissa dans le jardin, cueillit unefleur du parterre de chacunede ses sœurs, envoya de ses doigts mille baisers au palais et monta à travers l'eau sombre et bleue de la mer. Le soleiln'était pas encore levé lorsqu'elle vit le palais du prince et gravit les degrés du magnifique escalier de marbre. La lunebrillait merveilleusement claire. La petite sirène but l'âpre et brûlante mixture, ce fut comme si uneépée à deux tranchants fendait son tendre corps, elle s'évanouit et resta étendue comme morte. Lorsque le soleilresplendit au-dessus des flots, elle revint à elle et ressentit unedouleur aiguë. Mais devant elle, debout, se tenait le jeuneprince, ses yeux noirs fixés si intensément sur elle qu'elle en baissa les siens et vit qu'à la place de sa queue de poisson disparue, elle avaitles plus jolies jambes blanches qu'unejeunefille pût avoir. Et comme elle était tout à fait nue, elle s'enveloppa dans sa longue chevelure. 
Le prince demanda qui elle était, comment elle était venue là, et elle leva vers lui doucement, mais tristement, ses grands yeux bleus puis qu'elle ne pouvait parler. 
Alors illa prit par la main et la conduisit au palais. A chaque pas, comme la sorcière l'en avaitprévenue, illui semblait marcher sur des aiguilles pointues et des couteaux aiguisés, mais elle supportait son mal. Sa main dans la main du prince, elle montait aussi légère qu'unebulle et lui-même et tous les assistants s'émerveillèrent de sa démarche gracieuse et ondulante. 
On lui fit revêtir les plus précieux vêtements de soie et de mousseline, elle était au château la plus belle, mais elle restait muette. Des esclaves ravissantes, parées de soie et d'or, venaient chanter devant le prince et ses royaux parents. L'uned'elles avaitunevoix plus belle encore que les autres. Le prince l'applaudissait et lui souriait, alors unetristesse envahit la petite sirène, elle savaitqu'elle-même aurait chanté encore plus merveilleusement et elle pensait : « Oh! si seulement ilsavaitque pour rester près de lui, j'ai renoncé à ma voix à tout jamais ! » 
Puis les esclaves commencèrent à exécuter au son d'unemusique admirable, des danses légères et gracieuses. Alors la petite sirène, élevant ses beaux bras blancs, se dressa sur la pointe des pieds et dansa avec plus de grâce qu'aucuneautre. Chaque mouvement révélait davantage le charme de tout son être et ses yeux s'adressaient au cœur plus profondément que le chant des esclaves. 
Tous en étaient enchantés et surtout le prince qui l'appelait sa petite enfant trouvée.
Elle continuait à danser et danser mais chaque fois que son pied touchait le sol, C'était comme si elle avaitmarché sur des couteaux aiguisés. Le prince voulut l'avoir toujours auprès de lui, illui permit de dormir devant sa porte sur un coussin de velours. 
Illui fit faire un habit d'homme pour qu'elle pût le suivre à cheval. Ils chevauchaient à travers les bois embaumés où les branches vertes lui battaient les épaules, et les petits oiseaux chantaient dans le frais feuillage. Elle grimpa avec le prince sur les hautes montagnes et quand ses pieds si délicats saignaient et que les autres s'en apercevaient, elle riait et le suivait là- haut d'où ils admiraient les nuages défilant au-dessous d'eux comme un vol d'oiseau migrateur partant vers des cieux lointains. 
La nuit, au château du prince, lorsque les autres dormaient, elle sortait sur le large escalier de marbre et, debout dans l'eau froide, elle rafraîchissait ses pieds brûlants. Et puis, elle pensait aux siens, en bas, au fond de la mer
Unenuit elle vit ses sœurs qui nageaient enlacées, elles chantaient tristement et elle leur fit signe. Ses sœurs la reconnurent et lui dirent combien elle avaitfait de peine à tous. Depuis lors, elles lui rendirent visite chaque soir, unefois même la petite sirène aperçut au loin sa vieille grand-mère qui depuis bien des années n'était montée à travers la mer et même le roi, son père, avec sa couronne sur la tête. Tous deux lui tendaient le bras mais n'osaient s'approcher au- tant que ses sœurs. 
De jour en jour, elle devenait plus chère au prince ; ill'aimait comme on aime un gentilenfant tendrement chéri, mais en faire unereine ! Iln'en avaitpas la moindre idée, et c'est sa femme qu'ilfallait qu'elle devînt, sinon elle n'aurait jamais uneâme immortelle et, au matin qui suivrait le jour de ses noces, elle ne serait plus qu'écume sur la mer
- Ne m'aimes-tu pas mieux que toutes les autres ? semblaient dire les yeux de la petite sirène quand illa prenait dans ses bras et baisait son beau front. 
- Oui, tu m'es la plus chère, disait le prince, car ton cœur est le meilleur, tu m'est la plus dévouée et tu ressembles à unejeunefille unefois aperçue, mais que je ne retrouverai sans doute jamais. J'étais sur un vaisseau qui fit naufrage, les vagues me jetèrent sur la côte près d'un temple desservi par quelques jeunes filles ; la plus jeuneme trouva sur le rivage et me sauva la vie. Je ne l'ai vue que deux fois et elle est la seule que j'eusse pu aimer d'amour en ce monde, mais toi tu lui ressembles, tu effaces presque son image dans mon âme puisqu'elle appartient au temple. C'est ma bonne étoile qui t'a envoyée à moi. Nous ne nous quitterons jamais. 
" Hélas ! ilne sait pas que c'est moi qui ai sauvé sa vie ! pensait la petite sirène. Je l'ai porté sur les flots jusqu'à la forêt près de laquelle s'élève le temple, puis je me cachais derrière l'écume et regardais si personne ne viendrait. J'ai vu la bellejeunefille qu'ilaime plus que moi. " 
La petite sirène poussa un profond soupir. Pleurer, elle ne le pouvait pas. 
- La jeunefille appartient au lieu saint, elle n'en sortira jamais pour retourner dans lemonde, ils ne se rencontreront plus, moi, je suis chez lui, je le vois tous les jours, je le soignerai, je l'adorerai, je lui dévouerai ma vie
Mais voilà qu'on commence à murmurer que le prince va se marier, qu'ilépouse la ravissante jeunefille du roi voisin, que c'est pour cela qu'ilarme un vaisseau magnifique ... On dit que le prince va voyager pour voir les Etats du roi voisin, mais c'est plutôt pour voir la fille du roi voisin et unegrande suite l'accompagnera ... Mais la petite sirène secoue la tête et rit, elle connaît les pensées du prince bien mieux que tous les autres. 
- Je dois partir en voyage, lui avait-ildit. Je dois voir la belle princesse, mes parents l'exigent, mais m'obliger à la ramener ici, en faire mon épouse, cela ils n'yréussiront pas, je ne peux pas l'aimer d'amour, elle ne ressemble pas comme toi à la bellejeunefille du temple. Si je devais un jour choisir uneépouse ce serait plutôt toi, mon enfant trouvée qui ne dis rien, mais dont les yeux parlent. 
Et ilbaisait ses lèvres rouges, jouait avec ses longs cheveux et posait sa tête sur son cœur qui se mettait à rêver de bonheur humain et d'uneâme immortelle. 
- Toi, tu n'as sûrement pas peur de la mer, ma petite muette chérie ! lui dit-illorsqu'ils montèrent à bord du vaisseau qui devait les conduire dans le pays du roi voisin. 
Illui parlait de la mer tempétueuse et de la mer calme, des étranges poissons des grandes profondeurs et de ce que les plongeurs yavaient vu. Elle souriait de ce qu'ilracontait, ne connaissait-elle pas mieux que quiconque le fond de l'océan? Dans la nuit, au clair de lune, alors que tous dormaient à bord, sauf le marin au gouvernail, debout près du bastingage elle scrutait l'eau limpide, illui semblait voir le château de son père et, dans les combles, sa vieille grand- mère, couronne d'argent sur la tête, cherchant des yeux à travers les courants la quille du bateau. Puis ses sœurs arrivèrent à la surface, la regardant tristement et tordant leurs mains blanches. Elle leur fit signe, leur sourit, voulut leur dire que tout allait bien, qu'elle était heureuse, mais un mousse s'approchant, les sœurs replongèrent et le garçon demeura persuadé que cette blancheur aperçue n'était qu'écume sur l'eau. 
Le lendemain matin le vaisseau fit son entrée dans le port splendide de la capitale du roi voisin. Les cloches des églises sonnaient, du haut des tours on soufflait dans les trompettes tandis que les soldats sous les drapeaux flottants présentaient les armes. 
Chaque jour ilyeut fête; bals et réceptions se succédaient mais la princesse ne paraissait pas encore. On disait qu'elle était élevée au loin, dans un couvent où lui étaient enseignées toutes les vertus royales. 
Elle vint, enfin ! 
La petite sirène était fort impatiente de juger de sa beauté. Illui fallut reconnaître qu'elle n'avaitjamais vu fille plus gracieuse. Sa peau était douce et pâle et derrière les longs cils deux yeux fidèles, d'un bleu sombre, souriaient. C'était la jeunefille du temple ... 
- C'est toi ! dit le prince, je te retrouve - toi qui m'as sauvé lorsque je gisais commemort sur la grève ! Et ilserra dans ses bras sa fiancée rougissante. Oh ! je suis tropheureux, dit-ilà la petite sirène. Voilà que se réalise ce que je n'eusse jamais osé espérer. Toi qui m'aimes mieux que tous les autres, tu te réjouiras de mon bonheur.
La petite sirène lui baisait les mains, mais elle sentait son cœur se briser. Ne devait-elle pas mourir au matin qui suivrait les noces ? Mourir et n'être plus qu'écume sur la mer ! 
Des hérauts parcouraient les rues à cheval proclamant les fiançailles. Bientôt toutes les cloches des églises sonnèrent, sur tous les autels des huiles parfumées brûlaient dans de précieux vases d'argent, les prêtres balancèrent les encensoirs et les époux se tendirent la main et reçurent la bénédiction de l'évêque. 
La petite sirène, vêtue de soie et d'or, tenait la traîne de la mariée mais elle n'entendait pas la musique sacrée, ses yeux ne voyaient pas la cérémonie sainte, elle pensait à la nuit de sa mort, à tout ce qu'elle avaitperdu en ce monde
Le soir même les époux s'embarquèrent aux salves des canons, sous les drapeaux flottants. 
Au milieu du pont, unetente d'or et de pourpre avaitété dressée, garnie de coussins moelleux où les époux reposeraient dans le calme et la fraîcheur de la nuit
Les voiles se gonflèrent au vent et le bateau glissa sans effort et sans presque se balancer sur la mer limpide. La nuit venue on alluma des lumières de toutes les couleurs et les marins se mirent à danser. 
La petite sirène pensait au soir où, pour la première fois,elle avaitémergé de la meret avaitaperçu le même faste et la même joie. Elle se jeta dans le tourbillon de ladanse, ondulant comme ondule un cygne pourchassé et tout le monde l'acclamait et l'admirait : elle n'avaitjamais dansé si divinement. Si des lames aiguës transperçaient ses pieds délicats, elle ne les sentait même pas, son cœur était meurtri d'unebien plus grande douleur. Elle savaitqu'elle le voyait pour la dernière fois,lui, pour lequel elle avaitabandonné les siens et son foyer, perdu sa voix exquise et souffert chaque jour d'indicibles tourments, sans qu'ilen eût connaissance. C'était la dernière nuit où elle respirait le même air que lui, la dernière fois qu'elle pouvait admirer cette mer profonde, ce ciel plein d'étoiles. 
La nuit éternelle, sans pensée et sans rêve, l'attendait, elle qui n'avaitpas d'âme et n'en pouvait espérer. 
Sur le navire tout fut plaisir et réjouissance jusque bien avant dans la nuit. Elle dansait et riait mais la pensée de la mort était dans son cœur. Le prince embrassait son exquise épouse qui caressait les cheveux noirs de son époux, puis la tenant à son bras ill'amena se reposer sous la tente splendide. 
Alors, tout fut silence et calme sur le navire. Seul veillait l'homme à la barre. La petite sirène appuya ses bras sur le bastingage et chercha à l'orient la première lueur rose de l'aurore, le premier rayon du soleilqui allait la tuer. 
Soudain elle vit ses sœurs apparaître au-dessus de la mer. Elles étaient pâles comme elle-même, leurs longs cheveux ne flottaient plus au vent, on les avaitcoupés. 
- Nous les avons sacrifiés chez la sorcière pour qu'elle nous aide, pour que tu ne meures pas cette nuit. Elle nous a donné un couteau. Le voici. Regarde comme ilest aiguisé ... Avant que le jour ne se lève, ilfaut que tu le plonges dans le cœur du prince et lorsque son sang tout chaud tombera sur tes pieds, ils se réuniront en unequeue de poisson et tu redeviendras sirène. Tu pourras descendre sous l'eau jusque chez nous et vivre trois cents ans avant de devenir un peu d'écume salée. Hâte-toi ! L'un de vous deux doit mourir avant l'aurore. Notre vieille grand-mère a tant de chagrin qu'elle a, comme nous, laissé couper ses cheveux blancs par les ciseaux de la sorcière. Tue le prince, et reviens-nous. Hâte-toi ! Ne vois-tu pas déjà cette traînée rose à l'horizon ? Dans quelques minutes le soleilse lèvera et ilte faudra mourir. 
Un soupir étrange monta à leurs lèvres et elles s'enfoncèrent dans les vagues. La petite sirène écarta le rideau de pourpre de la tente, elle vit la douce épousée dormant la tête appuyée sur l'épaule du prince. Alors elle se pencha et posa un baiser sur le beau front du jeunehomme. Son regard chercha le ciel de plus en plus envahi par l'aurore, puis le poignard pointu, puis à nouveau le prince, lequel, dans son sommeil, murmurait le nom de son épouse qui occupait seule ses pensées, et le couteau trembla dans sa main. Alors, tout à coup, elle le lança au loin dans les vagues qui rougirent à l'endroit où iltoucha les flots comme si des gouttes de sang jaillissaient à la surface. Unedernière fois,les yeux voilés, elle contempla le prince et se jeta dans la mer où elle sentit son corps se dissoudre en écume. 
Maintenant le soleilsurgissait majestueusement de la mer. Ses rayons tombaient doux et chauds sur l'écume glacée et la petite sirène ne sentait pas la mort. Elle voyait le clair soleilet, au-dessus d'elle, planaient des centaines de charmants êtres transparents. A travers eux, elle apercevait les voiles blanches du navire, les nuages roses du ciel, leurs voix étaient mélodieuses, mais si immatérielles qu'aucuneoreille terrestre ne pouvait les capter, pas plus qu'aucun regard humain ne pouvait les voir. Sans ailes, elles flottaient par leur seule légèreté à travers l'espace. La petite sirène sentit qu'elle avaitun corps comme le leur, qui s'élevait de plus en plus haut au-dessus de l'écume. 
- Où vais-je ? demanda-t-elle. Et sa voix, comme celle des autres êtres, était si immatérielle qu'aucunemusique humaine ne peut l'exprimer. 
Chez les filles de l'air, répondirent-elles. Unesirène n'a pas d'âme immortelle, ne peut jamais en avoir, à moins de gagner l'amour d'un homme. C'est d'unevolonté étrangère que dépend son existence éternelle. Les filles de l'air n'ont pas non plus d'âme immortelle, mais elles peuvent, par leurs bonnes actions, s'en créer une. Nous nous envolons vers les pays chauds où les effluves de la peste tuent les hommes, nous ysoufflons la fraîcheur. Nous répandons le parfum des fleurs dans l'atmosphère et leur arôme porte le réconfort et la guérison. Lorsque durant trois cents ans nous nous sommes efforcées de faire le bien, tout le bien que nous pouvons, nous obtenons uneâme immortelle et prenons part à l'éternelle félicité des hommes. Toi, pauvre petite sirène, tu as de tout cœur cherché le bien comme nous, tu as souffert et supporté de souffrir, tu t'es haussée jusqu'au monde des esprits de l'air, maintenant tu peux toi-même, par tes bonnes actions, te créer uneâme immortelle dans trois cents ans.Alors, la petite sirène leva ses bras transparents vers le soleilde Dieu et, pour la première fois,des larmes montèrent à ses yeux. 
Sur le bateau, la vie et le bruit avaient repris, elle vit le prince et sa belle épouse la chercher de tous côtés, elle les vit fixer tristement leurs regards sur l'écume dansante , comme s'ils avaient deviné qu'elle s'était précipitée dans les vagues. Invisible elle baisa le front de l'époux, lui sourit et avec les autres filles de l'air elle monta vers les nuages roses qui voguaient dans l'air. 
- Dans trois cents ans, nous entrerons ainsi au royaume de Dieu
- Nous pouvons même yentrer avant, murmura l'uned'elles. Invisibles nous pénétrons dans les maisons des hommes où ilya des enfants et, chaque fois que nous trouvons un enfant sage, qui donne de la joie à ses parents et mérite leuramourDieu raccourcit notre temps d'épreuve. 
Lorsque nous voltigeons à travers la chambre et que de bonheur nous sourions, l'enfant ne sait pas qu'un an nous est soustrait sur les trois cents, mais si nous trouvons un enfant cruel et méchant, ilnous faut pleurer de chagrin et chaque larme ajoute unejournée à notre temps d'épreuve.
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La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen Empty
MessageSujet: Re: La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen   La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen Icon_minitimeVen 26 Juin - 12:07

La petite poucette Conte d'Andersen

La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen D2b040d1
Il y avait une fois, une [size=16]femme qui aurait bien voulu avoir un tout petit enfant, mais elle ne savait pas du tout comment elle pourrait se le procurer; elle alla donc trouver une vieille sorcière, et lui dit :
- J'aurais grande envie d'avoir un petit enfant, ne veux-tu pas me dire où je pourrais m'en procurer un ?
- Si, nous allons bien en venir à bout ! dit la sorcière. Tiens, voilà un grain d'orge, il n'est pas du tout de l'espèce qui pousse dans le champ du paysan, ou qu'on donne à manger aux poules, mets-le dans un pot, et tu verras !
Merci, dit la femme.
Et elle donna douze shillings à la sorcière, rentra chez elle, planta le grain d'orge, et aussitôt poussa une grande fleur superbe qui ressemblait tout à fait à une tulipe, mais
les pétales se refermaient, serrés comme si elle était encore en bouton.
- C'est une belle fleur, dit la femme.
Et elle l'embrassa sur les beaux pétales rouges et jaunes, mais au moment même de ce baiser, la fleur s'ouvrit avec un grand bruit d'explosion. C'était vraiment une tulipe, ainsi qu'il apparut alors, mais au milieu d'elle, assise sur le siège vert, était une toute petite fille, mignonne et gentille, qui n'était pas plus haute qu'un pouce, et qui, pour cette raison, fut appelée Poucette.
Elle eut pour berceau une coque de noix laquée, des pétales bleus de violettes furent ses matelas, et des pétales de roses son édredon ; c'est là qu'elle dormait la nuit, et le jour elle jouait sur la table, où la femme avait posé une assiette entourée d'une couronne de fleurs dont les tiges trempaient dans l'eau ; un grand pétale de tulipe y flottait, où Poucette pouvait se tenir et naviguer d'un bord à l'autre de l'assiette ; elle avait pour ramer deux crins de chevalblanc. C'était charmant. Et elle savait aussi chanter, et son chant était doux et gentil, tel qu'on n'avait jamais entendu le pareil ici.
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Une [size=16]nuit qu'elle était couchée dans son délicieux lit, arriva une vilaine grenouille qui sauta par la fenêtre ; il y avait un carreau cassé. La grenouille était laide, grosse et mouillée, elle sauta sur la table où Poucette était couchée et dormait sous l'édredon de feuilles de roses rouges.
"Ce serait une femme parfaite pour mon fils !!" se dit la grenouille, et elle s'empara de la coque de noix où Poucette dormait, et, à travers le carreau, sauta dans le jardin avec elle.
Tout près de là coulait un grand et large ruisseau ; mais le bord en était bourbeux et marécageux ; c'est là qu'habitait la grenouille avec son fils. Hou ! lui aussi était laid et vilain, il ressemblait tout à fait à sa mère; koax, koax, brékékékex! c'est tout ce qu'il sut dire quand il vit la jolie fille dans la coque de noix.
- Ne parle pas si haut, tu vas la réveiller ! dit la vieille grenouille, elle pourrait encore nous échapper, car elle est légère comme duvet de cygne; nous la mettrons sur une des larges feuilles de nénuphar, ce sera pour elle, si petite et légère, comme une île ; de là, elle ne pourra pas s'enfuir, pendant que nous préparerons la belle chambre, sous la vase, où vous habiterez.
Dans le ruisseau poussaient beaucoup de nénuphars dont les larges feuilles vertes semblaient flotter à la surface de l'eau ; la feuille la plus éloignée était aussi la plus grande de toutes; c'est là que la vieille grenouille nagea et plaça la coque de noix avec Poucette.
La pauvre petite mignonne se réveilla de très bonne heure le matin, et lorsqu'elle vit où elle était, elle se mit à pleurer amèrement, car il y avait de l'eau de tous les côtés autour de la grande feuille verte, elle ne pouvait pas de tout aller à terre.
La vieille grenouille était au fonde de la vase et ornait la chambre avec des roseaux et des boutons jaunes de nénuphar - il fallait que ce fût tout à fait élégant pour sa nouvelle bru - et avec son vilain fils elle nagea vers la feuille où était Poucette afin de prendre à eux deux le beau lit, et l'installer dans la chambre de l'épousée, avant qu'elle y vînt elle-même. La vieille grenouille s'inclina profondément dans l'eau devant elle et dit :
- Voilà, mon fils, il sera ton mari, et vous aurez un délicieux logement au fond de la vase.
- Koax, koax, brékékékex!
C'est tout ce que le fils put dire.
Et ils prirent le gentil petit lit et partirent avec à la nage, et Poucette resta toute seule et pleura sur la feuille verte, car elle ne voulait pas demeurer chez la vilaine grenouille, ni avoir son fils si laid pour mari. Les petits poissons qui nageaient dans l'eau avait bien vu la grenouille et entendu ce qu'elle avait dit, et ils sortirent la tête de l'eau ils voulaient voir la petite fille. Aussitôt qu'ils l'eurent vue, ils la trouvèrent charmante, et cela leur fit de la peine qu'elle dût descendre chez la vilaine grenouille. Non, il ne le fallait pas. Ils s'assemblèrent sous l'eau tout autour de la tige qui tenait la feuille, et mordillèrent la tige, si bien que la feuille descendit le cours du ruisseau, emportant Poucette loin, très loin, où la grenouille ne pouvait pas aller.
Poucette navigua, passa devant beaucoup d'endroits, et les petits oiseaux perchés sur les arbustes la voyaient et chantaient : quelle gentille demoiselle! La feuille avec elle, s'éloigna de plus en plus ; c'est ainsi que Poucette partit pour l'étranger.
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Un joli petit [size=16]papillon blanc ne cessait de voler autour d'elle, et finit par se poser sur la feuille, car Poucette lui plaisait, et elle était bien contente, car la grenouille ne pouvait plus l'atteindre, et le lieu où elle naviguait était très agréable; le soleil luisait sur l'eau, c'était comme de l'or magnifique. Et elle défit sa ceinture, en attacha un bout au papillon, et fixa l'autre bout dans la feuille, et ainsi la feuille prit une course beaucoup plus rapide, et elle avec, puisqu'elle était dessus. À ce moment arriva en volant un grand hanneton, il l'aperçut, et aussitôt saisit dans ses pinces la taille grêle de la petit, qu'il emporta dans un arbre, mais la feuille verte continua de descendre le courant, et le papillon de voler avec, car il était attaché à la feuille et ne pouvait pas s'en libérer.
Dieu! comme Poucette fut effrayée lorsque le hanneton s'envola dans l'arbre avec elle, mais surtout elle fut chagrinée pour le beau papillon blanc qu'elle avait attaché à la feuille; s'il ne parvenait pas à se libérer, il allait mourir de faim. Mais c'était bien égal au hanneton. Avec elle il se plaça sur la plus grande feuille verte de l'arbre, lui donna le pollen des fleurs à manger, et lui dit qu'elle était très gentille, bien qu'elle ne ressemblât pas du tout à un hanneton. Ensuite tous les autres hannetons qui habitaient l'arbre vinrent lui rendre visite, ils regardèrent Poucette, et les demoiselles hannetons allongèrent leurs antennes et dirent :
- Elle n'a tout de même que deux pattes, c'est misérable, et elle n'a pas d'antennes !
- Elle a la taille trop mince, fi ! elle ressemble à l'espèce humaine! Qu'elle est laide!
Et pourtant le hanneton qui l'avait prise la trouvait très gentille, mais comme tous les autres disaient qu'elle était vilaine, il finit par le croire aussi, et ne voulut plus l'avoir !
elle pouvait s'en aller où elle voulait. On vola en bas de l'arbre avec elle, et on la posa sur une grande marguerite ; là, elle pleura parce qu'elle était si laide que les hannetons ne voulaient pas d'elle, et elle était pourtant l'être le plus délicieux que l'on put imaginer, délicat et pur comme le plus beau pétale de rose.
La preuve Poucette vécut toute seule tout l'été dans la grande forêt. Elle se tressa un lit de brins d'herbe et l'accrocha sous une grande feuille de patience, en sorte qu'il ne pouvait pleuvoir sur elle ; elle récoltait le pollen des fleurs et s'en nourrissait, et elle buvait la rosée qui était tous les matins sur les feuilles; ainsi passèrent l'été et l'automne, mais vint alors l'hiver, le froid et long hiver. Tous les oiseaux qui lui avaient chanté de belles chansons s'en allèrent, les arbres et les fleurs se fanèrent, la grande feuille de patience sous laquelle elle avait habité se recroquevilla et devint un pédoncule jaune fané, et elle eut terriblement froid, car ses vêtements étaient déchirés, et elle-même était si petite et si frêle, la pauvre Poucette, qu'elle devait mourir de froid. Il se mit à neiger, et chaque flocon de neige qui tombait sur elle était comme un paquet de neige qu'on jetterait sur nous, car nous sommes grands et elle n'avait qu'un pouce. Alors elle s'enveloppa dans une feuille fanée, mais cela ne pouvait pas la réchauffer, elle tremblait de froid.
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À l'orée de la forêt, où elle était alors parvenue, s'étendait un grand champ de blé, mais le blé n'y était plus depuis longtemps, seul le chaume sec et nu se dressait sur la terre gelée. C'était pour elle comme une forêt qu'elle parcourait. Oh! comme elle tremblait de froid. Elle arriva ainsi à la porte de la souris des champs. C'était un petit trou au pied des fétus de paille. La souris avait là sa [size=16]bonne demeure tiède, toute sa chambre pleine de grain, cuisine et salle à manger. La pauvre Poucette se plaça contre la porte, comme toute pauvre mendiante, et demanda un petit morceau de grain d'orge, car depuis deux jours elle n'avait rien eu du tout à manger.
- Pauvre petite, dit la souris, car c'était vraiment une bonne vieille souris des champs, entre dans ma chambre chaude manger avec moi!
Puis, comme Poucette lui plut, elle dit:
- Tu peux bien rester chez moi cet hiver, mais il faudra tenir ma chambre tout à fait propre et me conter des histoires, car je les aime beaucoup.
Et Poucette fit ce que demandait la bonne vieille souris, et vécut parfaitement.
- Nous aurons bientôt une visite, dit la souris des champs, mon voisin a l'habitude de venir me voir tous les jours de la semaine. Il se tient enfermé encore plus que moi, il a de grandes salles et il porte une délicieuse pelisse de velours noir; si tu pouvais l'avoir pour mari, tu n'aurais besoin de rien; mais il ne voit pas clair. Il faudra lui conter les plus belles histoires que tu saches.
Mais Poucette ne se souciait pas d'avoir le voisin, qui était une taupe. Il vint rendre visite dans sa pelisse de velours noir. Il était riche et instruit, dit la souris des champs, son appartement était aussi vingt fois plus grand que celui de la souris, et il était plein de science, mais il ne pouvait supporter le soleil et les belles fleurs, il en disait du mal, car il ne les avait jamais vues. Poucette dut chanter, et elle chanta " Hanneton, vole, vole " et " Le moine va aux champs", et la taupe devint amoureuse d'elle à cause de sa belle voix, mais ne dit rien, car c'était une personne circonspecte.
Elle s'était récemment construit un long corridor dans la terre, de sa demeure à celle de la souris, et elle permit à la souris et a Poucette de s'y promener tant qu'elles voudraient. Mais elle leur di de ne pas avoir peur de l'oiseau mort qui gisait dans le corridor. C'était un oiseauentier avec bec et plumes, qui sûrement était mort depuis peu, au commencement de l'hiver, et avait été enterré juste à l'endroit où elle avait fait son corridor.
La taupe prit dans sa bouche un morceau de mèche, car cela brille comme du feu dans l'obscurité, et elle marcha devant eux et les éclaira dans le long couloir sombre; lorsqu'ils arrivèrent à l'endroit où gisait l'oiseau mort, la taupe dresse en l'air son large nez et heurta le plafond, et cela fit un grand trou par lequel la lumière put briller. Sur le sol gisait une hirondelle morte, ses jolies ailes plaquées contre son corps, les pattes et la tête cachées sous les plumes. Le pauvre oiseau était évidemment mort de froid. Poucette en eut de la peine, elle aimait tant tous les petits oiseaux, qui avaient si joliment chanté et gazouillé pour elle tout l'été, mais la taupe donna un coup de ses courtes pattes à l'hirondelle, et dit :
- Elle ne piaillera plus! ça doit être lamentable de naître petit oiseauDieu merci, aucun de mes enfants ne sera ainsi, un oiseau pareil n'a rien d'autre pour lui que son "qvivit", et doit mourir de faim l'hiver!
- Oui, vous pouvez le dire, vous qui êtes prévoyant, dia la souris. Qu'a l'oiseau pour tout son "qvivit", quand vient l'hiver? Il doit avoir faim et geler; mais ce "qvivit" est tout de même une grande chose!
Poucette ne dit rien, mais lorsque les deux autres eurent tourné le dos à l'oiseau, elle se baissa, écarta les plumes qui recouvraient la tête de l'hirondelle, et la baisa sur ses
yeux clos. "C'est peut-être celle qui a si joliment chanté pour moi cet été, se dit-elle, quelle joie il m'a procurée, le bel oiseau!"
Puis la taupe boucha le trou par où le jour luisait, et les dames l'accompagnèrent à sa demeure. Mais la nuit, Poucette ne put dormir, elle e se leva de son lit et tressa une bellecouverture de paille dont elle alla envelopper l'oiseau mort, et elle mit du coton moelleux, qu'elle avait trouvé chez la taupe, autour du corps de l'oiseau, afin qu'il put être au chaud dans la terre froide.
-Adieu, beau petit oiseau, dit-elle. Adieu, et merci pour tes délicieux chants de cet été, lorsque tous les arbres étaient verts et que le soleil brillait si chaud au-dessus de nous!
Et elle posa sa tête sur la poitrine de l'oiseau, mais fut aussitôt très effrayée, car il y avait comme des battements à l'intérieur. C'était le coeur de l'oiseau. L'oiseau n'était pas mort, il était engourdi, et la chaleur l'avait réanimé.
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À l'automne toutes les hirondelles s'envolent vers les pays chauds, mais il en est qui s'attardent, et elles ont tellement froid qu'elles tombent comme mortes, elles restent où elles sont tombées, et la froide [size=16]neige les recouvre.
Poucette était toute tremblante de frayeur, car l'oiseau était fort grand, à côté d'elle qui n'avait qu'un pouce, mais elle rassembla son courage, pressa davantage le coton autour de la pauvre hirondelle, et alla chercher une feuille de menthe crépue, qu'elle avait eue elle-même comme couverture, et la passa sur la tête de l'oiseau.
La nuit suivante elle se glissa de nouveau vers lui, et il était alors tout à fait vivant, mais très faible; il ne put ouvrir qu'un instant ses yeux et voir Poucette, qui était là, un morceau de mèche à la main, car elle n'avait pas d'autre lumière.
- Sois remerciée, gentille enfant lui dit l'hirondelle malade, j'ai été délicieusement réchauffé, bientôt j'aurais repris des forces et de nouveau je pourrai voler aux chauds rayons du soleil!
- Oh! dit Poucette, il fait froid dehors, il neige et il gèle, reste dans ton lit chaud, je te soignerai.
Elle apporta de l'eau dans un pétale de fleur à l'hirondelle, qui but et raconta comment elle s'était blessée l'aile à une ronce, et n'avait pas pu voler aussi vite que les autres
hirondelles, qui étaient parties loin, très loin, vers les pays chauds. Elle avait fini par tomber à terre, ensuite elle ne se rappelait plus rien, et ne savait pas du tout comment elle était venue là.
Tout l'hiver elle y restera, et Poucette fut bonne pour elle, et l'aima beaucoup; ni la taupe ni la souris des champs ne s'en doutèrent, car elles ne pouvaient sentir la pauvre malheureuse hirondelle.
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Dès que vint le printemps et que le soleil réchauffa la terre, l'hirondelle dit adieu à Poucette, qui ouvrit le trou fait par la taupe au-dessus. Le soleil rayonnait superbe au- dessus d'elles, et l'hirondelle demanda à Poucette si elle ne voulait pas venir avec elle, car elle pourrait se mettre sur son dos, elles s'envoleraient ensemble loin dans la forêt verte. Mais Poucette savait que cela ferait de la peine à la vieille souris des champs, si elle la quittait ainsi.
- Non je ne peux pas, dit Poucette.
- Adieu, adieu, [size=16]bonne
 et gentille fille, dit l'hirondelle en s'envolant au soleil.
Poucette la suivit des yeux, et ses yeux se mouillèrent, car elle aimait beaucoup la pauvre hirondelle.
- Qvivit! qvivit! chanta l'oiseau.
Et il s'éloigna dans la forêt verte.
Poucette était triste. Elle n'eut pas la permission de sortir au chaud soleil: le blé, qui était semé sur le champ au-dessus de la maison de la souris, poussa d'ailleurs haut en
l'air, c'était une forêt drue pour la pauvre petite fille qui n'avait qu'un pouce.
- Cet été tu vas coudre ton costume, lui dit la souris, car sa voisine, l'ennuyeuse taupe à la pelisse de velours noir, l'avait demandé en mariage. Tu n'auras de la laine et du linge. Tu auras de quoi t'asseoir et te coucher, quand tu seras la femme de la taupe!
Poucette dut filer à la quenouille, et la souris embaucha quatre araignées pour filer et tissernuit et jour. Tous les soirs la taupe venait en visite, et parlait toujours de la fin
de l'été, quand le soleil serait beaucoup moins chaud, car pour le moment il brûlait la terre, qui était comme une pierre; quand l'été serait fini auraient lieu les noces avec Poucette; mais la petite n'était pas contente, car elle n'aimait pas du tout l'ennuyeuse taupe. Tous les matins, quand le soleil se levait, et tous les soirs quand il se couchait, elle se glissait dehors à la porte, et si le vent écartait les sommets des tiges, de façon qu'elle pouvait voir le ciel bleu, elle se disait que c'était clair et beau, là dehors, et elle désirait bien vivement revoir sa chère hirondelle; mais elle ne reviendrait jamais, elle volait sûrement très loin dans la forêt verte.
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Lorsque l'automne arriva, Poucette eut sa corbeille toute prête.
- Dans quatre semaines ce sera la noce, lui dit la souris.
Et Poucette pleura et dit qu'elle ne voulait pas de l'ennuyeuse taupe.
- Tatata, dit la souris, ne regimbe pas, sans quoi je te mords avec ma dent blanche! C'est un excellent mari que tu auras, la reine elle-même n'a pas une pelisse de velours noir pareille. Il a cuisine et cave. Remercie [size=16]Dieu
 de l'avoir. 
La noce devait donc avoir lieu. La taupe était venue déjà pour prendre Poucette, qui devait habiter avec son mari au profond de la terre, ne jamais sortir au chaud soleil qu'il ne pouvait pas supporter. La pauvre enfant était tout affligée, elle voulait dire adieu au beau soleil, que du moins, chez la souris, il lui avait été permis de regarder de la porte.
- Adieu, lumineux soleil! dit-elle, les bras tendus en l'air, et elle fit quelques pas hors de la demeure de la souris, car le blé avait été coupé, il ne restait plus que le chaume sec. Adieu, adieu! dit-elle, et elle entoura de ses bras une petite fleur rouge qui était là! Salue de ma part la petite hirondelle, si tu la vois.
- Qvivit! qvivit! dit-on à ce moment au-dessus de sa tête.
Elle regarda en l'air, c'était la petite hirondelle, qui passait justement. Aussitôt qu'elle vit Poucette, elle fut ravie; la fillette lui raconta qu'elle ne voulait pas du tout avoir
pour mari la vilaine taupe, et qu'elle habiterait ainsi au fond de la terre, où le soleil ne brillerait jamais. De cela, elle ne pouvait s'empêcher de pleurer.
- Voilà le froid hiver qui vient, dit la petite hirondelle, je m'envole au loin vers les pays chauds, veux-tu venir avec moi? Tu peux te mettre sur mon dos, tu n'as qu'à t'attacher fortement avec ta ceinture, et nous nous envolerons loin de la vilaine taupe et de sa sombre demeure, bien loin par-dessus les montagnes jusqu'aux pays chauds où le soleil luit, plus beau qu'ici, où c'est toujours l'été avec des fleurs exquises. Viens voler avec moi, chère petite Poucette qui m'a sauvé la vie lorsque je gisais gelée dans le sombre caveau de terre!
- Oui j'irais avec toi, dit Poucette, qui se mit sur le dos de l'oiseau, les pieds sur ses ailes étendues, et attacha fortement sa ceinture à une des plus grosses plumes.
Et ainsi l'hirondelle s'éleva haut dans l'air, au-dessus de la forêt et au-dessus de la mer, haut au-dessus des grandes montagnes toujours couvertes de neige, et Poucette eut froid dans l'air glacé, mais elle se recroquevilla sous les plumes chaudes de l'oiseau, et passa seulement sa petite tête pour voir toute la splendeur étalée sous elle.
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Et elles arrivèrent aux pays chauds. Le soleil y brillait, beaucoup plus lumineux qu'ici. Le ciel était deux fois plus élevé, et dans des fossés et sur des haies poussaient de délicieux raisins blancs et bleus. Dans les forêt pendaient des citrons et des oranges, les myrtes et la menthe crépue embaumaient, et sur la route couraient de délicieux [size=16]enfants qui jouaient avec de grands papillons diaprés. Mais l'hirondelle vola plus loin encore, et ce fut de plus en plus beau. Sous de magnifiques arbres verts au bord de la mer bleue se trouvait un château de marbre d'une blancheur éclatante, fort ancien. Les ceps de vigne enlaçaient les hautes colonnes; tout en haut étaient de nombreux nids d'hirondelle, et dans l'un d'eux habitait celle qui portait Poucette.
- Voilà ma maison, dit l'hirondelle, mais si tu veux te chercher une des superbes fleurs qui poussent en bas, je t'y poserai, et tu seras aussi bien que tu peux le désirer.
- C'est parfait, dit Poucette, et ses petites mains battirent.
Il y avait par terre une grande colonne de marbre blanc qui était tombée et s'était cassée en trois morceaux, entre lesquels poussaient les plus belles fleurs blanches.
L'hirondelle y vola et déposa Poucette sur l'une des larges pétales; mais quelle surprise fut celle de la petite fille! Un petit homme était assis au milieu de la fleur, aussi blanc et transparent que s'il avait été de verre; il avait sur la tête une belle couronne d'or et aux épaules de jolies ailes claires, et il n'était pas plus grand que Poucette. C'était l'ange de la fleur. Dans chaque fleur habitait un pareil angehomme ou femme, mais celui-là était le roi de tous.
- Oh! qu'il est beau, chuchota Poucette à l'hirondelle.
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Le petit prince fut très effrayé par l'hirondelle, car elle était un énorme [size=16]oiseau à côté de lui, qui était si petit et menu, mais lorsqu'il vit Poucette il fut enchanté, c'était la plus belle fille qu'il eût encore jamais vue. Aussi prit-il sur sa tête sa couronne d'or qu'il plaça sur la sienne, lui demanda comment elle s'appelait et si elle voulait être sa femme, elle serait ainsi la reine de toutes les fleurs! Oh! c'était là un mari bien différent du fils de la grenouille et de la taupe à la pelisse de velours noir. Elle dit donc oui au charmant prince, et de chaque fleur arriva une dame ou un jeune homme, si gentil que c'était un plaisir des yeux; chacun apportait un cadeauà Poucette, mais le meilleur de tous fut une couple de belles ailes d'une grande mouche blanche; elles furent accrochées au dos de Poucette, qui put ainsi voler d'une fleur à l'autre; c'était bien agréable, et la petite hirondelle était là-haut dans son nid et chantait du mieux qu'elle pouvait, mais en son coeur elle était affligée, car elle aimait beaucoup Poucette,et aurait voulu ne jamais s'en séparer.
- Tu ne t'appelleras pas Poucette, lui dit l'ange de la fleur, c'est un vilain nom, et tu es si belle. Nous t'appellerons Maia.
- Adieu, adieu! dit la petite hirondelle, qui s'envola de nouveau, quittant les pays chaud pour aller très loin, jusqu'en Danemark.
C'est là qu'elle avait un nid au-dessus de la fenêtre où habite l'homme qui sait conter des contes, elle lui a chanté son "qvivit, qvivit!" et c'est de là que nous tenons toute l'histoire.
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La bergére et le ramoneur Conte d'Andersen

La plume et l'encrier Contes d'Andersen+La petite sirène Conte d'Andersen+La petite poucette Conte d'Andersen 0b79521a
As-tu jamais vu une très vieille armoire de bois noircie par le temps et sculptée de fioritures et de feuillages? Dans un salon, il y en avait une de cette espèce, héritée d'une aïeule, ornée de haut en bas de roses, de tulipes et des plus étranges volutes entremêlées de têtes de cerfs aux grands bois. Au beau milieu de l'armoire se découpait un [size=16]homme entier, tout à fait grotesque ; on ne pouvait vraiment pas dire qu'il riait, il grimaçait; il avait des pattes de bouc, des cornes sur le front et une longue barbe. Les enfants de la maison l'appelaient le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc » .
Evidemment, peu de gens portent un tel titre et il est assez long à prononcer, mais il est rare aussi d'être sculpté sur une armoire. 
Quoi qu'il en soit, il était là! Il regardait constamment la table placée sous la glace car sur cette table se tenait une ravissante petite bergère en porcelaine, portant des souliers d'or, une robe coquettement retroussée par une rose rouge, un chapeau doré et sa houlette de bergère. Elle était délicieuse! Tout près d'elle, se tenait un petit ramoneur, noir comme du charbon, lui aussi en porcelaine. Il était aussi propre et soigné que quiconque ; il représentait un ramoneur, voilà tout, mais le fabricant de porcelaine aurait aussi bien pu faire de lui un prince, c'était tout comme. 
Il portait tout gentiment son échelle, son visage était rose et blanc comme celui d'une petitefille, ce qui était une erreur, car pour la vraisemblance il aurait pu être un peu noir aussi de visage. On l'avait posé à côté de la bergère, et puisqu'il en était ainsi, ils s'étaient fiancés, ils se convenaient, jeunes tous les deux, de même porcelaine et également fragiles. 
Tout près d'eux et bien plus grand, était assis un vieux Chinois en porcelaine qui pouvait hocher de la tête. Il disait qu'il était le grand-père de la petite bergère ; il prétendait même avoir autorité sur elle, c'est pourquoi il inclinait la tête vers le 
« sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc» qui avait demandé la main de la bergère. 
- Tu auras là, dit le vieux Chinois, un mari qu'on croirait presque fait de bois d'acajou, qui peut te donner un titre ronflant, qui possède toute l'argenterie de l'armoire, sans compter ce qu'il garde dans des cachettes mystérieuses. 
- Je ne veux pas du tout aller dans la sombre armoire, protesta la petite bergère, je me suis laissé dire qu'il y avait là-dedans onze femmes en porcelaine! 
- Eh bien! tu seras la douzième. Cette nuit, quand la vieille armoire se mettra à craquer, vous vous marierez, aussi vrai que je suis Chinois. Et il s'endormit. 
La petite bergère pleurait, elle regardait le ramoneur de porcelaine, le chéri de son cœur. 
- Je crois, dit-elle, que je vais te demander de partir avec moi dans le vaste monde. Nous ne pouvons plus rester ici. 
- Je veux tout ce que tu veux, répondit-il; partons immédiatement, je pense que mon métier me permettra de te nourrir. 
- Je voudrais déjà que nous soyons sains et saufs au bas de la table, dit-elle, je ne serai heureuse que quand nous serons partis. 
Il la consola de son mieux et lui montra où elle devait poser son petit pied sur les feuillages sculptés longeant les pieds de la table; son échelle les aida du reste beaucoup.
Mais quand ils furent sur le parquet et qu'ils levèrent les yeux vers l'armoire, ils y virent une terrible agitation. Les cerfs avançaient la tête, dressaient leurs bois et tournaient le cou, le «sergentmajorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc» bondit et cria : 
- Ils se sauvent ! Ils se sauvent ! 
Effrayés, les jeunes gens sautèrent rapidement dans le tiroir du bas de l'armoire. Il y avait là quatre jeux de cartes incomplets et un petit théâtre de poupées, monté tant bien que mal. On y jouait la comédie, les dames de carreau et de cœur, de trèfle et de pique, assises au premier rang, s'éventaient avec leurs tulipes, les valets se tenaient debout derrière elles et montraient qu'ils avaient une tête en haut et une en bas, comme il sied quand on est une carte à jouer. La comédie racontait l'histoire de deux amoureux qui ne pouvaient pas être l'un à l'autre. La bergère en pleurait, c'était un peu sa propre histoire
- Je ne peux pas le supporter, dit-elle, sortons de ce tiroir. 
Mais dès qu'ils furent à nouveau sur le parquet, levant les yeux vers la table, ils aperçurent le vieux Chinois réveillé qui vacillait de tout son corps. Il s'effondra comme une masse sur le parquet. 
- Voilà le vieux Chinois qui arrive, cria la petite bergère, et elle était si contrariée qu'elle tomba sur ses jolis genoux de porcelaine. 
- Une idée me vient, dit le ramoneur. Si nous grimpions dans cette grande potiche qui est là dans le coin nous serions couchés sur les roses et la lavande y et pourrions lui jeter du sel dans les yeux quand il approcherait. 
- Cela ne va pas, dit la petite. Je sais que le vieux Chinois et la potiche ont été fiancés, il en reste toujours un peu de sympathie. Non, il n'y a rien d'autre à faire pour nous que de nous sauver dans le vaste monde
- As-tu vraiment le courage de partir avec moi, as-tu réfléchi combien le monde est grand, et que nous ne pourrons jamais revenir ? 
- J'y ai pensé, répondit-elle. 
Alors, le ramoneur la regarda droit dans les yeux et dit : 
- Mon chemin passe par la cheminée, as-tu le courage de grimper avec moi à travers le poêle, d'abord, le foyer, puis le tuyau où il fait nuit noire ? Après le poële, nous devons passer dans la cheminée elle-même ; à partir de là, je m'y entends, nous monterons si haut qu'ils ne pourront pas nous atteindre, et tout en haut, il y a un trou qui ouvre sur le monde
Il la conduisit à la porte du poêle. 
- Oh ! que c'est noir, dit-elle. 
Mais elle le suivit à travers le foyer et le tuyau noirs comme la nuit
- Nous voici dans la cheminée, cria le garçon. Vois, vois, là-haut brille la plus belle étoile. 
Et c'était vrai, cette étoile semblait leur indiquer le chemin. Ils grimpaient et rampaient. Quelle affreuse route ! Mais il la soutenait et l'aidait, il lui montrait les bons endroits où appuyer ses fins petits pieds, et ils arrivèrent tout en haut de la cheminée, où ils s'assirent épuisés. Il y avait de quoi. 
Au-dessus d'eux, le ciel et toutes ses étoiles, en dessous, les toits de la ville ; ils regardaient au loin, apercevant le monde. Jamais la bergère ne l'aurait imaginé ainsi. Elle appuya sa petite tête sur la poitrine du ramoneur et se mit à sangloter si fort que l'or qui garnissait sa ceinture craquait et tombait en morceaux. 
- C'est trop, gémit-elle, je ne peux pas le supporter. Le monde est trop grand. Que ne suis-je encore sur la petite table devant la glace, je ne serai heureuse que lorsque j'y serai retournée. Tu peux bien me ramener à la maison, si tu m'aimes un peu. 
Le ramoneur lui parla raison, lui fit souvenir du vieux Chinois, du « sergentmajor- généralcommandantenchefauxpiedsdebouc», mais elle pleurait de plus en plus fort, elle embrassait son petit ramoneur chéri, de sorte qu'il n'y avait rien d'autre à faire que de lui obéir, bien qu'elle eût grand tort. 
Alors ils rampèrent de nouveau avec beaucoup de peine pour descendre à travers la cheminée, le tuyau et le foyer ; ce n'était pas du tout agréable. Arrivés dans le poêle sombre, ils prêtèrent l'oreille à ce qui se passait dans le salon. Tout y était silencieux ; alors ils passèrent la tête et... horreur ! Au milieu du parquet gisait le vieux Chinois, tombé en voulant les poursuivre et cassé en trois morceaux ; il n'avait plus de dos et sa tête avait roulé dans un coin. Le sergent-major général se tenait là où il avait toujours été, méditatif. 
- C'est affreux, murmura la petite bergère, le vieux grand-père est cassé et c'est de notre faute ; je n'y survivrai pas. Et, de désespoir, elle tordait ses jolies petites mains. 
- On peut très bien le requinquer, affirma le ramoneur. Il n'y a qu'à le recoller, ne sois pas si désolée. Si on lui colle le dos et si on lui met une patte de soutien dans la nuque, il sera comme neuf et tout prêt à nous dire de nouveau des choses désagréables. 
- Tu crois vraiment ? 
Ils regrimpèrent sur la table où ils étaient primitivement. 
- Nous voilà bien avancés, dit le ramoneur, nous aurions pu nous éviter le dérangement. 
- Pourvu qu'on puisse recoller le grand-père. Crois-tu que cela coûterait très cher ? dit-elle. 
La famille fit mettre de la colle sur le dos du Chinois et un lien à son cou, et il fut comme neuf, mais il ne pouvait plus hocher la tête. 
- Que vous êtes devenu hautain depuis que vous avez été cassé, dit le «sergent- majorgénéralcommandantenchefauxpiedsdebouc ». Il n'y a pas là de quoi être fier. Aurai-je ou n'aurai-pas ma bergère ? 
Le ramoneur et la petite bergère jetaient un regard si émouvant vers le vieux Chinois, ils avaient si peur qu'il dise oui de la tête ; mais il ne pouvait plus la remuer. Et comme il lui était très désagréable de raconter à un étranger qu'il était obligé de porter un lien à son cou, les amoureux de porcelaine restèrent l'un près de l'autre, bénissant le pansement du grand-père et cela jusqu'au jour où eux-mêmes furent cassés.
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