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| Aschenputtel (autre version de cendrillon)+Les 3 nains de la forêt | |
| | Auteur | Message |
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marileine moderateur
Messages : 27475 Date d'inscription : 08/03/2012 Localisation : belgique
| Sujet: Aschenputtel (autre version de cendrillon)+Les 3 nains de la forêt Jeu 10 Mar - 15:11 | |
| Aschenputtel (autre version de cendrillon)Il y avait une fois un homme fort riche dont la femme tomba malade. Se sentant près de sa fin, elle fit venir à son chevet sa fille unique, qui était encore toute petite. — Ma chère enfant, lui dit-elle, sois toujours bonne et pieuse, et le bon Dieu t’aidera. Quant à moi, je regarderai de là-haut et toujours je serai auprès de toi. Après quoi, ayant clos ses paupières, elle mourut. Chaque jour la jeune fille allait pleurer sur la tombe de sa mère, et ainsi elle resta bonne et pieuse. Le cimetière était caché sous la neige comme sous un suaire et, quand il en fut dégagé par le soleil, le père prit une autre femme. Celle-ci amena dans la maison deux filles blanches et belles de figure, mais noires et laides de cœur. Dès lors, pour la pauvre enfantcommença une vie bien dure. — Qu’est-ce que cette créature fait dans notre chambre ? disaient-elles. Qui veut manger doit gagner son pain ; la place de la servante est à la cuisine. Elles lui enlevèrent ses beaux habits, la vêtirent d’un vieux casaquin de toile grise et, après l’avoir bien raillée, la menèrent à la cuisine où elle fut forcée de faire les plus gros ouvrages, de se lever avant l’aube, de puiser de l’eau, d’allumer le feu, d’apprêter les repas et la lessive. Ses sœurs, par-dessus le marché, lui faisaient toutes les niches possibles ; elles se moquaient d’elle et lui répandaient ses pois dans les cendres, pour qu’elle les ramassât. Le soir, lorsqu’elle était lasse de travailler, elle n’avait pas de lit pour dormir et elle devait se coucher dans les cendres du foyer. Elle paraissait donc toujours sale et poudreuse, et c’est pourquoi on la surnomma Cendrillon. Il arriva qu’un jour son père, allant à la foire, demanda à ses deux belles-filles ce qu’elles voulaient qu’il leur rapportât. — De belles robes, dit l’aînée. — Des perles et des diamants, dit la cadette. — Et toi, Cendrillon, que veux-tu ? — Que vous me coupiez la première branche qui, à votre retour, touchera votre chapeau. Il fit donc emplette pour les deux sœurs de superbes robes, de perles et de pierres précieuses, puis, en revenant, comme il traversait un bois, son chapeau fut heurté par une branche de coudrier qui le jeta à terre : il cassa la branche et l’emporta. De retour au logis, il donna à ses belles-filles les objets qu’elles avaient désirés, et à Cendrillon la branche de coudrier. Après l’avoir remercié, celle-ci s’en fut à la tombe de sa mère, planta la branche et l’arrosa de ses larmes. La branche crût bientôt et devint un arbre superbe. Trois fois par jour Cendrillon allait prier et pleurer sous son ombre, et chaque fois voletait un petit oiseau qui lui jetait tout ce qu’elle demandait. Or, il advint que le roi fit préparer une grande fête qui devait durer trois jours. Il y convia toutes les jolies filles du pays, afin que son fils pût faire choix d’une épouse. En apprenant qu’elles étaient de ce nombre, les deux sœurs ne se sentirent pas de joie ; elles appelèrent Cendrillon et lui dirent : — Arrange bien nos cheveux, cire nos souliers et attache nos boucles : nous allons à la fête que le roi donne au château. Cendrillon obéit, mais en pleurant ; elle aurait bien voulu aller au bal, et elle supplia sa belle-mère de lui en donner la permission. — Comment, toi, si sale et si poudreuse, toi, Cendrillon, dit la marâtre, tu veux aller au bal et tu n’as pas même une robe ! Tu veux danser et tu n’as seulement pas de souliers ! Comme la jeune fille ne cessait de la prier, elle lui dit : — J’ai laissé choir un plat de lentilles dans les cendres : si dans deux heures tu les as ramassées, tu pourras sortir. Cendrillon s’en alla au jardin et dit : — Gentils pigeons, tourterelles, et vous tous, oiselets qui volez par les airs, accourez et m’aidez à chercher. Les bonnes au pot, Les autres au bec ! Deux blancs pigeons entrèrent dans la cuisine par la fenêtre ; puis arrivèrent les tourterelles et tous les autres menus oiseaux, et ils quêtèrent dans les cendres. Les pigeons balancèrent leurs petites têtes en faisant pic, pic, pic ; les autres aussi firent pic, pic, pic, et mirent dans le plat toutes les bonnes graines. En moins d’une heure, ils eurent fini et s’envolèrent. Cendrillon, toute joyeuse, apporta alors le plat à sa belle-mère. Elle se figurait qu’elle pourrait se rendre au bal, mais la méchante femme lui dit : — Non, tu ne viendras pas avec nous ; tu n’as pas de robe, et d’ailleurs tu ne sais pas danser. Comme Cendrillon pleurait, elle ajouta : — Retire-moi des cendres dans une heure deux plats de lentilles, et tu viendras avec nous. Persuadée que la pauvre fille n’en sortirait point, elle jeta dans les cendres les deux plats de lentilles. Mais Cendrillon retourna au jardin et dit : — Gentils pigeons, tourterelles, et vous tous, oiselets qui volez par les airs, accourez et m’aidez à chercher. Les bonnes au pot, Les autres au bec ! Et, comme la première fois, deux blancs pigeons entrèrent dans la cuisine par la fenêtre ; puis arrivèrent les tourterelles et tous les autres menus oiseaux qui volent par les airs, et ils quêtèrent dans les cendres. Les pigeons balancèrent leurs petites têtes en faisant pic, pic, pic ; les autres aussi firent pic, pic, pic, et mirent dans les plats toutes les bonnes graines. Une demi-heure ne s’était pas écoulée qu’ils avaient fini et s’envolaient. Cendrillon, toute joyeuse, apporta alors les plats à sa belle-mère. Elle se figurait qu’elle pourrait se rendre au bal, mais la marâtre lui dit : — C’est inutile, tu ne viendras pas avec nous ; tu n’as pas de robe, tu ne sais pas danser et nous rougirions de toi. Sur quoi elle tourna le dos et partit avec ses deux insolentes filles. Une fois seule à la maison, Cendrillon s’en fut à la tombe de sa mère, sous le coudrier, et dit : — Petit arbre, balance-toi et secoue-toi, Jette de l’or et de l’argent sur moi ! L’oiselet alors lui donna une robe d’or et d’argent avec des pantoufles brodées d’or et de soie. Elle mit la belle robe et alla à la fête ; ni ses sœurs ni sa belle-mère ne la reconnurent : elles crurent voir une princesse étrangère, tant elle était éblouissante dans sa robe magnifique. Elles ne pensaient guère à Cendrillon, qu’elles avaient laissée au logis dans les cendres. Le fils du roi alla au-devant de la dame inconnue, lui offrit la main et dansa avec elle. Il ne voulut même pas en faire danser d’autre ce jour-là ; il garda toujours la main de la jeune fille, et, quand on la venait inviter, il répondait : — Celle-ci danse avec moi. Après avoir dansé jusqu’au soir, elle songea à se retirer. — Je vais vous reconduire, lui dit le prince. Il brûlait de savoir qui était cette charmante jeune fille ; mais elle s’échappa et sauta dans le pigeonnier. Le prince attendit l’arrivée du père et lui montra l’endroit où s’était cachée l’étrangère. « Si c’était Cendrillon ! » se dit le père. Il se fit apporter une hache, brisa le pigeonnier et n’y trouva personne. Quand tous les deux entrèrent en la maison, Cendrillon était accroupie dans les cendres, avec son vieux casaquin gris et une petite lampe achevant de brûler sur le foyer. Cendrillon était descendue rapidement de l’autre côté et avait couru au coudrier. Aussitôt, ôtant sa belle robe, elle l’avait déposée sur la tombe où l’oiseau la reprit ; ensuite elle s’était replacée dans les cendres avec son vieux casaquin. La fête continua le lendemain, et, lorsque son père, sa mère et ses belles-sœurs furent partis, la jeune fille s’en alla sous le coudrier : — Petit arbre, balance-toi et secoue-toi, Jette de l’or et de l’argent sur moi ! L’oiselet alors lui fit don d’une robe plus étincelante encore que la précédente et, quand elle apparut dans le bal parée de cette robe, chacun fut émerveillé de sa beauté. Le prince, qui l’attendait, la prit aussitôt par la main et ne dansa qu’avec elle. Lorsqu’on s’approchait pour l’inviter, il disait : — Celle-ci danse avec moi. Le soir venu, elle parla de s’en retourner, et le fils du roi lui offrit de l’accompagner, afin de voir où elle irait ; mais elle lui échappa dans le jardin, derrière la maison. Il s’y trouvait un superbe poirier tout couvert de belles poires. Cendrillon y grimpa leste comme un écureuil, si bien que le prince ne sut pas où elle s’était cachée. Il attendit pourtant le retour du père et lui dit : — L’étrangère m’a encore échappé, et je crois bien qu’elle a grimpé sur le poirier. « Si c’était Cendrillon ! » se dit de nouveau le père. Il envoya quérir une hache et coupa l’arbre ; mais on n’y trouva personne. Et, quand ils entrèrent dans la cuisine, Cendrillon, comme d’habitude, était accroupie dans les cendres, car elle s’était dépêchée de rendre sa belle robe à l’oiselet du coudrier et avait repris son casaquin gris. Le surlendemain, après avoir vu partir ses sœurs et ses parents, Cendrillon s’en alla à la tombe de sa mère et dit : — Petit arbre, balance-toi et secoue-toi, Jette de l’or et de l’argent sur moi ! L’oiselet alors lui jeta une robe d’une richesse telle que la jeune fille n’en avait pas encore vu de semblable, ainsi que des pantoufles en or. Lorsqu’elle entra dans la salle du bal, tous restèrent muets d’admiration ; le prince ne dansa qu’avec elle seule, et, si quelqu’un l’invitait, il répétait : — Celle-ci danse avec moi. Quand vint le soir, elle voulut partir, et le fils du roi offrit de l’accompagner ; mais elle s’enfuit, si rapidement qu’il ne put suivre ses pas. Or, le prince s’était avisé d’un artifice : il avait ordonné qu’on mît de la poix sur l’escalier, et la pantoufle de Cendrillon y resta attachée. Le fils du roi s’en empara ; elle était tout en or, aussi charmante que mignonne. Le jour suivant, il s’en alla chez le père de la fugitive et lui déclara qu’il prendrait pour femme celle qui pourrait chausser la pantoufle d’or. Les deux sœurs furent enchantées, car elles avaient le pied fort petit. L’aînée s’en fut à sa chambre avec sa mère pour essayer la pantoufle ; mais comme la pantoufle était trop étroite, elle ne réussit pas à y faire entrer l’orteil. La mère alors lui tendit un couteau en disant : — Coupe l’orteil : lorsque tu seras reine, tu n’iras plus à pied. La jeune fille se coupa donc l’orteil et le pied put entrer ; ensuite, en cachant sa douleur, elle alla retrouver le prince. Celui-ci la prit en croupe comme sa fiancée et s’en fut avec elle. Mais quand le couple passa devant la tombe sous le coudrier, les deux pigeons, qui y étaient perchés, dirent ensemble : — Rouck di gouck, rouck di gouck. Le soulier est rouge de sang, Le soulier n’est pas assez grand, La vraie fiancée est encore à la maison ! Le prince aussitôt jeta les yeux sur le pied de sa compagne et vit le sang qui sortait de la pantoufle. Il tourna bride, reconduisit la fausse fiancée à son père et demanda que la seconde sœur essayât la pantoufle d’or. Celle-ci monta donc à sa chambre, et les cinq doigts du pied entrèrent sans peine dans la pantoufle ; mais le talon était trop gros. Sa mère lui tendit le couteau et dit : — Coupe le talon : lorsque tu seras reine, tu n’iras plus à pied. La jeune fille se coupa un morceau du talon, fit entrer ainsi le pied dans la pantoufle et la montra au prince, qui prit sa fiancée en croupe et s’en fut. Mais quand on passa devant la tombe, les deux pigeons qui guettaient sur le coudrier répétèrent : — Rouck di gouck, rouck di gouck, Le soulier est rouge de sang, Le soulier n’est pas assez grand, La vraie fiancée est encore à la maison ! Et le prince baissa les yeux sur le pied de sa compagne, et vit le sang qui sortait de la pantoufle et qui tachait le bas blanc. Il tourna bride derechef et reconduisit chez elle la fausse fiancée. — Ce n’est pas encore la fiancée que je veux, dit-il ; est-ce que vous n’avez pas une autre fille ? — Non, dit le père. Il ne reste que Cendrillon, la fille de ma défunte femme et elle ne saurait être la fiancée. Le prince voulut qu’on l’allât quérir, mais la belle-mère répondit : — C’est impossible : elle est beaucoup trop malpropre pour se montrer. Il exigea qu’on l’amenât et on alla prévenir Cendrillon. Elle se lava la figure et les mains, ensuite elle entra et fit la révérence au prince qui lui présenta la pantoufle d’or. Elle ôta son gros soulier, posa le pied gauche sur la pantoufle, appuya légèrement et se trouva chaussée à merveille. Elle regarda alors le fils du roi en face, il la reconnut et dit : Voici la vraie fiancée ! La belle-mère et ses filles pâlirent à la fois de peur et de colère. Mais le fils du roi prit la main de Cendrillon et l’emmena sur son cheval. Et quand le jeune couple passa devant le coudrier, les deux pigeons blancs s’écrièrent : — Rouck di gouck, rouck di gouck, Dans le soulier pas de sang, Le soulier est assez grand, C’est la vraie fiancée qu’il mène à la maison ! Après quoi ils allèrent se percher sur les épaules de Cendrillon, l’un à droite, l’autre à gauche, et restèrent ainsi tout le long de la route. Lorsque arriva le jour du mariage, les méchantes sœurs se présentèrent pour prendre part au bonheur de Cendrillon. Au moment ou le cortège entra dans l’église, comme l’aînée marchait à la droite et la cadette à la gauche de Cendrillon, les pigeons leur piquèrent un œil à chacune. La cérémonie terminée, quand on sortit, l’aînée se trouva à gauche et la cadette à droite, et les pigeons leur piquèrent l’autre œil ; et c’est ainsi qu’en restant aveugles toute la vie elles expièrent leur perfidie et leur méchanceté.Les 2 galettesIl y avait une fois deux sœurs, Luceta et Troccola, qui avaient deux filles, Martiella et Puccia. Martiella était aussi belle de figure que de cœur ; au contraire et d’après la même règle, Puccia avait une figure à glands et un cœur méchant comme la peste. D’ailleurs, la mariée ressemblait à ses parents, et c’est pourquoi la mère Troccola était une harpie au dedans et au dehors. Or, il arriva que Luceta eut a faire cuire quatre carottes pour les préparer à la sauce verte ; elle dit à sa fille : — Ma Martiella, va à la fontaine et rapporte-moi une cruche d’eau. — Volontiers, maman, répondit la fille, mais, si tu le veux bien, donne-moi une galette, que je la mange avec cette eau fraîche. — Je le veux bien, dit la mère et, dans le panier qui était pendu au crochet, elle prit une belle galette qu’elle avait faite la veille en cuisant le pain et la donna à Martiella. Celle-ci mit un coussinet sur sa tête, y posa sa cruche et s’en fut a la fontaine, qui, pareille à un charlatan sur un banc de marbre, à la [size=16]musique d’une cascatelle, vendait des secrets pour étancher la soif. Tandis que la jeune fille remplisait la cruche, arriva une vieille qui, sur la scène de son dos voûté, représentait la tragédie du temps. En voyant cette belle galette ou Martiella s’apprêtait à donner un coup de dent, elle dit : — Ma chère fille, pour que le ciel te bénisse, donne-moi un peu de ta galette. — La voici tout entière, répondit Martiella avec un geste de reine. Mange-la, ma digne femme. Je n’ai qu’un regret, c’est qu’elle ne soit pas pétrie de sucre et d’amandes, car je te la donnerais également de tout cœur. Touchée de tant de bonne grâce, la vieille repartit : — Que le ciel te récompense de ta générosité ! Je prie les étoiles que tu sois toujours heureuse et contente. Quand tu ouvriras la bouche, qu’il en sorte des roses et des jasmins ; quand tu te peigneras, qu’il tombe de ta tête des perles et des grenats, et quand tu poseras le pied sur la terre, qu’il y naisse des lis et des violettes. La jeune fille la remercia et retourna au logis. Sa mère alors ayant préparé le dîner, elle donna satisfaction aux besoins du corps. La journée passa ; le matin suivant, comme le soleil étalait au marché des champs célestes les provisions de lumière qu’il apporte de l’Orient, Martiella voulut se peigner et vit tomber de sa tête une pluie de perles et de grenats. Toute joyeuse, elle appela sa mère et les mit dans une corbeille. Luceta alla en vendre une grande partie chez un banquier de ses amis. Il arriva que Troccola vint voir sa sœur. Trouvant Martiella tout occupée et affairée parmi ses perles, elle demanda comment, quand et où elle les avait eues. La jeune fille ne savait pas troubler l’eau, et peut-être ignorait-elle le proverbe : « Ne fais pas tout ce que tu peux, ne mange pas autant que tu veux, ne dépense pas tout ce que tu as, ne dis pas tout ce que tu sais. » Elle conta l’affaire de point en point à sa tante. Celle-ci ne s’amusa pas à attendre sa sœur et elle retourna en grande hâte à sa maison. Elle donna une galette à sa fille et l’envoya chercher de l’eau à la fontaine, Puccia y trouva la même vieille, qui lui demanda un peu de galette. Comme elle était révèche de sa nature, elle lui répondit : — Crois-tu que je n’aie rien de mieux à faire que de te donner de la galette ? As-tu bâté mon âne pour que je te donne mon bien ? Va, les dents nous sont plus proches que les parents. À ces mots, elle fit quatre bouchées de la galette, en se moquant de la vieille. Quand celle-ci vit avaler le dernier morceau et tout son espoir disparaître, elle entra en fureur et dit : — Va, quand tu ouvriras la bouche, puisses-tu écumer comme une mule de médecin ; quand tu te peigneras, qu’il te tombe de la tête un tas de poux ; quand tu poseras le pied sur la terre, puisses-tu faire naître ronces et orties ! Puccia puisa de l’eau et s’en retourna au logis. Sa mère eut hâte de la peigner ; elle étala sur ses genoux une belle serviette où elle mit la tête de sa fille et elle commença à jouer du peigne. Or, voici qu’il chut une averse de ces animaux alchimistes qui arrêtent le vif-argent. À cette vue, la mère à la glace de l’envie ajouta le feu de la colère, et elle jeta des flammes et de la fumée par le nez et par la bouche. Quelque temps après, Ciommo, le frère de Martiella, se trouvait à la cour du roi de Chiunzo. Comme on discourait de la beauté des femmes, il s’avança sans qu’on lui demandât son avis, et dit que toutes les belles iraient porter leurs os au cimetière dès que paraîtrait sa sœur ; que celle-ci n’était pas douée seulement des charmes du corps qui font le contre-point sur le plain-chant d’une belle âme, mais que de plus elle possédait, dans les cheveux, la bouche et les pieds, une vertu qui lui avait été donnée par une fée. En entendant de pareils éloges, le roi dit à Ciommo de faire tenir sa sœur. S’il la trouvait digne d’être mise sur un piédestal, il la prendrait pour femme. Ciommo n’eut garde de perdre une si bonne occasion. Il envoya tout de suite un courrier conter la chose à sa mère et l’engager à partir sur-le-champ avec sa fille pour qu’elle ne manquât pas sa fortune. Luceta, qui était malade, confia la brebis au loup et pour tel et tel motif pria sa sœur de lui faire le plaisir d’accompagner Martiella jusqu’à la cour de Chiunzo. Voyant que l’affaire tombait à point en son pouvoir, Troccola promit à sa sœur de remettre sa nièce saine et sauve aux mains de Ciommo. Elle s’embarqua donc avec Martiella. Quand on fut au milieu de la mer, pendant que les matelots dormaient, elle précipita sa nièce dans les flots. Comme l’infortunée allait faire le plongeon, il survint une fort belle sirène qui la prit dans ses bras et l’emporta. Lorsque Troccola arriva à Chiunzo, Ciommo reçut sa cousine comme si elle eût été Martiella. Il n’avait pas vu sa sœur depuis si longtemps qu’il avait oublié ses traits. Il la conduisit tout de suite devant le roi. Celui-ci la fit peigner et il commença de tomber une pluie de ces animaux si ennemis de la vérité que toujours ils offensent les témoins. Alors il la regarda et vit que la fatigue du chemin la faisait haleter si fort, que sa bouche paraissait savonneuse et ressemblait à une cuvé de lessive. Il baissa les yeux à terre et fut surpris d’apercevoir un pré d’herbes fétides, dont l’aspect seul lui donnait mal au cœur. Furieux, il chassa Puccia, ainsi que sa mère, et envoya Ciommo garder les oies de la basse-cour. Désolé de cette affaire, ne sachant pas ce qui était arrivé, Ciommo menait les oies par la campagne. Il les laissait aller à leur guise tout le long du rivage de la mer et se retirait sous un chaume ou, jusqu’au soir, au moment de rentrer, il déplorait son malheur. Mais, tandis que les oies se promenaient ainsi sur le rivage, Martiella sortait de l’onde : elle les gavait de fine pâtisserie et les abreuvait d’eau de rose ; les oies étaient devenues grosses comme des moutons, au point qu’on ne leur voyait plus les yeux. Lorsque le soir elles arrivaient au jardinet qui fleurissait sous, la fenêtre du roi, elles se mettaient à chanter : Pire, pire, pire. Fort beau est le soleil ainsi que la lune, Plus belle encore est celle qui nous nourrit. Le roi, qui entendait tous les soirs cette musique d’oisons, fit appeler Ciommo et voulut savoir où, comment et de quoi il nourrissait ses bêtes. — Je ne leur donne rien d’autre, répondit-il, que l’herbe fraîche des champs. Mais le roi ne se contenta pas de cette réponse, et il envoya sous main un serviteur fidèle pour observer où Ciommo conduisait son troupeau. Celui-ci suivit sa trace : il le vit entrer dans la chaumine et laisser les oies toutes seules. Elles s’en allèrent vers le rivage et, à leur arrivée, Martiella sortit de la mer, si belle que plus belle ne sortit pas des flots la mère de cet aveugle qui, comme dit le poëte, ne veut point recevoir d’autre aumône que celle de nos pleurs. À cette vue le serviteur du roi, tout ébahi et hors de lui-même, courut rendre compte à son maître du beau spectacle qu’il avait eu au théâtre de la mer. La curiosité du roi bondit au récit de cet homme. Elle lui donna envie d’aller en personne contempler ce tableau. Le matin, à l’heure où le coq, chef du peuple des oiseaux, les excite tous à armer les vivants contre la nuit, Ciommo se rendit avec les oies au lieu accoutumé ; le roi le suivit, sans le perdre de vue, et la bande arriva au bord de la mer, pendant que son gardien s’enfermait dans sa retraite habituelle. Le monarque vit alors paraître Martiella, qui donna à manger aux oies une corbeille de gâteaux, leur fit boire un petit chaudron d’eau de rose et s’assit sur une pierre pour peigner ses cheveux. De sa chevelure tombèrent à poignées les perles et les grenats ; en même temps, de sa bouche sortait un nuage de fleurs, et, sous ses pieds, les lys et les violettes formaient un tapis d’Orient. Le prince fit appeler Ciommo et, lui montrant Martiella, il lui demanda s’il connaissait cette belle jeune fille. Ciommo la reconnut, courut l’embrasser et, en présence du roi, lui fit conter toute la perfidie de Troccola, et comment l’envie de cette vilaine peste avait réduit ce beau feu d’amour à habiter l’eau de la mer. On ne saurait dire le ravissement qu’eut le monarque d’avoir acquis ce magnifique joyau. Il avoua au frère de Martiella qu’il avait eu grandement raison de tant la louer et qu’il trouvait la réalité de deux tiers et plus supérieure à son récit. C’est pourquoi il estimait la jeune fille plus que digne d’être sa femme, si toutefois elle daignait se contenter du sceptre de son royaume. — Que le Soleil de juillet le veuille, répondit Martiella, et que j’arrive seulement à te servir en qualité de vassale de ta couronne ! Mais ne vois-tu pas cette chaîne d’or que je traîne au pied ? C’est avec elle que la magicienne me tient prisonnière. Quand je prends l’air trop longtemps et que je m’attarde sur ce rivage, elle tire dans la mer l’esclave qu’elle garde ainsi richement enchaînée. — Quel serait, demanda le roi, le moyen de t’arracher des griffes de cette sirène ? — Ce serait, répondit Martiella, de scier celle chaîne avec une lime sourde et de m’enfuir. — Attends-moi demain matin, répliqua le monarque, je viendrai avec l’instrument nécessaire, et je te conduirai à mon palais où tu seras mon œil droit, le bijou de mon cœur et l’âme de mon âme[9]. Ils se donnèrent en s’embrassant un gage de leur amour. Alors elle se jeta dans l’eau et lui dans le feu, un feu tel qu’il n’eut pas une heure de repos en toute la journée. Quand la noire séquelle de la Nuit commença de faire le sabbat avec les étoiles, il ne ferma pas les yeux, mais il passa le temps à se rappeler avec l’image de la mémoire les beautés de Martiella. Il promenait sa pensée des merveilles de sa chevelure aux miracles de sa bouche et aux prodiges de ses pieds. Il essaya l’or de ses grâces sur la pierre de touche de son jugement et le trouva de vingt-quatre carats. Il maudissait néanmoins la Nuit qui tardait tant à achever la broderie qu’elle fait avec les étoiles ; il s’en prenait au Soleil qui ne se hâtait pas de venir, avec son carrosse de lumière, enrichir le palais des biens tant désirés, et apporter dans les appartements cette mine d’or qui devait fournir tant de perles et de fleurs. Mais tandis qu’il voyage ainsi sur mer, en pensant à celle qui est au fond de la mer, voici qu’arrivent les pionniers du Soleil pour frayer la route ou doit passer l’armée de ses rayons. Le roi s’habilla et s’en fut, accompagné de Ciommo, au rivage où il trouva Martiella. Avec la lime qu’il avait apportée, il scia de sa propre main la chaîne qui retenait le pied de sa bien-aimée ; mais il s’en fabriqua une autre plus forte autour de la poitrine. Il prit en croupe celle qui lui chevauchait le cœur et galopa vers le palais royal où, par son ordre, se trouvaient toutes les belles du pays, qui la reçurent et l’honorèrent comme leur maîtresse. Il l’épousa et on fit une fête superbe. Comme on brûla quantité de tonneaux pour l’illumination, il voulut qu’on enfermât Troccola dans un baril, et c’est ainsi qu’elle expia sa trahison envers Martiella. Il fit ensuite venir Luceta et lui donna, de même qu’à Ciommo, de quoi vivre en grands seigneurs. Puccia, chassée du royaume, fut réduite à la mendicité et, pour n’avoir pas su semer un peu de galette, elle manqua toujours de pain, car c’est la volonté du ciel que :[/size] Qui n’a point pitié, pitié ne trouve. Les 3 nains de la forêtIl y avait une fois un homme et une femme qui avaient perdu, l’un sa femme, l’autre son mari. Chacun d’eux avait une fille ; les demoiselles se connaissaient, elles se promenaient ensemble et allaient chez la veuve. Celle-ci dit un jour à la fille de l’homme : — Écoute, dis à ton père que j’ai envie de l’épouser et qu’alors, tous les matins, tu te laveras avec du lait et boiras du vin, au lieu que ma fille se lavera avec de l’eau et boira de l’eau. La fille s’en fut chezelle et rapporta à son père ce que lui avait dit la femme. — Que faire ? s’écria l’homme ; le mariage est un plaisir et aussi une peine ! Ne sachant que résoudre, il se débotta et dit à sa fille : — Tu vois cette botte, elle a un trou à la semelle. Monte au grenier, pends-la au crochet et remplis-la d’eau. Si elle garde l’eau, je me marierai ; si l’eau s’en va, je reste veuf. La fille obéit à son père, mais l’eau resserra la botte et elle resta pleine jusqu’au bord. À cette nouvelle, le père s’assura par lui-même de la vérité ; puis, il s’en fut chez la veuve, il l’épousa et on célébra la noce. Le lendemain, au réveil, devant la fille du mari, il y avait du lait pour se laver et du vin pour boire ; devant celle de la femme, de l’eau pour boire et se laver. Le surlendemain, il y eut de l’eau devant la fille du mari aussi bien que devant celle de la femme. Le troisième jour, devant la fille de la femme, il y eut du vin pour boire et du lait pour se laver, et de l’eau devant celle du mari ; et dès lors il en fut toujours de même. La femme conçut pour sa belle-fille une violente haine, et elle chercha par tous les moyens à la rendre malheureuse. Elle était jalouse de la voir si belle et si gracieuse, tandis que sa propre fille était si laide et si désagréable. Un jour d’hiver que le froid avait durci la terre et que la neige cachait monts et vallées, la femme fabriqua une robe de papier et fit venir la jeune fille. — Mets cette robe, lui dit-elle, et va au bois me quérir une corbeille de fraises : j’ai envie d’en manger. — Dieu puissant ! répondit la jeune fille. Il n’y a point de fraises l’hiver, la terre est gelée et tout est couvert de neige. Comment pourrai-je sortir avec cette robe de papier ? Il fait si grand froid que la bise va la traverser et que les épines me l’arracheront du corps ! — Est-ce que tu ne veux pas m’obéir ? répliqua la mégère. Va-t’en tout de suite et ne reviens qu’avec ton panier plein de fraises. Elle lui donna alors une miche de pain sec et ajouta : — Tu pourras la manger tantôt. Et cependant elle se disait : Elle mourra dehors de froid et de faim, et je serai débarrassée d’elle à tout jamais. La jeune fille se résigna. Elle revêtit la robe de papier et s’en fut, son petit panier au bras. Il y avait partout de la neige et pas un brin d’herbe. Quand la malheureuse entra dans la forêt, elle aperçut une maisonnette où trois nains la regardaient venir. Après leur avoir dit bonjour, elle heurta à la porte. On l’invita à entrer et elle alla s’asseoir près du poêle, sur un banc, pour se réchauffer et manger son pain. — Donne-nous-en un peu, lui dirent les nains. — Je le veux bien, répondit-elle. Elle fit deux parts de son pain et leur en donna une. Ils lui demandèrent : — Que cherches-tu par un froid pareil ici, dans le bois, avec ta robe de papier ? — Hélas ! dit-elle, il faut que je cueille une corbeille de fraises, et je ne puis sans cela rentrer au logis. Quand elle eut fini de déjeuner, ils lui mirent un balai en main et lui dirent : — Balaye la neige derrière la porte. Et quand elle fut dehors, les petits nains se dirent entre eux : — Que ferons-nous bien pour elle qui est si aimable et si bonne, et qui nous a donné une part de son pain ? Alors le premier dit : — Je lui donne pour don de devenir tous les jours plus belle. Le second dit : — Je lui donne pour don qu’à chaque parole qu’elle dira, il lui sorte une pièce d’or de la bouche. Le troisième dit : — Je lui donne pour don d’être recherchée en mariage par un roi. La jeune fille balaya la neige derrière la porte de la petite maison et y trouva de superbes fraises bien rouges et bien mûres. Toute joyeuse, elle en cueillit un plein panier, remercia les nains, leur dit adieu et courut porter les fraises à sa belle-mère. Elle entra et dit : « Bonsoir ! » Soudain une pièce d’or lui tomba de la bouche. Alors elle raconta ce qui lui était advenu dans la forêt ; à chaque mot qu’elle prononçait, des pièces d’or lui tombaient de la bouche, et bientôt le plancher de la chambre en fut tout couvert. — Voyez donc, dit la belle-sœur, cette insouciante qui jette ainsi l’argent à terre. Au fond elle lui portait envie et ne cessait de supplier sa mère qu’elle l’envoyât à son tour dans la forêt. Celle-ci refusait en disant : — Non, chère petite, il fait trop froid ; tu attraperais un rhume, Pourtant, comme sa fille revenait toujours à la charge, elle finit par consentir. Elle lui fit faire une robe fourrée et lui donna des tartines et du gâteau. La fille s’en fut au bois et marcha droit à la maisonnette. Les nains la regardèrent venir comme sa sœur. Elle entra dans la chambre sans les saluer, s’assit près du poêle et commença de manger ses tartines et son gâteau. — Donne-nous-en un peu, dirent les petits hommes. Elle répondit : — C’est à peine si j’en ai assez pour moi ; comment pourrais-je en donner aux autres ? Lorsqu’elle eut fini de déjeuner, ils lui dirent : — Prends ce balai et balaye derrière la porte. — Ah ! dit-elle, balayez vous-mêmes ; je ne suis pas votre servante. Comme elle vit qu’ils ne se disposaient point à lui faire un cadeau, elle sortit. Alors les nains tinrent conseil. — Que lui donnerons-nous, dirent-ils, pour sa méchanceté et le mauvais cœur qu’elle nous a montré ? Le premier dit : — Je lui donne pour don de devenir tous les jours plus laide. Le second dit : — Je lui donne pour don qu’à chaque parole qu’elle dira il lui sorte un crapaud de la bouche. Le troisième dit : — Je lui donne pour don qu’elle périra d’une mort horrible. La méchante fille chercha des fraises ; mais elle n’en trouva point et s’en retourna furieuse au logis. Quand elle ouvrit la bouche pour raconter sa mésaventure, à chaque parole, il en sortit un crapaud, de sorte qu’elle devint pour tout le monde un objet de dégoût. Dès lors, la marâtre s’aigrit encore davantage et ne pensa plus qu’à tourmenter la fille de son mari, qui embellissait tous les jours. Elle finit par prendre un chaudron, le mit sur le feu et y fit bouillir du lin. Lorsque ce lin fut cuit, elle commanda à la malheureuse enfant de le rouir et de le macquer, et lui donna une hache pour fendre la glace de la rivière. La pauvre fille partit. Elle fit un trou dans la glace et commença à travailler. Elle vit venir alors un superbe carrosse où était le roi. Le carrosse s’arrêta. — Qui es-tu, mon enfant, et que fais-tu là ? — Je suis une pauvre fille et je rouis du lin. Le roi fut touché en la voyant si belle. — Veux-tu, dit-il, venir avec moi ? — Oui, très-volontiers, répondit-elle, car elle ne demandait qu’à s’enfuir loin de sa mère et de sa sœur. Elle monta donc tout de suite dans le carrosse royal, et, quand on fut arrivé au château, ainsi que les petits hommes l’avaient promis, on célébra les noces en grande pompe. Au bout d’un an la reine accoucha d’un garçon. Sa belle-mère apprit son bonheur et vint avec sa fille sous prétexte de lui faire une visite. Lorsque le roi fut sorti et qu’elles se virent sans témoins, la mégère et sa fille prirent la reine, celle-ci par la tête, celle-là par les pieds, et la jetèrent dans la rivière. La mère ensuite mit sa fille dans le lit et lui couvrit le visage. À son retour le roi voulut causer avec sa femme, mais la vieille lui cria : — Chut ! Ce n’est pas le moment : elle a la fièvre ; il faut la laisser en paix. Le roi n’eut aucun soupçon et ne revint que le lendemain matin. Quand il s’adressa à sa femme et qu’elle ne put se dispenser de répondre, il vit qu’à chaque parole un crapaud lui sortait de la bouche, comme autrefois il en sortait une pièce d’or. Il demanda ce que cela voulait dire ; la vieille lui répondit que cela provenait de l’indisposition de la reine et ne devait pas durer. Or, la nuit, le garçon de cuisine vit paraître un canard qui lui dit ces paroles : — Roi, que fais-tu ! Dors-tu ou veilles-tu ? Comme on ne lui répondait pas, le canard continua : Que font mes hôtes ! Le garçon répondit : Ils dorment bien. Le canard reprit : Que fait mon petit enfant ? Le garçon répondit : Il dort dans son petit berceau. Le canard prit alors la forme de la reine, alla jusqu’au berceau de l’enfant, lui donna à boire, arrangea sa couchette, le couvrit soigneusement et reprit pour s’en retourner sa figure de canard. La reine revint les deux nuits suivantes ; la troisième, elle dit au garçon de cuisine : — Va et dis au roi qu’il saisisse son épée et que par trois fois il la fasse tourner sur le seuil, au-dessus de ma tête. Le garçon courut prévenir le monarque. Celui-ci prit son épée et il la fit tourner trois fois au-dessus du fantôme. À la troisième, il vit devant lui sa femme fraîche, vivante et belle comme autrefois. Le roi enchanté cacha la reine jusqu’au jour où l’on baptisa son fils. Le baptême terminé, il demanda à la vieille : — Que doit-on faire à une femme qui en arrache une autre de son lit et qui la jette à l’eau ? — Voici, dit la vieille, le supplice que mérite la scélérate : il faut l’enfermer, dans un tonneau garni de clous à l’intérieur, et la laisser rouler du haut d’une montagne jusqu’à la rivière. Le roi envoya quérir un tonneau ainsi préparé et y fit enfermer la vieille et sa fille ; après quoi on replaça le couvercle et on laissa le tonneau rouler du haut de la montagne jusqu’à la rivière. | |
| | | marileine moderateur
Messages : 27475 Date d'inscription : 08/03/2012 Localisation : belgique
| Sujet: Re: Aschenputtel (autre version de cendrillon)+Les 3 nains de la forêt Jeu 10 Mar - 15:23 | |
| La reine des neigesVoilà ! Nous commençons. Lorsque nous serons à la fin de l'histoire, nous en saurons plus que maintenant, car c'était un bien méchant sorcier, un des plus mauvais, le «diable» en personne. Un jour il était de fort bonne humeur : il avait fabriqué un miroir dont la particularité était que le Bien et le Beau en se réfléchissant en lui se réduisaient à presque rien, mais que tout ce qui ne valait rien, tout ce qui était mauvais, apparaissait nettement et empirait encore. Les plus beaux paysages y devenaient des épinards cuits et les plus jolies personnes y semblaient laides à faire peur, ou bien elles se tenaient sur la tête et n'avaient pas de ventre, les visages étaient si déformés qu'ils n'étaient pas reconnaissables, et si l'on avait une tache de rousseur, c'est toute la figure (le nez, la bouche) qui était criblée de son. Le diable trouvait ça très amusant. Lorsqu'une [size=16]pensée bonne et pieuse passait dans le cerveau d'un homme, la glace ricanait et le sorcier riait de sa prodigieuse invention. Tous ceux qui allaient à l'école des sorciers - car il avait créé une école de sorciers - racontaient à la ronde que c'est un miracle qu'il avait accompli là. Pour la première fois, disaient-ils, on voyait comment la terre et les êtres humains sont réellement. Ils couraient de tous côtés avec leur miroir et bientôt il n'y eut pas un pays, pas une personne qui n'eussent été déformés là-dedans. Alors, ces apprentis sorciers voulurent voler vers le ciel lui-même, pour se moquer aussi des anges et de Notre-Seigneur. Plus ils volaient haut avec le miroir, plus ils ricanaient. C'est à peine s'ils pouvaient le tenir et ils volaient de plus en plus haut, de plus en plus près de Dieu et des anges, alors le miroir se mit à trembler si fort dans leurs mains qu'il leur échappa et tomba dans une chute vertigineuse sur la terre où il se brisa en mille morceaux, que dis-je, en des millions, des milliards de morceaux, et alors, ce miroir devint encore plus dangereux qu'auparavant. Certains morceaux n'étant pas plus grands qu'un grain de sable voltigeaient à travers le monde et si par malheur quelqu'un les recevait dans l'œil, le pauvre accidenté voyait les choses tout de travers ou bien ne voyait que ce qu'il y avait de mauvais en chaque chose, le plus petit morceau du miroir ayant conservé le même pouvoir que le miroir tout entier. Quelques personnes eurent même la malchance qu'un petit éclat leur sautât dans le cœur et, alors, c'était affreux : leur cœur devenait un bloc de glace. D'autres morceaux étaient, au contraire, si grands qu'on les employait pour faire des vitres, et il n'était pas bon dans ce cas de regarder ses amis à travers elles. D'autres petits bouts servirent à faire des lunettes, alors tout allait encore plus mal. Si quelqu'un les mettait pour bien voir et juger d'une chose en toute équité, le Malin riait à s'en faire éclater le ventre, ce qui le chatouillait agréablement. Mais ce n'était pas fini comme ça. Dans l'air volaient encore quelques parcelles du miroir ! Ecoutez plutôt.[/size] DEUXIEME [size=16]HISTOIRE UN PETIT GARÇON ET UNE PETITE FILLE[/size] Dans une grande ville où il y a tant de maisons et tant de monde qu'il ne reste pas assez de place pour que chaque famille puisse avoir son petit jardin, deux enfants pauvres avaient un petit jardin. Ils n'étaient pas frère et sœur, mais s'aimaient autant que s'ils l'avaient été. Leurs parents habitaient juste en face les uns des autres, là où le toit d'une maison touchait presque le toit de l'autre, séparés seulement par les gouttières. Une petite fenêtre s'ouvrait dans chaque maison, il suffisait d'enjamber les gouttières pour passer d'un logement à l'autre. Les familles avaient chacune devant sa fenêtre une grande caisse où poussaient des herbes potagères dont elles se servaient dans la cuisine, et dans chaque caisse poussait aussi un rosier qui se développait admirablement. Un jour, les parents eurent l'idée de placer les caisses en travers des gouttières de sorte qu'elles se rejoignaient presque d'une fenêtre à l'autre et formaient un jardin miniature. Les tiges de pois pendaient autour des caisses et les branches des rosiers grimpaient autour des fenêtres, se penchaient les unes vers les autres, un vrai petit arc de triomphe de verdure et de fleurs. Comme les caisses étaient placées très haut, les enfants savaient qu'ils n'avaient pas le droit d'y grimper seuls, mais on leur permettait souvent d'aller l'un vers l'autre, de s'asseoir chacun sur leur petit tabouret sous les roses, et ils ne jouaient nulle part mieux que là. L'hiver, ce plaisir-là était fini. Les vitres étaient couvertes de givre, mais alors chaque enfant faisait chauffer sur le poêle une pièce de cuivre et la plaçait un instant sur la vitre gelée. Il se formait un petit trou tout rond à travers lequel épiait à chaque fenêtre un petit œil très doux, celui du petit garçon d'un côté, celui de la petite fille de l'autre. Lui s'appelait Kay et elle Gerda. L'été, ils pouvaient d'un bond venir l'un chez l'autre ; l'hiver il fallait d'abord descendre les nombreux étages d'un côté et les remonter ensuite de l'autre. Dehors, la neige tourbillonnait. - Ce sont les abeilles blanches qui papillonnent, disait la grand-mère. - Est-ce qu'elles ont aussi une reine ? demanda le petit garçon. - Mais bien sûr, dit grand-mère. Elle vole là où les abeilles sont les plus serrées, c'est la plus grande de toutes et elle ne reste jamais sur la terre, elle remonte dans les nuages noirs. - Nous avons vu ça bien souvent, dirent les enfants. Et ainsi ils surent que c'était vrai. - Est-ce que la Reine des Neiges peut entrer ici ? demanda la petite fille. - Elle n'a qu'à venir, dit le petit garçon, je la mettrai sur le poêle brûlant et elle fondra aussitôt. Le soir, le petit Kay, à moitié déshabillé, grimpa sur une chaise près de la fenêtre et regarda par le trou d'observation. Quelques flocons de neige tombaient au-dehors et l'un de ceux-ci, le plus grand, atterrit sur le rebord d'une des caisses de fleurs. Ce flocon grandit peu à peu et finit par devenir une dame vêtue du plus fin voile blanc fait de millions de flocons en forme d'étoiles. Elle était belle, si belle, faite de glace aveuglante et scintillante et cependant vivante. Ses yeux étincelaient comme deux étoiles, mais il n'y avait en eux ni calme ni repos. Elle fit vers la fenêtre un signe de la tête et de la main. Le petit garçon, tout effrayé, sauta à bas de la chaise, il lui sembla alors qu'un grand oiseau, au- dehors, passait en plein vol devant la fenêtre. Le lendemain fut un jour de froid clair, puis vint le dégel et le printemps. Cet été-là les roses fleurirent magnifiquement, Gerda avait appris un psaume où l'on parlait des roses, cela lui faisait penser à ses propres roses et elle chanta cet air au petit garçon qui lui-même chanta avec elle : Les roses poussent dans les vallées où l'enfant Jésus vient nous parler. Les deux enfants se tenaient par la main, ils baisaient les roses, admiraient les clairs rayons du soleil de [size=16]Dieu et leur parlaient comme si Jésus était là. Quels beaux jours d'été où il était si agréable d'être dehors sous les frais rosiers qui semblaient ne vouloir jamais cesser de donner des fleurs ! Kay et Gerda étaient assis à regarder le livre d'images plein de bêtes et d'oiseaux - l'horloge sonnait cinq heures à la tour de l'église - quand brusquement Kay s'écria : - Aïe, quelque chose m'a piqué au cœur et une poussière m'est entrée dans l'œil. La petite le prit par le cou, il cligna des yeux, non, on ne voyait rien. - Je crois que c'est parti, dit-il. Mais ce ne l'était pas du tout ! C'était un de ces éclats du miroir ensorcelé dont nous nous souvenons, cet affreux miroir qui faisait que tout ce qui était grand et beau, réfléchi en lui, devenait petit et laid, tandis que le mal et le vil, le défaut de la moindre chose prenait une importance et une netteté accrues. Le pauvre Kay avait aussi reçu un éclat juste dans le cœur qui serait bientôt froid comme un bloc de glace. Il ne sentait aucune douleur, mais le mal était fait. - Pourquoi pleures-tu ? cria-t-il, tu es laide quand tu pleures, est-ce que je me plains de quelque chose ? Oh! cette rose est dévorée par un ver et regarde celle-là qui pousse tout de travers, au fond ces roses sont très laides. Il donnait des coups de pied dans la caisse et arrachait les roses. - Kay, qu'est-ce que tu fais ? cria la petite. Et lorsqu'il vit son effroi, il arracha encore une rose et rentra vite par sa fenêtre, laissant là la charmante petite Gerda. Quand par la suite elle apportait le livre d'images, il déclarait qu'il était tout juste bon pour les bébés et si grand-mère gentiment racontait des histoires, il avait toujours à redire, parfois il marchait derrière elle, mettait des lunettes et imitait, à la perfection du reste, sa manière de parler ; les gens en riaient. Bientôt il commença à parler et à marcher comme tous les gens de sa rue pour se moquer d'eux. On se mit à dire : « Il est intelligent ce garçon-là ! » Mais c'était la poussière du miroir qu'il avait reçue dans l'œil, l'éclat qui s'était fiché dans son cœur qui étaient la cause de sa transformation et de ce qu'il taquinait la petite Gerda, laquelle l'aimait de toute son âme. Ses jeux changèrent complètement, ils devinrent beaucoup plus réfléchis. Un jour d'hiver, comme la neige tourbillonnait au-dehors, il apporta une grande loupe, étala sa veste bleue et laissa la neige tomber dessus. - Regarde dans la loupe, Gerda, dit-il. Chaque flocon devenait immense et ressemblait à une fleur splendide ou à une étoile à dix côtés. - Comme c'est curieux, bien plus intéressant qu'une véritable fleur, ici il n'y a aucun défaut, ce seraient des fleurs parfaites - si elles ne fondaient pas. Peu après Kay arriva portant de gros gants, il avait son traîneau sur le dos, il cria aux oreilles de Gerda : - J'ai la permission de faire du traîneau sur la grande place où les autres jouent ! Et le voilà parti. Sur la place, les garçons les plus hardis attachaient souvent leur traîneau à la voiture d'un paysan et se faisaient ainsi traîner un bon bout de chemin. C'était très amusant. Au milieu du jeu ce jour-là arriva un grand traîneau peint en blanc dans lequel était assise une personne enveloppée d'un manteau de fourrure blanc avec un bonnet blanc également. Ce traîneau fit deux fois le tour de la place et Kay put y accrocher rapidement son petit traîneau. Dans la rue suivante, ils allaient de plus en plus vite. La personne qui conduisait tournait la tète, faisait un signe amical à Kay comme si elle le connaissait. Chaque fois que Kay voulait détacher son petit traîneau, cette personne faisait un signe et Kay ne bougeait plus ; ils furent bientôt aux portes de la ville, les dépassèrent même. Alors la neige se mit à tomber si fort que le petit garçon ne voyait plus rien devant lui, dans cette course folle, il saisit la corde qui l'attachait au grand traîneau pour se dégager, mais rien n'y fit. Son petit traîneau était solidement fixé et menait un train d'enfer derrière le grand. Alors il se mit à crier très fort mais personne ne l'entendit, la neige le cinglait, le traîneau volait, parfois il faisait un bond comme s'il sautait par-dessus des fossés et des mottes de terre. Kay était épouvanté, il voulait dire sa prière et seule sa table de multiplication lui venait à l'esprit. Les flocons de neige devenaient de plus en plus grands, à la fin on eût dit de véritables maisons blanches ; le grand traîneau fit un écart puis s'arrêta et la personne qui le conduisait se leva, son manteau et son bonnet n'étaient faits que de neige et elle était une dame si grande et si mince, étincelante : la Reine des Neiges. - Nous en avons fait du chemin, dit-elle, mais tu es glacé, viens dans ma peau d'ours. Elle le prit près d'elle dans le grand traîneau, l'enveloppa du manteau. Il semblait à l'enfant tomber dans des gouffres de neige. - As-tu encore froid ? demanda-t-elle en l'embrassant sur le front. Son baiser était plus glacé que la glace et lui pénétra jusqu'au cœur déjà à demi glacé. Il crut mourir, un instant seulement, après il se sentit bien, il ne remarquait plus le froid. «Mon traîneau, n'oublie pas mon traîneau.» C'est la dernière chose dont se souvint le petit garçon. Le traîneau fut attaché à une poule blanche qui vola derrière eux en le portant sur son dos. La Reine des Neiges posa encore une fois un baiser sur le front de Kay, alors il sombra dans l'oubli total, il avait oublié Gerda, la grand-mère et tout le monde à la maison. - Tu n'auras pas d'autre baiser, dit-elle, car tu en mourrais. Kay la regarda. Qu'elle était belle, il ne pouvait s'imaginer visage plus intelligent, plus charmant, elle ne lui semblait plus du tout de glace comme le jour où il l'avait aperçue de la fenêtre et où elle lui avait fait des signes d'amitié ! A ses yeux elle était aujourd'hui la perfection, il n'avait plus du tout peur, il lui raconta qu'il savait calculer de tête, même avec des chiffres décimaux, qu'il connaissait la superficie du pays et le nombre de ses habitants. Elle lui souriait ... Alors il sembla à l'enfant qu'il ne savait au fond que peu de chose et ses yeux s'élevèrent vers l'immensité de l'espace. La reine l'entraînait de plus en plus haut. Ils volèrent par-dessus les forêts et les océans, les jardins et les pays. Au-dessous d'eux le vent glacé sifflait, les loups hurlaient, la neige étincelait, les corbeaux croassaient, mais tout en haut brillait la lune, si grande et si claire. Au matin, il dormait aux pieds de la Reine des Neiges.[/size] TROISIEME [size=16]HISTOIRE LE JARDIN DE LA MAGICIENNE[/size] Mais que disait la petite Gerda, maintenant que Kay n'était plus là ? Où était-il ? Personne ne le savait, personne ne pouvait expliquer sa disparition. Les garçons savaient seulement qu'ils l'avaient vu attacher son petit traîneau à un autre, très grand, qui avait tourné dans la rue et était sorti de la ville. Nul ne savait où il était, on versa des larmes, la petite Gerda pleura beaucoup et longtemps, ensuite on dit qu'il était mort, qu'il était tombé dans la rivière coulant près de la ville. Les jours de cet hiver-là furent longs et sombres. Enfin vint le printemps et le soleil. - Kay est mort et disparu, disait la petite Gerda. - Nous ne le croyons pas, répondaient les rayons du soleil. - Il est mort et disparu, dit-elle aux hirondelles. - Nous ne le croyons pas, répondaient-elles. A la fin la petite Gerda ne le croyait pas non plus. - Je vais mettre mes nouveaux souliers rouges, dit-elle un matin, ceux que Kay n'a jamais vus et je vais aller jusqu'à la rivière l'interroger. Il était de bonne heure, elle embrassa sa grand-mère qui dormait, mit ses souliers rouges et toute seule sortit par la porte de la ville, vers le fleuve. - Est-il vrai que tu m'as pris mon petit camarade de jeu ? Je te ferai cadeau de mes souliers rouges si tu me le rends. Il lui sembla que les vagues lui faisaient signe, alors elle enleva ses souliers rouges, ceux auxquels elle tenait le plus, et les jeta tous les deux dans l'eau, mais ils tombèrent tout près du bord et les vagues les repoussèrent tout de suite vers elle, comme si la rivière ne voulait pas les accepter, puisqu'elle n'avait pas pris le petit Kay. Gerda crut qu'elle n'avait pas lancé les souliers assez loin, alors elle grimpa dans un bateau qui était là entre les roseaux, elle alla jusqu'au bout du bateau et jeta de nouveau ses souliers dans l'eau. Par malheur le bateau n'était pas attaché et dans le mouvement qu'elle fit il s'éloigna de la rive, elle s'en aperçut aussitôt et voulut retourner à terre, mais avant qu'elle n'y eût réussi, il était déjà loin sur l'eau et il s'éloignait de plus en plus vite. Alors la petite Gerda fut prise d'une grande frayeur et se mit à pleurer, mais personne ne pouvait l'entendre, excepté les moineaux, et ils ne pouvaient pas la porter, ils volaient seulement le long de la rive, en chantant comme pour la consoler : " Nous voici ! Nous voici ! " Le bateau s'en allait à la dérive, la pauvre petite était là tout immobile sur ses bas, les petits souliers rouges flottaient derrière mais ne pouvaient atteindre la barque qui allait plus vite. « Peut-être la rivière va-t-elle m'emporter auprès de Kay », pensa Gerda en reprenant courage. Elle se leva et durant des heures admira la beauté des rives verdoyantes. Elle arriva ainsi à un grand champ de cerisiers où se trouvait une petite maison avec de drôles de fenêtres rouges et bleues et un toit de chaume. Devant elle, deux soldats de bois présentaient les armes à ceux qui passaient. Gerda les appela croyant qu'ils étaient vivants, mais naturellement ils ne répondirent pas, elle les approcha de tout près et le flot poussa la barque droit vers la terre. Gerda appela encore plus fort, alors sortit de la maison une vieille, vieille femme qui s'appuyait sur un bâton à crochet, elle portait un grand chapeau de soleil orné de ravissantes fleurs peintes. - Pauvre petite enfant, dit la vieille, comment es-tu venue sur ce fort courant qui t'emporte loin dans le vaste monde ? La vieille femme entra dans l'eau, accrocha le bateau avec le crochet de son bâton, le tira à la rive et en fit sortir la petite fille. Gerda était bien contente de toucher le sol sec mais un peu effrayée par cette vieille femme inconnue. - Viens me raconter qui tu es et comment tu es ici, disait-elle. La petite lui expliqua tout et la vieille branlait la tête en faisant Hm ! Hm ! et comme Gerda, lui ayant tout dit, lui demandait si elle n'avait pas vu le petit Kay, la femme lui répondit qu'il n'avait pas passé encore, mais qu'il allait sans doute venir, qu'il ne fallait en tout cas pas qu'elle s'en attriste mais qu'elle entre goûter ses confitures de cerises, admirer ses fleurs plus belles que celles d'un livre d'images ; chacune d'elles savait raconter une [size=16]histoire. Alors elle prit Gerda par la main et elles entrèrent dans la petite maison dont la vieille femme ferma la porte. Les fenêtres étaient situées très haut et les vitres en étaient rouges, bleues et jaunes, la lumière du jour y prenait des teintes étranges mais sur la table il y avait de délicieuses cerises, Gerda en mangea autant qu'il lui plut. Tandis qu'elle mangeait, la vieille peignait sa chevelure avec un peigne d'or et ses cheveux blonds bouclaient et brillaient autour de son aimable petit visage, tout rond, semblable à une rose. - J'avais tant envie d'avoir une si jolie petite fille, dit la vieille, tu vas voir comme nous allons bien nous entendre ! A mesure qu'elle peignait les cheveux de Gerda, la petite oubliait de plus en plus son camarade de jeu, car la vieille était une magicienne, mais pas une méchante sorcière, elle s'occupait un peu de magie, comme ça, seulement pour son plaisir personnel et elle avait très envie de garder la petite fille auprès d'elle. C'est pourquoi elle sortit dans le jardin, tendit sa canne à crochet vers tous les rosiers et, quoique chargés des fleurs les plus ravissantes, ils disparurent dans la terre noire, on ne voyait même plus où ils avaient été. La vieille femme avait peur que Gerda, en voyant les roses, ne vint à se souvenir de son rosier à elle, de son petit camarade Kay et qu'elle ne s'enfuie. Ensuite, elle conduisit Gerda dans le jardin fleuri. Oh ! quel parfum délicieux ! Toutes les fleurs et les fleurs de toutes les saisons étaient là dans leur plus belle floraison, nul livre d'images n'aurait pu être plus varié et plus beau. Gerda sauta de plaisir et joua jusqu'au moment où le soleil descendit derrière les grands cerisiers. Alors on la mit dans un lit délicieux garni d'édredons de soie rouge bourrés de violettes bleues, et elle dormit et rêva comme une princesse au jour de ses noces. Le lendemain elle joua encore parmi les fleurs, dans le soleil - et les jours passèrent. Gerda connaissait toutes les fleurs par leur nom, il y en avait tant et tant et cependant il lui semblait qu'il en manquait une, laquelle ? Elle ne le savait pas. Un jour elle était là, assise, et regardait le chapeau de soleil de la vieille femme avec les fleurs peintes où justement la plus belle fleur était une rose. La sorcière avait tout à fait oublié de la faire disparaître de son chapeau en même temps qu'elle faisait descendre dans la terre les vraies roses . On ne pense jamais à tout ! - Comment, s'écria Gerda, il n'y pas une seule rose ici ? Elle sauta au milieu de tous les parterres, chercha et chercha, mais n'en trouva aucune. Alors elle s'assit sur le sol et pleura, mais ses chaudes larmes tombèrent précisément à un endroit où un rosier s'était enfoncé, et lorsque les larmes mouillèrent la terre, l'arbre reparut soudain plus magnifiquement fleuri qu'auparavant. Gerda l'entoura de ses bras et pensa tout d'un coup à ses propres roses de chez elle et à son petit ami Kay. - Oh comme on m'a retardée, dit la petite fille. Et je devais chercher Kay ! Ne savez-vous pas où il est ? demanda-t-elle aux roses. Croyez-vous vraiment qu'il soit mort et disparu ? - Non, il n'est pas mort, répondirent les roses, nous avons été sous la terre, tous les morts y sont et Kay n'y était pas ! - Merci, merci à vous, dit Gerda allant vers les autres fleurs. Elle regarda dans leur calice en demandant : - Ne savez-vous pas où se trouve le petit Kay ? Mais chaque fleur debout au soleil rêvait sa proprehistoire, Gerda en entendit tant et tant, aucune ne parlait de Kay. Mais que disait donc le lis rouge ? - Entends-tu le tambour : Boum ! boum ! deux notes seulement, boum ! boum ! écoute le chant de deuil des femmes, l'appel du prêtre. Dans son long sari rouge, la femme hindoue est debout sur le bûcher, les flammes montent autour d'elle et de son époux défunt, mais la femme hindoue pense à l'homme qui est vivant dans la foule autour d'elle, à celui dont les yeux brûlent, plus ardents que les flammes, celui dont le regard touche son cœur plus que cet incendie qui bientôt réduira son corps en cendres. La flamme du cœur peut-elle mourir dans les flammes du bûcher ? - Je n'y comprends rien du tout, dit la petite Gerda. - C'est là monhistoire, dit le lis rouge. Et que disait le liseron ? - Là-bas, au bout de l'étroit sentier de montagne est suspendu un vieux castel, le lierre épais pousse sur les murs rongés, feuille contre feuille, jusqu'au balcon où se tient une ravissante jeune fille. Elle se penche sur la balustrade et regarde au loin sur le chemin. Aucune rose dans le branchage n'est plus fraîche que cette jeune fille, aucune fleur de pommier que le vent arrache à l'arbre et emporte au loin n'est plus légère. Dans le froufrou de sa robe de soie, elle s'agite : «Ne vient-il pas ?». - Est-ce de Kay que tu parles ? demanda Gerda. - Je ne parle que de ma propre histoire, de mon rêve, répondit le liseron. Mais que dit le petit perce-neige ? - Dans les arbres, cette longue planche suspendue par deux cordes, c'est une balançoire. Deux délicieuses petites filles - les robes sont blanches, de longs rubans verts flottent à leurs chapeaux - y sont assises et se balancent. Le frère, plus grand qu'elles, se met debout sur la balançoire, il passe un bras autour de la corde pour se tenir, il tient d'une main une petite coupe, de l'autre une pipe d'écume et il fait des bulles de savon. La balançoire va et vient, les bulles de savon aux teintes irisées s'envolent, la dernière tient encore à la pipe et se penche dans la brise. La balançoire va et vient. Le petit chien noir aussi léger que les bulles de savon se dresse sur ses pattes de derrière et veut aussi monter, mais la balançoire vole, le chien tombe, il aboie, il est furieux, on rit de lui, les bulles éclatent. Voilà ! une planche qui se balance, une écume qui se brise, voilà ma chanson ... - C'est peut-être très joli ce que tu dis là, mais tu le dis tristement et tu ne parles pas de Kay. Que dit la jacinthe ? - Il y avait trois sœurs délicieuses, transparentes et délicates, la robe de la première était rouge, celle de la seconde bleue, celle de la troisième toute blanche. Elles dansaient en se tenant par la main près du lac si calme, au clair de lune. Elles n'étaient pas filles des elfes mais bien enfants des hommes. L'air embaumait d'un exquis parfum, les jeunes filles disparurent dans la forêt. Le parfum devenait de plus en plus fort - trois cercueils où étaient couchées les ravissantes filles glissaient d'un fourré de la forêt dans le lac, les vers luisants volaient autour comme de petites lumières flottantes. Dormaient-elles ces belles filles ? Etaient-elles mortes ? Le parfum des fleurs dit qu'elles sont mortes, les cloches sonnent pour les défuntes. - Tu me rends malheureuse, dit la petite Gerda. Tu as un si fort parfum, qui me fait penser à ces pauvres filles. Hélas ! le petit Kay est-il vraiment mort ? Les roses qui ont été sous la terre me disent que non. - Ding ! Dong ! sonnèrent les clochettes des jacinthes. Nous ne sonnons pas pour le petit Kay, nous ne le connaissons pas. Nous chantons notre chanson, c'est la seule que nous sachions. Gerda se tourna alors vers le bouton d'or qui brillait parmi les feuilles vertes, luisant. - Tu es un vrai petit soleil ! lui dit Gerda. Dis-moi si tu sais où je trouverai mon camarade de jeu ? Le bouton d'or brillait tant qu'il pouvait et regardait aussi la petite fille. Mais quelle chanson savait-il ? On n'y parlait pas non plus de Kay : - Dans une petite ferme, le soleil brillait au premier jour du printemps, ses rayons frappaient le bas du mur blanc du voisin, et tout près poussaient les premières fleurs jaunes, or lumineux dans ces chauds rayons. Grand-mère était assise dehors dans son fauteuil, sa petite fille, la pauvre et jolie servante rentrait d'une courte visite, elle embrassa la grand-mère. Il y avait de l'or du cœur dans ce baiser béni. De l'or sur les lèvres, de l'or au fond de l'être, de l'or dans les claires heures du matin. Voilà ma petite histoire, dit le bouton d'or. - Ma pauvre vieille grand-mère, soupira Gerda. Elle me regrette sûrement et elle s'inquiète comme elle s'inquiétait pour Kay. Mais je rentrerai bientôt et je ramènerai Kay. Cela ne sert à rien que j'interroge les fleurs, elles ne connaissent que leur propre chanson, elles ne savent pas me renseigner. Elle retroussa sa petite robe pour pouvoir courir plus vite, mais le narcisse lui fit un croc-en-jambe au moment où elle sautait par-dessus lui. Alors elle s'arrêta, regarda la haute fleur et demanda : - Sais-tu par hasard quelque chose ? Elle se pencha très bas pour être près de lui. Et que dit-il ? - Je me vois moi- même, je me vois moi-même ! Oh! Oh! quel parfum je répands ! Là-haut dans la mansarde, à demi vêtue, se tient une petite danseuse, tantôt sur une jambe, tantôt sur les deux, elle envoie promener le monde entier de son pied, au fond elle n'est qu'une illusion visuelle, pure imagination. Elle verse l'eau de la théière sur un morceau d'étoffe qu'elle tient à la main, c'est son corselet - la propreté est une bonne chose - la robe blanche est suspendue à la patère, elle a aussi été lavée dans la théière et séchée sur le toit. Elle met la robe et un fichu jaune safran autour du cou pour que la robe paraisse plus blanche. La jambe en l'air ! dressée sur une longue tige, c'est moi, je me vois moi-même. - Mais je m'en moque, cria Gerda, pourquoi me raconter cela ? Elle courut au bout du jardin. La porte était fermée, mais elle remua la charnière rouillée qui céda, la porte s'ouvrit. Alors la petite Gerda, sans chaussures, s'élança sur ses bas dans le monde. Elle se retourna trois fois, mais personne ne la suivait ; à la fin, lasse de courir, elle s'assit sur une grande pierre. Lorsqu'elle regarda autour d'elle, elle vit que l'été était passé, on était très avancé dans l'automne, ce qu'on ne remarquait pas du tout dans le jardin enchanté où il y avait toujours du soleil et toutes les fleurs de toutes les saisons. - Mon Dieu que j'ai perdu de temps ! s'écria la petite Gerda. Voilà que nous sommes en automne, je n'ai pas le droit de me reposer. Elle se leva et repartit. Comme ses petits pieds étaient endoloris et fatigués ! Autour d'elle tout était froid et hostile, les longues feuilles du saule étaient toutes jaunes et le brouillard s'égouttait d'elles, une feuille après l'autre tombait à terre, seul le prunellier avait des fruits âcres à vous en resserrer toutes les gencives. Oh ! que tout était gris et lourd dans le vaste monde ![/size] | |
| | | marileine moderateur
Messages : 27475 Date d'inscription : 08/03/2012 Localisation : belgique
| Sujet: Re: Aschenputtel (autre version de cendrillon)+Les 3 nains de la forêt Jeu 10 Mar - 15:23 | |
| La reine des neiges(suite)QUATRIEME [size=16]HISTOIRE PRINCE ET PRINCESSE[/size] Encore une fois, Gerda dut se reposer, elle s'assit. Alors sur la neige une corneille sautilla auprès d'elle, une grande corneille qui la regardait depuis un bon moment en secouant la tête. Elle fit Kra ! Kra ! bonjour, bonjour. Elle ne savait dire mieux, mais avait d'excellentes intentions. Elle demanda à la petite fille où elle allait ainsi, toute seule, à travers le monde. Le mot seule, Gerda le comprit fort bien, elle sentait mieux que quiconque tout ce qu'il pouvait contenir, elle raconta toute sa vie à la corneille et lui demanda si elle n'avait pas vu Kay. La corneille hochait la tête et semblait réfléchir. - Mais, peut-être bien, ça se peut ... - Vraiment ! tu le crois ? cria la petite fille. Elle aurait presque tué la corneille tant elle l'embrassait. - Doucement, doucement, fit la corneille. Je crois que ce pourrait bien être Kay, mais il t'a sans doute oubliée pour la princesse. - Est-ce qu'il habite chez une princesse ? demanda Gerda. - Oui, écoute, mais je m'exprime si mal dans ta langue. Si tu comprenais le parler des corneilles, ce me serait plus facile. - Non, ça je ne l'ai pas appris, dit Gerda, mais grand-mère le savait, elle savait tout. Si seulement je l'avais appris ! - Ça ne fait rien, je raconterai comme je pourrai, très mal sûrement. Et elle se mit à raconter. Dans ce royaume où nous sommes, habite une princesse d'une intelligence extraordinaire. L'autre jour qu'elle était assise sur le trône - ce n'est pas si amusant d'après ce qu'on dit - elle se mit à fredonner «Pourquoi ne pas me marier ?» - Tiens, ça me donne une idée ! s'écria-t-elle. Et elle eut envie de se marier, mais elle voulait un mari capable de répondre avec esprit quand on lui parlait de toutes choses. - Chaque mot que je dis est la pure vérité, interrompit la corneille. J'ai une fiancée qui est apprivoisée et se promène librement dans le château, c'est elle qui m'a tout raconté. Sa fiancée était naturellement aussi une corneille, car une corneille mâle cherche toujours une fiancée de son espèce. Tout de suite les journaux parurent avec une bordure de cœurs et l'initiale de la princesse. On y lisait que tout jeune homme de bonne apparence pouvait monter au château et parler à la princesse, et celui qui parlerait de façon que l'on comprenne tout de suite qu'il était bien à sa place dans un château, que celui enfin qui parlerait le mieux, la princesse le prendrait pour époux. - Oui ! oui ! tu peux m'en croire, c'est aussi vrai que me voilà, dit la corneille, les gens accouraient, quelle foule, quelle presse, mais sans succès le premier, ni le second jour. Ils parlaient tous très facilement dans la rue, mais quand ils avaient dépassé les grilles du palais, vu les gardes en uniforme brodé d'argent, les laquais en livrée d'or sur les escaliers et les grands salons illuminés, ils étaient tout déconcertés, ils se tenaient devant le trône où la princesse était assise et ne savaient que dire sinon répéter le dernier mot qu'elle avait prononcé, et ça elle ne se souciait nullement de l'entendre répéter. On aurait dit que tous ces prétendants étaient tombés en léthargie - jusqu'à ce qu'ils se retrouvent dehors, dans la rue, alors ils retrouvaient la parole. Il y avait queue depuis les portes de la ville jusqu'au château, affirma la corneille. Quand ils arrivaient au château, on ne leur offrait même pas un verre d'eau. Les plus avisés avaient bien apporté des tartines mais ils ne partageaient pas avec leurs voisins, ils pensaient : «S'il a l'air affamé, la princesse ne le prendra pas. » - Mais Kay, mon petit Kay,quand m'en parleras-tu ? Etait-il parmi tous ces gens-là? - Patience ! patience ! nous y sommes. Le troisième jour arriva un petit personnage sans cheval ni voiture, il monta d'un pas décidé jusqu'au château, ses yeux brillaient comme les tiens, il avait de beaux cheveux longs, mais ses vêtements étaient bien pauvres. - C'était Kay, jubila Gerda. Enfin je l'ai trouvé. Et elle battit des mains. - Il avait un petit sac sur le dos, dit la corneille. - Non, c'était sûrement son traîneau, dit Gerda, il était parti avec. - Possible, répondit la corneille, je n'y ai pas regardé de si près, mais ma fiancée apprivoisée m'a dit que lorsqu'il entra par le grand portail, qu'il vit les gardes en uniforme brodé d'argent, les laquais des escaliers vêtus d'or, il ne fut pas du tout intimidé, il les salua, disant : - Comme ce doit être ennuyeux de rester sur l'escalier, j'aime mieux entrer. Les salons étaient brillamment illuminés, les Conseillers particuliers et les Excellences marchaient pieds nus et portaient des plats en or, c'était quelque chose de très imposant. Il avait des souliers qui craquaient très fort, mais il ne se laissa pas impressionner. - C'est sûrement Kay, dit Gerda, je sais qu'il avait des souliers neufs et je les entendais craquer dans la chambre de grand-maman. Mais plein d'assurance, il s'avança jusque devant la princesse qui était assise sur une perle grande comme une roue de rouet. Toutes les dames de la cour avec leurs servantes et les servantes de leurs servantes, et tous les chevaliers avec leurs serviteurs et les serviteurs de leurs serviteurs qui eux-mêmes avaient droit à un petit valet, se tenaient debout tout autour et plus ils étaient près de la porte, plus ils avaient l'air fier. Le valet du domestique du premier serviteur qui se promène toujours en pantoufles, on ose à peine le regarder tellement il a l'air fier debout devant la porte. - Mais est-ce que Kay a tout de même eu la princesse ? - Si je n'étais pas corneille, je l'aurais prise. Il était décidé et charmant, il n'était pas venu en prétendant mais seulement pour juger de l'intelligence de la princesse et il la trouva remarquable ... et elle le trouva très bien aussi. - C'était lui, c'était Kay, s'écria Gerda, il était si intelligent, il savait calculer de tête même avec les chiffres décimaux. Oh ! conduis-moi au château ... - C'est vite dit, répartit la corneille, mais comment ? J'en parlerai à ma fiancée apprivoisée, elle saura nous conseiller car il faut bien que je te dise qu'une petite fille comme toi ne peut pas entrer là régulièrement. - Si, j'irai, dit Gerda. Quand Kay entendra que je suis là il sortira tout de suite pour venir me chercher. - Attends-moi là près de l'escalier. Elle secoua la tête et s'envola. Il faisait nuit lorsque la corneille revint. - Kra ! Kra ! fit-elle. Ma fiancée te fait dire mille choses et voici pour toi un petit pain qu'elle a pris à la cuisine. Ils ont assez de pain là-dedans et tu dois avoir faim. Il est impossible que tu entres au château - tu n'as pas de chaussures - les gardes en argent et les laquais en or ne le permettraient pas, mais ne pleure pas, tu vas tout de même y aller. Ma fiancée connaît un petit escalier dérobé qui conduit à la chambre à coucher et elle sait où elle peut en prendre la clé. Alors la corneille et Gerda s'en allèrent dans le jardin, dans les grandes allées où les feuilles tombaient l'une après l'autre, puis au château où les lumières s'éteignaient l'une après l'autre et la corneille conduisit Gerda jusqu'à une petite porte de derrière qui était entrebâillée. Oh ! comme le cœur de Gerda battait d'inquiétude et de désir, comme si elle faisait quelque chose de mal, et pourtant elle voulait seulement savoir s'il s'agissait bien de Kay - oui, ce ne pouvait être que lui, elle pensait si intensément à ses yeux intelligents, à ses longs cheveux, elle le voyait vraiment sourire comme lorsqu'ils étaient à la maison sous les roses. Il serait sûrement content de la voir, de savoir quel long chemin elle avait fait pour le trouver. Les voilà dans l'escalier où brûlait une petite lampe sur un buffet ; au milieu du parquet se tenait la corneille apprivoisée qui tournait la tête de tous les côtés et considérait Gerda, laquelle fit une révérence comme grand-mère le lui avait appris. - Mon fiancé m'a dit tant de bien de vous, ma petite demoiselle, dit la corneille apprivoisée, du reste votre curriculum vitae, comme on dit, est si touchant. Voulez-vous tenir la lampe, je marcherai devant. Nous irons tout droit, ici nous ne rencontrerons personne. - Il me semble que quelqu'un marche juste derrière nous, dit Gerda. Quelque chose passa près d'elle en bruissant, sur les murs glissaient des ombres : chevaux aux crinières flottantes et aux jambes fines, jeunes chasseurs, cavaliers et cavalières. - Rêves que tout cela, dit la corneille. Ils viennent seulement orienter vers la chasse les rêves de nos princes, nous pourrons d'autant mieux les contempler dans leur lit. Mais autre chose : si vous entrez en grâce et prenez de l'importance ici, vous montrerez-vous reconnaissante ? - Ne parlons pas de ça, dit la corneille de la forêt. Ils entrèrent dans la première salle tendue de satin rose à grandes fleurs, les rêves les avaient dépassés et couraient si vite que Gerda ne put apercevoir les hauts personnages. Les salles se succédaient l'une plus belle que l'autre, on en était impressionné ... et ils arrivèrent à la chambre à coucher. Le plafond ressemblait à un grand palmier aux feuilles de verre précieux, et au milieu du parquet se trouvaient, accrochés à une tige d'or, deux lits qui ressemblaient à des lis, l'un était blanc et la princesse y était couchée, l'autre était rouge et c'est dans celui-là que Gerda devait chercher le petit Kay. Elle écarta quelques pétales rouges et aperçut une nuque brune. - Oh ! c'est Kay ! cria-t-elle tout haut en élevant la lampe vers lui. Les rêves à cheval bruissaient dans la chambre. Il s'éveilla, tourna la tête vers elle - et ce n'était pas le petit Kay ... Le prince ne lui ressemblait que par la nuque mais il était jeune et beau. Alors la petite Gerda se mit à pleurer, elle raconta toute son [size=16]histoire et ce que les corneilles avaient fait pour l'aider. - Pauvre petite, s'exclamèrent le prince et la princesse. Ils louèrent grandement les corneilles, déclarant qu'ils n'étaient pas du tout fâchés mais qu'elles ne devaient tout de même pas recommencer. Cependant ils voulaient leur donner une récompense. - Voulez-vous voler librement ? demanda la princesse, ou voulez-vous avoir la charge de corneilles de la cour ayant droit à tous les déchets de la cuisine ? Les deux corneilles firent la révérence et demandèrent une charge fixe ; elles pensaient à leur vieillesse et qu'il est toujours bon d'avoir quelque chose de sûr pour ses vieux jours. Le prince se leva de son lit et permit à Gerda d'y dormir. Il ne pouvait vraiment faire plus. Elle joignit ses petites mains et pensa : « Comme il y a des êtres humains et aussi des animaux qui sont bons ! » Là-dessus elle ferma les yeux et s'endormit délicieusement. Tous les rêves voltigèrent à nouveau autour d'elle, cette fois ils avaient l'air d'anges du Bon Dieu, ils portaient un petit traîneau sur lequel était assis Kay qui saluait. Mais tout ceci n'était que rêve et disparut dès qu'elle s'éveilla. Le lendemain on la vêtit de la tête aux pieds de soie et de velours, elle fut invitée à rester au château et à couler des jours heureux mais elle demanda seulement une petite voiture attelée d'un cheval et une paire de petites bottines, elle voulait repartir de par le monde pour retrouver Kay. On lui donna de petites bottines et un manchon, on l'habilla à ravir et au moment de partir un carrosse d'or pur attendait devant la porte. La corneille de la forêt, mariée maintenant, les accompagna pendant trois lieues, assise à côté de la petite fille car elle ne pouvait supporter de rouler à reculons, la deuxième corneille, debout à la porte, battait des ailes, souffrant d'un grand mal de tête pour avoir trop mangé depuis qu'elle avait obtenu un poste fixe, elle ne pouvait les accompagner. Le carrosse était bourré de craquelins sucrés, de fruits et de pains d'épice. - Adieu ! Adieu ! criaient le prince et la princesse. Gerda pleurait, la corneille pleurait, les premières lieues passèrent ainsi, puis la corneille fit aussi ses adieux et ce fut la plus dure séparation. Elle s'envola dans un arbre et battit de ses ailes noires aussi longtemps que fut en vue la voiture qui rayonnait comme le soleil lui-même.[/size] CINQUIEME [size=16]HISTOIRE LA PETITE FILLE DES BRIGANDS[/size] On roulait à travers la sombre forêt et le carrosse luisait comme un flambeau. Des brigands qui se trouvaient là en eurent les yeux blessés, il ne pouvaient le supporter. - De l'or ! de l'or ! criaient-ils. S'élançant à la tête des chevaux, ils massacrèrent les petits postillons, le cocher et les valets et tirèrent la petite Gerda hors de la voiture. - Elle est grassouillette, elle est mignonne et nourrie d'amandes, dit la vieille brigande qui avait une longue barbe broussailleuse et des sourcils qui lui tombaient sur les yeux. C'est joli comme un petit agneau gras, ce sera délicieux à manger. Elle tira son grand couteau et il luisait d'une façon terrifiante. - Aie ! criait en même temps cette mégère. Sa propre petite fille qu'elle portait sur le dos et qui était sauvage et mal élevée à souhait, venait de la mordre à l'oreille. - Sale petite ! fit la mère. Elle n'eut pas le temps de tuer Gerda, sa petite fille lui dit : - Elle jouera avec moi, qu'elle me donne son manchon, sa jolie robe et je la laisserai coucher dans mon lit. Elle mordit de nouveau sa mère qui se débattait et se tournait de tous les côtés. Les brigands riaient. - Voyez comme elle danse avec sa petite ! - Je veux monter dans le carrosse, dit la petite fille des brigands. Et il fallut en passer par où elle voulait, elle était si gâtée et si difficile. Elle s'assit auprès de Gerda et la voiture repartit par-dessus les souches et les broussailles plus profondément encore dans la forêt. La fille des brigands était de la taille de Gerda mais plus forte, plus large d'épaules, elle avait le teint sombre et des yeux noirs presque tristes. Elle prit Gerda par la taille, disant : - Ils ne te tueront pas tant que je ne serai pas fâchée avec toi. Tu es sûrement une princesse. - Non, répondit Gerda. Et elle lui raconta tout ce qui lui était arrivé et combien elle aimait le petit Kay. La fille des brigands la regardait d'un air sérieux, elle fit un signe de la tête. Elle essuya les yeux de Gerda et mit ses deux mains dans le manchon. Qu'il était doux ! Le carrosse s'arrêta, elles étaient au milieu de la cour d'un château de brigands, tout lézardé du haut en bas, des corbeaux, des corneilles s'envolaient de tous les trous et les grands bouledogues, qui avaient chacun l'air capable d'avaler un homme, bondissaient mais n'aboyaient pas, cela leur était défendu. Dans la grande vieille salle noire de suie, brûlait sur le dallage de pierres un grand feu, la fumée montait vers le plafond et cherchait une issue, une grande marmite de soupe bouillait et sur des broches rôtissaient lièvres et lapins. - Tu vas dormir avec moi et tous mes petits animaux préférés ! dit la fille des brigands. Après avoir bu et mangé elles allèrent dans un coin où il y avait de la paille et des couvertures. Au-dessus, sur des lattes et des barreaux se tenaient une centaine de pigeons qui avaient tous l'air de dormir mais ils tournèrent un peu la tête à l'arrivée des fillettes. - Ils sont tous à moi, dit la petite fille des brigands. Elle attrapa un des plus proches, le tint par les pattes. - Embrasse-le ! cria-t-elle en le claquant à la figure de Gerda. - Et voilà toutes les canailles de la forêt, continua-t-elle, en montrant une quantité de barreaux masquant un trou très haut dans le mur. - Ce sont les canailles de la forêt, ces deux-là, ils s'envolent tout de suite si on ne les enferme pas bien. Et voici le plus chéri, mon vieux Bée ! Elle tira par une corne un renne qui portait un anneau de cuivre poli autour du cou et qui était attaché. - Il faut aussi l'avoir à la chaîne celui-là, sans quoi il bondit et s'en va. Tous les soirs je lui caresse le cou avec mon couteau aiguisé, il en a une peur terrible, ajouta-t-elle. Elle prit un couteau dans une fente du mur et le fit glisser sur le cou du pauvre renne qui ruait, mais la fille des brigands ne faisait qu'en rire. Elle entraîna Gerda vers le lit. - Est-ce que tu le gardes près de toi pour dormir ? demanda Gerda. - Je dors toujours avec un couteau, dit la fille des brigands. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Mais répète-moi ce que tu me racontais de Kay. Tandis que la petite Gerda racontait, les pigeons de la forêt roucoulaient là- haut dans leur cage, les autres pigeons dormaient. La fille des brigands dormait et ronflait, une main passée autour du cou de Gerda et le couteau dans l'autre, mais Gerda ne put fermer l'œil, ne sachant si elle allait vivre ou mourir. Alors, les pigeons de la forêt dirent : - Crouou ! Crouou ! nous avons vu le petit Kay. Une poule blanche portait son traîneau, lui était assis dans celui de la Reine des Neiges, qui volait bas au-dessus de la forêt, nous étions dans notre nid, la Reine a soufflé sur tous les jeunes et tous sont morts, sauf nous deux. Crouou ! Crouou ! - Que dites-vous là-haut ? cria Gerda. Où la Reine des Neiges est-elle partie ? - Elle allait sûrement vers la Laponie où il y a toujours de la neige et de la glace. Demande au renne qui est attaché à la corde. - Il y a de glace et de la neige, c'est agréable et bon, dit le renne. Là, on peut sauter, libre, dans les grandes plaines brillantes, c'est là que la Reine des Neiges a sa tente d'été, mais son véritable château est près du pôle Nord, sur une île appelée Spitzberg. - Oh ! mon Kay, mon petit Kay, soupira Gerda. - Si tu ne te tiens pas tranquille, dit la fille des brigands à demi réveillée, je te plante le couteau dans le ventre. Au matin Gerda raconta à la fillette ce que les pigeons, le renne, lui avaient dit et la fille des brigands avait un air très sérieux, elle disait : - Ça m'est égal ! ça m'est égal ! - Sais-tu où est la Laponie ? demanda-t-elle au renne. - Qui pourrait le savoir mieux que moi, répondit l'animal dont les yeux étincelèrent. C'est là que je suis né, que j'ai joué et bondi sur les champs enneigés. - Ecoute, dit la fille des brigands à Gerda, tu vois que maintenant tous les hommes sont partis, la mère est toujours là et elle restera, mais bientôt elle va se mettre à boire à même cette grande bouteille là-bas et elle se paiera ensuite un petit somme supplémentaire - alors je ferai quelque chose pour toi. Lorsque la mère eut bu la bouteille et se fut rendormie, la fille des brigands alla vers le renne et lui dit : - Cela m'aurait amusé de te chatouiller encore souvent le cou avec mon couteau aiguisé car tu es si amusant quand tu as peur, mais tant pis, je vais te détacher et t'aider à sortir pour que tu puisses courir jusqu'en Laponie mais il faudra prendre tes jambes à ton cou et m'apporter cette petite fille au château de la Reine des Neiges où est son camarade de jeu. Tu as sûrement entendu ce qu'elle a raconté, elle parlait assez fort et tu es toujours à écouter. Le renne sauta en l'air de joie. La fille des brigands souleva Gerda et prit la précaution de l'attacher fermement sur le dos de la bête, elle la fit même asseoir sur un petit coussin. - Ça m'est égal, dit-elle. Prends tes bottines fourrées car il fera froid, mais le manchon je le garde, il est trop joli. Et comme je ne veux pas que tu aies froid, voilà les immense moufles de ma mère, elles te monteront jusqu'au coude - fourre-moi tes mains là-dedans. Et voilà, par les mains tu ressembles à mon affreuse mère. Gerda pleurait de joie. - Assez de pleurnicheries, je n'aime pas ça, tu devrais avoir l'air contente au contraire, voilà deux pains et un jambon, tu ne souffriras pas de la faim. Elle attacha les deux choses sur le renne, ouvrit la porte, enferma les grands chiens, puis elle coupa avec son couteau la corde du renne et lui dit : -Va maintenant, cours, mais fais bien attention à la petite fille. Gerda tendit ses mains gantées des immenses moufles vers la fille des brigands pour dire adieu et le renne détala par-dessus les buissons et les souches, à travers la grande forêt par les marais et par la steppe, il courait tant qu'il pouvait. Les loups hurlaient, les corbeaux croassaient. Le ciel faisait pfut ! pfut ! comme s'il éternuait rouge. - C'est la chère vieille aurore boréale, dit le renne, regarde cette lumière ! Et il courait, il courait, de jour et de nuit. On mangea les pains, et le jambon aussi. Et ils arrivèrent en Laponie. SIXIEME [size=16]HISTOIRE LA FEMME LAPONE ET LA FINNOISE[/size] Ils s'arrêtèrent près d'une petite maison très misérable, le toit descendait jusqu'à terre et la porte était si basse que la famille devait ramper sur le ventre pour y entrer. Il n'y avait personne au logis qu'une vieille femme lapone qui faisait cuire du poisson sur une lampe à huile de foie de morue. Le renne lui raconta toute l'histoire de Gerda, mais d'abord la sienne qui semblait être beaucoup plus importante et Gerda était si transie de froid qu'elle ne pouvait pas parler. - Hélas ! pauvres de vous, s'écria la femme, vous avez encore beaucoup à courir, au moins cent lieues encore pour atteindre le Finmark, c'est là qu'est la maison de campagne de la Reine des Neiges, et les aurores boréales s'y allument chaque soir. Je vais vous écrire un mot sur un morceau de morue, je n'ai pas de papier, et vous le porterez à la femme finnoise là-haut, elle vous renseignera mieux que moi. Lorsque Gerda fut un peu réchauffée, quand elle eut bu et mangé, la femme lapone écrivit quelques mots sur un morceau de morue séchée, recommanda à Gerda d'y faire bien attention, attacha de nouveau la petite fille sur le renne - et en route ! Pfut ! pfut ! entendait-on dans l'air, la plus jolie lumière bleue brûlait là-haut. Ils arrivèrent au Finmark et frappèrent à la cheminée de la finnoise car là il n'y avait même pas de porte. Quelle chaleur dans cette maison ! la Finnoise y était presque nue, petite et malpropre. Elle défit rapidement les vêtements de Gerda, lui enleva les moufles et les bottines pour qu'elle n'ait pas trop chaud, mit un morceau de glace sur la tête du renne et commença à lire ce qui était écrit sur la morue séchée. Elle lut et relut trois fois, ensuite, comme elle le savait par cœur, elle mit le morceau de poisson à cuire dans la marmite, c'était bon à manger et elle ne gaspillait jamais rien. Le renne raconta d'abord sa propre [size=16]histoire puis celle de Gerda. La Finnoise clignait de ses yeux intelligents mais ne disait rien. - Tu es très remarquable, dit le renne, je sais que tu peux attacher tous les vents du monde avec un simple fil à coudre, si le marin défait un nœud il a bon vent, S'il défait un second nœud, il vente fort, et s'il défait le troisième et le quatrième, la tempête est si terrible que les arbres des forêts sont renversés. Ne veux-tu pas donner à cette petite fille un breuvage qui lui assure la force de douze hommes et lui permette de vaincre la Reine des Neiges ? - La force de douze hommes, dit la Finnoise, oui, ça suffira bien. Elle alla vers une tablette, y prit une grande peau roulée, la déroula. D'étranges lettres y étaient gravées, la Finnoise les lisait et des gouttes de sueur tombaient de son front. Le renne la pria encore si fort pour Gerda et la petite la regarda avec des yeux si suppliants, si pleins de larmes que la Finnoise se remit à cligner des siens. Elle attira le renne dans un coin et lui murmura quelque chose tout en lui mettant de la glace fraîche sur la tête. - Le petit Kay est en effet chez la Reine des Neiges et il y est parfaitement heureux, il pense qu'il se trouve là dans le lieu le meilleur du monde, mais tout ceci vient de ce qu'il a reçu un éclat de verre dans le cœur et une poussière de verre dans l'œil, il faut que ce verre soit extirpé sinon il ne deviendra jamais un homme et la Reine des Neiges conservera son pouvoir sur lui. - Mais ne peux-tu faire prendre à Gerda un breuvage qui lui donnerait un pouvoir magique sur tout cela ? - Je ne peux pas lui donner un pouvoir plus grand que celui qu'elle a déjà. Ne vois-tu pas comme il est grand, ne vois-tu pas comme les hommes et les animaux sont forcés de la servir, comment pieds nus elle a réussi à parcourir le monde ? Ce n'est pas par nous qu'elle peut gagner son pouvoir qui réside dans son cœur d'enfant innocente et gentille. Si elle ne peut pas par elle- même entrer chez la Reine des Neiges et arracher les morceaux de verre du cœur et des yeux de Kay, nous, nous ne pouvons l'aider. Le jardin de la Reine commence à deux lieues d'ici, conduis la petite fille jusque-là, fais-la descendre près du buisson qui, dans la neige, porte des baies rouges, ne tiens pas de parlotes inutiles et reviens au plus vite. Ensuite la femme finnoise souleva Gerda et la replaça sur le dos du renne qui repartit à toute allure. - Oh ! Je n'ai pas mes bottines, je n'ai pas mes moufles, criait la petite Gerda, s'en apercevant dans le froid cuisant. Le renne n'osait pas s'arrêter, il courait, il courait ... Enfin il arriva au grand buisson qui portait des baies rouges, là il mit Gerda à terre, l'embrassa sur la bouche. De grandes larmes brillantes roulaient le long des joues de l'animal et il se remit à courir, aussi vite que possible pour s'en retourner. Et voilà ! la pauvre Gerda, sans chaussures, sans gants, dans le terrible froid du Finmark. Elle se mit à courir en avant aussi vite que possible mais un régiment de flocons de neige venaient à sa rencontre, ils ne tombaient pas du ciel qui était parfaitement clair et où brillait l'aurore boréale, ils couraient sur la terre et à mesure qu'ils s'approchaient, ils devenaient de plus en plus grands. Gerda se rappelait combien ils étaient grands et bien faits le jour où elle les avait regardés à travers la loupe, mais ici ils étaient encore bien plus grands, effrayants, vivants, l'avant garde de la Reine des Neiges. Ils prenaient les formes les plus bizarres, quelques uns avaient l'air de grands hérissons affreux, d'autres semblaient des nœuds de serpents avançant leurs têtes, d'autres ressemblaient à de gros petits ours au poil luisant. Ils étaient tous d'une éclatante blancheur. Alors la petite Gerda se mit à dire sa prière. Le froid était si intense que son haleine sortait de sa bouche comme une vraie fumée, cette haleine devint de plus en plus dense et se transforma en petits anges lumineux qui grandissaient de plus en plus en touchant la terre, ils avaient tous des casques sur la tête, une lance et un bouclier dans les mains, ils étaient de plus en plus nombreux. Lorsque Gerda eut fini sa prière ils formaient une légion autour d'elle. Ils combattaient de leurs lances les flocons de neige et les faisaient éclater en mille morceaux et la petite Gerda s'avança d'un pas assuré, intrépide. Les anges lui tapotaient les pieds et les mains, elle ne sentait plus le froid et marchait rapidement vers le château. Maintenant il nous faut d'abord voir comment était Kay. Il ne pensait absolument pas à la petite Gerda, et encore moins qu'elle pût être là, devant le château.[/size] SEPTIEME [size=16]HISTOIRE CE QUI S'ETAIT PASSE AU CHATEAU DE LA REINE DES NEIGES ET CE QUI EUT LIEU PAR LA SUITE[/size] Les murs du château étaient faits de neige pulvérisée, les fenêtres et les portes de vents coupants, il y avait plus de cent salles formées par des tourbillons de neige. La plus grande s'étendait sur plusieurs lieues, toutes étaient éclairées de magnifiques aurores boréales, elles étaient grandes, vides, glacialement froides et étincelantes. Aucune gaieté ici, pas le plus petit bal d'ours où le vent aurait pu souffler et les ours blancs marcher sur leurs pattes de derrière en prenant des airs distingués. Pas la moindre partie de cartes amenant des disputes et des coups, pas la moindre invitation au café de ces demoiselles les renardes blanches, les salons de la Reine des Neiges étaient vides, grands et glacés. Les aurores boréales luisaient si vivement et si exactement que l'on pouvait prévoir le moment où elles seraient à leur apogée et celui où, au contraire, elles seraient à leur décrue la plus marquée. Au milieu de ces salles neigeuses, vides et sans fin, il y avait un lac gelé dont la glace était brisée en mille morceaux, mais en morceaux si identiques les uns aux autres que c'était une véritable merveille. Au centre trônait la Reine des Neiges quand elle était à la maison. Elle disait qu'elle siégerait là sur le miroir de la raison, l'unique et le meilleur au monde. Le petit Kay était bleu de froid, même presque noir, mais il ne le remarquait pas, un baiser de la reine lui avait enlevé la possibilité de sentir le frisson du froid et son cœur était un bloc de glace - ou tout comme. Il cherchait à droite et à gauche quelques morceaux de glace plats et coupants qu'il disposait de mille manières, il voulait obtenir quelque chose comme nous autres lorsque nous voulons obtenir une image en assemblant de petites plaques de bois découpées (ce que nous appelons jeu chinois ou puzzle). Lui aussi voulait former des figures et les plus compliquées, ce qu'il appelait le « jeu de glace de la raison » qui prenait à ses yeux une très grande importance, par suite de l'éclat de verre qu'il avait dans l'œil. Il formait avec ces morceaux de glace un mot mais n'arrivait jamais à obtenir le mot exact qu'il aurait voulu, le mot « Eternité ». La Reine des Neiges lui avait dit : - Si tu arrives à former ce mot, tu deviendras ton propre maître, je t'offrirai le monde entier et une paire de nouveaux patins. Mais il n'y arrivait pas ... - Maintenant je vais m'envoler vers les pays chauds, dit la Reine, je veux jeter un coup d'œil dans les marmites noires. Elle parlait des volcans qui crachent le feu, l'Etna et le Vésuve. - Je vais les blanchir ; un peu de neige, cela fait partie du voyage et fait très bon effet sur les citronniers et la vigne. Elle s'envola et Kay resta seul dans les immenses salles vides. Il regardait les morceaux de glace et réfléchissait, il réfléchissait si intensément que tout craquait en lui, assis là raide, immobile, on aurait pu le croire mort, gelé. Et c'est à ce moment que la petite Gerda entra dans le château par le grand portail fait de vents aigus. Elle récita sa prière du soir et le vent s'apaisa comme s'il allait s'endormir. Elle entra dans la grande salle vide et glacée ... Alors elle vit Kay, elle le reconnut, elle lui sauta au cou, le tint serré contre elle et elle criait : - Kay ! mon gentil petit Kay ! je te retrouve enfin. Mais lui restait immobile, raide et froid - alors Gerda pleura de chaudes larmes qui tombèrent sur la poitrine du petit garçon, pénétrèrent jusqu'à son cœur, firent fondre le bloc de glace, entraînant l'éclat de verre qui se trouvait là. Il la regarda, elle chantait le psaume : Les roses poussent dans les vallées Où l'enfant Jésus vient nous parler. Alors Kay éclata en sanglots. Il pleura si fort que la poussière de glace coula hors de son œil. Il reconnut Gerda et cria débordant de joie : - Gerda, chère petite Gerda, où es-tu restée si longtemps? Ou ai-je été moi-même? Il regarda alentour. - Qu'il fait froid ici, que tout est vide et grand. Il se serrait contre sa petite amie qui riait et pleurait de joie. Un infini bonheur s'épanouissait, les morceaux de glace eux-mêmes dansaient de plaisir, et lorsque les enfants s'arrêtèrent, fatigués, ils formaient justement le mot que la Reine des Neiges avait dit à Kay de composer : « Éternité ». Il devenait donc son propre maître, elle devait lui donner le monde et une paire de patins neufs. Gerda lui baisa les joues et elle devinrent roses, elle baisa ses yeux et ils brillèrent comme les siens, elle baisa ses mains et ses pieds et il redevint sain et fort. La Reine des Neiges pouvait rentrer, la lettre de franchise de Kay était là écrite dans les morceaux de glace étincelants : Eternité ... Alors les deux enfants se prirent par la main et sortirent du grand château. Ils parlaient de grand-mère et des rosiers sur le toit, les vents s'apaisaient, le soleil se montrait. Ils atteignirent le buisson aux baies rouges, le renne était là et les attendait. Il avait avec lui une jeune femelle dont le pis était plein, elle donna aux enfants son lait chaud et les baisa sur la bouche. Les deux animaux portèrent Kay et Gerda d'abord chez la femme finnoise où ils se réchauffèrent dans sa chambre, et qui leur donna des indications pour le voyage de retour, puis chez la femme lapone qui leur avait cousu des vêtements neufs et avait préparé son traîneau. Les deux rennes bondissaient à côté d'eux tandis qu'ils glissaient sur le traîneau, ils les accompagnèrent jusqu'à la frontière du pays où se montraient les premières verdures : là ils firent leurs adieux aux rennes et à la femme lapone. - Adieu ! Adieu ! dirent-ils tous. Les premiers petits oiseaux se mirent à gazouiller, la forêt était pleine de pousses vertes. Et voilà que s'avançait vers eux sur un magnifique cheval que Gerda reconnut aussitôt (il avait été attelé devant le carrosse d'or), s'avançait vers eux une jeune fille portant un bonnet rouge et tenant des pistolets devant elle, c'était la petite fille des brigands qui s'ennuyait à la maison et voulait voyager, d'abord vers le nord, ensuite ailleurs si le nord ne lui plaisait pas. - Tu t'y entends à faire trotter le monde, dit-elle au petit Kay, je me demande si tu vaux la peine qu'on coure au bout du monde pour te chercher. Gerda lui caressa les joues et demanda des nouvelles du prince et de la princesse. - Ils sont partis à l'étranger, dit la fille des brigands. - Et la corneille ? demanda Gerda. - La corneille est morte, répondit-elle. Sa chérie apprivoisée est veuve et porte un bout de laine noire à la patte, elle se plaint lamentablement, quelle bêtise ! Mais raconte-moi ce qui t'est arrivé et comment tu l'as retrouvé ? Gerda et Kay racontaient tous les deux en même temps. - Et patati, et patata, dit la fille des brigands, elle leur serra la main à tous les deux et promit, si elle traversait leur ville, d'aller leur rendre visite ... et puis elle partit dans le vaste monde. Kay et Gerda allaient la main dans la main et tandis qu'ils marchaient, un printemps délicieux plein de fleurs et de verdure les enveloppait. Les cloches sonnaient, ils reconnaissaient les hautes tours, la grande ville où ils habitaient. Il allèrent à la porte de grand-mère, montèrent l'escalier, entrèrent dans la chambre où tout était à la même place qu'autrefois. La pendule faisait tic-tac, les aiguilles tournaient, mais en passant la porte, ils s'aperçurent qu'ils étaient devenus des grandes personnes. Les rosiers dans la gouttière étendaient leurs fleurs à travers les fenêtres ouvertes. Leurs petites chaises d'enfants étaient là, Kay et Gerda s'assirent chacun sur la sienne en se tenant toujours la main, ils avaient oublié, comme on oublie un rêve pénible, les splendeurs vides du château de la Reine des Neiges. Grand-mère était assise dans le clair soleil de Dieu et lisait la Bible à voix haute : « Si vous n'êtes pas semblables à des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu. » Kay et Gerda se regardèrent dans les yeux et comprirent d'un coup le vieux psaume : Les roses poussent dans les vallées Où l'enfant Jésus vient nous parler. Ils étaient assis là, tous deux, adultes et cependant enfants, enfants par le cœur... C'était l'été, le doux été béni. la suite demain Ninnenne blog de partage | |
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