Poème de Voltaire: Le loup Moraliste
Le loup moraliste
Un loup, à ce que dit l’histoire,
Voulut donner un jour des leçons à son fils,
Et lui graver dans la mémoire,
Pour être honnête loup, de beaux et bons avis.
« Mon fils, lui disait-il, dans ce désert sauvage,
A l’ombre des forêts vous passez vos jours ;
Vous pourrez cependant avec de petits ours
Goûter les doux plaisirs qu’on permet à votre âge.
Contentez-vous du peu que j’amasse pour vous,
Point de larcin : menez une innocente vie ;
Point de mauvaise compagnie ;
Choisissez pour amis les plus honnêtes loups ;
Ne vous démentez point, soyez toujours le même ;
Ne satisfaites point vos appétits gloutons :
Mon fils, jeûnez plutôt l’avent et le carême,
Que de sucer le sang des malheureux moutons ;
Car enfin, quelle barbarie,
Quels crimes ont commis ces innocents agneaux ?
Au reste, vous savez qu’il y va de la vie :
D’énormes chiens défendent les troupeaux.
Hélas ! Je m’en souviens, un jour votre grand-père
Pour apaiser sa faim entra dans un hameau.
Dès qu’on s’en aperçut : O bête carnassière !
Au loup ! s’écria-t-on ; l’un s’arme d’un hoyau,
L’autre prend une fourche ; et mon père eût beau faire,
Hélas ! Il y laissa sa peau :
De sa témérité ce fut le salaire.
Sois sage à ses dépens, ne suis que la vertu,
Et ne sois point battant, de peur d’être battu.
Si tu m’aimes, déteste un crime que j’abhorre. »
Le petit vit alors dans la gueule du loup
De la laine, et du sang qui dégouttait encore :
Il se mit à rire à ce coup.
Comment, petit fripon, dit le loup en colère,
Comment, vous riez des avis
Que vous donne ici votre père ?
Tu seras un vaurien, va, je te le prédis :
Quoi ! Se moquer déjà d’un conseil salutaire !
L’autre répondit en riant :
Votre exemple est un bon garant ;
Mon père, je ferai ce que je vous vois faire.
Tel un prédicateur sortant d’un bon repas
Monte dévotement en chaire,
Et vient, bien fourré, gros et gras,
Prêcher contre la bonne chère.
Voltaire.
Ninnenne