Les chats
"Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant
Quand il miaule, on l'entend à peine.
Tant son timbre est tendre et discret;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle ezt toujours riche et profonde,
C'est là son charme et son secret.
Cette voix qui perle et qui filtre,
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a plus besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux!
Charles Baudelaire
Petit roi de mai
C'est le roi, petit roi,
C'est le petit roi de mai
Qui sautille, là-bas,
Entre l'ail et le muguet.
Mais le chat, méchant chat,
Mais le méchant chat de mai
En courant l'aperçoit
Longeant l'ail et le muguet.
Petit roi, roi de mai,
Vite, vite, cache-toi!
Dans l'ail et le muguet,
N'entends-tu venir le chat?
Aïe! que c'est vite fait!
Le temps de lever un doigt
Et le chat, dans le muguet,
A croqué le roitelet.
Maurice Carême.
"Sous les ponts habite un [size=13]chat :[/size]
peau verdâtre rébrée, queue pelée, moustaches de crin,
ferme sur ses pattes, opposant le contrepoids au tangage
et le balancier au roulis;
il a fait deux fois le tour du [size=13]monde, et s'est sauvé d'un[/size]
naufrage sur un tonneau.
Les mousses donnent au coq un biscuit trempé dans du
vin, et matou a le privilège de dormir, quand il lui plait,
dans le vitchoura du second capitaine"
François-René de Chateaubriand
"Quel embarras! Quelle aventure!
Moitié chat et moitié Personne.
Je suis chat - voyez ma fourrure,
Mais j'ai la parole d'un [size=13]homme.[/size]
Suis-je Personne ou suis-je chat?
Sans être vraiment un vrai [size=13]homme.[/size]
Je fais peur à mes frères chats
Et à ma voix chacun s'étonne.
Claude Roy
A une chatte
Chatte blanche, chatte sans tache,
Je te demande, dans ces vers,
Quel secret dort dans tes yeux verts,
Quel sarcasme sous ta moustache.
Tu nous lorgnes, pensant tout bas
Que nos fronts pâles, que nos lèvres
Déteintes en de folles fièvres,
Que nos yeux creux ne valent pas
Ton museau que ton nez termine,
Rose comme un bouton de sein,
Tes oreilles dont le dessin
Couronne fièrement ta mine.
Pourquoi cette sérénité ?
Aurais-tu la clé des problèmes
Qui nous font, frissonnants et blêmes,
Passer le printemps et l'été ?
Devant la [size=13]mort qui nous menace,[/size]
Chats et gens, ton flair, plus subtil
Que notre savoir, te dit-il
Où va la beauté qui s'efface,
Où va la [size=13]pensée, où s'en vont [/size]
Les défuntes splendeurs charnelles ?
Chatte, détourne tes prunelles ;
J'y trouve trop de noir au fond.
Charles Cros
"Et comment savez-vous que vous êtes fou?
- Commençons par le commencement, dit le
chat;
les [size=16]chiens ne sont pas fous. Vous[/size]
l'admettez?
- Apparemment, répondit Alice
- Eh bien alors, poursuivit le [size=16]Chat, vous[/size]
remarquerez
que les [size=16]chiens grondent quand ils sont en[/size]
colère, et remuent la queue
quand ils sont contents.
Or moi, je gronde quand je suis content et remue
la queue quand je suis en colère.
Donc je suis fou."
Lewis Carroll
Les chats
Les [size=13]amoureux fervents et les savants austères[/size]
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.
Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;
Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
Charles Baudelaire
Femme et chatte
Elle jouait avec sa chatte,
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.
Elle cachait - la scélérate! -
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n'y perdait rien...
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.
Paul Verlaine
Il a neigé
Il a neigé dans l'aube [size=16]rose,
Si doucement neigé
Que le chaton noir croit rêver.
C'est à peine s'il ose
Marcher.[/size]
Il a neigé dans l'aube rose
Si doucement neigé
Que les choses
Semblent avoir changé.
Et le chaton noir n'ose
S'aventurer dans le verger,
Se sentant soudain étranger
A cette blancheur où se posent,
Comme pour le narguer,
Des moineaux effrontés.
Maurice Carême.
Ninnenne