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| POEME JEAN DE LA FONTAINE | |
| | Auteur | Message |
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marileine moderateur
Messages : 27475 Date d'inscription : 08/03/2012 Localisation : belgique
| Sujet: POEME JEAN DE LA FONTAINE Dim 2 Aoû - 14:53 | |
| discours a madame de la sabliereDésormais que ma Muse, aussi bien que mes jours, Touche de son déclin l’inévitable cours, Et que de ma raison le flambeau va s’éteindre, Irai-je en consumer les restes à me plaindre, Et, prodigue d’un temps par la Parque attendu, Le perdre à regretter celui que j’ai perdu ? Si le Ciel me réserve encor quelque étincelle Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle, Je la dois employer, suffisamment instruit Que le plus beau couchant est voisin de la [size=18]nuit. Le temps marche toujours ; ni force, ni prière, Sacrifices ni voeux, n’allongent la carrière : Il faudrait ménager ce qu’on va nous ravir. Mais qui vois-je que vous sagement s’en servir ? Si quelques-uns l’ont fait, je ne suis pas du nombre ; Des solides plaisirs je n’ai suivi que l’ombre : J’ai toujours abusé du plus cher de nos biens ; Les pensers amusants, les vagues entretiens, Vains enfants du loisir, délices chimériques ; Les romans, et le jeu, peste des républiques, Par qui sont dévoyés les esprits les plus droits, Ridicule fureur qui se moque des lois ; Cent autres passions, des sages condamnées,[/size] Ont pris comme à l’envi la fleur de mes années. democrate et les abderitainsQue j’ai toujours haï les pensers du vulgaire ! Qu’il me semble profane, injuste, et téméraire ; Mettant de faux milieux entre la chose et lui, Et mesurant par soi ce qu’il voit en autrui ! Le maître d’Epicure en fit l’apprentissage. Son pays le crut fou : Petits esprits ! mais quoi ? Aucun n’est prophète [size=18]chez soi. Ces gens étaient les fous, Démocrite le sage. L’erreur alla si loin qu’Abdère députa Vers Hippocrate, et l’invita, Par lettres et par ambassade, A venir rétablir la raison du malade. Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant, Perd l’esprit : la lecture a gâté Démocrite. Nous l’estimerions plus s’il était ignorant. Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite : Peut-être même ils sont remplis De Démocrites infinis. Non content de ce songe il y joint les atomes, Enfants d’un cerveau creux, invisibles fantômes ; Et, mesurant les cieux sans bouger d’ici-bas, Il connaît l’univers et ne se connaît pas. Un temps fut qu’il savait accorder les débats ; Maintenant il parle à lui-même. Venez, divin mortel ; sa folie est extrême. Hippocrate n’eut pas trop de foi pour ces gens : Cependant il partit : Et voyez, je vous prie, Quelles rencontres dans la vie Le sort cause ; Hippocrate arriva dans le temps Que celui qu’on disait n’avoir raison ni sens Cherchait dans l’homme et dans la bête Quel siège a la raison, soit le coeur, soit la tête. Sous un ombrage épais, assis près d’un ruisseau, Les labyrinthes d’un cerveau L’occupaient. Il avait à ses pieds maint volume, Et ne vit presque pas son ami s’avancer, Attaché selon sa coutume. Leur compliment fut court, ainsi qu’on peut penser. Le sage est ménager du temps et des paroles. Ayant donc mis à part les entretiens frivoles, Et beaucoup raisonné sur l’homme et sur l’esprit, Ils tombèrent sur la morale. Il n’est pas besoin que j’étale Tout ce que l’un et l’autre dit. Le récit précédent suffit Pour montrer que le peuple est juge récusable. En quel sens est donc véritable Ce que j’ai lu dans certain lieu,[/size] Que sa voix est la voix de [size=18]Dieu ?[/size] pour ceux qui ont les gout difficileQuand j’aurais en naissant reçu de Calliope Les dons qu’à ses Amants cette Muse a promis, Je les consacrerais aux mensonges d’Esope : Le mensonge et les vers de tout temps sont amis. Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse Que de savoir orner toutes ces fictions. On peut donner du lustre à leurs inventions ; On le peut, je l’essaie ; un plus savant le fasse. Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau J’ai fait parler le Loup et répondre l’Agneau. J’ai passé plus avant : les Arbres et les Plantes Sont devenus chez moi créatures parlantes. Qui ne prendrait ceci pour un enchantement ? « Vraiment, me diront nos Critiques, Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d’enfant. - Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d’un style plus haut ? En voici : « Les Troyens, « Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, « Avaient lassé les Grecs, qui par mille moyens, « Par mille assauts, par cent batailles, « N’avaient pu mettre à bout cette fière Cité, « Quand un cheval de bois, par Minerve inventé, « D’un rare et nouvel artifice, « Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse, « Le vaillant Diomède, Ajax l’impétueux, « Que ce Colosse monstrueux « Avec leurs escadrons devait porter dans Troie, « Livrant à leur fureur ses Dieux mêmes en proie : « Stratagème inouï, qui des fabricateurs « Paya la constance et la peine. » - C’est assez, me dira quelqu’un de nos Auteurs : La période est longue, il faut reprendre haleine ; Et puis votre Cheval de bois, Vos Héros avec leurs Phalanges, Ce sont des contes plus étranges Qu’un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix : De plus, il vous sied mal d’écrire en si haut style. - Eh bien ! baissons d’un ton. « La jalouse Amarylle « Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins « N’avoir que ses Moutons et son Chien pour témoins. « Tircis, qui l’aperçut, se glisse entre des saules ; « Il entend la bergère adressant ces paroles « Au doux Zéphire, et le priant « De les porter à son Amant. - Je vous arrête à cette rime, Dira mon censeur à l’instant ; Je ne la tiens pas légitime, Ni d’une assez grande vertu : Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte. - Maudit censeur, te tairas-tu ? Ne saurais-je achever mon conte ? C’est un dessein très dangereux Que d’entreprendre de te plaire. » Les délicats sont malheureux : Rien ne saurait les satisfaire.
[size=24]les deux chevres[/size] Dès que les Chèvres ont brouté, Certain esprit de liberté Leur fait chercher fortune ; elles vont en voyage Vers les endroits du pâturage Les moins fréquentés des humains. Là s’il est quelque lieu sans route et sans chemins, Un rocher, quelque mont pendant en précipices, C’est où ces Dames vont promener leurs caprices ; Rien ne peut arrêter cet animal grimpant. Deux Chèvres donc s’émancipant, Toutes deux ayant patte blanche, Quittèrent les bas prés, chacune de sa part. L’une vers l’autre allait pour quelque bon hasard. Un ruisseau se rencontre, et pour pont une planche. Deux Belettes à peine auraient passé de front Sur ce pont ; D’ailleurs, l’onde rapide et le ruisseau profond Devaient faire trembler de peur ces Amazones. Malgré tant de dangers, l’une de ces personnes Pose un pied sur la planche, et l’autre en fait autant. Je m’imagine voir avec Louis le Grand Philippe Quatre qui s’avance Dans l’île de la Conférence. Ainsi s’avançaient pas à pas, Nez à nez, nos Aventurières, Qui, toutes deux étant fort fières, Vers le milieu du pont ne se voulurent pas L’une à l’autre céder. Elles avaient la gloire De compter dans leur race (à ce que dit l’Histoire) L’une certaine Chèvre au mérite sans pair Dont Polyphème fit présent à Galatée, Et l’autre la chèvre Amalthée, Par qui fut nourri Jupiter. Faute de reculer, leur chute fut commune ; Toutes deux tombèrent dans l’eau. Cet accident n’est pas nouveau Dans le chemin de la Fortune.
[size=24]la colombe et la fourmi[/size] Le long d’un clair ruisseau buvait une Colombe, Quand sur l’eau se penchant une Fourmi y tombe. Et dans cet océan l’on eût vu la Fourmi S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive. La Colombe aussitôt usa de charité : Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté, Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive. Elle se sauve ; et là-dessus Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus. Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète. Dès qu’il voit l’Oiseau de Vénus Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête. Tandis qu’à le tuer mon Villageois s’apprête, La Fourmi le pique au talon. Le Vilain retourne la tête : La Colombe l’entend, part, et tire de long. Le soupé du Croquant avec elle s’envole : Point de Pigeon pour une obole.
[size=24]l alouette et ses petits[/size] Ne t’attends qu’à toi seul, c’est un commun Proverbe. Voici comme Esope le mit En crédit. Les Alouettes font leur nid Dans les blés, quand ils sont en herbe, C’est-à-dire environ le temps Que tout aime et que tout pullule dans le monde : Monstres marins au fond de l’onde, Tigres dans les Forêts, Alouettes aux champs. Une pourtant de ces dernières Avait laissé passer la moitié d’un Printemps Sans goûter le plaisir des amours printanières. A toute force enfin elle se résolut D’imiter la Nature, et d’être mère encore. Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore A la hâte ; le tout alla du mieux qu’il put. Les blés d’alentour mûrs avant que la nitée Se trouvât assez forte encor Pour voler et prendre l’essor, De mille soins divers l’Alouette agitée S’en va chercher pâture, avertit ses enfants D’être toujours au guet et faire sentinelle. Si le possesseur de ces champs Vient avecque son fils (comme il viendra), dit-elle, Ecoutez bien ; selon ce qu’il dira, Chacun de nous décampera. Sitôt que l’Alouette eut quitté sa famille, Le possesseur du champ vient avecque son fils. Ces blés sont mûrs, dit-il : allez chez nos amis Les prier que chacun, apportant sa faucille, Nous vienne aider demain dès la pointe du jour. Notre Alouette de retour Trouve en alarme sa couvée. L’un commence : Il a dit que l’Aurore levée, L’on fit venir demain ses amis pour l’aider… - S’il n’a dit que cela, repartit l’Alouette, Rien ne nous presse encor de changer de retraite ; Mais c’est demain qu’il faut tout de bon écouter. Cependant soyez gais ; voilà de quoi manger. Eux repus, tout s’endort, les petits et la mère. L’aube du jour arrive ; et d’amis point du tout. L’Alouette à l’essor, le Maître s’en vient faire Sa ronde ainsi qu’à l’ordinaire. Ces blés ne devraient pas, dit-il, être debout. Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose Sur de tels paresseux à servir ainsi lents. Mon fils, allez chez nos parents Les prier de la même chose. L’épouvante est au nid plus forte que jamais. Il a dit ses parents, mère, c’est à cette heure… - Non, mes enfants dormez en paix ; Ne bougeons de notre demeure. L’Alouette eut raison, car personne ne vint. Pour la troisième fois le Maître se souvint De visiter ses blés. Notre erreur est extrême, Dit-il, de nous attendre à d’autres gens que nous. Il n’est meilleur ami ni parent que soi-même. Retenez bien cela, mon fils ; et savez-vous Ce qu’il faut faire ? Il faut qu’avec notre famille Nous prenions dès demain chacun une faucille : C’est là notre plus court, et nous achèverons Notre moisson quand nous pourrons. Dès lors que ce dessein fut su de l’Alouette : C’est ce coup qu’il est bon de partir, mes enfants. Et les petits, en même temps, Voletants, se culebutants, Délogèrent tous sans trompette.
[size=24]le mort se le malheureux[/size] Un Malheureux appelait tous les jours La mort à son secours. O mort, lui disait-il, que tu me sembles belle ! Viens vite, viens finir ma fortune cruelle. La Mort crut, en venant, l’obliger en effet. Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre. Que vois-je! cria-t-il, ôtez-moi cet objet ; Qu’il est hideux ! que sa rencontre Me cause d’horreur et d’effroi ! N’approche pas, ô mort ; ô mort, retire-toi. Mécénas fut un galant homme : Il a dit quelque part : Qu’on me rende impotent, Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme Je vive, c’est assez, je suis plus que content. Ne viens jamais, ô mort ; on t’en dit tout autant.
[size=24]l aigle la laie et la chatte[/size] L’Aigle avait ses petits au haut d’un arbre creux. La Laie au pied, la Chatte entre les deux ; Et sans s’incommoder, moyennant ce partage, Mères et nourrissons faisaient leur tripotage. La Chatte détruisit par sa fourbe l’accord. Elle grimpa chez l’Aigle, et lui dit : Notre mort (Au moins de nos enfants, car c’est tout un aux mères) Ne tardera possible guères. Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment Cette maudite Laie, et creuser une mine ? C’est pour déraciner le chêne assurément, Et de nos nourrissons attirer la ruine. L’arbre tombant, ils seront dévorés : Qu’ils s’en tiennent pour assurés. S’il m’en restait un seul, j’adoucirais ma plainte. Au partir de ce lieu, qu’elle remplit de crainte, La perfide descend tout droit A l’endroit Où la Laie était en gésine. Ma bonne amie et ma voisine, Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis. L’aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits : Obligez-moi de n’en rien dire : Son courroux tomberait sur moi. Dans cette autre famille ayant semé l’effroi, La Chatte en son trou se retire. L’Aigle n’ose sortir, ni pourvoir aux besoins De ses petits ; la Laie encore moins : Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins, Ce doit être celui d’éviter la famine. A demeurer chez soi l’une et l’autre s’obstine Pour secourir les siens dedans l’occasion : L’Oiseau Royal, en cas de mine, La Laie, en cas d’irruption. La faim détruisit tout : il ne resta personne De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne, Qui n’allât de vie à trépas : Grand renfort pour Messieurs les Chats. Que ne sait point ourdir une langue traîtresse Par sa pernicieuse adresse ? Des malheurs qui sont sortis De la boîte de Pandore, Celui qu’à meilleur droit tout l’Univers abhorre, C’est la fourbe, à mon avis. la chauve souris et les deux belettesUne Chauve-Souris donna tête baissée Dans un nid de Belette ; et sitôt qu’elle y fut, L’autre, envers les souris de longtemps courroucée, Pour la dévorer accourut. « Quoi ? vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire, Après que votre race a tâché de me nuire! N’êtes-vous pas Souris ? Parlez sans fiction. Oui, vous l’êtes, ou bien je ne suis pas Belette. - Pardonnez-moi, dit la pauvrette, Ce n’est pas ma profession. Moi Souris ! Des méchants vous ont dit ces nouvelles. Grâce à l’Auteur de l’Univers, Je suis Oiseau ; voyez mes ailes : Vive la gent qui fend les airs! » Sa raison plut, et sembla bonne. Elle fait si bien qu’on lui donne Liberté de se retirer. Deux jours après, notre étourdie Aveuglément se va fourrer Chez une autre Belette, aux oiseaux ennemie. La voilà derechef en danger de sa vie. La Dame du logis avec son long museau S’en allait la croquer en qualité d’Oiseau, Quand elle protesta qu’on lui faisait outrage : « Moi, pour telle passer! Vous n’y regardez pas. Qui fait l’Oiseau ? c’est le plumage. Je suis Souris : vivent les Rats ! Jupiter confonde les Chats ! » Par cette adroite repartie Elle sauva deux fois sa vie. Plusieurs se sont trouvés qui, d’écharpe changeants Aux dangers, ainsi qu’elle, ont souvent fait la figue. Le Sage dit, selon les gens : « Vive le Roi, vive la Ligue. « le mort et le bucheronUn pauvre Bûcheron tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois, et jamais de repos. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier, et la corvée Lui font d’un malheureux la peinture achevée. Il appelle la mort, elle vient sans tarder, Lui demande ce qu’il faut faire C’est, dit-il, afin de m’aider A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. Le trépas vient tout guérir ; Mais ne bougeons d’où nous sommes. Plutôt souffrir que mourir, C’est la devise des hommes.
[size=24]la chatte metamorphosee en femme[/size] Un homme chérissait éperdument sa Chatte ; Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate, Qui miaulait d’un ton fort doux. Il était plus fou que les fous. Cet Homme donc, par prières, par larmes, Par sortilèges et par charmes, Fait tant qu’il obtient du destin Que sa Chatte en un beau matin Devient femme, et le matin même, Maître sot en fait sa moitié. Le voilà fou d’amour extrême, De fou qu’il était d’amitié. Jamais la Dame la plus belle Ne charma tant son Favori Que fait cette épouse nouvelle Son hypocondre de mari. Il l’amadoue, elle le flatte ; Il n’y trouve plus rien de Chatte, Et poussant l’erreur jusqu’au bout, La croit femme en tout et partout, Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés. Aussitôt la femme est sur pieds : Elle manqua son aventure. Souris de revenir, femme d’être en posture. Pour cette fois elle accourut à point : Car ayant changé de figure, Les souris ne la craignaient point. Ce lui fut toujours une amorce, Tant le naturel a de force. Il se moque de tout, certain âge accompli : Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli. En vain de son train ordinaire On le veut désaccoutumer. Quelque chose qu’on puisse faire, On ne saurait le réformer. Coups de fourche ni d’étrivières Ne lui font changer de manières ; Et, fussiez-vous embâtonnés, Jamais vous n’en serez les maîtres. Qu’on lui ferme la porte au nez, Il reviendra par les fenêtres.
[size=24]l aigle et l escarbot[/size] L’Aigle donnait la chasse à maître Jean Lapin, Qui droit à son terrier s’enfuyait au plus vite. Le trou de l’Escarbot se rencontre en chemin. Je laisse à penser si ce gîte Etait sûr ; mais ou mieux ? Jean Lapin s’y blottit. L’Aigle fondant sur lui nonobstant cet asile, L’Escarbot intercède, et dit : « Princesse des Oiseaux, il vous est fort facile D’enlever malgré moi ce pauvre malheureux ; Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie ; Et puisque Jean Lapin vous demande la vie, Donnez-la-lui, de grâce, ou l’ôtez à tous deux : C’est mon voisin, c’est mon compère. » L’oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot, Choque de l’aile l’Escarbot, L’étourdit, l’oblige à se taire, Enlève Jean Lapin. L’ Escarbot indigné Vole au nid de l’oiseau, fracasse, en son absence, Ses oeufs, ses tendres oeufs, sa plus douce espérance : Pas un seul ne fut épargné. L’Aigle étant de retour, et voyant ce ménage, Remplit le ciel de cris ; et pour comble de rage, Ne sait sur qui venger le tort qu’elle a souffert. Elle gémit en vain : sa plainte au vent se perd. Il fallut pour cet an vivre en mère affligée. L’an suivant, elle mit son nid plus haut. L’Escarbot prend son temps, fait faire aux oeufs le saut : La mort de Jean Lapin derechef est vengée. Ce second deuil fut tel, que l’écho de ces bois N’en dormit de plus de six mois. L’Oiseau qui porte Ganymède Du monarque des Dieux enfin implore l’aide, Dépose en son giron ses oeufs, et croit qu’en paix Ils seront dans ce lieu ; que, pour ses intérêts, Jupiter se verra contraint de les défendre : Hardi qui les irait là prendre. Aussi ne les y prit-on pas. Leur ennemi changea de note, Sur la robe du Dieu fit tomber une crotte : Le dieu la secouant jeta les oeufs à bas. Quand l’Aigle sut l’inadvertance, Elle menaça Jupiter D’abandonner sa Cour, d’aller vivre au désert, Avec mainte autre extravagance. Le pauvre Jupiter se tut : Devant son tribunal l’Escarbot comparut, Fit sa plainte, et conta l’affaire. On fit entendre à l’Aigle enfin qu’elle avait tort. Mais les deux ennemis ne voulant point d’accord, Le Monarque des Dieux s’avisa, pour bien faire, De transporter le temps où l’Aigle fait l’amour En une autre saison, quand la race Escarbote Est en quartier d’hiver, et, comme la Marmotte, Se cache et ne voit point le jour.
[size=24]la montagne qui accouche[/size] Une Montagne en mal d’enfant Jetait une clameur si haute, Que chacun au bruit accourant Crut qu’elle accoucherait, sans faute, D’une Cité plus grosse que Paris : Elle accoucha d’une Souris. Quand je songe à cette Fable Dont le récit est menteur Et le sens est véritable, Je me figure un Auteur Qui dit : Je chanterai la guerre Que firent les Titans au Maître du tonnerre. C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ? Du vent. [size] la genisse la chevre et la brebis[/size] La Génisse, la Chèvre, et leur soeur la Brebis, Avec un fier Lion, seigneur du voisinage, Firent [size=18]société, dit-on, au temps jadis, Et mirent en commun le gain et le dommage. Dans les lacs de la Chèvre un Cerf se trouva pris. Vers ses associés aussitôt elle envoie. Eux venus, le Lion par ses ongles compta, Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. » Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ; Prit pour lui la première en qualité de Sire : « Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison, C’est que je m’appelle Lion : A cela l’on n’a rien à dire. La seconde, par droit, me doit échoir encor : Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort Comme le plus vaillant, je prétends la troisième. Si quelqu’une de vous touche à la quatrième,[/size] Je l’étranglerai tout d’abord. « [size] la fortune et le jeune enfant[/size] Sur le bord d’un puits très profond Dormait étendu de son long Un [size=18]Enfant alors dans ses classes. Tout est aux Ecoliers couchette et matelas. Un honnête homme en pareil cas Aurait fait un saut de vingt brasses. Près de là tout heureusement La Fortune passa, l’éveilla doucement, Lui disant : Mon mignon, je vous sauve la vie. Soyez une autre fois plus sage, je vous prie. Si vous fussiez tombé, l’on s’en fût pris à moi ; Cependant c’était votre faute. Je vous demande, en bonne foi, Si cette imprudence si haute Provient de mon caprice. Elle part à ces mots. Pour moi, j’approuve son propos. Il n’arrive rien dans le monde Qu’il ne faille qu’elle en réponde. Nous la faisons de tous Echos. Elle est prise à garant de toutes aventures. Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures ; On pense en être quitte en accusant son sort :[/size] Bref la Fortune a toujours tort. [size] l astrologue qui se laisse tomber[/size] Un Astrologue un jour se laissa choir Au [size=18]fond d’un puits. On lui dit : « Pauvre bête, Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir, Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? » Cette aventure en soi, sans aller plus avant, Peut servir de leçon à la plupart des hommes. Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes, Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d’entendre dire Qu’au livre du Destin les mortels peuvent lire. Mais ce livre, qu’Homère et les siens ont chanté, Qu’est-ce, que le Hasard parmi l’Antiquité, Et parmi nous la Providence ? Or du Hasard il n’est point de science : S’il en était, on aurait tort De l’appeler hasard, ni fortune, ni sort, Toutes choses très incertaines. Quant aux volontés souveraines De Celui qui fait tout, et rien qu’avec dessein, Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ? Aurait-il imprimé sur le front des étoiles Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ? A quelle utilité ? Pour exercer l’esprit De ceux qui de la Sphère et du Globe ont écrit ? Pour nous faire éviter des maux inévitables ? Nous rendre, dans les biens, de plaisir incapables ? Et causant du dégoût pour ces biens prévenus, Les convertir en maux devant qu’ils soient venus ? C’est erreur, ou plutôt c’est crime de le croire. Le Firmament se meut ; les Astres font leur cours, Le Soleil nous luit tous les jours, Tous les jours sa clarté succède à l’ombre noire, Sans que nous en puissions autre chose inférer Que la nécessité de luire et d’éclairer, D’amener les saisons, de mûrir les semences, De verser sur les corps certaines influences. Du reste, en quoi répond au sort toujours divers Ce train toujours égal dont marche l’Univers ? Charlatans, faiseurs d’horoscope, Quittez les cours des Princes de l’Europe ; Emmenez avec vous les souffleurs tout d’un temps : Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens. Je m’emporte un peu trop : revenons à l’histoire De ce Spéculateur qui fut contraint de boire. Outre la vanité de son art mensonger, C’est l’image de ceux qui bâillent aux chimères, Cependant qu’ils sont en danger,[/size] Soit pour eux, soit pour leurs affaires. [size=24]la fille[/size] Certaine fille un peu trop fière Prétendait trouver un mari Jeune, bien fait et beau, d’agréable manière. Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci. Cette fille voulait aussi Qu’il eût du bien, de la naissance, De l’esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ? Le destin se montra soigneux de la pourvoir : Il vint des partis d’importance. La belle les trouva trop chétifs de moitié. Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l’on radote, je pense. A moi les proposer ! hélas ils font pitié. Voyez un peu la belle espèce ! L’un n’avait en l’esprit nulle délicatesse ; L’autre avait le nez fait de cette façon-là ; C’était ceci, c’était cela, C’était tout ; car les précieuses Font dessus tous les dédaigneuses. Après les bons partis, les médiocres gens Vinrent se mettre sur les rangs. Elle de se moquer. Ah vraiment je suis bonne De leur ouvrir la porte : Ils pensent que je suis Fort en peine de ma personne. Grâce à Dieu, je passe les nuits Sans chagrin, quoique en solitude. La belle se sut gré de tous ces sentiments. L’âge la fit déchoir : adieu tous les amants. Un an se passe et deux avec inquiétude. Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque jour Déloger quelques Ris, quelques jeux, puis l’amour ; Puis ses traits choquer et déplaire ; Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire Qu’elle échappât au temps cet insigne larron : Les ruines d’une maison Se peuvent réparer ; que n’est cet avantage Pour les ruines du visage ! Sa préciosité changea lors de langage. Son miroir lui disait : Prenez vite un mari. Je ne sais quel désir le lui disait aussi ; Le désir peut loger chez une précieuse. Celle-ci fit un choix qu’on n’aurait jamais cru, Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse De rencontrer un malotru.
[size=24]l ane et le petit chien[/size] Ne forçons point notre talent, Nous ne ferions rien avec grâce : Jamais un lourdaud, quoi qu’il fasse, Ne saurait passer pour galant. Peu de gens, que le Ciel chérit et gratifie, Ont le don d’agréer infus avec la vie. C’est un point qu’il leur faut laisser, Et ne pas ressembler à l’Ane de la Fable, Qui pour se rendre plus aimable Et plus cher à son maître, alla le caresser. « Comment ? disait-il en son âme, Ce Chien, parce qu’il est mignon, Vivra de pair à compagnon Avec Monsieur, avec Madame ; Et j’aurai des coups de bâton ? Que fait-il ? il donne la patte ; Puis aussitôt il est baisé : S’il en faut faire autant afin que l’on me flatte, Cela n’est pas bien malaisé. » Dans cette admirable pensée, Voyant son Maître en joie, il s’en vient lourdement, Lève une corne toute usée, La lui porte au menton fort amoureusement, Non sans accompagner, pour plus grand ornement, De son chant gracieux cette action hardie. « Oh ! oh ! quelle caresse ! et quelle mélodie ! Dit le Maître aussitôt. Holà, Martin bâton! » Martin bâton accourt ; l’Ane change de ton. Ainsi finit la comédie.
[size=24]le cure et le mort[/size] Un mort s’en allait tristement S’emparer de son dernier gîte ; Un Curé s’en allait gaiement Enterrer ce mort au plus vite. Notre défunt était en carrosse porté, Bien et dûment empaqueté, Et vêtu d’une robe, hélas ! qu’on nomme bière, Robe d’hiver, robe d’été, Que les morts ne dépouillent guère. Le Pasteur était à côté, Et récitait à l’ordinaire Maintes dévotes oraisons, Et des psaumes et des leçons, Et des versets et des répons : Monsieur le Mort, laissez-nous faire, On vous en donnera de toutes les façons ; Il ne s’agit que du salaire. Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort, Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor, Et des regards semblait lui dire : Monsieur le Mort, j’aurai de vous Tant en argent, et tant en cire, Et tant en autres menus coûts. Il fondait là-dessus l’achat d’une feuillette Du meilleur vin des environs ; Certaine nièce assez propette Et sa chambrière Pâquette Devaient voir des cotillons. Sur cette agréable pensée Un heurt survient, adieu le char. Voilà Messire Jean Chouart Qui du choc de son mort a la tête cassée : Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ; Notre Curé suit son Seigneur ; Tous deux s’en vont de compagnie. Proprement toute notre vie ; Est le curé Chouart, qui sur son mort comptait, Et la fable du Pot au lait. [size=24]l ane chargé d eponges[/size] Un Anier, son Sceptre à la main, Menait, en Empereur Romain, Deux Coursiers à longues oreilles. L’un, d’éponges chargé, marchait comme un Courrier ; Et l’autre, se faisant prier, Portait, comme on dit, les bouteilles : Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins, Par monts, par vaux, et par chemins, Au gué d’une rivière à la fin arrivèrent, Et fort empêchés se trouvèrent. L’Anier, qui tous les jours traversait ce gué-là, Sur l’Ane à l’éponge monta, Chassant devant lui l’autre bête, Qui voulant en faire à sa tête, Dans un trou se précipita, Revint sur l’eau, puis échappa ; Car au bout de quelques nagées, Tout son sel se fondit si bien Que le Baudet ne sentit rien Sur ses épaules soulagées. Camarade Epongier prit exemple sur lui, Comme un Mouton qui va dessus la foi d’autrui. Voilà mon Ane à l’eau ; jusqu’au col il se plonge, Lui, le Conducteur et l’Eponge. Tous trois burent d’autant : l’Anier et le Grison Firent à l’éponge raison. Celle-ci devint si pesante, Et de tant d’eau s’emplit d’abord, Que l’Ane succombant ne put gagner le bord. L’Anier l’embrassait, dans l’attente D’une prompte et certaine [size=18]mort. Quelqu’un vint au secours : qui ce fut, il n’importe ; C’est assez qu’on ait vu par là qu’il ne faut point Agir chacun de même sorte.[/size] J’en voulais venir à ce point. la cour du lionSa Majesté Lionne un jour voulut connaître De quelles nations le Ciel l’avait fait maître. Il manda donc par députés Ses vassaux de toute nature, Envoyant de tous les côtés Une circulaire écriture, Avec son sceau. L’écrit portait Qu’un mois durant le Roi tiendrait Cour plénière, dont l’ouverture Devait être un fort grand festin, Suivi des tours de Fagotin. Par ce trait de magnificence Le Prince à ses sujets étalait sa puissance. En son Louvre il les invita. Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l’odeur se porta D’abord au nez des gens. L’Ours boucha sa narine : Il se fût bien passé de faire cette mine, Sa grimace déplut. Le Monarque irrité L’envoya chez Pluton faire le dégoûté. Le Singe approuva fort cette sévérité, Et flatteur excessif il loua la colère Et la griffe du Prince, et l’antre, et cette odeur : Il n’était ambre, il n’était fleur, Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie Eut un mauvais succès, et fut encore punie. Ce Monseigneur du Lion-là Fut parent de Caligula. Le Renard étant proche : Or çà, lui dit le Sire, Que sens-tu ? dis-le-moi : parle sans déguiser. L’autre aussitôt de s’excuser, Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire Sans odorat ; bref, il s’en tire. Ceci vous sert d’enseignement : Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire, Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère, Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.
[size=24]l amour a la folie[/size] Tout est mystère dans l’Amour, Ses flèches, son Carquois, son Flambeau, son Enfance. Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour Que d’épuiser cette Science. Je ne prétends donc point tout expliquer ici. Mon but est seulement de dire, à ma manière, Comment l’Aveugle que voici (C’est un [size=18]Dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière ; Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ; J’en fais juge un Amant, et ne décide rien. La Folie et l’Amour jouaient un jour ensemble. Celui-ci n’était pas encor privé des yeux. Une dispute vint : l’Amour veut qu’on assemble Là-dessus le Conseil des Dieux. L’autre n’eut pas la patience ; Elle lui donne un coup si furieux, Qu’il en perd la clarté des Cieux. Vénus en demande vengeance. Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris : Les Dieux en furent étourdis, Et Jupiter, et Némésis, Et les Juges d’Enfer, enfin toute la bande. Elle représenta l’énormité du cas. Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas : Nulle peine n’était pour ce crime assez grande. Le dommage devait être aussi réparé. Quand on eut bien considéré L’intérêt du Public, celui de la Partie, Le résultat enfin de la suprême Cour Fut de condamner la Folie[/size] A servir de guide à l’Amour. Blog chouky39 | |
| | | marileine moderateur
Messages : 27475 Date d'inscription : 08/03/2012 Localisation : belgique
| Sujet: Re: POEME JEAN DE LA FONTAINE Lun 3 Aoû - 10:21 | |
| l homme et la couleuvreUn Homme vit une Couleuvre. Ah ! méchante, dit-il, je m’en vais faire une oeuvre Agréable à tout l’univers. A ces mots, l’animal pervers (C’est le serpent que je veux dire Et non l’homme : on pourrait aisément s’y tromper), A ces mots, le serpent, se laissant attraper, Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire, On résolut sa [size=18]mort, fût-il coupable ou non. Afin de le payer toutefois de raison, L’autre lui fit cette harangue : Symbole des ingrats, être bon aux méchants, C’est être sot, meurs donc : ta colère et tes dents Ne me nuiront jamais. Le Serpent, en sa langue, Reprit du mieux qu’il put : S’il fallait condamner Tous les ingrats qui sont au monde, A qui pourrait-on pardonner ? Toi-même tu te fais ton procès. Je me fonde Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi. Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice, C’est ton utilité, ton plaisir, ton caprice ; Selon ces lois, condamne-moi ; Mais trouve bon qu’avec franchise En mourant au moins je te dise Que le symbole des ingrats Ce n’est point le serpent, c’est l’homme. Ces paroles Firent arrêter l’autre ; il recula d’un pas. Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles : Je pourrais décider, car ce droit m’appartient ; Mais rapportons-nous-en. – Soit fait, dit le reptile. Une Vache était là, l’on l’appelle, elle vient ; Le cas est proposé ; c’était chose facile : Fallait-il pour cela, dit-elle, m’appeler ? La Couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ? Je nourris celui-ci depuis longues années ; Il n’a sans mes bienfaits passé nulles journées ; Tout n’est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants Le font à la maison revenir les mains pleines ; Même j’ai rétabli sa santé, que les ans Avaient altérée, et mes peines Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin. Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin Sans herbe ; s’il voulait encor me laisser paître ! Mais je suis attachée ; et si j’eusse eu pour maître Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin L’homme, tout étonné d’une telle sentence, Dit au Serpent : Faut-il croire ce qu’elle dit ? C’est une radoteuse ; elle a perdu l’esprit. Croyons ce Boeuf. – Croyons, dit la rampante bête. Ainsi dit, ainsi fait. Le Boeuf vient à pas lents. Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête, Il dit que du labeur des ans Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants, Parcourant sans cesser ce long cercle de peines Qui, revenant sur soi, ramenait dans nos plaines Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ; Que cette suite de travaux Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes, Force coups, peu de gré ; puis, quand il était vieux, On croyait l’honorer chaque fois que les hommes Achetaient de son sang l’indulgence des Dieux. Ainsi parla le Boeuf. L’Homme dit : Faisons taire Cet ennuyeux déclamateur ; Il cherche de grands mots, et vient ici se faire, Au lieu d’arbitre, accusateur. Je le récuse aussi. L’arbre étant pris pour juge, Ce fut bien pis encore. Il servait de refuge Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents ; Pour nous seuls il ornait les jardins et les champs. L’ombrage n’était pas le seul bien qu’il sût faire ; Il courbait sous les fruits ; cependant pour salaire Un rustre l’abattait, c’était là son loyer, Quoique pendant tout l’an libéral il nous donne Ou des fleurs au Printemps, ou du fruit en Automne ; L’ombre l’Eté, l’Hiver les plaisirs du foyer. Que ne l’émondait-on, sans prendre la cognée ? De son tempérament il eût encor vécu. L’Homme trouvant mauvais que l’on l’eût convaincu, Voulut à toute force avoir cause gagnée. Je suis bien bon, dit-il, d’écouter ces gens-là. Du sac et du serpent aussitôt il donna Contre les murs, tant qu’il tua la bête. On en use ainsi chez les grands. La raison les offense ; ils se mettent en tête Que tout est né pour eux, quadrupèdes, et gens, Et serpents. Si quelqu’un desserre les dents, C’est un sot. – J’en conviens. Mais que faut-il donc faire ?[/size] - Parler de loin, ou bien se taire. l homme et l idole de boisCertain Païen [size=18]chez lui gardait un Dieu de bois, De ces Dieux qui sont sourds, bien qu’ayants des oreilles. Le païen cependant s’en promettait merveilles. Il lui coûtait autant que trois. Ce n’étaient que voeux et qu’offrandes, Sacrifices de boeufs couronnés de guirlandes. Jamais Idole, quel qu’il fût, N’avait eu cuisine si grasse, Sans que pour tout ce culte à son hôte il échût Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce. Bien plus, si pour un sou d’orage en quelque endroit S’amassait d’une ou d’autre sorte, L’homme en avait sa part, et sa bourse en souffrait. La pitance du Dieu n’en était pas moins forte. A la fin, se fâchant de n’en obtenir rien, Il vous prend un levier, met en pièces l’Idole, Le trouve rempli d’or : Quand je t’ai fait du bien, M’as-tu valu, dit-il, seulement une obole ? Va, sors de mon logis : cherche d’autres autels. Tu ressembles aux naturels Malheureux, grossiers et stupides : On n’en peut rien tirer qu’avecque le bâton. Plus je te remplissais, plus mes mains étaient vides :[/size] J’ai bien fait de changer de ton. l homme entre deux agesUn homme de moyen âge, Et tirant sur le grison, Jugea qu’il était saison De songer au mariage. Il avait du comptant, Et partant De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ; En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ; Bien adresser n’est pas petite affaire. Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part : L’une encor verte, et l’autre un peu bien mûre, Mais qui réparait par son art Ce qu’avait détruit la nature. Ces deux Veuves, en badinant, En riant, en lui faisant fête, L’allaient quelquefois testonnant, C’est-à-dire ajustant sa tête. La Vieille à tous moments de sa part emportait Un peu du poil noir qui restait, Afin que son amant en fût plus à sa guise. La Jeune saccageait les poils blancs à son tour. Toutes deux firent tant, que notre tête grise Demeura sans cheveux, et se douta du tour. Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles, Qui m’avez si bien tondu ; J’ai plus gagné que perdu : Car d’Hymen point de nouvelles. Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon Je vécusse, et non à la mienne. Il n’est tête chauve qui tienne, Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.
[size=24]le jeune veuve[/size] La perte d’un époux ne va point sans soupirs. On fait beaucoup de bruit, et puis on se console. Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole ; Le Temps ramène les plaisirs. Entre la Veuve d’une année Et la veuve d’une journée La différence est grande : on ne croirait jamais Que ce fût la même personne. L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits. Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ; C’est toujours même note et pareil entretien : On dit qu’on est inconsolable ; On le dit, mais il n’en est rien, Comme on verra par cette Fable, Ou plutôt par la vérité. L’Epoux d’une jeune beauté Partait pour l’autre monde. A ses côtés sa femme Lui criait : Attends-moi, je te suis ; et mon âme, Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. Le Mari fait seul le voyage. La Belle avait un père, homme prudent et sage : Il laissa le torrent couler. A la fin, pour la consoler, Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes : Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ? Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts. Je ne dis pas que tout à l’heure Une condition meilleure Change en des noces ces transports ; Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose Que le défunt.- Ah ! dit-elle aussitôt, Un Cloître est l’époux qu’il me faut. Le père lui laissa digérer sa disgrâce. Un mois de la sorte se passe. L’autre mois on l’emploie à changer tous les jours Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure. Le deuil enfin sert de parure, En attendant d’autres atours. Toute la bande des Amours Revient au colombier : les jeux, les ris, la danse, Ont aussi leur tour à la fin. On se plonge soir et matin Dans la fontaine de Jouvence. Le Père ne craint plus ce défunt tant chéri ; Mais comme il ne parlait de rien à notre Belle : Où donc est le jeune mari Que vous m’avez promis ? dit-elle.
[size=24]la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf[/size] Une Grenouille vit un Boeuf Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un oeuf, Envieuse, s’étend, et s’enfle, et se travaille, Pour égaler l’animal en grosseur, Disant : « Regardez bien, ma soeur ; Est-ce assez ? dites-moi ; n’y suis-je point encore ? - Nenni. – M’y voici donc ? – Point du tout. – M’y voilà ? - Vous n’en approchez point. « La chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout petit prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages.
[size=24]l enfant et le maitre d ecole[/size] Dans ce récit je prétends faire voir D’un certain sot la remontrance vaine. Un jeune enfant dans l’eau se laissa choir, En badinant sur les bords de la Seine. Le Ciel permit qu’un saule se trouva, Dont le branchage, après Dieu, le sauva. S’étant pris, dis-je, aux branches de ce saule, Par cet endroit passe un Maître d’école. L’Enfant lui crie : « Au secours ! je péris. » Le Magister, se tournant à ses cris, D’un ton fort grave à contre-temps s’avise De le tancer : « Ah! le petit babouin ! Voyez, dit-il, où l’a mis sa sottise ! Et puis, prenez de tels fripons le soin. Que les parents sont malheureux qu’il faille Toujours veiller à semblable canaille ! Qu’ils ont de maux ! et que je plains leur sort ! » Ayant tout dit, il mit l’enfant à bord. Je blâme ici plus de gens qu’on ne pense. Tout babillard, tout censeur, tout pédant, Se peut connaître au discours que j’avance : Chacun des trois fait un peuple fort grand ; Le Créateur en a béni l’engeance. En toute affaire ils ne font que songer Aux moyens d’exercer leur langue. Hé ! mon ami, tire-moi de danger : Tu feras après ta harangue.
[size=24]l education[/size] Laridon et César, frères dont l’origine Venait de chiens fameux, beaux, bien faits et hardis, A deux maîtres divers échus au temps jadis, Hantaient, l’un les forêts, et l’autre la cuisine. Ils avaient eu d’abord chacun un autre nom ; Mais la diverse nourriture Fortifiant en l’un cette heureuse nature, En l’autre l’altérant, un certain marmiton Nomma celui-ci Laridon : Son frère, ayant couru mainte haute aventure, Mis maint Cerf aux abois, maint Sanglier abattu, Fut le premier César que la gent chienne ait eu. On eut soin d’empêcher qu’une indigne maîtresse Ne fit en ses enfants dégénérer son sang : Laridon négligé témoignait sa tendresse A l’objet le premier passant. Il peupla tout de son engeance : Tournebroches par lui rendus communs en France Y font un corps à part, gens fuyants les hasards, Peuple antipode des Césars. On ne suit pas toujours ses aïeux ni son père : Le peu de soin, le temps, tout fait qu’on dégénère : Faute de cultiver la nature et ses dons, O combien de Césars deviendront Laridons !
[size=24]la grenouille et le rat[/size] Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui, Qui souvent s’engeigne soi-même. J’ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd’hui : Il m’a toujours semblé d’une énergie extrême. Mais afin d’en venir au dessein que j’ai pris, Un rat plein d’embonpoint, gras, et des mieux nourris, Et qui ne connaissait l’Avent ni le Carême, Sur le bord d’un marais égayait ses esprits. Une Grenouille approche, et lui dit en sa langue : Venez me voir chez moi, je vous ferai festin. Messire Rat promit soudain : Il n’était pas besoin de plus longue harangue. Elle allégua pourtant les délices du bain, La curiosité, le plaisir du voyage, Cent raretés à voir le long du marécage : Un jour il conterait à ses petits-enfants Les beautés de ces lieux, les moeurs des habitants, Et le gouvernement de la chose publique Aquatique. Un point sans plus tenait le galand empêché : Il nageait quelque peu ; mais il fallait de l’aide. La Grenouille à cela trouve un très bon remède : Le Rat fut à son pied par la patte attaché ; Un brinc de jonc en fit l’affaire. Dans le marais entrés, notre bonne commère S’efforce de tirer son hôte au fond de l’eau, Contre le droit des gens, contre la foi jurée ; Prétend qu’elle en fera gorge-chaude et curée ; (C’était, à son avis, un excellent morceau). Déjà dans son esprit la galande le croque. Il atteste les Dieux ; la perfide s’en moque. Il résiste ; elle tire. En ce combat nouveau, Un Milan qui dans l’air planait, faisait la ronde, Voit d’en haut le pauvret se débattant sur l’onde. Il fond dessus, l’enlève, et, par même moyen La Grenouille et le lien. Tout en fut ; tant et si bien, Que de cette double proie L’oiseau se donne au coeur joie, Ayant de cette façon A souper chair et poisson.
[size=24]la goutte et l araignee[/size] Quand l’Enfer eut produit la Goutte et l’Araignée, « Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter D’être pour l’humaine lignée Egalement à redouter. Or avisons aux lieux qu’il vous faut habiter. Voyez-vous ces cases étrètes, Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ? Je me suis proposé d’en faire vos retraites. Tenez donc, voici deux bûchettes ; Accommodez-vous, ou tirez. - Il n’est rien, dit l’Aragne, aux cases qui me plaise. » L’autre, tout au rebours, voyant les Palais pleins De ces gens nommés Médecins, Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise. Elle prend l’autre lot, y plante le piquet, S’étend à son plaisir sur l’orteil d’un pauvre homme, Disant : « Je ne crois pas qu’en ce poste je chomme, Ni que d’en déloger et faire mon paquet Jamais Hippocrate me somme. » L’Aragne cependant se campe en un lambris, Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie, Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie, Voilà des moucherons de pris. Une servante vient balayer tout l’ouvrage. Autre toile tissue, autre coup de balai. Le pauvre Bestion tous les jours déménage. Enfin, après un vain essai, Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne, Plus malheureuse mille fois Que la plus malheureuse Aragne. Son hôte la menait tantôt fendre du bois, Tantôt fouir, houer. Goutte bien tracassée Est, dit-on, à demi pansée. « Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister. Changeons, ma soeur l’Aragne. » Et l’autre d’écouter : Elle la prend au mot, se glisse en la cabane : Point de coup de balai qui l’oblige à changer. La Goutte, d’autre part, va tout droit se loger Chez un Prélat, qu’elle condamne A jamais du lit ne bouger. Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n’ont point de honte De faire aller le mal toujours de pis en pis. L’une et l’autre trouva de la sorte son conte ; Et fit très sagement de changer de logis.
[size=24]l avare qui a perdu son tresor[/size] L’Usage seulement fait la possession. Je demande à ces gens de qui la passion Est d’entasser toujours, mettre somme sur somme, Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre [size=18]homme. Diogène là-bas est aussi riche qu’eux, Et l’avare ici-haut comme lui vit en gueux. L’homme au trésor caché qu’Esope nous propose, Servira d’exemple à la chose. Ce malheureux attendait Pour jouir de son bien une seconde vie ; Ne possédait pas l’or, mais l’or le possédait. Il avait dans la terre une somme enfouie, Son coeur avec, n’ayant autre déduit Que d’y ruminer jour et nuit, Et rendre sa chevance à lui-même sacrée. Qu’il allât ou qu’il vînt, qu’il bût ou qu’il mangeât, On l’eût pris de bien court, à moins qu’il ne songeât A l’endroit où gisait cette somme enterrée. Il y fit tant de tours qu’un Fossoyeur le vit, Se douta du dépôt, l’enleva sans rien dire. Notre Avare un beau jour ne trouva que le nid. Voilà mon homme aux pleurs ; il gémit, il soupire. Il se tourmente, il se déchire. Un passant lui demande à quel sujet ses cris. C’est mon trésor que l’on m’a pris. - Votre trésor ? où pris ? – Tout joignant cette pierre. - Eh ! sommes-nous en temps de guerre, Pour l’apporter si loin ? N’eussiez-vous pas mieux fait De le laisser chez vous en votre cabinet, Que de le changer de demeure ? Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure. - A toute heure ? bons Dieux ! ne tient-il qu’à cela ? L’argent vient-il comme il s’en va ? Je n’y touchais jamais. – Dites-moi donc, de grâce, Reprit l’autre, pourquoi vous vous affligez tant, Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent : Mettez une pierre à la place,[/size] Elle vous vaudra tout autant. Ninnenne blog chouky39 | |
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