"Pourquoi l'eau de mer est salée" Conte de Norvége
Deux frères, Lars et Jan, vivaient dans des conditions fort différentes.
Lars possédait de grands biens, tandis que Jan était un pauvre journalier. Sa famille manquait souvent du nécessaire. Une fois même, les plats furent complètement vides. Comme Noël était proche, Jan pria Lars de lui faire [size=16]cadeau d'un petit quartier de lard. De mauvais gré, l'avare coupa dans la cheminée un morceau de lard et le tendit à son frère en disant :
« Tiens, va le porter au diable ! »
« D'accord! » dit le pauvre homme qui partit en courant à travers champs. Il aperçut un vieillard qui faisait un grand trou dans la terre.
« Que creuses-tu là ? » demanda-t-il.
« La porte de l'enfer », répondit l'homme.[/size]
Jan était tout joyeux d'avoir si vite trouvé l'enfer. Prudemment, il descendit dans la fosse où il faisait chaud comme dans un four. Il donna le lard au premier diablotin qu'il rencontra. Celui-ci s'écria :
« Le porc convient au diable et le diable au porc... Tiens, voici en échange mon moulin à café! ».
Jan pensa qu'un moulin à café était un [size=16]cadeau bien inutile pour un homme qui n'avait pas un grain à moudre, mais le petit diable continua « Cet ustensile moudra tout ce que tu désires.[/size]
Cependant, n'oublie pas le mot, huckepuck " qui te permettra d’arrêter le moulin magique."
Jan, qui avait grande envie de saucisse, demanda, sans trop y croire, que le moulin lui fournit son mets préféré. O merveille, des mètres de saucisse se mirent à sortir du moulin. Au commandement « huckepuck » le moulin, obéissant, cessa de tourner.
Il était très tard quand Jan rentra à la maison. « Un moulin, mais nous n'avons rien à moudre, gémit la femme, ce n'est pas lui qui donnera du pain à nos [size=16]enfants!» Jan rit sous cape. « Qui sait ? » dit-il. Et il commanda au moulin un succulent souper : café, lait, brioches, beurre et miel. De surprise et de joie, la mère battit des mains. On éveilla en toute hâte les enfants, mais la famille était si pauvre qu'il n'y avait pas même une chandelle à la maison. Alors le père ordonna au moulin de les éclairer et, aussitôt, un rayon de soleil inonda la chambre. Réjouis, ils se gobergèrent. Puis ils tinrent conseil pour savoir ce qu'ils demanderaient au moulin le jour suivant.[/size]
Jan se leva très tôt le lendemain. Avant même de sortir du lit, il pria le moulin de subvenir aux besoins de la famille et de fournir la nourriture, le combustible, les habits et la vaisselle :
« Mouds ceci... huckepuck ; mouds cela... huckepuck. »
Le soir, quand la maison fut pleine de provisions, Jan invita ses voisins à un grand banquet. Lars, l'avare, entendit parler de la chose et s'esclaffa :
« Quelle folie ! Qu'est-ce que mon frère, ce crève-la-faim, va bien pouvoir leur offrir ? » Poussé par la curiosité, il se rendit chez Jan avec sa femme. Quelle ne fut pas leur surprise à tous deux ! Lars se frottait les yeux d'étonnement mais, au lieu de se réjouir de voir son frère hors de souci, il s'emporta :
« C'est moi le riche et c'est toi le pauvre, et cela doit rester ainsi. Remets-moi immédiatement le moulin, sinon je t'accuserai de détenir un objet maléfique. »
Et sans plus se gêner, Lars empoigna l'ustensile, le cacha sous son manteau de fourrure, entraina sa femme et s'éloigna, pressé qu'il était de faire fonctionner le moulin miraculeux.
D'abord, tout alla bien. Tout comme Jan en enfer, Lars voulut voir si le moulin lui obéissait. Il demanda aussi son mets de prédilection: de la bouillie de millet. Mâtin ! Bientôt la casserole en fut remplie. Lars aurait bien voulu arrêter le moulin, car la bouillie débordait. « Halte ! » cria-t-¬il, parce que, n'est-ce pas, il ignorait le mot de „ huckepuck ".
Comme un long serpent, la bouillie se répandait dans la maison. Il appela au secours. Cependant, chez Jan, les voisins festoyaient. Ils entendirent pourtant les appels de l'avare, accoururent et furent témoins d'un bien curieux spectacle. La ferme ne formait plus qu'une montagne de bouillie qui fumait comme un volcan. Seule la cheminée émergeait. Campé au sommet, le petit diable de l'enfer brandissait le moulin qu'il envoya, telle une balle, dans les mains de Jan. En voyant cela, Lars furieux, se jeta dans la bouillie qui l'engloutit.
Vous pensez bien que Jan continua de faire fonctionner le moulin. Il en obtint même une magnifique maison de marbre blanc, située au bord de la mer, et qu'on voyait resplendir de très loin. Un capitaine de vaisseau crut que c'était un phare et mit le cap dans cette direction. Jan l'invita à boire du vin que le moulin produisit.
«Il moudrait aussi du sel, s'il le fallait», assura-t-il.
Alors le marin s'écria:
« Que tu le veuilles ou non, ce moulin m'appartiendra, car il m'épargnera un voyage aux rivages salins ! »
Sans façon, il s'en empara et Jan se consola en pensant : J'ai obtenu de lui tout ce que je désirais.
Loin de la côte, le malhonnête apostropha grossièrement le moulin : « Mouds du sel ! » Le moulin se mit à moudre sans se presser.
« Plus vite ! » hurla le capitaine, et le moulin produisit bientôt une telle quantité de sel que le navire s'emplit jusqu'au bord. Personne ne fut en mesure d'arrêter cette masse et la charge de sel fit pencher le bateau vers la proue; il chavira et s'abîma dans les flots.
Depuis lors, l'actif moulin est demeuré sur le navire, au fond de la mer. Il moudra inlassablement du sel jusqu'à ce que quelqu'un le découvre et lui crie : huckepuck... parce que les profondeurs sous-marines sont muettes.
Et voilà pourquoi l'eau de la mer est devenue salée.
Conte de Norvége.
Ninnenne