La génisse, la chèvre et la brebis ....Jean de La Fontaine
Illustration de Gustave Doré
.. La Génisse, la Chèvre et la Brebis en [size=13]société avec le Lion[/size]
La Génisse, la Chèvre et leur sœur la Brebis,
Avec un fier Lion, Seigneur du voisinage,
Firent [size=13]société, dit-on, au temps jadis,[/size]
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs (1) de la Chèvre un Cerf se trouva pris ;
Vers ses associés aussitôt elle envoie :
Eux venus, le Lion par ses ongles (2) compta,
Et dit : Nous sommes quatre à partager la proie ;
Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de Sire :
Elle doit être à moi, dit-il, et la raison,
C'est que je m'appelle Lion :
À cela l'on n'a rien à dire.
La seconde par droit me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.
Comme le plus vaillant je prétends la troisième.
Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
Je l'étranglerai tout d'abord.
Jean de La Fontaine
Livre 1 Fable VI
(*) La source de la fable se trouve chez Phèdre (I,5)
traduction Sacy en 1647. En voici le début dans lequel est
exprimée la moralité :
"L'alliance avec un plus puissant n'est jamais
fermement assurée. Cette fable prouve cette maxime."
(1) piège pour prendre le gibier, sorte de lacet muni d'un noeud coulant, (cs ne se prononce pas)
(2) griffes
Illustration de la loi du plus fort
Hélas jamais démodée cette fable!
De loin Sully Prudhomme
De loin.
Du bonheur qu'ils rêvaient toujours pur et nouveau
Les couples exaucés ne jouissent qu'une heure.
Moins ému, leur baiser ne sourit ni ne pleure ;
Le nid de leur tendresse en devient le tombeau.
Puisque l'œil assouvi se fatigue du beau,
Que la lèvre en jurant un long culte se leurre,
Que des printemps d'amour le lis, dès qu'on l'effleure,
Où vont les autres lis va lambeau par lambeau,
J'accepte le tourment de vivre éloigné d'elle.
Mon hommage muet, mais aussi plus fidèle,
D'aucune lassitude en mon cœur n'est puni ;
Posant sur sa beauté mon respect comme un voile,
Je l'aime sans désir, comme on aime une étoile,
Avec le sentiment qu'elle est à l'infini.
Sully Prudhomme.
Ce qui dure Sully Prudhomme
Ce qui dure.
Le présent se fait vide et triste,
Ô mon amie, autour de nous ;
Combien peu de passé subsiste !
Et ceux qui restent changent tous.
Nous ne voyons plus sans envie
Les yeux de vingt ans resplendir,
Et combien sont déjà sans vie
Des yeux qui nous ont vus grandir !
Que de jeunesse emporte l'heure,
Qui n'en rapporte jamais rien !
Pourtant quelque chose demeure :
Je t'aime avec mon cœur ancien,
Mon vrai cœur, celui qui s'attache
Et souffre depuis qu'il est né,
Mon cœur d'enfant, le cœur sans tache
Que ma mère m'avait donné ;
Ce cœur où plus rien ne pénètre,
D'où plus rien désormais ne sort ;
Je t'aime avec ce que mon être
A de plus fort contre la mort ;
Et, s'il peut braver la mort même,
Si le meilleur de l'homme est tel
Que rien n'en périsse, je t'aime
Avec ce que j'ai d'immortel.
Sully Prudhomme.
Ninnenne