L'indifférence Sully Prudhomme
L'indifférence
Que n'ai-je à te soumettre ou bien à t'obéir ?
Je te vouerais ma force ou te la ferais craindre ;
Esclave ou maître, au moins je te pourrais contraindre
A me sentir ta chose ou bien à me haïr.
J'aurais un jour connu l'insolite plaisir
D'allumer dans ton [size=13]coeur des soifs, ou d'en éteindre,[/size]
De t'être nécessaire ou terrible, et d'atteindre,
Bon gré, mal gré, ce [size=13]coeur jusque-là sans désir.[/size]
Esclave ou maître, au moins j'entrerais dans ta vie ;
Par mes soins captivée, à mon joug asservie,
Tu ne pourrais me fuir ni me laisser partir ;
Mais je meurs sous tes yeux, loin de ton être intime,
Sans même oser crier, car ce droit du martyr,
Ta [size=13]douceur impeccable en frustre ta victime.[/size]
Sully Prudhomme
L'habitude Sully Prudhomme
L'habitude
L'habitude est une étrangère
Qui supplante en nous la raison :
C'est une ancienne ménagère
Qui s'installe dans la maison.
Elle est discrète, humble, fidèle,
Familière avec tous les coins ;
On ne s'occupe jamais d'elle,
Car elle a d'invisibles soins :
Elle conduit les pieds de l'homme,
Sait le chemin qu'il eût choisi,
Connaît son but sans qu'il le nomme,
Et lui dit tout bas : "Par ici."
Travaillant pour nous en silence,
D'un geste sûr, toujours pareil,
Elle a l'oeil de la vigilance,
Les lèvres douces du sommeil.
Mais imprudent qui s'abandonne
A son joug une fois porté !
Cette vieille au pas monotone
Endort la jeune liberté ;
Et tous ceux que sa force obscure
A gagnés insensiblement
Sont des hommes par la figure,
Des choses par le mouvement.
Sully Prudhomme
Un très beau [size=13]poème sur les habitudes...qui enchaînent, détruisent, endorment l'envie de vivre et le désir d'avancer.[/size]
Ninnenne