Sagesse paysanne
Traitement de la vigne en Bas-Armagnac - Gers
Le dicton du jour :
"Quand la vigne est en fleur,
Elle ne veut voir ni manant, ni seigneur."
L’Odeur des vignes
L’odeur des vignes monte en un souffle d’ivresse :
La pesante [size=18]douceur des vendanges oppresse
La paix, la longue paix des automnes sereins.
Voici le champ, meurtri par les longues cultures,
L’enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,
Comme une femme offrant l’ambre de ses deux seins.[/size]
Un spectre de Bacchante erre parmi les treilles.
Sa rouge chevelure et ses lèvres vermeilles,
Ses paupières de pourpre aux replis somptueux,
Brûlent du flamboiement des anciennes luxures,
Et, dévoilant sa chair aux sanglantes morsures,
Elle chante à grands cris le vin voluptueux.
Les baisers sans amour sur les lèvres stupides,
Les regards vacillants dans le fond des yeux vides
Sortiront, enfiévrés, de l’effort du pressoir.
L’air se peuple déjà de visions profanes,
De festins où fleurit le front des courtisanes…
Les effluves du vin futur troublent le soir…
L’odeur des vignes monte en un souffle d’ivresse :
La pesante [size=18]douceur des vendanges oppresse
La paix, la longue paix des automnes sereins.
Voici le champ, meurtri par les longues cultures,
L’enclos tiède, où le fruit livre ses grappes mûres,
Comme une femme offrant l’ambre de ses deux seins.
[/size]
René Vivien
XL
Un [size=16]sourire d’incrédulité voltige dans vos yeux quand je viens
vous dire adieu.[/size]
Si souvent je l’ai fait que vous pensez me voir bientôt revenir.
En vérité, je le crois aussi.
Car les jours de printemps reviennent saison après saison ; la
lune nous quitte pour nous rendre à nouveau visite ; les
fleurs sur les branches s’épanouissent à chaque nouvelle
année.
Il est probable que mon adieu aussi n’est qu’un au revoir.
Mais gardez un instant l’illusion. Ne la rejetez pas avec une
hâte impolie.
Quand je dis que je vous quitte pour toujours, acceptez-le
comme vrai et laissez un brouillard de larmes rembrunir un
moment la frange sombre de vos yeux.
Puis, quand je reviendrai, vous sourirez aussi malicieusement
que vous voudrez.
Rabindranath Tagore
Peut-on empêcher l'amour d'être souffrance?Les deux pigeons Jean de La Fontaine
Illustration de Gustave Doré
LES DEUX PIGEONS
Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre.
L'un d'eux s'ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L'absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage. (1)
Encore si la saison s'avançait davantage !
Attendez les zéphyrs : qui(2) vous presse? Un Corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque Oiseau.
Je ne songerai(3) plus que rencontre funeste,
Que Faucons, que réseaux (4). Hélas, dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,
Bon soupé, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le coeur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi(5). Mon voyage dépeint (6)
Vous sera d'un plaisir extrême.
Je dirai : J'étais là ; telle chose m'avint(7) ;
Vous y croirez être vous-même.
A ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L'air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un Pigeon auprès : cela lui donne envie :
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las
(8 )
Les menteurs et traîtres appas.
Le las était usé : si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt : et le pis du destin
Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle,
Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du las qui l'avaient attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le Vautour s'en allait le lier(9), quand des nues
Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,
Crut, pour ce coup, que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié
Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié
La Volatile (10) malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile et tirant le pié,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, [size=16]heureux amants , voulez-vous voyager?[/size]
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J'ai quelquefois(11) aimé : je n'aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère (12),
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas! Quand reviendront de semblables moments?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète?
Ah! si mon coeur osait encor se renflammer!
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer?(13)
Jean de La Fontaine
Livre IX Fable 2
Explication
Les sources de cette fable sont dans le "Livre des Lumières" de Pilpay et reprennent en les concentrant, les mésaventures du pigeon volage "l'Aimé". La Fontaine y ajoute un commentaire personnel
Au XVIIème, on ne distingue pas toujours pigeons de colombes. Leur rôle est important dans la poésie galante. Mme de Sévigné écrit "la tourterelle Sablière" lorsqu"elle évoque les amours de Mme de La Sablière avec La Fare, dans sa correspondance avec sa fille.
Ici, les 2 pigeons sont des amis "Voulez-vous quitter votre frère ?" .
(1) que les peines, les tracas, les dangers changent votre coeur
(2) attendez le printemps, qu'est-ce qui vous presse?
(3) je ne verrai plus en rêve (songe) que...
(4) filet
(5) non plus
(6) le voyage que je vous décrirai
(7) m'arriva
(8 ) ce piège doit être la reginglette, évoquée dans la fable "l'hirondelle et les petits oiseaux" et doit être un collet, monté au bout d'une branchette qui fait ressort, et en se détendant, en reginglant, serre le lacet. Apparemment, ce mot est un mot de Château-Thierry, non connu des oiseliers de Paris (d'après Richelet)
(9) le maintenir dans ses serres
(10) se dit en général de tous les oiseaux (Furetière)
(11) une fois : sens archaïque
(12) le fils de Cythère est l'Amour. Cythère désigne parfois l'île, parfois la déesse Vénus
(13) La Fontaine publie cette fable à 68 ans
XXXVI
Il murmura : Mon amour lève les yeux
Je le grondai et lui dis : Va ! Mais il ne bougea pas.
Il resta devant [size=16]moi et garda mes deux mains dans les siennes.[/size]
Je dis : Laisse-moi ! Mais il ne s'en alla pas.
Il approcha son visage près du mien.
Je le regardai et lui dis : Quelle honte ! Mais il ne fit pas un
mouvement.
Ses lèvres frôlèrent ma joue.
Je tremblai et je dis : Tu oses trop ! Mais il n'eut pas honte.
Il mit une [size=16]fleur dans mes cheveux. [/size]
Je dis : C'est inutile ! Mais il ne se troubla pas.
Il prit la guirlande de mon cou et s'en alla.
Je pleure et je demande à mon [size=16]coeur : Pourquoi ne revient-il pas ![/size]
Rabindranath Tagore (Le jardinier d'amour)
Une belle description poétique du sentiment de pudeur d'une femme...
Ninnenne