[size=24]Don Juan aux enfers
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Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine
Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon,
Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthène,
D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes,
Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
Derrière lui traînaient un long mugissement.
Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
Montrait à tous les morts errant sur les rivages
Le fils audacieux qui railla son front blanc.
Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire,
Près de l'époux perfide et qui fut son amant,
Semblait lui réclamer un suprême sourire
Où brillât la douceur de son premier serment.
Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre
Se tenait à la barre et coupait le flot noir,
Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
Regardait le sillage et ne daignait rien voir.
De Charles Baudelaire
Ode sur le temps
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Ô Temps, suspends ton vol, respecte ma jeunesse ;
Que ma mère, longtemps témoin de ma tendresse,
Reçoive mes tributs de respect et d’amour ;
Et vous, Gloire, Vertu, déesses immortelles,
Que vos brillantes ailes
Sur mes cheveux blanchis se reposent un jour.
D'Antoine Thomas
Alchimie de la douleur
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L'un t'éclaire avec son ardeur,
L'autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l'un : Sépulture !
Dit à l'autre : Vie et splendeur !
Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages
Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages.
De Charles Beaudelaire
Soirs
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Il y a de grands soirs où les villages meurent
Après que les pigeons sont rentrés se coucher.
Ils meurent, doucement, avec le bruit de l'heure
Et le cri bleu des hirondelles au clocher...
Alors, pour les veiller, des lumières s'allument,
Vieilles petites lumières de bonnes soeurs,
Et des lanternes passent, là-bas dans la brume...
Au loin le chemin gris chemine avec douceur...
Les fleurs dans les jardins se sont pelotonnées,
Pour écouter mourir leur village d'antan,
Car elles savent que c'est là qu'elles sont nées...
Puis les lumières s'éteignent, cependant
Que les vieux murs habituels ont rendu l'âme,
Tout doux, tout bonnement, comme de vieilles femmes
D'Henry Bataille
Les souvenirs
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Les souvenirs, ce sont les chambres sans serrures,
Des chambres vides où l'on n'ose plus entrer,
Parce que de vieux parents jadis y moururent.
On vit dans la maison où sont ces chambres closes.
On sait qu'elles sont là comme à leur habitude,
Et c'est la chambre bleue, et c'est la chambre rose...
La maison se remplit ainsi de solitude,
Et l'on y continue à vivre en souriant...
D'henry Bataille
Les nénuphars
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Nénuphars blancs, ô lys des eaux limpides,
Neige montant du fond de leur azur,
Qui, sommeillant sur vos tiges humides,
Avez besoin, pour dormir, d'un lit pur ;
Fleurs de pudeur, oui ! vous êtes trop fières
Pour vous laisser cueillir... et vivre après.
Nénuphars blanc, dormez sur vos rivières,
Je ne vous cueillerai jamais !
Nénuphars blancs, ô fleurs des eaux rêveuses,
Si vous rêvez, à quoi donc rêvez-vous ?...
Car pour rêver il faut être amoureuses,
Il faut avoir le coeur pris... ou jaloux ;
Mais vous, ô fleurs que l'eau baigne et protège,
Pour vous, rêver... c'est aspirer le frais !
Nénuphars blancs, dormez dans votre neige !
Je ne vous cueillerai jamais !
Nénuphars blancs, fleurs des eaux engourdies
Dont la blancheur fait froid aux coeurs ardents,
Qui vous plongez dans vos eaux détiédies
Quand le soleil y luit, Nénuphars blancs !
Restez cachés aux anses des rivières,
Dans les brouillards, sous les saules épais...
Des fleurs de Dieu vous êtes les dernières !
De Jules BARBEY D'AUREVILLY
Je ne vous cueillerai jamais !
Je vivais sans coeur...
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Je vivais sans coeur, tu vivais sans flamme,
Incomplets, mais faits pour un sort plus beau ;
Tu pris de mes sens, - je pris de ton âme,
Et tous deux ainsi nous nous partageâme :
Mais c'est toi qui fis le meilleur cadeau !
Oui ! c'est toi, merci... C'est toi, sainte femme,
Qui m'as fait sentir le profond amour...
Je mis de ma nuit dans ta blancheur d'âme,
Mais toi, dans la mienne, as mis le grand jour !
Je tombais, tombais... Cet ange fidèle
Qui suit les coeurs purs ne me suivait pas...
Pour me soutenir me manquait son aile...
Mais Dieu m'entr'ouvrit ton coeur et tes bras !
Et j'aime tes bras... tes bras mieux qu'une aile ;
Car une aile, hélas ! sert à nous quitter :
L'ange ailé s'en va, lorsque Dieu l'appelle...
Tandis que des bras servent à rester !
de Jules BARBEY D'AUREVILLY
Débouclez-les, vos longs cheveux...
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Débouclez-les, vos longs cheveux de soie,
Passez vos mains sur leurs touffes d'anneaux,
Qui, réunis, empêchent qu'on ne voie
Vos longs cils bruns qui font vos yeux si beaux !
Lissez-les bien, puisque toutes pareilles
Négligemment deux boucles retombant
Roulent autour de vos blanches oreilles,
Comme autrefois, quand vous étiez enfant,
Quand vos seize ans ne vous avaient quittée
Pour s'en aller où tous nos ans s'en vont,
En nous laissant, dans la vie attristée,
Un coeur usé plus vite que le front !
Ah ! c'est alors que je vous imagine
Vous jetant toute aux bras de l'avenir,
Sans larme aux yeux et rien dans la poitrine...
Rien qui vous fît pleurer ou souvenir !
Ah ! de ce temps montrez-moi quelque chose
En vous coiffant comme alors vous étiez ;
Que je vous voie ainsi, que je repose
Sur vos seize ans mes yeux de pleurs mouillés...
de Jules BARBEY D'AUREVILLY
Invocation à la lune
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Ainsi qu'une jeune beauté
Silencieuse et solitaire,
Des flancs du nuage argenté
La lune sort avec mystère.
Fille aimable du ciel, à pas lents et sans bruit,
Tu glisses dans les airs où brille ta couronne,
Et ton passage s'environne
Du cortège pompeux des soleils de la nuit.
Que fais-tu loin de nous, quand l'aube blanchissante
Efface à nos yeux attristés
Ton sourire charmant et tes molles clartés ?
Vas-tu, comme Ossian, plaintive, gémissante,
Dans l'asile de la douleur
Ensevelir ta beauté languissante ?
Fille aimable du ciel, connais-tu le malheur ?
Maintenant revêtu de toute sa lumière,
Ton char voluptueux roule au-dessus des monts :
Prolonge, s'il se peut, le cours de ta carrière,
Et verse sur les mers tes paisibles rayons.
De Pierre Bahour-Lormian
Hymne au soleil
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Roi du monde et du jour, guerrier aux cheveux d'or,
Quelle main, te couvrant d'une armure enflammée,
Abandonna l'espace à ton rapide essor,
Et traça dans l'azur ta route accoutumée ?
Nul astre à tes côtés ne lève un front rival ;
Les filles de la nuit à ton éclat pâlissent ;
La lune devant toi fuit d'un pas inégal,
Et ses rayons douteux dans les flots s'engloutissent.
Sous les coups réunis de l'âge et des autans
Tombe du haut sapin la tête échevelée ;
Le mont même, le mont, assailli par le temps,
Du poids de ses débris écrase la vallée ;
Mais les siècles jaloux épargnent ta beauté :
Un printemps éternel embellit ta jeunesse,
Tu t'empares des cieux en monarque indompté,
Et les voeux de l'amour t'accompagnent sans cesse.
Quand la tempête éclate et rugit dans les airs,
Quand les vents font rouler, au milieu des éclairs,
Le char retentissant qui porte le tonnerre,
Tu parais, tu souris, et consoles la terre.
Hélas ! depuis longtemps tes rayons glorieux
Ne viennent plus frapper ma débile paupière !
Je ne te verrai plus, soit que, dans ta carrière,
Tu verses sur la plaine un océan de feux,
Soit que, vers l'occident, le cortège des ombres
Accompagne tes pas, ou que les vagues sombres
T'enferment dans le sein d'une humide prison !
Mais, peut-être, ô soleil, tu n'as qu'une saison ;
Peut-être, succombant sous le fardeau des âges,
Un jour tu subiras notre commun destin ;
Tu seras insensible à la voix du matin,
Et tu t'endormiras au milieu des nuages.
De Pierre Baour-Lormian
Viens, sur tes cheveux noirs...
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Viens. Sur tes cheveux noirs jette un chapeau de paille.
Avant l'heure du bruit, l'heure où chacun travaille,
Allons voir le matin se lever sur les monts
Et cueillir par les prés les fleurs que nous aimons.
Sur les bords de la source aux moires assouplies,
Les nénufars dorés penchent des fleurs pâlies,
Il reste dans les champs et dans les grands vergers
Comme un écho lointain des chansons des bergers,
Et, secouant pour nous leurs ailes odorantes,
Les brises du matin, comme des soeurs errantes,
Jettent déjà vers toi, tandis que tu souris,
L'odeur du pêcher rose et des pommiers fleuri
De Theodore de Banville
Sculpteur, cherche avec soin
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Sculpteur, cherche avec soin, en attendant l'extase,
Un marbre sans défaut pour en faire un beau vase ;
Cherche longtemps sa forme et n'y retrace pas
D'amours mystérieux ni de divins combats.
Pas d'Héraklès vainqueur du monstre de Némée,
Ni de Cypris naissant sur la mer embaumée ;
Pas de Titans vaincus dans leurs rébellions,
Ni de riant Bacchus attelant les lions
Avec un frein tressé de pampres et de vignes ;
Pas de Léda jouant dans la troupe des cygnes
Sous l'ombre des lauriers en fleurs, ni d'Artémis
Surprise au sein des eaux dans sa blancheur de lys.
Qu'autour du vase pur, trop beau pour la Bacchante,
La verveine mêlée à des feuilles d'acanthe
Fleurisse, et que plus bas des vierges lentement
S'avancent deux à deux, d'un pas sûr et charmant,
Les bras pendant le long de leurs tuniques droites
Et les cheveux tressés sur leurs têtes étroites.
De Théodore de Banville
Nous n'irons plus au bois
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Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés.
Les Amours des bassins, les Naïades en groupe
Voient reluire au soleil en cristaux découpés
Les flots silencieux qui coulaient de leur coupe.
Les lauriers sont coupés, et le cerf aux abois
Tressaille au son du cor; nous n'irons plus au bois,
Où des enfants charmants riait la folle troupe
Sous les regards des lys aux pleurs du ciel trempés,
Voici l'herbe qu'on fauche et les lauriers qu'on coupe.
Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés
De Théodore de Banville
Les torts du cygne
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Comme le Cygne allait nageant
Sur le lac au miroir d'argent,
Plein de fraîcheur et de silence,
Les Corbeaux noirs, d'un ton guerrier,
Se mirent à l'injurier
En volant avec turbulence.
Va te cacher, vilain oiseau !
S'écriaient-ils. Ce damoiseau
Est vêtu de lys et d'ivoire !
Il a de la neige à son flanc !
Il se montre couvert de blanc
Comme un paillasse de la foire!
Il va sur les eaux de saphir,
Laid comme une perle d'Ophir,
Blanc comme le marbre des tombes
Et comme l'aubépine en fleur !
Le fat arbore la couleur
Des boulangers et des colombes !
Pour briller sur ce promenoir,
Que n'a-t-il adopté le noir !
Un fait des plus élémentaires,
C'est que le noir est distingué.
C'est propre, c'est joli, c'est gai ;
C'est l'uniforme des notaires.
Cuisinier, garde ton couteau
Pour ce Gille, cher à Wateau !
Accours! et moi-même que n'ai-je
Le bec aigu comme un ciseau
Pour percer le vilain oiseau
Barbouillé de lys et de neige !
Tel fut leur langage. A son tour
Dans les cieux parut un Vautour
Qui s'en vint déchirer le Cygne
Ivre de joie et de soleil ;
Et sur l'onde son sang vermeil
Coula comme une pourpre insigne.
Alors, plus brillant que l'Oeta
Ceint de neige, l'oiseau chanta,
L'oiseau que sa blancheur décore ;
Il chanta la splendeur du jour,
Et tous les antres d'alentour
S'emplirent de sa voix sonore.
Et l'Alouette dans son vol,
Et la Rose et le Rossignol
Pleuraient le Cygne. Mais les Anes
S'écrièrent avec lenteur :
Que nous veut ce mauvais chanteur ?
Nous avons des airs bien plus crânes.
Il chantait toujours. Et les bois
Frissonnants écoutaient la voix
Pleine d'hymnes et de louanges.
Alors, d'autres êtres ailés
Traversèrent les cieux voilés
D'azur. Ceux-là, c'étaient des Anges.
Ces beaux voyageurs, sans pleurer,
Regardaient le Cygne expirer
Parmi sa pourpre funéraire,
Et, vers l'oiseau du flot obscur
Tournant leur prunelle d'azur,
Ils lui disaient : Bonsoir, mon frère.
De Théodore de Banville
Le vin de l'amour
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Accablé de soif, l'Amour
Se plaignait, pâle de rage,
A tous les bois d'alentour.
Alors il vit, sous l'ombrage,
Des enfants à l'oeil d'azur
Lui présenter un lait pur
Et les noirs raisins des treilles.
Mais il leur dit : Laissez-moi,
Vous qui jouez sans effroi,
Enfants aux lèvres vermeilles !
Petits enfants ingénus
Qui folâtrez demi-nus,
Ne touchez pas à mes armes.
Le lait pur et le doux vin
Pour moi ruissellent en vain :
Je bois du sang et des larmes.
De Theodore de Banville
Ninnenne blog de partage suite dans quelques jours
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