peinture de Amalia Luliana Chitulescu
Automne
Le vent tourbillonnant, qui rabat les volets,
Là-bas tord la forêt comme une chevelure.
Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure
Pareil au bruit des mers, rouleuses de galets.
L’Automne qui descend les collines voilées
Fait, sous ses pas profonds, tressaillir notre cœur ;
Et voici que s’afflige avec plus de ferveur
Le tendre désespoir des roses envolées.
Le vol des guêpes d’or qui vibrait sans repos
S’est tu ; le pêne grince à la grille rouillée ;
La tonnelle grelotte et la terre est mouillée,
Et le linge blanc claque, éperdu, dans l’enclos.
Le jardin nu sourit comme une face aimée
Qui vous dit longuement adieu, quand la [size=24]mort vient ;[/size]
Seul, le son d’une enclume ou l’aboiement d’un chien
Monte, mélancolique, à la vitre fermée.
Suscitant des pensers d’immortelle et de buis,
La cloche sonne, grave, au cœur de la paroisse ;
Et la lumière, avec un long frisson d’angoisse,
Ecoute au fond du ciel venir des longues nuits…
Les longues nuits demain remplaceront, lugubres,
Les limpides matins, les matins frais et fous,
Pleins de papillons blancs chavirant dans les choux
Et de voix sonnant claires dans les brises salubres.
Qu’importe, la maison, sans se plaindre de toi,
T’accueille avec son lierre et ses nids d’hirondelle,
Et, fêtant le retour du prodigue près d’elle,
Fait sortir la fumée à longs flots bleus du toit.
Lorsque la vie éclate et ruisselle et flamboie,
Ivre du vin trop fort de la terre, et laissant
Pendre ses cheveux lourds sur la coupe du sang,
L’âme impure est pareille à la [size=24]fille de joie.[/size]
Mais les corbeaux au ciel s’assemblent par milliers,
Et déjà, reniant sa folie orageuse,
L’âme pousse un soupir joyeux de voyageuse
Qui retrouve, en rentrant, ses meubles familiers.
L’étendard de l’été pend noirci sur sa hampe.
Remonte dans ta chambre, accroche ton manteau ;
Et que ton rêve, ainsi qu’une rose dans l’eau,
S’entr’ouvre au doux soleil intime de la lampe.
Dans l’horloge pensive, au timbre avertisseur,
Mystérieusement bat le cœur du Silence.
La Solitude au seuil étend sa vigilance,
Et baise, en se penchant, ton front comme une sœur.
C’est le refuge élu, c’est la [size=24]bonne demeure,[/size]
La cellule aux murs chauds, l’âtre au subtil loisir,
Où s’élabore, ainsi qu’un très rare élixir,
L’essence fine de la vie intérieure.
Là, tu peux déposer le masque et les fardeaux,
Loin de la foule et libre, enfin, des simagrées,
Afin que le parfum des choses préférées
Flotte, seul, pour ton cœur dans les plis des rideaux.
C’est la bonne saison, entre toutes féconde,
D’adorer tes vrais dieux, sans honte, à ta façon,
Et de descendre en toi jusqu’au divin frisson
De te découvrir jeune et vierge comme un monde !
Tout est calme ; le vent pleure au fond du couloir ;
Ton esprit a rompu ses chaînes imbéciles,
Et, nu, penché sur l’eau des heures immobiles,
Se mire au pur cristal de son propre miroir :
Et, près du feu qui meurt, ce sont des Grâces nues,
Des départs de vaisseaux hauts voilés dans l’air vif,
L’âpre suc d’un baiser sensuel et pensif,
Et des soleils couchants sur des eaux inconnues…
Magny-les-Hameaux, octobre 1894.
Albert Samain, Le chariot d’or
LE BOUQUET DE CLAUDE MARCEL BREAULT
Le bouquet
Certains avouent qu'ils n’avaient pas compris
Que l’amour est une fleur du printemps de la vie
Et que, sans eau, elle risque de se faner,
Et elle pourrait disparaître au cours de l’été
Certains changent complètement de bouquet
Ou, parfois même, le vase qui le contenait,
En oubliant souvent qu’un bouquet d’été
N’aura pas du printemps cette même nouveauté
Et le souvenir du premier bouquet demeure.
L’amour perdu a créé un vide intérieur.
Tant mieux si leur jardin est toujours beau.
C’est la vie parfois qui nous offre un cadeau.
À chaque jour, il faut s’occuper d’une fleur.
Elle peut tellement nous donner de bonheur.
Une belle fleur ne vous laissera pas tomber
Si vous en faites toujours votre priorité.
Quand elle est heureuse, elle offre d’autres fleurs.
Si elle est malheureuse, d’autres lui offriront des fleurs.
Claude Marcel Breault
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L'ÉTOILE AU CŒUR DE SULLY PRUDHOMME
L'étoile au cœur
Par les nuits sublimes d'été,
Sous leur dôme d'or et d'opale,
Je demande à l'immensité
Où sourit la forme idéale.
Plein d'une angoisse de banni,
A travers la flore innombrable
Des campagnes de l'infini,
Je poursuis ce lis adorable...
S'il brille au firmament profond,
Ce n'est pas pour moi qu'il y brille :
J'ai beau chercher, tout se confond
Dans l'océan clair qui fourmille.
Ma vue implore de trop bas
Sa splendeur en chemin perdue,
Et j'abaisse enfin mes yeux las,
Découragés par l'étendue.
Appauvri de l'espoir ôté,
Je m'en reviens plus solitaire,
Et cependant cette beauté
Que je crois si loin de la terre,
Un laboureur insoucieux,
Chaque soir à son foyer même,
Pour l'admirer, l'a sous les yeux
Dans la paysanne qu'il aime.
Heureux qui, sans vaine langueur,
Voyant les étoiles renaître,
Ferme sur elles sa fenêtre :
La plus belle luit dans son cœur.
René-François SULLY PRUDHOMME 1839-1907
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ECOUTEZ-MOI SI VOUS M'AIMEZ DE ODILON-JEAN PERIER
Écoutez-moi si vous m'aimez
Écoutez-moi si vous m'aimez :
Je suis sauvé lorsque je chante ;
Et toi, surtout, que j'ai formé
De ma plus douce voix vivante :
Tes beaux cheveux bien éclairés
Comme le feu dans la poussière
Te font pareil aux oliviers,
Tes mains connaissent un mystère
Dont il reste de l'or aux doigts...
Si tu es dieu, révèle-toi.
- Garde ton sang, bouche mordue,
J'y vois la trace de ton cœur :
Sur la voie que tu as perdue
Je t'ai suivi comme un chasseur.
Es-tu cette étoile sauvage ?
Je te salue, ô visiteur,
Dans la lumière et la douleur,
Visage doux comme une plage
Usée, habituée aux vagues...
Tu es l'amour aux mains profondes :
Partageons ce pain et ce sel...
- Salut, dans le milieu du monde,
Salut à mon ami mortel.
Puis-je mourir, quelle folie !
N'entends-tu pas ma poésie
Et ce cœur battre, ô bouche d'or ?
Je suis le berger de ces ombres
Et le principe de ces choses
Ayant fait œuvre de mon corps
Je suis vainqueur, il se repose,
Et je retourne à mes trésors.
- [size=18]Homme enfermé, l'orgueil t'égare[/size]
Libre et vivant, - devant un mur.
Accorde-moi ce corps avare,
Ne sois, enfin, qu'un esprit pur.
Amour, ce serait par faiblesse...
- Mais, par faiblesse, sois [size=18]heureux.[/size]
Laisse ces ruses sans noblesse
J'ai vu la flamme dans tes yeux...
Alors, il me prend par la tête,
Porte la nuit dans mes fenêtres,
Porte sur moi son souffle ardent,
Par les genoux brise ma force
Et, comme un cheval qui s'emporte,
Jette ses cheveux dans le vent...
- Je suis seul. Je serre les dents.
Plus tard, un soir comme les autres,
La poésie monte et se pose,
L'eau merveilleuse monte en moi,
Le dieu se pose dans ma chambre,
Tout est changé, c'est que je chante :
Amour, entendez-vous ma voix ?
Mais le Démon n'écoute pas,
Il pleure dans ses mains profondes...
Les poètes sont seuls au monde.
Odilon-Jean PÉRIER 1901-1928
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LE HÉRON DE JEAN DE LA FONTAINE
Le Héron
Un jour, sur ses longs pieds, allait je ne sais où,
Le Héron au long bec emmanché d'un long cou.
Il côtoyait une rivière.
L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours ;
Ma commère la carpe y faisait mille tours
Avec le brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
Tous approchaient du bord, l'oiseau n'avait qu'à prendre ;
Mais il crut mieux faire d'attendre
Qu'il eût un peu plus d'appétit.
Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l'appétit vint : l'oiseau
S'approchant du bord vit sur l'eau
Des Tanches qui sortaient du [size=18]fond de ces demeures.[/size]
Le mets ne lui plut pas ; il s'attendait à mieux
Et montrait un goût dédaigneux
Comme le rat du bon Horace.
Moi des Tanches ? dit-il, moi Héron que je fasse
Une si pauvre chère ? Et pour qui me prend-on ?
La Tanche rebutée il trouva du goujon.
Du goujon ! C’est bien là le dîner d'un Héron !
J'ouvrirais pour si peu le bec ! Aux Dieux ne plaise !
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.
La faim le prit, il fut tout [size=18]heureux et tout aise[/size]
De rencontrer un limaçon.
Ne soyons pas si difficiles :
Les plus accommodants ce sont les plus habiles :
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner ;
Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris ; ce n'est pas aux Hérons
Que je parle ; écoutez, humains, un autre conte ;
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.
Jean de LA FONTAINE 1621-1695
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LA ROSE DE LECONTE DE LISLE
La rose
Je dirai la rose aux plis gracieux.
La rose est le souffle embaumé des Dieux,
Le plus cher souci des Muses divines.
Je dirai ta gloire, ô charme des yeux,
Ô [size=18]fleur de Kypris, reine des collines ![/size]
Tu t'épanouis entre les beaux doigts
De l'Aube écartant les ombres moroses ;
L'air bleu devient rose, et roses les bois ;
La bouche et le sein des Nymphes sont roses !
Heureuse la vierge aux bras arrondis
Qui dans les halliers humides te cueille !
Heureux le front jeune où tu resplendis !
Heureuse la coupe où nage ta feuille !
Ruisselante encor du flot paternel,
Quand de la mer bleue Aphrodite éclose
Étincela nue aux clartés du ciel,
La Terre jalouse enfanta la rose ;
Et l'Olympe entier, d'amour transporté,
Salua la fleur avec la Beauté !
Charles-Marie LECONTE DE LISLE 1818-1894
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LA FORET DE LOUIS-HONORE FRECHETTE
photo ci-dessus Photo : cc by-nc-nd www.Photo-Paysage.com
La forêt
Chênes au front pensif, grands pins mystérieux,
Vieux troncs penchés au bord des torrents furieux,
Dans votre rêverie éternelle et hautaine,
Songez-vous quelquefois à l'époque lointaine
Où le sauvage écho des déserts canadiens
Ne connaissait encor que la voix des Indiens
Qui, groupés sous l'abri de vos branches compactes,
Mêlaient leurs chants de guerre au bruit des cataractes ?
Sous le ciel étoilé, quand les vents assidus
Balancent dans la nuit vos longs bras éperdus,
Songez-vous à ces temps glorieux où nos pères
Domptaient la barbarie au fond de ses repaires,
Quand, épris d'un seul but, le cœur plein d'un seul vœu,
Ils passaient sous votre ombre, en criant : " [size=18]Dieu le veut ! "[/size]
Défrichaient la forêt, créaient des métropoles,
Et, le soir, réunis sous vos vastes coupoles,
Toujours préoccupés de mille ardents travaux,
Soufflaient dans leurs clairons l'esprit des jours nouveaux ?
Oui, sans doute : témoins vivaces d'un autre âge,
Vous avez survécu tout seul au grand naufrage
Où les hommes se sont l'un sur l'autre engloutis ;
Et, sans souci du temps qui brise les petits,
Votre ramure, aux coups des siècles échappée,
À tous les vents du ciel chante notre épopée !
Louis-Honoré FRÉCHETTE 1839-1908
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Bonne lecture!! Ninnenne