Le coucher du soleil Sully Prudhomme
Le coucher du soleil
Si j'ose comparer le déclin de ma vie
A ton coucher sublime, ô Soleil ! je t'envie.
Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr :
Elle renaît immense avec l'immense azur.
De ton sanglant linceul tout le ciel se colore,
Et le regard funèbre où luit ton dernier feu,
Ce regard sombre et doux, dont tu couves encore
Le lys que ta ferveur a fait naguère éclore,
Est triste infiniment, mais n'est pas un adieu.
Sully Prudhomme
Le réveil Sully Prudhomme
[size=13]http://wizzz.telerama.fr/huguesamblard/photos/5516196264[/size]
Le réveil
Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange ! ),
Je voudrais avant toi m'éveiller le matin
Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,
Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.
J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,
Et, patient, rempli d'un silence joyeux,
J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,
Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.
Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre
Dans les choses où [size=13]Dieu mit le plus de douceur,[/size]
Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,
Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton coeur.
Oh ! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime,
Celui qui poserait, au lever du soleil,
Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,
Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil !
René-François SULLY PRUDHOMME
Aux amis inconnus Sully Prudhomme
Aux [size=13]amis inconnus[/size]
Ces vers, je les dédie aux [size=13]amis inconnus,[/size]
A vous, les étrangers en qui je sens des proches,
Rivaux de ceux que j'aime et qui m'aiment le plus,
Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches
Et dont les [size=13]coeurs au mien sont librement venus.[/size]
Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières
Rapporter sans faillir, par les cieux infinis,
Un cher [size=13]message aux mains qui leur sont familières,[/size]
Nos poèmes parfois nous reviennent bénis,
Chauds d'un accueil lointain d'âmes hospitalières.
Et quel triomphe alors ! Quelle félicité
Orgueilleuse, mais tendre et pure, nous inonde,
Quand répond à nos voix leur écho suscité,
Par delà le vulgaire, en l'invisible monde
Où les fiers et les doux se sont fait leur cité !
Et nous la méritons, cette ivresse suprême,
Car si l'humanité tolère encor nos chants,
C'est que notre élégie est son propre poème,
Et que seuls nous savons, sur des rythmes touchants,
En lui parlant de nous lui parler d'elle-même.
Parfois un vers, complice intime, vient rouvrir
Quelque plaie où le feu désire qu'on l'attise ;
Parfois un mot, le nom de ce qui fait souffrir,
Tombe comme une larme à la place précise
Où le coeur méconnu l'attendait pour guérir.
Peut-être un de mes vers est-il venu vous rendre
Dans un éclair brûlant vos chagrins tout entiers,
Ou, par le seul vrai mot qui se faisait attendre,
Vous ai-je dit le nom de ce que vous sentiez,
Sans vous nommer les yeux où j'avais dû l'apprendre.
Vous qui n'aurez cherché dans mon propre tourment
Que la sainte beauté de la douleur humaine,
Qui, pour la profondeur de mes soupirs m'aimant,
Sans avoir à descendre où j'ai conçu ma peine,
Les aurez entendus dans le ciel seulement ;
Vous qui m'aurez donné le pardon sans le blâme,
N'ayant connu mes torts que par mon repentir,
Mes terrestres amours que par leur pure flamme,
Pour qui je me fais juste et noble sans mentir,
Dans un rêve où la vie est plus conforme à l'âme !
Chers passants, ne prenez de moi-même qu'un peu,
Le peu qui vous a plu parce qu'il vous ressemble ;
Mais de nous rencontrer ne formons point le voeu :
Le vrai de l'amitié, c'est de sentir ensemble ;
Le reste en est fragile, épargnons-nous l'adieu.
Sully Prudhomme
Au jour le jour Sully Prudhomme
Au jour le jour.
Quand d'une perte irréparable
On garde au coeur le souvenir,
On est parfois si misérable
Qu'on délibère d'en finir.
La vie extérieure oppresse :
Son mobile et bruyant souci
Fatigue... et dans cette détresse
On murmure : « Que fais-je ici ?
« Libre de fuir tout ce tumulte
Où ma douleur n'a point de part,
Où le train du [size=13]monde l'insulte, [/size]
Pourquoi retarder mon départ ?
« Pourquoi cette illogique attente ?
Les moyens sont prompts et [size=13]divers, [/size]
Pour l'homme que le néant tente,
D'écarter du pied l'univers ! »
Mais l'habitude, lâche et forte,
Demande grâce au désespoir ;
On se condamne et l'on supporte
Un jour de plus sans le vouloir.
Ah ! C'est qu'il faut si peu de chose
Pour faire accepter chaque jour !
L'aube avec un bouton de rose
Nous intéresse à son retour.
La rose éclora tout à l'heure,
Et l'on attend qu'elle ait souri ;
Eclose, on attend qu'elle meure ;
Elle est morte, une autre a fleuri ;
On partait, mais une hirondelle
Descend et glisse au ras du sol,
Et l'oeil ne s'est séparé d'elle
Qu'au ciel où s'est perdu son vol ;
On partait, mais tout près s'éveille,
Sous un battement d'éventail,
Un frais zéphire qui conseille
Avec l'espoir un dernier bail ;
On partait, mais le bruit tout proche
D'un marteau fidèle au labeur,
Sonnant comme un mâle reproche,
Fait rougir d'être un déserteur ;
Tout nous convie à ne pas clore
Notre destinée aujourd'hui ;
Le malheur même est doux encore,
Doux à soulager dans autrui :
Une larme veut qu'on demeure
Au moins le temps de l'essuyer ;
Tout ce qui rit, tout ce qui pleure,
Fait retourner le sablier.
Ainsi l'agonie a des trêves :
On ressaisit, au moindre appel,
Le fil ténu des heures brèves
Au seuil du mystère éternel.
On accorde à cette agonie
Que la main n'abrège jamais,
Une lenteur indéfinie
Où les adieux sont des délais ;
Et sans se résigner à vivre
Ni s'en aller avant son tour,
On laisse les moments se suivre,
Et le coeur battre au jour le jour.
René-François Sully Prudhomme.
Ah! le cours de mes ans Sully Prudhomme
Ah ! le cours de mes ans...
Ah ! le cours de mes ans ne peut que faire envie :
Je ne maudirai pas le jour où je suis né.
Si [size=13]Dieu m'a fait souffrir, il m'a beaucoup donné,[/size]
Je ne me plaindrai pas d'avoir connu la vie.
De la félicité que j'avais poursuivie
Le trop vaste horizon s'est aujourd'hui borné,
J'attends, calme et rêveur, ce qui m'est destiné ;
Qu'importe l'avenir ? mon âme est assouvie.
L'arbre de ma jeunesse était ambitieux,
Fou d'espoir et de sève, hélas ! et les orages,
Secouant sa verdure, en ont semé les cieux...
Mais le doux souvenir est le glaneur des âges,
Et l'oubli n'a jamais si bien tout effacé
Qu'il ne reste une [size=13]fleur dans le champ du passé.[/size]
Sully Prudhomme
Ne nous plaignons pas Sully Prudhomme
Ne nous plaignons pas
Va, ne nous plaignons pas de nos heures d'angoisse.
Un trop facile amour n'est pas sans repentir ;
Le bonheur se flétrit, comme une [size=13]fleur se froisse[/size]
Dès qu'on veut l'incliner vers soi pour la sentir.
Regarde autour de nous ceux qui pleuraient naguère
Les voilà l'un à l'autre, ils se disent [size=13]heureux,[/size]
Mais ils ont à jamais violé le mystère
Qui faisait de l'amour un infini pour eux.
Ils se disent [size=13]heureux ; mais, dans leurs nuits sans fièvres,[/size]
Leurs yeux n'échangent plus les éclairs d'autrefois ;
Déjà sans tressaillir ils se baisent les lèvres,
Et nous, nous frémissons rien qu'en mêlant nos doigts.
Ils se disent [size=13]heureux, et plus jamais n'éprouvent[/size]
Cette vive brûlure et cette oppression
Dont nos coeurs sont saisis quand nos yeux se retrouvent ;
Nous nous sommes toujours une apparition !
Ils se disent [size=13]heureux, parce qu'ils peuvent vivre[/size]
De la même fortune et sous le même toit ;
Mais ils ne sentent plus un cher secret les suivre ;
Ils se disent [size=13]heureux, et le monde les voit ![/size]
Sully Prudhomme
Silence Sully Prudhomme
Silence
La pudeur n'a pas de clémence,
Nul aveu ne reste impuni,
Et c'est par le premier nenni
Que l'ère des douleurs commence.
De ta bouche où ton coeur s'élance
Que l'aveu reste donc banni !
Le coeur peut offrir l'infini
Dans la profondeur du silence.
Baise sa main sans la presser
Comme un lis facile à blesser,
Qui tremble à la moindre secousse ;
Et l'aimant sans nommer l'amour,
Tais-lui que sa présence est douce,
La tienne sera douce un jour.
Sully Prudhomme
Le pardon Sully Prudhomme
Le pardon
Pour peu que votre image en mon âme renaisse,
Je sens bien que c'est vous que j'aime encor le mieux.
Vous avez désolé l'aube de ma jeunesse,
Je veux pourtant mourir sans oublier vos yeux,
Ni votre voix surtout, sonore et caressante,
Qui pénétrait mon [size=13]coeur entre toutes les voix,[/size]
Et longtemps ma poitrine en restait frémissante
Comme un luth solitaire encore ému des doigts.
Ah ! j'en connais beaucoup dont les lèvres sont belles,
Dont le front est parfait, dont le langage est doux.
Mes amis vous diront que j'ai chanté pour elles,
Ma mère vous dira que j'ai pleuré pour vous.
J'ai pleuré, mais déjà mes larmes sont plus rares ;
Je sanglotais alors, je soupire aujourd'hui ;
Puis bientôt viendra l'âge où les yeux sont avares,
Et ma tristesse un jour ne sera plus qu'ennui.
Oui, pour avoir brisé la fleur de ma jeunesse,
J'ai peur de vous haïr quand je deviendrai vieux.
Que toujours votre image en mon âme renaisse !
Que je pardonne à l'âme au souvenir des yeux !
Sully prudhomme
Le dernier adieu Sully Prudhomme
Le dernier adieu
Quand l'être cher vient d'expirer,
On sent obscurément la perte,
On ne peut pas encor pleurer :
La [size=13]mort présente déconcerte ;[/size]
Et ni le lugubre drap noir,
Ni le dies irae farouche,
Ne donnent forme au désespoir :
La stupeur clôt l'âme et la bouche.
Incrédule à son propre deuil,
On regarde au [size=13]fond de la tombe,[/size]
Sans rien comprendre à ce cercueil
Sonnant sous la terre qui tombe.
C'est aux premiers regards portés,
En famille, autour de la table,
Sur les sièges plus écartés,
Que se fait l'adieu véritable.
Sully Prudhomme
L'expression latine "Dies iræ" est à l'origine une locution signifiant « Jour de colère » ...La vieillesse Sully prudhomme
La vieillesse
Viennent les ans ! J'aspire à cet âge sauveur
Où mon sang coulera plus sage dans mes veines,
Où, les plaisirs pour [size=13]moi n'ayant plus de saveur,[/size]
Je vivrai doucement avec mes vieilles peines.
Quand l'amour, désormais affranchi du baiser,
Ne me brûlera plus de sa fièvre mauvaise
Et n'aura plus en [size=13]moi d'avenir à briser,[/size]
Que je m'en donnerai de [size=13]tendresse à mon aise ![/size]
Bienheureux les enfants venus sur mon chemin !
Je saurai transporter dans les buissons l'école ;
Heureux les jeunes gens dont je prendrai la main !
S'ils aiment, je saurai comment on les console.
Et je ne dirai pas : "C'était mieux de mon temps."
Car le mieux d'autrefois c'était notre jeunesse ;
Mais je m'approcherai des âmes de vingt ans
Pour qu'un peu de chaleur en mon âme renaisse ;
Pour vieillir sans déchoir, ne jamais oublier
Ce que j'aurai senti dans l'âge où le coeur vibre,
Le beau, l'honneur, le droit qui ne sait pas plier,
Et jusques au tombeau penser en homme libre.
Et vous, oh ! Quel poignard de ma poitrine ôté,
Femmes, quand du désir il n'y sera plus traces,
Et qu'alors je pourrai ne voir dans la beauté
Que le dépôt en vous du moule pur des races !
Puissé-je ainsi m'asseoir au faîte de mes jours
Et contempler la vie, exempt enfin d'épreuves,
Comme du haut des monts on voit les grands détours
Et les plis tourmentés des routes et des fleuves !
Sully Prudhomme
L'automne
L'azur n'est plus égal comme un rideau sans pli.
La feuille, à tout moment, tressaille, vole et tombe ;
Au bois, dans les sentiers où le taillis surplombe,
Les taches de soleil, plus larges, ont pâli.
Mais l'oeuvre de la sève est partout accompli :
La grappe autour du cep se colore et se bombe,
Dans le verger la branche au poids des fruits succombe,
Et l'été meurt, content de son devoir rempli.
Dans l'été de ta [size=13]vie enrichis-en l'automne ;[/size]
Ô mortel, sois docile à l'exemple que donne,
Depuis des milliers d'ans, la terre au genre humain ;
Vois : le front, lisse hier, n'est déjà plus sans rides,
Et les cheveux épais seront rares demain :
Fuis la honte et l'horreur de vieillir les mains vides.
Sully Prudhomme
Scrupule Sully Prudhomme
Scrupule
Je veux lui dire quelque chose,
Je ne peux pas ;
Le mot dirait plus que je n'ose,
Même tout bas.
D'où vient que je suis plus timide
Que je n'étais ?
Il faut parler, je m'y décide...
Et je me tais.
Les aveux m'ont paru moins graves
A dix-huit ans ;
Mes lèvres ne sont plus si braves
Depuis longtemps.
J'ai peur, en sentant que je l'aime,
De mal sentir ;
Dans mes yeux une larme même
Pourrait mentir,
Car j'aurais beau l'y laisser naître
De [size=13]bonne foi,[/size]
C'est quelque ancien amour peut-être
Qui pleure en moi.
Sully Prudhomme
Joies sans causes Sully Prudhomme
Joies sans causes
On connaît toujours trop les causes de sa peine,
Mais on cherche parfois celles de son plaisir ;
Je m'éveille parfois l'âme toute sereine,
Sous un charme étranger que je ne peux saisir.
Un ciel [size=13]rose envahit mon être et ma demeure, [/size]
J'aime tout l'univers, et, sans savoir pourquoi,
Je rayonne. Cela ne dure pas une heure,
Et je sens refluer les ténèbres en moi.
D'où viennent ces lueurs de joie instantanées,
Ces paradis ouverts qu'on ne fait qu'entrevoir,
Ces étoiles sans noms dans la nuit des années,
Qui filent en laissant le [size=13]fond du coeur plus noir ?[/size]
Est-ce un avril ancien dont l'azur se rallume,
Printemps qui renaîtrait de la cendre des jours
Comme un feu mort jetant une clarté posthume ?
Est-ce un présage [size=13]heureux des futures amours ?[/size]
Non. Ce mystérieux et rapide sillage
N'a rien du souvenir ni du pressentiment ;
C'est peut-être un bonheur égaré qui voyage
Et, se trompant de coeur, ne nous luit qu'un moment.
Sully Prudhomme
Encore un beau poème sur les petites joies éphémères qui habitent notre coeur à certains moments...Un exil Sully Prudhomme
Un exil.
Je plains les exilés qui laissent derrière eux
L'amour et la beauté d'une amante chérie ;
Mais ceux qu'elle a suivis au désert sont [size=13]heureux : [/size]
Ils ont avec la femme emporté la patrie.
Ils retrouvent le jour de leur pays natal
Dans la clarté des yeux qui leur sourient encor,
Et des champs paternels, sur un front virginal,
Les lis abandonnés recommencent d'éclore.
Le ciel quitté les suit sous les nouveaux climats ;
Car l'amante a gardé, dans l'âme et sur la bouche,
Un fidèle reflet des soleils de là-bas
Et les anciennes nuits pour la nouvelle couche.
Je ne plains point ceux-là ; ceux-là n'ont rien perdu :
Ils vont, les yeux ravis et les mains parfumées
D'un vivant souvenir ! Et tout leur est rendu,
Saisons, terre et famille, au sein des bien-aimées.
Je plains ceux qui, partant, laissent, vraiment bannis,
Tout ce qu'ils possédaient sur terre de céleste !
Mais plus encor, s'il n'a dans son propre pays
Point d'amante à pleurer, je plains celui qui reste.
Ah ! Jour et nuit chercher dans sa propre maison
Cet être nécessaire, une amante chérie !
C'est plus de solitude avec moins d'horizon ;
Oui, c'est le pire exil, l'exil dans la patrie.
Et ni le ciel, ni l'air, ni le lis virginal,
Ni le champ paternel, n'en guérissent la peine :
Au contraire, l'amour tendre du sol natal
Rend l'absente plus douce au cœur et plus lointaine.
René-François Sully Prudhomme.
Ce poème fait parti du recueil : Les solitudes, écrit en 1869...Je le trouve particulièrement émouvant car 145 ans après, l'exil est toujours mondialement présent et plus que jamais dans beaucoup de pays... En des temps lointains, les gens s'exilaient pour chercher de l'or, pour trouver des terres, pour "faire fortune", par esprit d'aventure...Aujourd'hui, beaucoup s'exilent ...simplement ...pour sauver leurs vies...La suite un autre jour!!! Ninnenne