Un été en Queyras Céleste Fournier
[size=16]L'auteur :[/size]
Céleste Fournier, née à Ceillac où vivaient ses parents et avant eux
une longue lignée d'ancêtres maternels et paternels, a publié aux
Editions du Queyras plusieurs livres qui ont tous pour thème ou pour
cadre sa région natale, le Queyras.
Elle a exercé dans la région parisienne son métier d'institutrice.
Elle a gardé une maison à Ceillac ou elle réside à la belle saison.
Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages sur son pays natal :
Là-haut sur la montagne
Un parfum d'encre et de craie
Marie des Hauts plateaux
Le jardin des ancolies
Ceillac au fil du temps
Un été en Queyras
Mon humble avis
L'auteur raconte avec passion, tendresse, la vie dans un petit
village du Queyras.
A travers la vie de Louise, Victor, personnages attachants et
typiques, elle tisse au fils des mots des récits et anecdotes avec un
style poétique et humouristique...
Un régal...qui se lit d'une traite par un après-midi pluvieux...
A travers ces lignes, j'ai retrouvé ma grand-mère qui gardait le
troupeau avec moi enfant, mon grand-père et sa faux au milieu des
champs, ma maman qui tricota des chaussettes toute sa vie et me
faisait tenir la laine de pulls quelle détricotait pour refaire autre
chose quand c'était usé.
J'ai choisi de mettre ces deux photos tirées de ce livre, car elles me
touchent particulièrement...
Quand la lecture offre des instants magiques...
Extraits :
"Lorsque, prenant la suite de ma grand-mère et de ma mère, j'ai commencé à avoir avec ce jardin qui est désormais le mien, des relations continues et régulières, j'ai choisi, malgrè la désapprobation silencieuse de certains de mes compatriotes, de consacrer une bonne moitié de ma surface à ces cultures superbement inutiles et follement capricieuses que sont les fleurs. C'est que pour quelques irréductibles, faire un jardin reste un devoir plutôt qu'un art de vivre. Ceux qui ne cultivent rien de sérieux sont au choix, des paresseux, des bons à rien ou dans le meilleur des cas de dangereux originaux."
"Les nouvelles générations de jardiniers, quoique plus critiques, continuent à se fier aux règles dixtées par l'observation attentive de la nature. En répétant les mêmes gestes aux mêmes périodes que les parents et les parents des parents, une continuité s'installe. Elle abolit le temps et la mort, mêle le présent au passé, conforte ce sentiment de pérénnité qui fonde l'appartenance à une communauté encore forte, à une lignée de paysans opiniâtres."
"Les doigts de Louise s'activent. Rester à garder sans rien faire la déshonorerait. Les jours précédents elle a patiemment récupéré la laine de deux pull-over qu'il aurait été dommage de jeter en entier. Le dos, le haut des manches, offraient encore une assez bonne résistance. Soucieuse, comme toutes les femmes de sa génération, d ene rien gaspiller, elle va faire du neuf avec ce que beaucoup d'autres auraient allégrement mis à la poubelle.
Deux grosses boules de deux bleu marine differents sautent dans son tablier au fur et à mesure qu'elle tire la laine toute frisottée pour 'faire chaussette". Deux mailles à l'envers, deux mailles à l'endroit, les aiguilles d'acier s'entrechoquent avec entrain. Ce n'est que lorqu'elle abordera le talon puis le pied qu'il kui faudra faire preuve d'un peu plus d'attention. Heureusement, la technique, apprise de sa grand-mère, ne varie guère. Louise peut rêver sans avoir l'impression de perdre son temps."
"Cependant, lire lorsqu'on est si près du village, lorsqu'à un moment ou à un autre quelqu'un de connu risque de passer, il ne faut pas songer! Louise tient à sa réputation de travailleuse et de femme de tête! elle se garde ce petit plaisir pour un jour où personne ne pourra la prendre en flagrant délit de lecture."
"Devenu un vieil homme, il supporte mal de rester couché le matin parce qu'il n'a rien de mieux à faire, parce que ses enfants lui répètent, chaque fois qu'il les voit, qu'il ne doit plus désormais, à son âge, être debout aux aurores.
Tu en as bien assez fait, repose toi maintenant que tu peux. lui disent-ils. Mais se reposer de quoi? il n'a plus l'occasion de se fatiguer et le sommeil, si léger, s'enfuit si vite... Alors, paisiblement allongé, il regarde le gros réveil rond solidement posé sur ses pieds écartés. Il écoute, résigné, le tic-tac puissant qui bat avec vigueur le temps qui passe. Il a cessé, depuis longtemps, de guetter la sonnerie qui aurait réveillé les morts lorqu'elle annonçait, stridente, que le moment d'émerger de la nuit était venu."
"Résigné à vivre seul le reste de son âge, il n'en mesure pas moins la solitude dans laquelle l'évolution des moeurs a plongé tous ceux qui comme lui avaient toujours vu trois générations au moins cohabiter sous le même toit. Les patriarches n'ont plus, désormais, personne sur qui régner jusqu'à leur dernier souffle. Les fils, à qui revenait en priorité l'héritage, ont cessé d'avoir comme objectif de préserver, agrandir, faire fructifier le patrimoine pour le transmettre intact à la postérité. Beaucoup ont quitté la maison familiale pour suivre d'autres voies que paysannes; et rares sont les enfants qui ne considéreraient pas le fait de vivre avec leurs vieux parents comme une contrainte, heureusement passagère."
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"Tandis qu'il pédalait machinalement sur le chemin de terre battue qui serpentait entre les prairies, il organisait son travail pour la journée ainsi que celui de sa famille au grand complet. Même les enfants devaient aider aux différents travaux des champs, sans qu'on ait à leur demander, comme c'était la règle depuis toujours."
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"Comme c'était loin tout ça! Bientôt plus personne ne croira à ses évocations d'un autre âge! Lorsqu'encore et toujours, il veut raconter sa vie si difficile de paysan montagnard, même ses petits-enfants s'écrient : "Mais Pépé, tout ça c'est de la préhistoire!" Nul besoin de remonter si loin se dit-il, silencieux, et un peu meurtri. Sa propre enfance, si douloureuse encore malgré le temps écoulé, son existence si rude et si remplie, suffisent à sa mémoire."
"Dans la sérénité de cette belle journée estivale, Victor pleure. Il pleure sur le foin qui ne remplira plus les granges, sur les prés délaissés, sur son village que déjà il ne reconnaît plus. Il pleure sur lui-même, sur tout ce qui est passé et qui maintenant a le goût du bonheur.
Le bonheur, doux oiseau de la jeunesse, était là, dans le pré. Il est passé..."
Ninnenne