"Refuge" de Terry Tempest Williams
L'Auteur:
Terry Tempest Williams est née en 1955 dans le Nevada et a grandi dans l'Utah. Auteur de nombreux récits, essais et poèmes, elle est aujourd'hui une voix incontournable de l'Ouest américain.
Résumé :
Utah, printemps 1983. La montée des eaux du Grand Lac Salé atteint des niveaux records et les inondations menacent le Refuge des oiseaux migrateurs. Hérons, chouettes et aigrettes neigeuses, dont l'étude rythme l'existence de Terry Tempest Williams, en sont les premières victimes. Alors qu'elle est confrontée au déclin de ces espèces, Terry apprend que sa mère est atteinte d'un cancer, comme plusieurs membres de sa famille avant elle - conséquence probable des essais nucléaires menés dans le Nevada au cours des années 1950. Bouleversée par la douleur de celle qu'elle accompagne dans la maladie, Terry trouvera l'apaisement dans l'observation des oiseaux du Refuge.
Étude naturaliste et chronique familiale saisissante, Refuge entrelace le destin des oiseaux du Grand Lac Salé et celui des hommes frappés comme eux par les drames écologiques. Dans une langue sobre et poétique, Terry Tempest Williams refuse la tragédie et lance un formidable appel au renouveau.
Critiques :
Pénétrant et d'une intensité presque insupportable, Refuge est un essai sur la mortalité - la nôtre et celle du monde de la création.
Jim Harrison
Revue de presse
Quand Refuge a été publié, il y a plus de vingt ans, aux Etats-Unis, les militants de l'écologie n'étaient, en [size=16]France, qu'une poignée de " Khmers verts " et Nicolas Hulot, un animateur de télévision plutôt doué. L'écologie n'était pas franchement à la mode. Le livre (enfin traduit) de Terry Tempest Williams, poétesse des plaines arides de l'Utah, fascinée par les Indiens Fremont et n'hésitant pas à se présenter comme une " femme mormone de la cinquième génération des Saints des derniers jours ", ne se laisse pourtant pas réduire à cette seule étiquette...[/size]
Renouant avec la veine naturaliste de la [size=16]littérature américaine, Refuge est aussi une réflexion sur la mortalité - " la nôtre et celle du monde de la création ", selon le mot de Jim Harrison, qui a salué avec chaleur le formidable récit de Terry Tempest Williams. " Quand on a perdu sa mère, il faut renoncer au luxe d'être enfant ", constate cette dernière, se réveillant en sursaut d'un cauchemar prémonitoire. Rêves, prières, poèmes font aussi partie de cette construction en spirale, minutieuse et simple comme un nid de mouette. Ou comme l'envol d'un cygne siffleur. (Catherine Simon - Le Monde du 26 avril 2012 )[/size]
Dans un lumineux récit autobiographique, Terry Tempest Williams confronte la maladie de sa mère à une étude naturaliste du Grand Lac Salé, dans l'Ouest américain...
Refuge connut un certain retentissement au moment de sa parution outre-Atlantique, à l'aube des années 1990. Confrontée à la mortalité humaine et animale, son auteur y alerte des dangers de l'urbanisation massive et de l'exploitation outrancière de la nature par les hommes. Ses chiffres font froid dans le dos : «Au cours des cent dernières années, écrit-elle, la Californie a perdu 95 % de ses marécages. L'Utah vient d'en perdre 80 % en deux ans.»...
Militante, Terry Tempest Williams n'en reste pas moins un grand écrivain. Ses pages sont lumineuses et jamais sa plume ne cède : «J'adore regarder les mouettes s'élever dans les airs au-dessus du grand bassin. Des jours comme celui-ci, quand j'ai l'âme nouée de douleur, la simplicité de leur vol et de leur forme au-dessus de l'eau a le pouvoir de dénouer les fils de mon chagrin.» (Marie de Cazanove - La Croix du 9 mai 2012 )
Louise Erdrich
Un livre d'une pertinence absolue pour notre existence.
Barry Lopez.
Ce qui est extraordinaire dans Refuge, c'est que Terry Tempest Williams est trop pleine de vitalité elle-même, trop fascinée par toutes les manifestations de la vie pour écrire un livre sombre. Il n'est pas une page dans Refuge qui ne bruisse de battements d'ailes.
Wallace Stegner.
Extraits :
Chevêches des terriers
Niveau du lac : 1281,59 m
Le Grand Lac Salé est à environ vingt-cinq minutes en voiture de la maison. Partant de l'entrée d'Émigration Canyon, où nous vivons, je roule vers l'ouest et je passe devant la statue de Brigham Young, perchée en haut du monument "This is the Place". Je tourne à droite dans Foothill Drive, je longe le campus de l'université d'Utah, puis je prends encore à droite en direction de l'est jusqu'à South Temple, ce qui nécessite un virage à gauche. Quelques kilomètres plus loin, j'arrive à Eagle Gate, une arche de bronze qui enjambe State Street. Je tourne à droite une fois de plus. À l'intersection suivante, je prends à gauche dans North Temple et je passe devant le Mormon Tabernacle à Temple Square. Ensuite, je n'ai plus qu'à suivre les mouettes vers l'ouest en passant devant l'aéroport international de Sait Lake City.
Le Grand Lac Salé : la nature sauvage au bord de la grande ville; un rivage qui avance et recule, causant d'importants dégâts aux autoroutes ; des îles trop désolées et trop éloignées pour être habitables ; de l'eau dans le désert, mais une eau que personne ne peut boire. L'imposture liquide de l'Ouest.
Je me souviens d'une expérience faite en classe : nous avions rempli d'eau une tasse - la surface du contenu ne faisait que deux ou trois dizaines de centimètres carrés. Puis nous avions versé la même quantité d'eau dans une grande assiette plate - elle couvrait plusieurs centaines de centimètres carrés. La plupart des lacs dans le monde sont comme des tasses pleines d'eau. Le Grand Lac Salé, avec une profondeur moyenne qui ne dépasse pas quatre mètres, ressemble à l'assiette plate. Nous avions ensuite ajouté deux ou trois cuillerées à soupe de sel pour obtenir un taux de salinité comparable.
Poursuivant l'expérience, nous avions laissé l'assiette et la tasse l'une à côté de l'autre sur le rebord de la fenêtre. A mesure que l'eau s'était évaporée, nous avions observé comment l'assiette s'asséchait en se couvrant d'une croûte de sel, bien avant la tasse. Les cristaux étaient magnifiques.
Comme le Grand Lac Salé est situé au fond de ce qu'on appelle le Grand Bassin, le plus vaste système fermé d'Amérique du Nord, il est endoréique : il n'a pas de débouché sur l'océan.
Le niveau de la nappe varie de manière incontrôlable en fonction des conditions climatiques. La surface est exposée au soleil 70% du temps en moyenne. La température du lac atteint fréquemment 30 °C et absorbe suffisamment d'énergie pour provoquer l'évaporation de plus d'un mètre d'eau par an. Si les précipitations dépassent le taux d'évaporation, le Grand Lac Salé enfle. Si les pluies sont inférieures à la quantité évaporée, le lac se rétracte. Ajoutons à cela le débit énorme des rivières qui descendent de la chaîne des Wasatch et des montagnes Uinta à l'est, et on commence à voir se dessiner l'image même du changement.
Le Grand Lac Salé est cyclique. À la fin de l'hiver, le niveau monte avec la fonte des neiges dans les montagnes. À la fin du printemps, il commence à baisser lorsqu'il fait suffisamment chaud pour que la perte due à l'évaporation de surface soit plus importante que l'apport combiné des rivières, de l'eau du sol et des précipitations. Il recommence à monter en automne, quand les températures baissent et que l'apport excède la perte par évaporation."
"Nous sortîmes. J'étais abattue. Je l'avais trahie. J'avais l'impression de l'avoir tuée avec mon optimisme et j'étais paralysée par un sentiment de culpabilité. Pourquoi n'avais je pas pu respecter sa conviction que chaque jour est un cadeau et que l'issue ne comptait pas tant. Nous voulions que tout retrouve sa forme d'origine. C'était pour nous-mêmes que nous voulions sa guérison. Pour que notre vie à nous puisse reprendre son cours. Nous en avions oublié qu'elle vivait la sienne."
Mon humble Avis :
Tenir un livre comme celui là entre les mains, c'est le bonheur de lire...Difficile de mettre des mots sur l'émotion qu'a soulevé cette lecture en moi...
Au delà de la richesse de son écriture, des descriptions minutieuses des oiseaux et de leurs vies par rapport aux fluctations du niveau du lac, nous sommes au coeur d'un vêcu familial des fins de vie de ses proches... De l'humain, de l'amour, de la tendresse, des moments partagés...Elle dit ce que l'on a ressenti dans la même situation de façon si juste et sincère que ce livre est apaisant.
Elle nous transporte aussi dans la réalité des essais nucléaires dans le désert américain et de leurs conséquences sur l'écologie et sur la santé des habitants.
A la dernière page, on quitte une amie...
Ninnenne